Fiche du document numéro 26792

Num
26792
Date
Mercredi 15 juillet 2020
Amj
Taille
310407
Titre
Attentat du 6 avril 1994 au Rwanda : la cour d’appel de Paris souligne les faiblesses de l’accusation
Source
RFI
Type
Page web
Langue
FR
Citation
L'attentat contre l'avion du président Juvénal Habyarimana (ici en 1982) marque le début du génocide contre les Tutsis.

RFI a pu consulter l’arrêt rendu le 3 juillet dernier par la cour
d’appel de Paris, confirmant le non-lieu dans l’enquête sur l’attentat
du 6 avril 1994 à Kigali contre l’avion du président rwandais Juvénal
Habyarimana, et par conséquence l’abandon des poursuites contre neuf
proches de l’actuel président rwandais Paul Kagame. Dans ce document,
les magistrats soulignent les faiblesses de l’accusation et insistent
sur le « climat délétère » dans lequel s’est déroulée l’instruction,
ouverte en 1998.

Fausse boîte noire, « manipulations », « mythomanie », témoins disparus
ou assassinés, et juges d’instructions qui se succèdent mais dont les
travaux se contredisent : l’arrêt d’une soixantaine de pages que RFI a
pu consulter témoigne de l’étrange climat, « délétère », qui a régné au
cours de cette enquête hors norme.

De 1998 à 2018, une enquête à rebondissements



Ouverte en 1998, à la demande de la fille d’un des pilotes français de
l’avion, l’instruction est d’abord confiée au juge Jean-Louis Bruguière.
Rapidement, et alors que plusieurs autres hypothèses circulent à
l’époque, ce dernier privilégie la thèse d’un attentat qui aurait été
commis par le FPR, le Front Patriotique rwandais de Paul Kagame, dans le
but de prendre le pouvoir. En 2006, dans une ordonnance, il incrimine
directement l’actuel président rwandais, protégé par son immunité de
chef d’État et émet des mandats d’arrêts contre neuf de ses proches,
entraînant au passage une crise diplomatique entre la France et le
Rwanda.


Tout bascule en 2007, lorsque le juge Marc Trévidic succède à Jean-Louis
Bruguière, parti à la retraite, et reprend le dossier. Son enquête bat
progressivement en brèche des pans entiers de l’instruction menée par
son prédécesseur. En 2010, les mandats d’arrêts émis quatre ans plus tôt
sont levés. Les autres hypothèses ne sont plus écartées, notamment celle
- diamétralement opposée – d’un attentat commis par des extrémistes
hutus. Selon cette hypothèse, ces derniers auraient voulu faire accuser
leurs ennemis d’avoir assassiné leur président pour justifier le
génocide à venir. Huit ans plus tard, en 2018, les juges Marc Trévidic
et Nathalie Poux ordonnent finalement un premier non-lieu, sans pour
autant avoir désigné de nouveaux auteurs présumés de l’attentat.

Mensonges et disparition de témoin



C’est donc l’ensemble de cette procédure complexe que les magistrats de
la cour d’appel de Paris ont à leur tour examinée, pour confirmer le
non-lieu le 3 juillet dernier.

Dans leur arrêt, ils soulignent la faiblesse et le manque de fiabilité
des témoignages « sur lesquels repose principalement l’accusation ». Ces
témoignages sont qualifiés globalement de « largement contradictoires ou
non vérifiables ». Dans le détail, certains de ces témoignages,
attribuant la responsabilité de l’attentat au FPR, sont décrits comme « 
incertains », d’autres comme « surprenants », « indirects » ou indignes
de foi.

Les magistrats égrènent également une série de mensonges, et autres
évènements troublants ayant émaillé l’instruction. Il y a par exemple
les photographies de supposés lance-missiles présentés comme ayant
servis à abattre l’avion, mais dont on ignore finalement s’ils ont un
lien avec l'attentat.


Il y a aussi ce témoin, Emile Gafirita, un ancien sergent de l’armée
rwandaise, mystérieusement disparu, kidnappé au Kenya en novembre 2014,
alors qu’il devait être entendu par les juges d’instruction. Emile
Gafirita s’était signalé à la justice française quelques semaines plus
tôt, soit plus de 20 ans après les faits, et alors que les juges
Nathalie Poux et Marc Trévidic venaient d’annoncer leurs décision de
clore l’instruction. Dans un courrier transmis à la justice par un
intermédiaire, il avait affirmé avoir convoyé les missiles ayant servi à
abattre l’avion et avoir des informations compromettantes à révéler
contre le FPR. Outre que sa « disparition n’a pas permis de recueillir
les détails de son récit », les magistrats écrivent avoir relevé « une
différence de signature apparente entre sa pièce d’identité et son écrit
 », et que son « nom n’a jamais été cité par ceux qui ont prétendu être
présents », au moment des faits.

Le cas Paul Barril



Les magistrats reviennent également sur le rôle trouble joué par Paul
Barril, ex-gendarme de la cellule de la présidence française. Reconverti
dans le privé, il est l’un des promoteurs de la thèse de la culpabilité
du FPR dans cet attentat. Paul Barril a été plusieurs fois entendu au
cours de l’instruction. Les magistrats fustigent ses « mensonges, les
revirements, les contradictions, les manipulations multiples relevées »
dans ses « agissements » et ses « déclarations ». Ces errements
traduisent selon eux « une certaine propension à la mythomanie ne
permettant pas d’accorder un quelconque crédit à ses dires », peut-on
lire dans l’arrêt rendu le 3 juillet.

Il lui reproché d’avoir présenté aux enquêteurs Fabien Singaye, qui fera
un temps office de traducteur au cours de l’instruction, mais n’est
autre que le gendre de Félicien Kabuga, accusé d’être le « financier du
génocide des Tutsi », arrêté à Paris en mai dernier après 25 ans de
cavale.

C’est aussi lui, Paul Barril, qui a remis aux juges ce qu’il présentait
comme étant la boite noire de l’appareil transportant le président
rwandais le jour de l’attentat. Son analyse a révélé qu’il s’agissait en
fait « d’une antenne de navigation ».


C’est Paul Barril enfin, selon les magistrats qui a d’abord soutenu
avoir eu en main les deux tubes lances-missiles ayant servi à
l’attentat, comme il le relate dans un de ses livres, avant de se
rétracter. « Il justifiait ce revirement lors de ses auditions par le
fait que son livre était romancé » et « se vantait d’avoir par ce moyen
fait bouger les choses et surmonté l’inaction judiciaire », peut-on dire
dans l’arrêt.

Pour étayer ses dires, Paul Barril a affirmé qu'avoir été missionné par
la veuve Habyarimana pour mener une enquête sur les circonstances de
l’attentat, « aurait permis d’établir que les tris proviennent de Masaka
 » - tenue à l’époque par le Front patriotique rwandais - « et que
l’attendant avait été conçu et exécuté sous les ordres directs de Paul
Kagame », rappellent les magistrats.

Aucune conclusion sur les auteurs présumés de l’attentat



Sur cette question centrale de l’origine géographique des tirs de
missiles, l’arrêt s’appuie au contraire sur l’expertise menée en 2010 à
l’initiative du juge Trévidic, privilégiant « comme zone de tir la plus
probable, le site de Kanombe », alors aux mains de la garde
présidentielle, les faucons du régime Habyarimana. Pour rendre possible
cette expertise, Marc Trévidic s’était rendu à Kigali sur le site du
crash, contrairement à son prédécesseur, accompagné de plusieurs
spécialistes en balistique, explosifs, aéronautique, ou géométrie.

Les magistrats soulignent aussi que cette expertise est « en cohérence »
avec le « témoignage détaillé » du général français Grégoire Saint
Quentin à l’éqoque conseiller technique auprès des forces armées
rwandaises « évoquant des départs de coups suffisamment proches pour
avoir cru que l’on attaquait le camp de Kanombe ».

Ils écartent enfin l’hypothèse selon laquelle un commando du FPR aurait
pu s’infiltrer dans ce camp. « Cette affirmation n’est corroborée par
aucune constatation, élément ou témoignage précis », écrivent-ils.

Pour autant, les magistrats ne tirent de ces observations aucune
conclusion sur les auteurs présumés de l’attentat. Les magistrats
soulignent simplement que l’hypothèse d’un attentat qui aurait été
commis par des extrémistes hutus a été peu étayée dans les premières
années de l’information judiciaire, bien qu’elle ait été « privilégiée
par plusieurs militaires belges présents au Rwanda peu après le faits ».

Quant au rapport confidentiel du TPIR datant de 2003, qui attribuait la
responsabilité de l’attaque à Paul Kagame, et sur lequel s’appuyaient
les parties civiles pour réclamer un complément d’information, il est « 
ancien », écrivent-ils et n’apporte « aucun élément nouveau déterminant
qui justifierait des vérifications et auditions complémentaires ».

Conformément à ce qu’elles avaient annoncé, les parties civiles ont
introduit un pourvoi en cassation pour contester l’arrêt rendu ce 3
juillet.

22 ans après l’ouverture de l’instruction judiciaire, le dossier n’est
donc toujours pas clos. Et la justice française n’a toujours pas répondu
pas à la question de savoir qui a abattu le Falcon 50 du président
rwandais.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024