Résumé
Belgian justice has just arrested three Rwandans suspected of genocide. Pierre Basabose, a former member of the presidential guard who became a businessman and shareholder of RTLM radio, is said to have financed the Interahamwe. Séraphin Twahirwa, an official at the Ministry of Public Works, allegedly formed a militia which participated in the genocide. Christophe Ndangali of the Ministry of Education is said to have participated in the hunt for Tutsi.
Citation
C’est une tragédie dont le souvenir semble resurgir de façon récurrente, bien loin des lieux où elle s’est déroulée. Plus d’un quart de siècle après le génocide des Tutsis du Rwanda en 1994, les fantômes réapparaissent en effet à des milliers de kilomètres de ce petit pays de l’Afrique des Grands Lacs. Plus précisément, en Europe où ont trouvé refuge tant de responsables des massacres qui avaient fait près d’un million de morts en seulement trois mois.
Après l’interpellation surprise, en mai dans la banlieue parisienne, de Félicien Kabuga, considéré comme le « financier du génocide », et désormais en passe d’être envoyé devant la justice internationale à la suite de la décision mercredi de la Cour de cassation de Paris, une nouvelle annonce a fait sensation : le parquet fédéral de Bruxelles a révélé samedi l’arrestation de trois Rwandais, installés en Belgique et soupçonnés, eux aussi, d’avoir joué un rôle central dans cette solution finale africaine.
A la différence de Kabuga, ces trois-là ne vivaient pas cachés. Les charges qui leur sont reprochées suggèrent pourtant une implication active dans l’avant-dernier génocide du XXe siècle.
Attentat à la grenade
Le premier d’entre eux se nomme Pierre Basabose. Ancien militaire au sein de la garde présidentielle, il s’était reconverti dans les affaires bien avant le génocide et possédait un bureau de change à Kigali. Réputé proche de l’Akazu, ce cercle occulte considéré comme le noyau dur des extrémistes au sommet du pouvoir, Basabose était depuis longtemps soupçonné de trafic de devises pour le compte des plus hauts dignitaires du pays. En 1993, le Programme alimentaire mondial (PAM) l’avait accusé également de détournement d’aide humanitaire. Une plainte qui avait valu au procureur général de Kigali à l’époque, d’être la cible d’un attentat à la grenade. Et même de devoir s’enfuir de l’hôpital où il était soigné, suite à des menaces.
Pendant le génocide, Basabose se serait illustré, comme Kabuga, en mettant sa fortune au service des tueurs. Distribuant notamment armes et argent aux redoutables miliciens Interahamwe (« Ceux qui combattent ensemble »), dans différents quartiers de Kigali.
L’homme d’affaires figurait également en deuxième position des donateurs de la tristement célèbre Radio des Mille Collines dont la propagande haineuse et les appels au meurtre des Tutsis joueront un rôle dévastateur dans l’amplification des tueries. Le troisième actionnaire par ordre d’importance était Félicien Kabuga. Mais le premier sponsor de cette radio meurtrière n’était autre que le président Habyarimana lui-même.
Propagande génocidaire
L’un de ses cousins est le deuxième suspect arrêté samedi par la police belge. Séraphin Twahirwa était haut fonctionnaire au ministère des Travaux publics à la veille du génocide. Huit mois avant les massacres, il avait été interpellé pour une affaire de meurtre dans laquelle étaient impliqués des hommes à son service. Car loin de se limiter à son poste au ministère, Twahirwa aurait également été chargé de la protection des dignitaires du parti présidentiel. Quand les massacres démarrent, il forme et commande une milice de 600 hommes, baptisée « Opération CDR Suicide Kimya » qui aurait participé activement au génocide au centre et dans l’ouest du Rwanda.
Le troisième suspect peut être considéré comme un « intellectuel ». Ils seront nombreux hélas à mettre leur savoir au service de la propagande génocidaire. Christophe Ndangali travaillait au ministère de l’Education où on l’accuse d’avoir souvent encouragé l’exclusion des Tutsis du système scolaire.
En mars 1993, il fait partie des intellectuels qui cosignent une lettre appelant à « la mobilisation des Hutus du Nord » et exigeant notamment le recours à « l’autodéfense civile » pour débusquer « l’ennemi », c’est-à-dire les Tutsis, dans les préfectures de Byumba et Ruhengeri. Or dès cette époque des pogroms ponctuels préfiguraient le bain de sang déclenché le 7 avril 1994. A partir de cette date, Ndangali aurait participé aux patrouilles et à la mise en place des barrages qui permettront d’identifier les Tutsis, grâce aux mentions ethniques figurant sur les cartes d’identité, et de les exterminer.
Clichés et pogroms
Depuis son exil belge, l’ancien fonctionnaire du ministère de l’Education n’avait d’ailleurs pas renoncé à promouvoir la vision ethnique, manipulée, de l’histoire qui depuis l’indépendance a toujours justifié les discriminations et les pogroms contre les Tutsis. Il a notamment fait publier un livre qui reprend tous les clichés des Tutsis féodaux et oppresseurs de la majorité hutue.
Un ancien militaire, actionnaire de la Radio des Mille Collines, un haut fonctionnaire à la tête d’une milice, et un intellectuel alimentant la haine ethnique ? Les soupçons qui pèsent sur ces trois hommes sont particulièrement lourds. Il aura fallu pourtant une coopération judiciaire intense entre Bruxelles et Kigali pour que les interpellations aient lieu, les magistrats belges se rendant à quatre reprises au Rwanda dans le cadre de commissions rogatoires.
S’il s’avère que les suspects ont obtenu la nationalité belge, ils seront alors jugés en Belgique, pays qui a déjà organisé cinq procès, aboutissant à neuf condamnations liées au génocide des Tutsis. Dans l’immédiat, Kigali se félicite de l’efficacité de cette entraide judiciaire, vingt-six ans après la tragédie.
Maria Malagardis