Fiche du document numéro 26816

Num
26816
Date
Vendredi 24 juillet 2020
Amj
Taille
28799
Sur titre
Interview
Titre
Rwanda : « Il y aurait une centaine de génocidaires supposés en France »
Sous titre
Connu en France pour son rôle dans la recherche des responsables du génocide contre les Tutsis en 1994, Alain Gauthier évoque les difficultés de cette traque et la lenteur du processus judiciaire.
Nom cité
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Lieu cité
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Il avait disparu de la circulation. Pourtant, Aloys Ntiwiragabo se cachait dans la banlieue d’Orléans. Après sept mois d’enquête, Mediapart a retrouvé cet officier rwandais, à la tête du renseignement militaire à l’époque du génocide contre les Tutsis du Rwanda en 1994. Après l’arrestation spectaculaire, le 16 mai à Asnières, de Félicien Kabuga, surnommé le « financier du génocide », cette nouvelle découverte confirme que la France est bien l’un des points de chute favoris des responsables supposés du génocide. C’est ce que confirment Dafroza et Alain Gauthier, qui traquent ceux qui sont soupçonnés d’avoir joué un rôle actif dans ce génocide.

La découverte d’Aloys Ntiwiragabo près d’Orléans vous a-t-elle surpris ?

Oui, car c’est quelqu’un dont on n’avait plus de nouvelles depuis très longtemps. On ne savait même pas s’il était encore vivant, même si on connaissait son rôle, après le génocide, au sein des Forces démocratiques de libération du Rwanda [FDLR, un mouvement armé créé en république démocratique du Congo, alors appelée Zaïre, ndlr]. Il en était l’un des commandants. A l’origine, beaucoup de génocidaires se sont retrouvés dans les FDLR qui aspiraient à reconquérir le Rwanda. Mais nous n’avions pas enquêté sur ce cas particulier.

Depuis la création de votre association, le Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR), en 2001, vous avez déposé une trentaine de plaintes contre des génocidaires supposés vivant en France. Comment ont-ils pu atterrir là en toute impunité ?

Lors des premières années qui ont suivi le génocide, ils ont indiscutablement bénéficié d’une mansuétude de l’administration française, qui leur a facilement accordé le statut de réfugié, les autorisant parfois à changer de nom. La proximité de la France avec le régime qui a conduit au génocide explique certainement en partie cette tolérance. Apparemment, Aloys Ntiwiragabo n’avait pas de papiers mais sa femme avait pu régulariser sa situation ici, et changer de nom. De toute façon, ces suspects bénéficient de réseaux très structurés. On sait ainsi que les membres des FDLR sont très présents à Rouen. En tout, on estime qu’il y aurait près d’une centaine de génocidaires supposés en France.

Depuis vingt ans, les plaintes que vous avez lancées à partir de vos enquêtes au Rwanda n’ont donné lieu qu’à deux procès et trois condamnations. Pourquoi une telle lenteur ?

C’est ce qui nous désespère. Le premier procès, celui de Pascal Simbikangwa, un intime du premier cercle du pouvoir en 1994, qu’on a retrouvé à Mayotte, s’est achevé par une condamnation à vingt-cinq ans de prison. Deux ans plus tard comparaissaient deux bourgmestres, Octavien Ngenzi et Tito Barahira. Ils ont été condamnés à perpétuité. Pour les autres ? On attend. Jusqu’en 2014, jamais le parquet n’a demandé d’ouverture d’instruction. Ce sont nos plaintes qui poussent la justice à agir. La création du pôle génocide auprès du tribunal de grande instance de Paris en 2012 était censée accélérer le rythme. Mais les juges ne sont pas assez nombreux, ils s’occupent aussi d’autres dossiers, comme la Syrie et le Liberia. Et ils changent souvent. La lenteur de la justice favorise l’impunité.

Contrairement à Ntiwiragabo, certains suspects sont pourtant localisés…

Bien sûr ! Il y a notamment Agathe Habyarimana, la veuve du président Juvénal Habyarimana. Nous avons déposé plainte contre elle en 2007. Elle vit dans l’Essonne, où le préfet l’a déclarée indésirable. Le statut de réfugiée lui a été refusé, le Conseil d’Etat a écrit noir sur blanc qu’elle est soupçonnée d’être une instigatrice du génocide… et ensuite ? Rien, elle vit en toute illégalité en France et l’enquête judiciaire n’est pas achevée. On peut aussi citer le cas de Laurent Serubuga, un ex-chef d’état-major adjoint, soupçonné d’avoir été aux premières loges dès le 7 avril 1994. Nous avons repris une plainte existante, apporté de nouveaux éléments et depuis, l’instruction est en cours. On sait où il vit. Mais il est déjà très âgé, plus de 80 ans. Sera-t-il jamais jugé ?

D’autres procès sont pourtant d’ores et déjà prévus…

Il y a effectivement celui de Sosthène Munyemana, qui était gynécologue dans le sud du Rwanda en 1994. Il vit aujourd’hui près de Bordeaux. Et puis aussi Laurent Bucyibaruta, l’ancien préfet de Gikongoro dans l’ouest du Rwanda, une zone où il y a eu beaucoup de massacres. La première plainte contre lui remonte à 2000 ! Il vit aujourd’hui à Saint-André-les-Vergers, près de Troyes dans l’Aube. Munyemana comme Bucyibaruta ont finalement été renvoyés en cour d’assises. Mais ils ont fait appel, il a été rejeté, ils ont désormais sollicité la Cour de cassation. Et le temps passe, les témoins eux aussi disparaissent, ne se souviennent plus, et parfois ne veulent plus parler…

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024