Citation
Références
Cour Administrative d'Appel de Nantes
N° 14NT00941
Inédit au recueil Lebon
5ème chambre
M. LENOIR, président
M. Hubert LENOIR, rapporteur
Mme GRENIER, rapporteur public
BIJU-DUVAL, avocat
lecture du vendredi 3 avril 2015
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Texte intégral
Vu la requête, enregistrée le 9 avril 2014, présentée pour M. A... E..., élisant domicile..., demeurant... ;
M. et Mme E...demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement N° 1109375 du 12 février 2014 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande tendant à l'annulation de la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 25 août 2011 rejetant leur recours dirigé contre la décision des autorités consulaires française du Niger refusant de délivrer un visa de long séjour à M. E... :
2°) d'annuler cette décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer un visa d'entrée long séjour à M. E...dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
ils soutiennent que :
- le jugement attaqué est insuffisamment motivé dès lors qu'il ne précise ni les principes susceptibles d'être mis en cause par la venue de M. E... en France ni pour quelles raisons sa présence serait susceptible d'un retentissement de nature à porter atteinte à l'ordre public ;
- la menace à l'ordre public n'est pas caractérisée ;
- l'affirmation selon laquelle M. E...aurait été impliqué dans des crimes graves contre des personnes dans le cadre du génocide rwandais est sans fondement ;
- la circonstance qu'il ne se prévaudrait d'aucune mesure ou action qu'il aurait mené pour éviter ou limiter les exactions au cours des événements ayant conduit au génocide rwandais n'est pas de nature à caractériser une implication criminelle ;
- il n'a fait l'objet d'aucune poursuite devant une quelconque juridiction et l'affirmation selon laquelle il serait impliqué dans des crimes graves porte atteinte à la présomption d'innocence ;
- la décision de refus de visa porte atteinte de manière disproportionnée à son droit à mener une vie familiale normale ;
- ce refus de visa porte également atteinte au principe de l'unité de famille reconnu comme faisant partie des droits applicables aux réfugiés ;
Vu le jugement et la décision attaquée ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 30 avril 2014, présenté par le ministre de l'intérieur qui conclut au rejet de la requête ;
le ministre soutient que :
- compte tenu des fonctions qu'il a exercé au sein du gouvernement intérimaire en fonction au Rwanda au moment du génocide de 1994, M. E... a bien été impliqué dans les massacres perpétrés à cette époque ;
- il a participé en exil aux actions des anciens responsables du Rwanda et a dirigé ou été membre de plusieurs organisations reconnues comme terroriste ;
- le comportement passé du requérant peut justifier à lui seul le refus de visa qui lui a été opposé ;
- l'intéressé n'a pas renoncé à tenir un discours négationniste sur le génocide rwandais et sa venue est dès lors susceptible de susciter des réactions de la part des associations de victimes ;
- l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales n'est pas méconnu dès lors que les nécessités de l'ordre public s'opposer à la venue en France de M.E... ;
- le requérant ne peut pas se prévaloir des principes applicables en matière de droits des réfugiés ;
- les autres conclusions de M. E...ne peuvent qu'être rejetées ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 13 mars 2015 :
- le rapport de M. Lenoir, président-rapporteur ;
- les conclusions de Mme Grenier, rapporteur public ;
- et les observations de M. B...représentant le ministre de l'intérieur ;
1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M.E..., ressortissant rwandais né en 1947, a épousé Mme C...le 10 août 1974 ; que cette dernière a obtenu le statut de réfugié le 29 septembre 1999 puis a acquis la nationalité française le 5 décembre 2005 en demandant à changer son nom en Tibot ; que M. E...a sollicité le 23 mai 2001 auprès du consulat de France à Niamey (Niger) la délivrance d'un visa de long séjour en qualité de conjoint d'une ressortissante française ; que cette demande a été rejetée par ce consulat par décision du 16 juin 2011, ce refus étant confirmé par la commission de recours contre les refus de visas le 25 août 2011 ; que M. et Mme E...relèvent appel du jugement en date du 12 février 2014 par lequel le tribunal administratif de Nantes, qu'ils avaient saisi d'une demande d'annulation de cette dernière décision, a rejeté cette demande ;
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 211-2-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) le visa pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois ne peut être refusé à un conjoint de Français qu'en cas de fraude, d'annulation du mariage ou de menace à l'ordre public. " ; que, conformément à ces dispositions, si les autorités consulaires doivent normalement délivrer au conjoint étranger d'un ressortissant français dont le mariage n'a pas été contesté par l'autorité judiciaire le visa nécessaire pour que les époux puissent mener une vie familiale normale, elles peuvent cependant opposer un refus à une telle demande pour un motif d'ordre public ; que constitue un tel motif la circonstance que l'étranger sollicitant la délivrance du visa en question aurait été impliqué, même de manière passive, dans la commission de crimes contre l'humanité ou de crimes graves contre les personnes dès lors que sa venue en France, eu égard à l'impact qu'elle aurait sur l'image de la France, au soupçon de complaisance à l'encontre des crimes commis qui pourrait en résulter ou au retentissement de la présence desdites personnes sur le territoire national, serait de nature à porter atteinte à l'ordre public ;
3. Considérant, en premier lieu, qu'il ressort des pièces du dossier, et n'est pas contesté par l'intéressé, que M. E... exerçait, au sein des forces armées rwandaises (FAR), les fonctions de responsable du renseignement militaire, avec le grade de colonel de la gendarmerie, au cours de la période d'avril à juillet 1994 durant laquelle se sont déroulés au Rwanda des massacres planifiés de grande ampleur d'opposants politiques et de civils ; que s'il n'est pas établi que le requérant aurait participé personnellement à ces exactions de masse ou les auraient planifiées, il est constant que, tout en continuant à exercer ses fonctions et ne pouvant ainsi prétendre ignorer la gravité de la situation, il n'a pris aucune mesure pour faire cesser les massacres en question ou tout au moins tenté d'y mettre fin ; qu'il n'a pas non plus démissionné de ces mêmes fonctions en dépit de la participation avérée des forces rwandaises aux crimes ainsi commis ; que, de même, M. E... ne conteste pas avoir suivi le gouvernement responsable des crimes en question dans l'exil de celui-ci et avoir exercé la direction des forces démocratiques de libération du Rwanda, groupe armé organisé luttant contre le pouvoir établi au Rwanda à partir de juillet 1994, marquant ainsi son attachement avec ce gouvernement en exil ; que s'il fait valoir qu'il aurait cessé toute participation active à ce mouvement depuis 2002, la circonstance qu'il ait ainsi fait partie des institutions et groupements responsables du génocide commis au Rwanda en 1994 et qu'il ne s'en soit pas désolidarisé suffit à constituer, ainsi qu'il l'a été précisé plus haut, un motif ordre public justifiant, en application des dispositions de l'article L. 211-2-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que lui soit refusée la délivrance d'un visa de long séjour en qualité de conjoint d'un ressortissant français ; que les requérants ne sont, dès lors, pas fondés à soutenir que ce serait à tort que la commission de recours contre les refus de visas leur aurait refusé, pour le motif tiré de l'atteinte à l'ordre public, la délivrance du visa qu'ils sollicitaient ;
4. Considérant, en deuxième lieu, que, ainsi qu'il l'a été précisé ci-dessus, le refus de visa long séjour peut être opposé au conjoint d'un ressortissant français pour un motif d'ordre public tenant à l'exercice de fonctions de responsabilité au sein d'institutions ou de groupements ayant planifié ou mis en oeuvre le génocide des opposants et des civils victimes des crimes commis au Rwanda en 1994 ; que, par suite, la circonstance que M. E...n'ait pas fait l'objet de poursuites pénales à raison de son rôle dans ces crimes est sans influence sur le bien-fondé de la décision de refus de délivrance du visa de long séjour sollicité, la simple appartenance à ces institutions ou groupements criminels suffisant à justifier celle-ci sans que puisse être invoquée la présomption d'innocence applicable en matière pénale ;
5. Considérant, en troisième lieu, qu'eu égard au motif d'ordre public évoqué ci-dessus, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France n'a pas, par sa décision du 25 août 2011 refusant de délivrer à M. E... un visa en qualité de conjoint d'une ressortissante française, porté au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée et méconnu, par suite, les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
6. Considérant, enfin, que le requérant ne saurait utilement invoquer la circonstance que la décision en cause méconnaitrait le droit à l'unité familiale de la famille d'un réfugié dès lors que son épouse, ressortissante française, n'a pas cette qualité et que lui-même ne l'a pas obtenue, ni même sollicitée;
7. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme E... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande ;
Sur les conclusions à fin d'injonction :
8. Considérant que le présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d'annulation de M. et MmeE..., n'implique aucune mesure d'exécution ; que, par suite, leurs conclusions à fin d'injonction ne peuvent être accueillies ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
9. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans les présentes instances, le versement des sommes demandées par M. et Mme E... au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. et Mme E...est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... E..., à Mme D... E...et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 13 mars 2015, à laquelle siégeaient :
M. Lenoir, président-rapporteur,
M. Francfort, président-assesseur,
M. Durup de Baleine, premier conseiller,
Lu en audience publique le 3 avril 2015
Le président-assesseur,
J. FRANCFORT
Le président-rapporteur,
H. LENOIR
Le greffier,
F. PERSEHAYE
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