Depuis une quinzaine d’années, certains membres de l’association « France-Turquoise », accompagnés en réseau par des journalistes, des essayistes et des universitaires, développent un nouveau discours de négation de l’extermination des Tutsi (cf. notre précédent article). Le florilège de leurs déclarations fait surgir les « éléments de langage » d’une idéologie presque décalquée de la propagande haineuse qui préparait le génocide au Rwanda. S’agit-il vraiment, par des affirmations péremptoires et fausses, de « défendre la mémoire de l’armée française » engagée dans l’opération Turquoise en 1994 ? Ces polémistes ne sont-ils pas plutôt poussés en première ligne par des acteurs parisiens cherchant à dissimuler la folle politique de l’Elysée au Rwanda entre 1990 et 1994 ? Ignorent-ils que leurs initiatives aggravent les risques d’extermination des Tutsi congolais ?
« Hutus et Tutsis : à chacun son pays. » Le 23 novembre 1996, Hubert Védrine publia dans Le Point une courte tribune supposée contenir la quintessence de la politique de Paris au Rwanda. François Mitterrand était mort onze mois auparavant. Hubert Védrine, son secrétaire général de l’Elysée, avait rejoint le Conseil d’Etat. Il cherchait sans doute « à se rendre utile », comme on dit en politique. A cet effet, il tenait une rubrique régulière au Point. Les Français commençaient à se poser des questions sur le rôle de Paris dans le génocide des Tutsi du Rwanda. Hubert Védrine expliqua donc la politique qu’il avait contribué à mettre en musique avec l’amiral Lanxade, chef d’état-major des armées, le général Christian Quesnot, chef de l’état-major particulier du président de la République, et le diplomate Bruno Delaye, chef de la « cellule Afrique » de l’Elysée. Ces quatre hommes étaient mandatés par un président de la République qui – des archives et des témoignages le démontrent à foison – ne pouvait ignorer le contexte politique rwandais et la menace d’extermination des Tutsi. Tous prétendaient agir « au nom de la France », mais leur action au Rwanda était savamment cachée. [1]
On peut relire l’intégralité de la tribune ci-dessus. Examinons quelques phrases teintées d’exotisme sur « le pouvoir tutsi de Kigali », la « zone tampon tutsie au Kivu », etc. Sur les 481 mots de cette chronique, ceux de hutu ou tutsi apparaissent quinze fois, de façon quelque peu obsessionnelle, comme s’ils constituaient l’alpha et l’oméga d’une politique. Hubert Védrine s’en défend – mal – en parlant de « dérangeantes données de base ». Si un commentateur analysait la politique en France au prisme d’un « problème » entre Juifs et Non-Juifs, parlerait-on de « dérangeantes données de base » ?
« Dérangeantes données de base »
Concernant le Burundi et le Rwanda, qui donc ces « données de base » peuvent-elles déranger ? Ceux qui n’ont pas, comme l’ex-secrétaire général de l’Elysée, la démocratie chevillée au corps : « Il y a au Rwanda et au Burundi 85 % de Hutus et 15 % de Tutsis. Toute élection donne donc arithmétiquement le pouvoir aux Hutus. Or, sans culture démocratique enracinée, pas de garantie pour les minorités. […] Les pouvoirs tutsis ne peuvent donc pas laisser se dérouler des élections libres, qu’ils perdraient. »
Démocrate réaliste, Hubert Védrine avançait sa solution : « Pourquoi ne pas oser une solution radicale : un pays pour les Tutsis et un autre pour les Hutus ? Atteinte au dogme de l’intangibilité des frontières, ouverture de la boîte de Pandore, criera-t-on. Mais qu’ont d’intangible des frontières violées chaque jour ? Et n’a-t-on pas déjà voulu, ou accepté, le partage de fait de Chypre, l’indépendance de l’Erythrée, la réunification de l’Allemagne, la désunification de la Tchécoslovaquie, l’éclatement de la Yougoslavie en plusieurs Etats, la création d’Israël, celle, en gestation, d’un Etat palestinien, en attendant la réunification des deux Corées ? »
« Audace géopolitique » ou racialisme primaire ?
Se drapant dans une posture d’ « audace géopolitique », Hubert Védrine proposait « la création internationalement contrôlée, dans les frontières actuelles du Rwanda et du Burundi, de deux Etats distincts, hutu et tutsi, associés si possible dans une confédération dotée de pouvoirs d’arbitrage. »
En quelques mots, tout est suggéré de la politique menée par l’Elysée au Rwanda. La démocratie du régime Habyarimana, soutenu par Paris, c’étaient les statistiques « raciales », fondement d’une stricte ségrégation des Tutsi. Etait-ce la France des Lumières, la France de la Déclaration des droits de l’Homme, qui jouait sa partition au Rwanda ?
Autour de Kigali en 1993, des militaires français contrôlaient l’identité des passants, faisaient sortir les Tutsi des bus car ils étaient « l’ennemi intérieur ». Ça se passait moins d’un an avant le génocide.
Les non-dits d’Hubert crient la vérité de Védrine
Comme souvent, les non-dits d’Hubert crient la vérité de Védrine. Sur ses 481 mots, pas un seul de compassion pour le million de morts du génocide. Rien de ce démocrate affiché sur une éventuelle consultation des Rwandais et des Burundais avant ce dépeçage qu’il préconise de leurs pays respectifs. Un référendum ? Ce chroniqueur pétri de « culture démocratique enracinée » n’y a visiblement pas pensé.
Des regrets d’Hubert Védrine sur l’équipée post coloniale de l’Elysée au Rwanda entre 1990 et 1994, qui a contribué à l’un des génocides du XX
ème siècle ? Non, aucun regret, aucune excuse. Rien.
Pour évoquer le Rwanda, depuis sa chronique du Point en 1996 jusqu’aujourd’hui, Hubert Védrine est intarissable dans les médias. Toujours indigné, la voix frémissante qu’on puisse mettre en cause « la France », c’est-à-dire lui-même. Toujours imperméable à l’introspection et à la compassion. En 1997, il a trouvé sa consécration : le maroquin de ministre des Affaires étrangères. En 1998, il a répondu à la Mission d’information parlementaire sur le rôle de la France au Rwanda en ouvrant le robinet d’eau tiède de ses paroles : « Constatant et regrettant que l’action, isolée, de la France [sic] n’ait pas suffi à empêcher le drame [et] admis que cette action n’avait pas été efficace. Il a toutefois remarqué que tous ceux qui n’ont rien fait ont encore plus fait défaut ». [2]
Au Quai d’Orsay, à l’époque d’Hubert Védrine, il s’est produit des choses bizarres au sujet du Rwanda et des Rwandais, comme l’a relevé le sociologue André Guichaoua : « A titre d’exemple, le ministre du gouvernement intérimaire, Augustin Ngirabatware, titulaire d’un passeport gabonais, établi explicitement à son nom le 31 décembre 1996, se vit délivrer par le service des Privilèges et Immunités du Quai d’Orsay une “carte spéciale” tenant lieu de titre de séjour le 20 avril 1998 (trois semaines après le début des auditions de la Mission parlementaire) pour le compte d’une organisation internationale au sein de laquelle il ne travailla pas. »
Les privilèges du gendre de Kabuga sous Hubert Védrine
André Guichaoua poursuit : « Lorsque le TPIR organisa son arrestation à Paris le 26 novembre 1999 et alors que son domicile était mis sous surveillance, Augustin Ngirabatware put quitter opportunément le territoire français pour Libreville, où les autorités gabonaises le localisèrent et affirmèrent assurer sa surveillance le temps de régler les procédures et… de le laisser disparaître ». [3]
Au Quai d’Orsay, le service des Privilèges et Immunités dépend en droite ligne du ministre.[4] Augustin Ngirabatware, gendre de Félicien Kabuga, le présumé « financier du génocide », était l’un des hommes les plus recherchés par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) pour son rôle de leader dans l’extermination des Tutsi. Il fut finalement capturé en Allemagne onze ans après avoir reçu le précieux sésame parisien, et condamné à trente ans de prison. [5] N’est-ce pas trop sacrifier à l’art de la litote d’écrire qu’Hubert Védrine, dans la tragédie du génocide, ne s’est pas rangé dans le camp des victimes ? Question sacrilège que beaucoup n’osent pas formuler. L’ancien bras droit de François Mitterrand, qui ne cesse de se plaindre des médias, n’y manque pas d’inconditionnels, tel Eric Fottorino, rédacteur en chef de
Le 1 Hebdo, tressant ses louanges : « Proche conseiller du président Mitterrand au moment des faits, le diplomate récuse toute idée de connivence entre les génocidaires hutus et la France qui, dès 1990, a œuvré à éviter une tragédie puis cherché à mobiliser la communauté internationale. » [6]
Des milliers de documents ou témoignages pointent les erreurs politiques de l’Elysée au Rwanda entre 1990 et 1994
Malgré les années et la découverte de milliers de documents ou témoignages qui pointent les erreurs politiques de l’Elysée entre 1990 et 1994 alors que se préparait le génocide des Tutsi, [7] Hubert Védrine est cramponné à sa version. Il s’est même subrepticement radicalisé sous le couvert de journalistes, d’essayistes, d’écrivains et d’anciens hauts gradés qui n’hésitent pas à tenir les discours les plus outranciers (cf. notre précédent article) sans s’inquiéter d’éventuelles poursuites pour négationnisme et racisme.
Evidemment, l’ancien bras droit de François Mitterrand ne va pas s’abaisser – se compromettre – à écrire que les Tutsi sont « une race » et « la race la plus menteuse sous le soleil », que leurs femmes sont des prostituées vendues à la cause du tutsisme, que le génocide des Tutsi serait « le plus grand mensonge du XX
ème siècle », que Tutsi est synonyme de « criminel », ou encore que les miliciens Interahamwe qui exterminaient les Tutsi agissaient à l’instigation de la rébellion tutsi, etc. Non, Hubert Védrine se contente de faire la promotion des auteurs qui tiennent ces propos sulfureux. Tout se passe comme si, concernant le Rwanda, M. Védrine orchestrait un réseau négationniste dont il donnerait le tempo, tout en se dédouanant des formulations de ses membres (cf. notre précédent article).
Tout se passe comme si, concernant le Rwanda, M. Védrine orchestrait un réseau négationniste
Dernier exemple, le colloque organisé au Sénat français, le 9 mars dernier, banalement intitulé : « L’Afrique des Grands Lacs, 60 ans de tragique instabilité », dont il avait semble-t-il confié l’organisation à son factotum, le discret Alain-Francis Guyon.
C’est la quatrième fois que le Sénat acceptait d’accueillir ce genre de réunion, généralement géré par le « Club Démocraties », une association de sensibilité socialiste fortement teintée de souverainisme, aujourd’hui présidée par l’ancien ministre Paul Quilès.[8]
2002 : premier colloque négationniste au Sénat
La première réunion, le 4 avril 2002, intitulée « Demain le Rwanda », avait donné le ton [9] d’un « torrent de boue », comme le résume Alain Gauthier, président du Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR), qui y fut pris à partie. Sur le génocide des Tutsi, les habituels chantres du négationnisme et du conspirationnisme étaient présents, tels les « journalistes » Charles Onana et Marie-Roger Biloa. [10]
Celle-ci, selon le compte-rendu produit par le site négationniste Inshuti, « ne comprend pas l’indignation du Français, elle affirme qu’elle a été l’un des premiers journalistes à affirmer qu’au Rwanda il n’y a pas eu de génocide, que les autres [?] commencent à s’en rendre compte. »
Marie-Roger Biloa : « Au Rwanda il n’y pas eu de génocide »
Selon le même compte-rendu, Charles Onana « s’est adressé aux Hutu : “Vous devez accepter d’avoir tué les Tutsi à cause de leur arrogance, de l’humiliation et frustration de plusieurs siècles. […] Dites à Kagame qu’il devra avoir plus de modestie. Nous avons engagé le combat pour la vérité, rien ne pourra plus nous arrêter”. »
2007 : au deuxième colloque négationniste, un supposé « génocidaire » au Sénat
Le 20 octobre 2007, la deuxième réunion au Sénat, intitulée – avec le même souci d’euphémisation – « La France et le drame rwandais, politique, acteurs et enjeux », avait vu la participation du Dr Eugène Rwamucyo, un Rwandais sur qui pesait un mandat d’arrêt international pour génocide [aujourd’hui renvoyé en cour d’assises].
2014 : troisième « colloque anti-Kagame » au Sénat
Le troisième colloque, organisé encore une fois au Sénat le 1er avril 2014, sous le titre « Le drame rwandais : la vérité des acteurs », avait vu s’exprimer des personnalités aussi diverses que Paul Quilès, le président de la Mission d’information parlementaire sur le rôle de la France au Rwanda, le général Lafourcade, commandant de l’opération française Turquoise. On avait mis à l’honneur d’anciens dignitaires du régime rwandais devenus opposants, tel Gérard Gahima, ancien procureur général du Rwanda, et d’autres membres du Rwanda National Congress (RNC), le parti de Patrick Karegeya et de Kayumba Nyamwasa, un mouvement terroriste responsable d’attentats à la grenade contre des cafés à Kigali. Et aussi l’ancienne procureure du TPIR, Carla Del Ponte, pour laquelle le mystérieux Alain-Francis Guyon s’était improvisé interviewer.
« Tous les intervenants avaient pour point commun d’avoir eu, un moment ou à un autre, des démêlés avec le gouvernement rwandais », avait justement relevé RFI. [11] « Un colloque anti-Kagame », résumait de son côté Jeune Afrique. [12]
Fédérer les opposants à Paul Kagame, y compris les moins reluisants
C’est l’un des objectifs évidents du Club Démocraties et d’Hubert Védrine : tenter d’en finir avec le régime de Kigali en fédérant les opposants à Paul Kagame, y compris les moins reluisants. Cet agenda semble fort éloigné de l’objet social lénifiant du Club, qui supposerait que, sur le Rwanda, toutes les opinions puissent s’exprimer à la tribune de ses colloques. Ce qui ne fut jamais le cas.
Le Club Démocraties était-il pour la quatrième fois l’organisateur du colloque du lundi 9 mars 2020 au Sénat sur le thème « L’Afrique des Grands Lacs, 60 ans de tragique instabilité » ? Nous avons interrogé son secrétaire général, Luc Roger, qui s’en défend : « Le Club Démocraties n’a eu aucune activité au Sénat le 9 mars ». Il y a pourtant une certaine continuité des titres, d’un colloque à l’autre : le contournement du mot « génocide ». Un évitement qui, souvent, aide à diagnostiquer le négationnisme dans ses basses œuvres…
Nous avons questionné Gilles Lagarde, le directeur de cabinet de Gérard Larcher (l’actuel président du Sénat), sur l’organisateur de ce quatrième colloque. Il ne nous a pas répondu. Interpellée par l’Agence France Presse (AFP), la présidence de la Haute assemblée s’était montrée plus coopérative, soulignant que le Sénat n’était « pas l’organisateur du colloque », et que « les propos qui seront tenus n’engagent en rien ni le Sénat ni la présidence ». L’AFP a insisté. La présidence du Sénat s’est défaussée en ces termes : « Deux anciens ministres de la Défense (Gérard Longuet et Alain Richard) et un ancien ministre des Affaires étrangères (Hubert Védrine) interviendront, ce qui est plutôt un gage de sérieux ». [13]
« Les propos qui seront tenus n’engagent en rien le Sénat »
Prenant connaissance de la liste des intervenants parmi lesquels les principaux négationnistes du génocide des Tutsi du Rwanda, Mario Stasi, président de la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (LICRA), avait interpellé le président du Sénat pour dénoncer un « colloque de la honte » et lui demander « de ne pas accueillir cet événement à bien des égards inopportun et qui risquerait de porter atteinte à l’honneur du Sénat comme à celui des victimes du génocide ». Il précisait : « Parmi les invités à ce colloque […] figure M. Onana, activiste, auteur d’une thèse universitaire controversée, et qui fait actuellement l’objet de poursuites pénales pour contestation de crimes contre l’humanité pour avoir déclaré en octobre 2019 sur la chaîne LCI : “Entre 1990 et 1994, il n’y a pas eu de génocide contre les Tutsi” ».
Onana :
« Entre 1990 et 1994, il n’y a pas eu de génocide contre les Tutsi »
De leur côté, deux associations de soutien aux victimes et rescapés du génocide des Tutsi, Ibuka France et la Communauté Rwandaise de France (CRF) s’indignaient de la tenue « d’un colloque réunissant des personnalités connues pour leurs prises de position remettant en cause la vérité historique du génocide commis contre les Tutsi du Rwanda en 1994 ». [14]
Démarche exceptionnelle, Augustin Iyamuremye, président du Sénat du Rwanda, avait adressé à son homologue français une lettre pointant le caractère provocateur d’un colloque visiblement destiné à faire le procès du régime rwandais d’après-génocide[15] : « Parmi les invités, on retrouve plusieurs personnalités dont le discours et les écrits n’ont d’autre but que de faire l’apologie du négationnisme du génocide perpétré contre les Tutsi ».
En cause, l’ancien ambassadeur rwandais Jean-Marie-Vianney Ndagijimana, polémiste acharné, fondateur en 2005 d’une société d’édition avec l’objectif évident de promouvoir des ouvrages consacrés au déni de la « thèse officielle » du génocide[16], et plus encore Charles Onana qui, comme l’a relevé Mario Stasi, fait actuellement l’objet d’une procédure pénale. Ainsi que la journaliste canadienne Judi Rever, dont les Editions Fayard ont finalement renoncé à publier la traduction française de son livre provocateur In Praise of Blood. The Crimes of the Rwandan Patriotic Front (Penguin Random House).
Gérard Larcher pouvait-il se laver les mains du fait que le “Kagame bashing” constituait le fonds de commerce de la plupart des intervenants annoncés, tant ils ont multiplié les propos provocateurs ces dernières années ? Quant au « gage de sérieux » apporté par la présence des sénateurs Alain Richard et Gérard Longuet et de l’ancien Secrétaire général de l’Elysée Hubert Védrine, il a été sérieusement obéré par les retraits ou démentis des parrains du colloque.
Le prix Nobel de la Paix ne soutenait pas le colloque…
Le carton d’invitation, affichait le soutien prestigieux du médecin congolais Denis Mukwege, prix Nobel de la Paix 2018. Le colloque se plaçait aussi sous l’autorité morale de l’Académie des sciences d’outre-mer. Patatras ! « Selon son assistant que La Croix a contacté, le prix Nobel de la Paix n’a pas donné suite à l’invitation qui lui a été adressée pour cette rencontre du 9 mars. Il ne la parraine pas et il n’y participera pas », écrit le journaliste Laurent Larcher. Raison du refus du Dr Mukwege : l’agenda mal caché du colloque. « Derrière, il y a des militaires français qui veulent répondre aux accusations portées par le Rwanda contre le rôle de l’armée française avant et pendant le génocide. » Et de citer une manœuvre du général Lafourcade, le commandant de l’opération Turquoise. »[17]
Le carton d’invitation précisait aussi que le colloque serait ouvert par le secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences d’outre-mer, Pierre Gény. Interrogé par La Croix, Pierre Gény expliqua que l’Académie des sciences d’outre-mer ne parrainait plus la rencontre. « Nous nous sommes, au début, associés à cet événement en raison de la présence du docteur Mukwege, dont nous soutenons le travail en RDC. Mais lorsque nous avons constaté la présence d’un certain nombre d’intervenants dont nous ne pourrions pas partager les analyses et qui ne coïncident pas avec notre éthique et notre vocation académique, nous nous sommes retirés de ce projet. » [18]
Le secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences d’outre-mer annule sa participation
De même, le journaliste et académicien Vincent Hervouët, chef du service Etranger de LCI, la chaîne d’information du groupe TF1, qui devait intervenir en tant que modérateur des débats, s’est désisté au dernier moment. Nous avons souhaité l’interroger sur ce revirement. Il n’a pas répondu à nos demandes.
Cette cascade de retraits méritait des explications. Nous avons donc cherché à interroger l’organisateur du colloque. Curieusement, le carton d’invitation ne le mentionne pas. On sait que l’initiative revient au sénateur Gérard Longuet, ancien ministre de la Défense. Comme tous les sénateurs, il a le droit d’organiser une fois par an un colloque au Palais du Luxembourg, s’il remplit les conditions requises. Parmi ces conditions, ne doit-il pas indiquer quelle est la personne morale ou physique qui prend la responsabilité de l’organisation et le règlement des frais afférents ? Le bureau du sénateur Gérard Longuet au Sénat ne répond pas à cette question élémentaire.
Interrogée par La Croix, DGM, l’agence de communication à qui fut déléguée l’organisation de ce colloque, affirme que c’est le docteur Mukwege qui lui « a demandé de s’occuper de cet événement ». Une assertion absurde et catégoriquement démentie par l’équipe du prix Nobel de la Paix. Pourquoi tant de mystère et/ou de mensonges sur l’identité du promoteur du colloque ? S’agit-il de protéger Hubert Védrine qui en était pour le moins l’invité-vedette ?
Tarick Dali et Alain-Francis Guyon, mandataires à l’organisation
A défaut du nom de l’organisateur, sont apparus lundi 9 mars au Sénat ses, deux mandataires : Tarick Dali, de l’agence de relations publiques DGM, et Alain-Francis Guyon, le commensal d’Hubert Védrine au « Club Démocraties ». Comme nous l’avons constaté à nos dépens et aussi en interrogeant nos confrères, Alain-Francis Guyon avait donné instruction à l’attachée de presse Catherine Zinetti de refuser d’accréditer les journalistes qui en feraient la demande – à l’exception de la négationniste franco-camerounaise Marie-Roger Biloa, du journaliste congolais fayuliste Kerwin Mayizo et du Rwando-Belge Gustave Mbonyumutwa, défenseur des thèses de Judi Rever sur le site négationniste Jambonews.[19] Devant nos protestations, Tarick Dali décida de passer outre la décision de Guyon mais, prudent, accompagna notre groupe de journalistes jusqu’à la salle.
Tarick Dali et Alain-Francis Guyon, les deux mandataires, présentent des CV qui éclairent les coulisses du colloque. Commençons par Tarick Dali.
Tarik Dali, co-fondateur de La Droite Libre
Cet ancien collaborateur de L’Echo républicain à Chartres, chargé des relations presse au cabinet de conseil UCAR Corporate, semble une relation politique du sénateur Gérard Longuet, ministre de François Mitterrand dans le premier gouvernement de cohabitation. Longuet qui, dans sa jeunesse, était une figure du mouvement d’extrême droite Occident, s’est-il ensuite assagi en sénateur LR ? Avant de devenir ministre, il avait rédigé le premier programme économique du Front national. Depuis, il s’est rarement distingué par sa modération.[20]
Tarick Dali, lui, ne peut pas donner le change. Il est un agitateur politique de la droite radicale, co-fondateur en 2000 de « La Droite Libre » (LDL) avec le préfet Rachid Kaci, un activiste qui a suscité bien des polémiques. [21] Dans le passé, LDL a eu maille à partir avec l’Assemblée nationale. En 2010, plus prudente que le Sénat, l’Assemblée a refusé d’héberger un débat que LDL organisait, intitulé « Immigration, islamisme, la France menacée ? » Dans le cadre de son droit à un colloque annuel, le député (UMP) du Nord Christian Vanneste avait souhaiter réserver une salle afin de l’organiser mais les services de l’Assemblée « n’ont pas répondu favorablement à sa demande ». [22] Mohammed Moussaoui, président du Conseil français du culte musulman (CFCM), avait publié un communiqué pour demander à l’Assemblée nationale de refuser la tenue d’« un débat organisé par des personnalités connues pour leurs prises de position outrancières et caricaturales à l’égard de l’islam […] dans un lieu hautement symbolique, garant de l’égalité et de la fraternité entre les citoyens. » Dans la défense des idéaux de la République, le Conseil français du culte musulman a eu davantage de poids à l’Assemblée nationale que la Licra au Sénat.
A la pointe de la « réinformation »
Tarick Dali est également contributeur de TV Libertés qui se dit « la première chaine audiovisuelle alternative de France » pour « donner la parole, sans exclusive, à tous ceux qui défendent l’esprit français et la civilisation européenne. » Dans cet objectif, « TV Libertés est à la pointe de la ré-information. » [23]
Tarick Dali est enfin co-fondateur du site « Résistance Républicaine » qui s’inspire du groupuscule « Riposte laïque », dirigé par Pierre Cassen [un ancien ouvrier du Livre CGT, antimusulmans, qui se prétend d’extrême gauche]. Sur le site de Résistance Républicaine, Tarick Dali se plaint amèrement que La Droite Libre soit ostracisée par l’UMP (devenue LR) et par l’UDI.[24] Il appelait à participer à des manifestations de Riposte Laïque.
Prétendre que le prix Nobel de la Paix Denis Mukwege patronnait le colloque négationniste du 9 mars au Sénat fait-il partie du « véritable écosystème réinformationnel » préconisé par Tarick Dali et ses amis ? Nous reposons la question et attendons toujours la réponse des intéressés.
Alain Francis Guyon, à l’ombre d’Hubert Védrine
Second mandataire de l’organisateur caché du colloque, Alain-Francis Guyon fut jusqu’à ce jour un « homme de l’ombre », attentif à laisser peu de traces sur les réseaux sociaux. Il n’est pourtant pas difficile de retrouver ses exploits. Il est intervenu dans les coulisses de certaines instructions judiciaires retentissantes du juge « antiterroriste » Jean-Louis Bruguière et d’autres magistrats. Notamment dans « l’Affaire Karachi ». Comme pour le génocide des Tutsi du Rwanda, on ne peut pas écrire qu’il y aurait défendu les intérêts des victimes. [25]
Deux orphelines de l’attentat, cibles d’une opération d’intimidation
Magali Drouet et Sandrine Leclerc, deux filles de salariés tués dans l’attentat de Karachi, ne s’étaient jamais résignées à l’enterrement du dossier par Jean-Louis Bruguière et bataillaient pour que la vérité soit dite comme elles le racontent dans un magnifique témoignage paru en 2010[26] : « Le 9 novembre 2009, à la demande d’Alain Guyon, membre d’une association nommée “Démocraties”, Me Morice [l’avocat des plaignantes] et moi-même devions intervenir dans un colloque dont le thème était “Justice, affaires sensibles et réformes en cours”.
Ayant donné mon accord, M. Guyon m’avait fait parvenir la liste des personnes invitées. A ma grande surprise, une invitée [inattendue] est arrivée au moment de l’intervention de Maître Morice, comme pour surveiller ses propos. Il s’agissait d’Edwige Avice, ex-ministre déléguée auprès du ministre des Affaires étrangères sous le règne de Roland Dumas et présidente-directrice générale de la Financière de Brienne de 1993 à 2005, établissement financier lié au pouvoir, dont le nom apparaît à plusieurs reprises dans notre dossier.
« Tenter de me mettre en garde »
J’ai alors senti qu’il s’agissait sans doute d’une tentative pour se rapprocher de nous. J’en eus la confirmation lorsque, tour à tour, plusieurs intervenants sont venus vers moi pour tenter de me mettre en garde contre des personnes qui avaient joué un grand rôle dans la médiatisation de notre affaire.
Lors de cette journée était également présent Jacques Belle, le président de la CCSDN (Commission consultative du secret de la Défense nationale).
Son attitude dépassa tout entendement ; il s’emporta violemment, comme le prouve la retranscription de ce colloque.
Dans notre affaire, si les parties civiles et le juge d’instruction n’avaient pas obtenu ce qu’ils souhaitaient, c’était uniquement parce que leurs demandes étaient mal formulées. L’Etat ne s’était rendu coupable d’aucune rétention d’information… […]
Nouveau hasard du calendrier, je reçus le 15 mai 2010, soit trois jours après la publication du rapport de la mission d’information parlementaire, un mail d’Alain Guyon me rappelant à son bon souvenir. J’ai immédiatement eu la sensation qu’il souhaitait avoir des informations plus précises sur le contenu du rapport et nos relations avec Bernard Cazeneuve. » [27]
« Démocraties, ou l’art de la censure »
Au nom de quoi Alain-Francis Guyon et le Club Démocraties ont-ils tenté d’intimider deux jeunes femmes de condition modeste qui bataillaient contre la raison d’Etat et contre l’instruction biaisée du juge Bruguière dans « l’Affaire Karachi » ? Pourquoi, pour qui, dans la défense de quels intérêts, Alain-Francis Guyon et cette officine socialiste agissait-ils ? Un chapitre du livre « On nous appelle les Karachi » est intitulé « Démocraties, ou l’art de la censure. »
Une des connaissances d’Alain-Francis Guyon soupire : « On n’y peut rien, il est un inconditionnel de Védrine. Impossible de lui parler du Rwanda sans qu’il s’emporte. » Cet unique témoignage, sous couvert d’anonymat, ne suffit pas à documenter les relations entre Guyon et Védrine. Mais la question est posée. Guyon fut déjà l’organisateur des trois premières conférences négationnistes au Sénat entre 2002 et 2014 sous couvert de l’association « Démocraties », alors présidée par le général Paris. [28]
Anti-Kagame viscéral, Alain-Francis Guyon était présent le mercredi 27 janvier 2016, lorsque l’association « Géostratégies » a reçu dans les salons du Palais du Luxembourg François Loncle, député de l’Eure, ancien ministre et membre du Conseil National du Parti Socialiste. François Loncle y tenait des propos élogieux vis-à-vis de la gouvernance du Rwanda. Ce n’est visiblement pas la conviction d’Alain-Francis Guyon qui n’a pas pu se retenir d’interpeller l’orateur. [29]
Alain-Francis Guyon, anti-Kagame viscéral
Guyon ne manque presque aucune réunion sur le Rwanda où il pourrait user de son entregent. Il s’est inscrit au colloque du 2 décembre 2019 à l’Assemblée nationale (cf. nos articles 1 et 2). Il a aussi apporté sa pierre à la réalisation du documentaire de la BBC “Rwanda’s untold Story”. Il a même obtenu une copie du documentaire négationniste quinze jours avant sa diffusion.
Pourquoi cet homme qui semble n’avoir jamais mis les pieds au Rwanda, est-il devenu un orchestrateur du négationnisme ? « Ce sont mes affaires, ça ne vous regarde pas » nous a-t-il répondu au cours d’un entretien téléphonique le samedi 9 mai 2020, entretien qu’il a vite interrompu en nous raccrochant au nez – après nous avoir agoni d’injures.
« Ce sont mes affaires, ça ne vous regarde pas »
Guyon apparaît aussi en 2014 comme une sorte de conseiller et soutien moral du père Wenceslas Munyeshyaka, prêtre coopérateur à Gisors, dans la procédure pour génocide engagée contre lui [Munyeshyaka bénéficiera ultérieurement d’un non-lieu]. Alain-Francis Guyon était devenu l’ami de Maître Florence Bourg, l’avocate du curé rwandais, à qui il fera l’honneur d’une invitation au Club Démocraties. [30] Dans son « Parcours club » mentionné sur le site « Copains d’avant », Guyon dit avoir adhéré à Démocraties en 1999. Il y est visiblement devenu un acteur-clef.
Les parcours de Tarick Dali et d’Alain-Francis Guyon montrent dans quelles eaux troubles a puisé l’organisateur caché du colloque négationniste du 9 mars 2020 au Sénat. Malgré les dénégations de son Secrétaire général, le Club Démocraties y a-t-il, pour la quatrième fois, joué un rôle – cette fois occulte ? Le mystérieux promoteur est-il en définitive Hubert Védrine ? Il est permis de se poser la question face au refus du président du Sénat d’annuler le colloque en invoquant son nom.
Hubert Védrine, le promoteur du colloque négationniste ?
On comprend que ce colloque « aux forceps » s’est ouvert dans un climat chargé de méfiance. Les chantres du négationnisme ont été invités à mettre une sourdine à leurs habituelles provocations. « J’ai cru comprendre que c’était une instruction du président du Sénat, confie, sous couvert d’anonymat, l’un des intervenants. On m’a demandé de ne pas improviser. C’est tout juste si je n’ai pas dû présenter mon texte à l’avance aux organisateurs, pour acceptation. » Tarick Dali et Alain-Francis Guyon contestent cette information. Pourtant, La Croix écrit de son côté : « Selon une source, des garanties auraient été demandées aux organisateurs de ce colloque pour qu’aucun propos négationniste ne soit tenu dans son enceinte. Cette affaire est remontée à l’Élysée et au Quai d’Orsay qui semblent embarrassés par cette initiative. » [31]
Invité-vedette, Hubert Védrine, accusé d’avoir été, aux côtés de François Mitterrand, l’un des principaux maîtres d’œuvre de l’engagement français au Rwanda, s’est posé en souffre-douleur d’une cabale de médias à la solde de Kigali. Pour lui, la France a été, comme toujours, exemplaire et les Français doivent cesser « de faire preuve de masochisme ». [32]
L’ancien secrétaire général de l’Elysée ne s’embarrasse généralement pas d’écrire à l’avance ses déclarations. Nous publions ci-contre l’intégralite de son intervention intitulée : « Regard géopolitique sur l’Afrique des Grands Lacs » [33] , afin que nos lecteurs puissent se faire une opinion.
Védrine : « Je salue le courage et l’entêtement, l’opiniâtreté d’Alain Guyon »
Hubert Védrine ouvre son allocution en jouant une nouvelle fois la victime : « D’abord je voudrais dire que je trouve très important que ce colloque ait lieu […] à aucun moment […] une confrontation sérieuse, méthodique, objective n’a pu avoir lieu, en fait. Donc je trouve que c’est très important. Et je salue le courage et l’entêtement, l’opiniâtreté d’Alain Guyon […] parce qu’il y a une grande ignorance en fait en France, là-dessus. »
Hubert Védrine a raison de mentionner le contexte : « l’héritage de la colonisation belge, RDC, Rwanda, Burundi, […] l’Ouganda et autres. Donc de toute façon, même s’il y avait pas la…, le sujet très douloureux et terrible, sur le génocide, lui-même, de toute façon c’est intéressant ! De toute façon c’est utile que les Français, […] des diplomates, des militaires, des experts, des journalistes se replongent sur cette question. » Mais il escamote le fait qu’aucun des quatre colloques organisés par Alain-Francis Guyon au Sénat n’a permis à des voix discordantes de s’exprimer.
Aucun des quatre colloques organisés par Alain-Francis Guyon au Sénat n’a permis à des voix discordantes de s’exprimer
« Tendance à la censure, tendance au maccarthysme, tendance à l’étouffement des voix contraires », dénonce encore l’invité d’honneur. S’il est utile que des journalistes « s’y replongent », comment expliquer « l’opiniâtreté d’Alain Guyon » à leur refuser l’entrée au colloque ? L’ancien bras droit de François Mitterrand s’indigne de ce qu’il qualifie de « méthodes staliniennes consistant à empêcher de parler ceux dont on ne veut pas entendre la thèse. » Que dire alors des méthodes consistant à organiser un colloque sans que le nom de l’organisateur apparaisse ? Dans la salle, on compte surtout des militaires et adhérents de « France Turquoise » invités à « faire la claque » – mais pas à s’exprimer à la tribune. Pourquoi cet autre ostracisme ?
Hubert Védrine invite à contextualiser un « regard géopolitique sur l’Afrique des Grands Lacs », une ambition légitime. Pourtant il ne dira rien de ce contexte. A aucun moment ne sera mentionné le risque d’un nouveau génocide, cette fois contre les Tutsi burundais et plus encore congolais. C’est pourtant l’évidence en 2020, comme on le verra plus loin.
Les militaires de France Turquoise également ostracisés
Hubert Védrine adopte le registre de l’indignation – dans lequel il excelle – pour répondre à l’accusation de négationnisme portée contre certains intervenants, notamment par la Licra et diverses associations mémorielles : « Mais c’est honteux, c’est absolument honteux ! Quand on sait ce qu’a été la Shoah et quand on sait ce que veut dire négationnisme ! C’est des gens qui disaient : “Y a pas eu de chambres à gaz !” […] Personne n’a jamais dit ou écrit qu’il n’y avait pas eu de génocide des Tutsi, jamais ! »
Une solide contre-vérité !
A la tribune, Charles Onana sourit. « Pas de génocide des Tutsi » ? Il l’a dit et répété, et il est d’ailleurs sous le coup de poursuites judiciaires pour cette raison. Autre habituée de ce genre de colloque, Marie-Roger Biloa a également nié le génocide. Comme d’autres personnes présentes dans la salle du Sénat. Hubert Védrine préfère gloser sur « les 3 à 4 millions de morts au Congo après que le FPR ait pris le contrôle du Rwanda […] comment faut-il qualifier ces morts-là ? […] Ceux qui ont tenté d’empêcher ce colloque l’ont employée [l’accusation de négationnisme], c’est parce qu’ils sont un peu à court d’arguments. »
Cependant, M. Védrine n’emploiera pas l’expression « double génocide », comme le fait systématiquement Jean-Marie-Vianney Ndagijimana, l’un des intervenants. Ce qui est un autre artifice pour banaliser, et donc nier, le génocide des Tutsi du Rwanda.
« Personne n’a jamais dit ou écrit qu’il n’y avait pas eu de génocide des Tutsi, jamais ! »
Hubert Védrine ajoute qu’il n’est « pas venu spécialement pour reparler de politique française », et pourtant toute son intervention est consacrée à justifier la politique de l’Elysée au Rwanda. Près de vingt-cinq ans après sa tribune dans Le Point, l’explication n’a pas varié : « Là, il y a groupe ultra-minoritaire […] les Tutsi réfugiés en Ouganda […] qui comprend qu’il n’arrivera jamais à prendre le pouvoir par les urnes, en fait. D’où l’attaque […] La décision de Mitterrand à l’époque […] le résumé, c’est : si on laisse une micro-minorité – parce que les Tutsis de l’Ouganda, c’était même pas tous les Tutsis –, si on laisse une micro minorité, appuyée sur l’armée d’un pays voisin, déclencher quelque chose qui va tourner inévitablement à de grands massacres, compte tenu du passé, et la suite, la garantie française ne vaut plus rien. […] Donc ce n’est pas possible, donc faut empêcher ça. D’où les premières interventions à partir de 90. 90, 91 et 93. »
C’est effectivement un bon résumé de l’intervention militaire française au Rwanda. Sauf qu’il n’existait à l’époque aucun accord de défense entre Paris et Kigali. La « garantie française » n’était qu’un prétexte à une décision sans fondement juridique ni politique. Qui plus était, avec le risques de « grands massacres ».
La théorie de la « garantie française »
Si dès 1990 l’Elysée était conscient du risque de « grands massacres », de quelles victimes potentielles s’agissait-il ? Evidemment des Tutsi du Rwanda puisque la diaspora tutsie d’Ouganda était, dit Hubert Védrine, « une micro minorité ». Et pourquoi les officiers supérieurs qui alertent Paris sur le risque de génocide ne sont-ils pas écoutés ? Pas plus le colonel René Galinier, attaché militaire à Kigali que le général Jean Varret, chef de la Mission d’assistance militaire à Paris. En 1993, ce dernier est même écarté de son poste pour avoir critiqué des dérives dans l’engagement militaire français au Rwanda. Hubert Védrine a-t-il dénoncé cette sanction ? A notre connaissance, jamais.
L’orateur ose ensuite une assertion surprenante : « Jusqu’ici, en France, si on a…, on n’a pas de vrais spécialistes de l’Afrique des Grands Lacs ; combien : un, deux, trois peut-être, maximum –, bon, j’espère que ceux qui vont se réintéresser à ça vont s’intéresser aussi à la politique des autres ! »
Sous-entendu : les rares universitaires qui défendaient – avec des pincettes – la politique de l’Elysée au Rwanda ne se font plus entendre.
A la recherche d’universitaires de service
L’orateur va ensuite soutenir les thèses véhiculées par une série d’auteurs controversés, Pierre Péan, Charles Onana, Judi Rever, Robin Philpot, etc., sur un prétendu complot anglo-américain et israélien contre la France, qui expliquerait la tragédie des Tutsi. Tendons l’oreille aux propos d’Hubert Védrine : « On ne peut pas comprendre ce qui s’est passé depuis des décennies sans…, dans cette région, sans analyser la politique israélienne, la politique américaine, la politique de l’Afrique du Sud – parce qu’il n’y a pas que les puissances extérieures qui ont une politique en Afrique, il y a des puissances en Afrique qui ont une politique africaine –, la Grande-Bretagne naturellement, la Belgique. »
Une thèse conspirationniste qui ne concernerait que la France au Rwanda
En 2011 dans la revue Le Débat, Hubert Védrine relayait déjà la réécriture conspirationniste de l’Histoire par Pierre Péan dans Carnages : « C’est trop facile de rendre rétrospectivement la France responsable d’une tragédie affreuse qu’elle a au contraire cherché à prévenir, et de la traiter en bouc émissaire pour masquer le rôle des autres protagonistes, fpr et far ! […] Mais je confirme surtout ici que ce qui m’apparaît le plus intéressant dans l’ouvrage de Pierre Péan, c’est l’éclairage apporté sur la politique des autres puissances dans cette partie de l’Afrique : américaine, britannique, israélienne et belge en particulier. » [34]
Quel éclairage autre que des affirmations péremptoires et un hypercriticisme propre aux négationnistes ? Quoiqu’affirme Hubert Védrine, cette théorie conspirationniste (dont l’Elysée n’a jamais osé se prévaloir) n’est étayée par rien : aucun fait, aucun document, une vague accusation que sa répétition ne suffit pas à rendre crédible. Elle n’en est pas moins assénée par tous les négationnistes, Pierre Péan, Charles Onana, Judi Rever, Robin Philpot…
Hubert Védrine est conscient de la faiblesse de l’argument. Après avoir agité cette théorie du complot contre la France [thème récurrent de l’extrême droite], il botte en touche. Selon lui, impossible de prouver quoi que ce soit sur la responsabilité de l’Elysée au Rwanda : « On est dans la sphère de la preuve impossible. Parce que chaque fois que les procureurs autoproclamés ne trouvent pas la preuve de ce qu’ils racontent depuis des années dans les archives ouvertes, ils disent : “Ah, ah ! C’est la preuve que les vraies archives sont cachées !”. Et quant à la fin des fins, il n’y aura toujours pas, ils diront : “C’est qu’ils les ont détruites !”. Enfin, vous voyez, bon. C’est l’affaire de la preuve impossible. »
La seule preuve qui n’a jamais été documentée, c’est celle d’un complot contre la France, qui exonérerait Paris de toute responsabilité dans la tragédie.
« La preuve impossible » selon Hubert Védrine
Fidèles aux consignes, les intervenants suivants annoncés comme « dangereux » ont lu leur intervention. Charles Onana, le plus inquiétant d’entre eux, s’est bien gardé de répéter ses provocations habituelles. Comment oublier pourtant ses vitupérations anti-tutsi dans ses interviews et dans ses livres – notamment l’avant-dernier. Il y dénonce avec emphase « ces extrémistes tutsi [qui] peuvent exterminer des innocents Hutu, abattre des Congolais comme du bétail, violer des femmes ou vider le Congo de sa population. » Et d’ajouter : « Un tel niveau de manipulation et une telle obsession de la cruauté chez un groupe ethnique est inédit en Afrique. »
Essayons de décrypter : un gène de la cruauté chez le « groupe ethnique » (?) tutsi ? Charles Onana tente d’éviter des allégations trop précises qui le feraient accuser de racisme. Pour parler des Tutsi, il a imaginé de leur appliquer à peu près systématiquement l’épithète « extrémistes ». Cela donne « extrémistes tutsi » presque à chaque page du livre sobrement intitulé Ces tueurs tutsi…
« La criminalité des extrémistes tutsi n’a pas d’équivalent dans l’histoire du continent africain »
Onana aime les phrases pompeuses et s’emballe vite : « De par son ampleur et ses méthodes, la criminalité des extrémistes tutsi n’a pas d’équivalent dans l’histoire du continent africain. Grâce au mensonge, à l’intimidation et à la propagande sur le “génocide du Rwanda”, ces militants du tutsisme – ou nazisme tropical[36] – ont réussi à banaliser l’extermination programmée de plus de six millions de Congolais. » [37]
Le polémiste franco-italo-camerounais parle souvent du génocide des Tutsi du Rwanda en l’assortissant de guillemets ou en remplaçant le mot juste par des euphémismes comme « guerre de pouvoir ». Des artifices typiquement négationnistes, déjà rabâchés dans les « mémoires » des détenus d’Arusha. Il écrit ainsi : « Cette présentation du “génocide” – sur lequel les enquêtes restent approximatives, parfois sommaires ou truquées, souvent orientées et partisanes – a eu pour conséquence de présenter tous les Tutsi comme formant un groupe cohérent et indistinct de victimes : de ce fait, jamais il n’a été possible de distinguer parmi eux un groupe de criminels qui se comporte dans cette région depuis 1990, comme de véritables bourreaux. Or la vérité est que certes des milliers de Tutsi innocents ont été massacrés dans une guerre de pouvoir au Rwanda. Mais des extrémistes tutsi armés jusqu’aux dents ont aussi, hélas, programmé le massacre systématique depuis 1990 et sans répit jusqu’à ce jour, de milliers de citoyens rwandais et congolais. » [38]
Onana : « Cette présentation du “génocide” – sur lequel les enquêtes restent approximatives, parfois sommaires ou truquées, souvent orientées et partisanes »
Au fil des pages, Charles Onana pousse ses lecteurs à croire que si des Tutsi ont été exterminés au Rwanda en 1994, c’est par malchance, presque par hasard. Ou encore, de leur faute. Et s’il faut parler de massacres systématiques et programmés, les Tutsi en sont les instigateurs.
On peine à comprendre comment Hubert Védrine peut affirmer « personne – à ma connaissance, hein ! –, personne n’a jamais dit ou écrit qu’il n’y avait pas eu de génocide des Tutsi » ? N’a-t-il pas lu les ouvrages ni écouté les interviews de Charles Onana, un homme qu’il incite ses amis journalistes à interviewer pour lui donner davantage de visibilité ?
C’est bien Charles Onana qui s’exprime aux côtés d’Hubert Védrine au Sénat et qui ironise dans ses livres sur « ce qu’il est convenu d’appeler “le génocide des Tutsi de 1994 au Rwanda”. » Onana qui ne cesse d’enfoncer le clou du négationnisme en se gaussant du mot « génocide » : « Cette formulation renvoie à une manipulation de la réalité et résulte d’une des opérations de propagande les plus abouties de la fin du XXe siècle concernant les conflits ravageant le continent africain. C’est un chef-d’œuvre de désinformation, une intoxication parfaite. »[39] . Une « désinformation » dont il fait porter la responsabilité aux « organisations internationales des droits de l’Homme […] victimes ou complices de la manipulation médiatique sur le “génocide rwandais”. » [40]
« Ce qu’il est convenu d’appeler “le génocide des Tutsi de 1994 au Rwanda” »
Autrefois assoiffés de notabilisation et de légitimité, les négationnistes de la Shoah les plus en vue se gardaient d’exprimer leur haine des Juifs. Concernant ceux qu’il appelle sempiternellement « les extrémistes Tutsi », Charles Onana s’exonère de cet artifice : « Savoir travestir la vérité, donner le change sans éveiller le moindre soupçon est une science qui fait défaut à l’Européen et que le Mututsi est fier de posséder ; le génie de l’intrigue, l’art du mensonge sont à ses yeux des arts dans lesquels il s’enorgueillit d’être fort habile : c’est là le propre du Mututsi et, par contagion et par réflexe de défense, de tout Munyarwanda. » [41]
Chez Onana, l’emphase et la redondance du prédicateur ne sont jamais loin : « Après avoir tué un nombre incalculable d’hommes, de femmes, de vieillards, d’handicapés, et d’enfants au Rwanda, ils se sont jetés comme des fauves faméliques sur les populations de l’Etat du Congo. » [42] Onana ajoute : « Ces individus, qui ont exterminé leurs compatriotes Hutu et Tutsi pour accéder au pouvoir, ont délibérément usurpé leur statut de victimes sur la base de leur seule appartenance ethnique. Au nom de cette même appartenance, ils ont rallié les médias à leur projet ethnoraciste […]. » [43]
Cette dernière phrase est des plus illustratives du recours fréquent à la « propagande en miroir » par Charles Onana.
La haine des femmes tutsi
Chez ce polémiste acquis à la cause des détenus d’Arusha, la haine atteint le sommet de la virulence quand il stigmatise les femmes tutsi, accusées globalement de s’adonner à la prostitution à des fins politiques : « Le dispositif central de leur stratégie de conquête des Occidentaux est la femme tutsi. C’est leur arme de destruction massive. Elle détruit les diplomates belges, allemands, américains, britanniques, français, suisses…, des hommes politiques, des hommes d’affaires, et même des Hutu. Personne n’est épargné quand il s’agit de défendre la cause Tutsi. Ces demoiselles à la jalousie invisible sont chargées de traquer les cibles occidentales pour les besoins de la cause Tutsi. Ce sont des missiles à tête chercheuse qui peuvent être, soit des prostituées de luxe, soit des agents de renseignement, soit des commandos de la mort par empoisonnement soit, simplement, des femmes ordinaires. Elles utilisent leur charme pour faire triompher le tutsisme. Elles opèrent partout où l’idéologie tutsi mérite d’être défendue. Elles sont, à ce titre, envoyées pour séduire leurs victimes utiles mais aussi pour neutraliser ou liquider leurs ennemis. Elles sont des “hirondelles”, formées comme des monstres froids dans des missions clandestines et parfois meurtrières. » [44]
Onana, scénariste rocambolesque
Dans son livre
Ces tueurs tutsi…, Onana poursuit cette diatribe par une histoire rocambolesque qui lui aurait été rapportée par « un ancien journaliste congolais » (?) sur le refus de la Belgique de lui accorder la nationalité. « Le refus fantaisiste opposé à ce journaliste serait le fait d’une prostituée tutsi travaillant pour Paul Kagame en République Démocratique du Congo. […] Dans ses affaires personnelles, ses tortionnaires trouvèrent plusieurs cartes de visite au nom de Paul Kagame, le président tutsi rwandais. Mais avant son arrestation, les agents des services de sécurité congolais avaient déjà analysé la puce de son téléphone portable. Ils y découvrirent alors qu’en moyenne Irène téléphonait huit fois par jour à Paul Kagame. Prostituée et espionne. Une sorte d’émule de Mata Hari tutsi. » [45]
Kagame, à la tête d’un réseau de prostituées tutsi ? Monsieur Onana est-il conscient du niveau de ses élucubrations ?
Kagame, à la tête d’un réseau de prostituées tutsi ?
Onana explique ensuite que cette prostituée (?) aurait bénéficié d’une démarche de la Sûreté d’Etat belge pour la faire libérer : « Voilà donc une prostituée nègre, arrêtée en flagrant délit d’espionnage à Kinshasa, capitale d’un pays en guerre, pour intelligence avec une puissance ennemie : jetée dans un cachot, y avoir subi des sévices, puis libérée ; qui voit sa plainte instruite par les services de la Sureté d’Etat d’un pays étranger, dont elle n’est pas ressortissante et qui abrite la capitale de l’Union Européenne ! Il faut vraiment être une Tutsi pour bénéficier de privilèges aussi exorbitants auxquels même une péripatéticienne belge n’aurait jamais rêvé ! […] L’exemple d’Irène est significatif de la puissance du réseau tutsi et de ses ramifications jusque dans les chancelleries occidentales. »[46]
Comment qualifier de tels délires ? Comment oser honorer son auteur d’une tribune au Sénat aux côtés d’Hubert Védrine ?
Le 9 mars 2020 au Sénat, Charles Onana a remisé ses diatribes au vestiaire
Le 9 mars 2020, manifestant sa souplesse tactique, Charles Onana a remisé ses diatribes au vestiaire, se contentant d’égrener d’une voix charmeuse une série d’historiettes plus ou moins crédibles et d’apparence anodine. Judi Rever qui lui succède ne peut s’empêcher de reprendre son antienne sur les Tutsi qui auraient infiltré les milices Interahamwe durant le génocide pour tuer les Tutsi aux barrières afin de victimiser leur « ethnie ».
Charles Onana est obsédé par les « prostituées tutsi », Judi Rever obnubilée par les infiltrés tutsi Interahamwe. Chacun ferraille à sa manière contre ce qu’ils nomment l’un et l’autre « l’histoire officielle » – une formulation qui est un marqueur du négationnisme. La journaliste canadienne voit dans la sinistre milice rwandaise Interahamwe des « commandos issus des bataillons du FPR ». Sur ordre de Paul Kagame, évidemment, ces « infiltrés » auraient même massacré les Tutsi de Bisesero, explique-t-elle dans l’hebdomadaire Marianne : « Aux côtés de la milice hutue dite Interahamwe, ces commandos lancèrent une série d’attaques initiales dans la région, du milieu à la fin du mois de mai 1994, au plus fort du génocide ».
Des « commandos issus des bataillons du FPR » responsables des tueries de Tutsi à Bisesero !
Les collines de Bisesero, où, semaine après semaine, furent assassinés les fugitifs tutsi par dizaines de milliers, serait le summum de la duplicité tutsi selon Judi Rever : « Par une de ses opérations les plus diaboliques et les mieux planifiées de 1994, c’est bien le FPR qui finit par écraser la résistance des Tutsis de Bisesero, s’assurant de leur mort par milliers fin juin, alors que l’armée française arrivait au Rwanda pour y conduire une mission d’aide humanitaire. »[47]
Judi Rever n’a jamais mis les pieds à Bisesero, les militaires français, si. Leur retard à secourir les derniers survivants de deux mois-et-demi de massacres reste pour eux une blessure morale. Plusieurs ont témoigné de ce qu’ils ont vu et compris, à commencer par le général Lafourcade, le patron de Turquoise. Rien à voir avec le roman noir de Judi Rever.
Question délires, au moins tient-elle la corde avec Onana. Judi Rever rivalise aussi d’opportunisme en ouvrant le parapluie d’un Powerpoint truffé d’expressions sentencieuses de grands écrivains français, à première vue piochées dans un dictionnaire des citations.[48] Ce 9 mars au Sénat, les deux chantres du négationnisme et du conspirationnisme ont choisi le registre de l’enfantillage. Le public, composé pour une bonne part d’anciens militaires et adhérents de France Turquoise, applaudit à tout-va et en redemande.
Quand le colloque se lâche
Ce ronronnement précédait un spectaculaire incident. Le journaliste Marc de Miramon[49] , qui remplaçait au pied levé son confrère l’académicien Vincent Hervouët, annonce un intervenant surprise : « Le président élu de RDC, Martin Fayulu. »[50]
Eliminé contre Félix Tshisekedi au terme d’une présidentielle contestée en décembre 2018, Martin Fayulu n’avait apparemment pas eu vent des consignes de retenue données aux intervenants.
Tout est dirigé par Kagame !
Martin Fayulu improvise une violente diatribe anti-Tutsi : « Aujourd’hui, on tue à Beni. […] Aujourd’hui, il y a 300 officiers tutsi au sein des Forces armées congolaises (FARDC). Dans la force publique, l’armée congolaise d’avant l’indépendance, il n’y avait pas un seul Tutsi. Dans l’Armée nationale congolaise (ANC), après l’indépendance, pas un seul Tutsi. Dans les Forces armées zaïroises [FAZ, à l’époque de Mobutu], pas un seul Tutsi ! Et aujourd’hui, plus de 300 officiers et plus de cent généraux tutsi ! Qu’est-ce qui se passe réellement ? Qu’est-ce qui se passe réellement ? Et là vous constatez qu’il y a un chaos. Tout est dirigé par Paul Kagame. »
Martin Fayulu aime exciper de ses relations dans l’appareil d’Etat français : « J’ai discuté avec les gens du Quai d’Orsay, M. Rémy Maréchaux [alors directeur du département « Afrique » au Quai d’Orsay], j’ai discuté avec M. Franck Paris [conseiller « Afrique » à l’Elysée], je leur dit que je ne comprends absolument rien du Congo, mon pays. Près de 90 millions d’habitants entourés par neuf voisins dont cinq ne parlant pas le français dont le Rwanda. Car le Rwanda est aujourd’hui un pays ne parlant pas le français, un pays anglophone. Mais on s’organise pour donner la francophonie à Louise Mushikiwabo [applaudissements et rires – d’Hubert Védrine également]. » [51]
Le racisme anti-tutsi, au cœur du colloque au Sénat
Martin Fayulu ayant mis « les pieds dans le plat », nous sommes enfin au cœur du colloque : le racisme et les manipulations identitaires à l’origine de la « tragique instabilité dans la région des Grands Lacs » depuis une soixantaine d’années. Un racisme actualisé par les propos de Martin Fayulu visant clairement à répertorier les membres de la « race » tutsi au sein de la hiérarchie militaire congolaise et à s’en débarrasser. Dans le code pénal français, cela s’appelle « incitation publique à la haine raciale »[52] . Jean-Marie Le Pen a été plusieurs fois condamné pour moins que cela.
Eradiquer « les Tutsi » dans l’armée congolaise ? Et ailleurs dans la société ? Par quel moyen ? Quelques minutes plus tôt, l’historien congolais Isidore Ndaywel avait longuement glosé sur la façon dont la « science historique » permettait d’identifier et de catégoriser les Banyamulenge [un groupe tutsi installé sur les hauts-plateaux du Sud-Kivu] des autres Tutsi. Pourtant, dans l’assistance, personne ne relèvera les propos nauséabonds de Martin Fayulu et de ses acolytes.
Les propos nauséabonds de Martin Fayulu
Cette déclaration s’inscrit dans une stratégie d’agitation et de violence politique en République démocratique du Congo… et aussi à Paris. Privé de sa victoire à la présidentielle de décembre 2018, Martin Fayulu fait flèche de tout bois. Pour déstabiliser le président Félix Tshisekedi considéré comme un usurpateur, il joue sur la fibre chauvine et xénophobe chère à certains Congolais avec comme bouc-émissaires les Tutsi, notamment la communauté de Tutsi installée à l’Est de la RDC depuis des siècles qu’on appelle les Banyamulenge[53] . Une partie des réseaux sociaux suit.
Cette recherche du bouc émissaire tutsi n’est pas nouvelle, elle est même antérieure au génocide de 1994. Le président Mobutu a initié cette stratégie à la fin des années 1980 pour dissimuler la faillite de son régime. Son succès populaire poussa des politiciens de l’opposition à reprendre les mêmes mots d’ordre. En 1993, cette violente campagne xénophobe prit particulièrement pour cible les « étrangers » d’origine rwandaise du Nord-Kivu (autant hutu que tutsi. En 1995-1996, les massacres visèrent spécifiquement les Tutsi. La violence politique et raciste a pris forme au Congo avec des déchéances massives de nationalité, des pillages de bétail, elle se poursuivit avec des massacres de Tutsi congolais. Leur communauté est pourtant installée depuis des siècles sur les hauts-plateaux du Sud Kivu dans la région de Mulenge qui a donné son nom à leur groupe : les Banyamulenge (littéralement « ceux de Mulenge »). Depuis le XVIIIème siècle, ce groupe, qui parle un kinyarwanda archaïque mêlé de termes bembe, ne posait pas de problèmes de nationalité, et pour cause : la « nation congolaise » a été en quelque sorte inventée par le Congrès de Berlin en 1885 ! Cette communauté tutsi qui vivait largement en autarcie a été ensuite harcelée par les réfugiés hutu du Rwanda et profondément déstabilisée par les deux guerres du Congo, où elle fut incitée à exercer son droit de « légitime défense ». Un processus délétère… [54]
La recherche du bouc émissaire tutsi
Depuis un an et demi, les partisans de Martin Fayulu sont très actifs sur les réseaux sociaux où ils ont enrôlé la diaspora congolaise en Europe et aux Etats-Unis. Ils y multiplient des discours incendiaires visant ceux qu’ils appellent indifféremment Banyamulenge ou Tutsi, ou Rwandais. Ils sont liés à la « dynamique sur le terrain » où ils apportent ouvertement leur soutien à des groupes qui cherchent actuellement à « nettoyer » la zone de Minembwe et des hauts plateaux du Sud-Kivu.
En effet, depuis le début 2019, s’est déclenchée une nouvelle campagne de haine sur les réseaux sociaux. Le musicien belgo-congolais Boketshu wa Yambo s’y distingue par sa prolifique virulence. Dans une vidéo publiée sur YouTube[55], on le voit accompagné du « Commandant Esso » (?) s’adressant au général Yakotumba, chef opérationnel des milices Maï-Maï. Ce dernier, s’exprimant en français, évoque sa lutte contre les « envahisseurs étrangers » au Minembwe et en appelle à un soutien financier de la diaspora. Il promet de soulever les Congolais jusqu’à Kinshasa où les complotistes situent le siège d’une prétendue mise en coupe réglée de la RDC par les Tutsi.[56]
« La femme de Kamerhe, Amida, sera violée. Denise [Tshisekedi] qui est Rwandaise sera violée. Votre mère Marthe, sera violée par 60 soldats »
Boketshu wa Yambo et ses fans tiennent des propos d’une extrême violence qui mériteraient l’ouverture d’une enquête de la Cour Pénale Internationale. Dans ses vidéos, il se lamente contre les dirigeants de la RDC qui sont soit dénoncés comme Rwandais, soit comme des marionnettes de Tutsi. En septembre 2011, lors de la venue de Paul Kagame à Paris, il a enfilé une tenue de combat pour exciter ses partisans. Un mot d’ordre a circulé : brûler vif le chef de l’Etat rwandais dans sa voiture. La police française surveillant les petits groupes de Congolais aux abords de l’Elysée, ceux-ci ont fini par se défouler en incendiant un véhicule sur le périphérique, provoquant d’interminables bouchons. Ces groupes hyper-violents s’appellent eux-mêmes « les combattants ». Ils sont devenus une sorte de milice et constituent le bras armée du discours raciste anti-tutsi. Lors de la visite du chef d’Etat rwandais à Paris, on avait déjà mesuré ce flot de haine et d’inepties sur les réseaux sociaux.[57]
Dans un message vidéo publiée sur YouTube le 20 janvier 2020 et visionnée plus de 100 000 fois, Boketshu wa Yambo s’adresse au président Tshisekedi : « Vous prenez notre terre et la donnez aux Banyamulenge. »
Pour appuyer ses dires, ce leader extrémiste cite ensuite une série de personnalités connues qu’il stigmatise : « Au Congo, il n’y a pas une telle chose comme le Banyamulenge. Ruberwa est Rwandais tutsi, Hyppolite Kanambe (Joseph Kabila) est Tutsi, Kamerhe est Rwandais, Alex Tambwe Mwamba, Rwandais, Matata Mpoyo, Rwandais, Moise Mwarugabu (Nyarugabo), Rwandais, Bisengimana, Rwandais. »
C’est une réplique des discours anti-juifs dans l’Europe des années trente, mais on ne parlait pas de violer les femmes juives comme Boketshu wa Yambo. Son énumération de personnalités-cibles s’accompagne de menaces criminelles à l’égard de leurs familles : « Nous vous l’avons dit plusieurs fois ! Frères à Kinshasa, vous devez viser les Rwandais, tous les Tutsi qui sont à Kinshasa. La femme de Kamerhe, Amida, sera violée. Denise [Tshisekedi, l’épouse du président] qui est Rwandaise sera violée. Votre mère Marthe, sera violée par 60 soldats… de même pour Jeannette Kanambe… vous transformez la terre de Dieu en Tutsiland ! Je déclare que vous, Felix Tshilombo [Félix Tshisekedi], mourrez en 2020. »
« Tous ces Tutsi, nous allons vous tuer ! »
Dans une autre vidéo datée du 26 décembre 2019, Boketshu, qui s’intitule lui-même Boketshu 1er, prophétise : « Le jour du jugement approche, Dieu marchera sur tous les Tutsi de la ville de Kinshasa, tous ces Tutsi occupant des positions importantes dans [notre] pays, attention, nous allons vous tuer ! »[58]
Dans un message publié le 20 janvier 2020, le « journaliste-consultant » Mohamed Mboyo Ey’ekula s’indigne des propos du président de la RDC qui vient d’appeler à la concorde civile : « Non, non et non, les pseudos Banyamulenge ne peuvent être “nos frères” par automatisme ! […] Le problème des immigrés rwandais […] concerne tous les Congolais dans la mesure où il touche à l’intégrité de la RDC. »[59]
La diaspora congolaise a embrayé avec des manifestations virulentes à Des Moines (Iowa, Etats-Unis), à Phoenix (Arizona), à Manchester (Royaume-Uni). Ceux qui voient dans ces slogans et proclamations de simples criailleries sans conséquences devraient réfléchir à ce qui s’est produit à Paris le 28 février.
L’émeute anti-Tshisekedi du 28 février 2020 à Paris
A Paris, les partisans de Fayulu mènent une « guerre aux Tutsi rwandais » qui englobe les artistes supposés favorables à Félix Tshisekedi, le président de la RDC. Le célèbre chanteur, danseur, et producteur congolais Fally Ipupa Nsimba[60] en a fait les frais le vendredi 28 février 2020, moins de deux semaines avant le colloque au Sénat. Pour empêcher son concert à l’AccorHotel Arena de Bercy (XIIème arrondissement), des centaines de partisans de Fayulu ont déclenché une émeute dans le quartier de la gare de Lyon, où ils ont incendié une trentaine de véhicules et du mobilier urbain. Envahis par la fumée, la partie souterraine de la gare et le métro ont été évacués. Plus de 70 incendiaires présumés ont été interpellés, « dont un certain nombre de meneurs qui empêchaient les pompiers de venir éteindre les incendies » selon la mairie de Paris.
Après la dispersion des émeutiers, plusieurs « combattants » continuaient d’invectiver les fans de la star congolaise aux cris de « Rwandais, collabos ! ». Auprès de l’AFP, ils ont justifié leurs exactions en expliquant que Fally Ipupa est un chanteur qui « soutient le Rwanda ». C’est-à-dire partisan de Félix Tshisekedi, considéré comme complice des Tutsi.
A cette occasion, la classe politique française aurait pu mesurer les dégâts entraînés par le langage de haine des partisans de Martin Fayulu, plutôt que, quelques jours plus tard, lui offrir une tribune au Sénat.
La stratégie du chaos… à Paris aussi
Au Sénat, le rival malheureux de Tshisekedi a tenté de justifier à sa manière les violences commises à Paris : « Je dis ce qui se passe aujourd’hui, c’est qu’on est en train de préparer un chaos au niveau de la région. Il est en train de se préparer un chaos, un chaos qui va venir, et la communauté internationale va dire qu’on ne l’a pas vu venir. Eh bien non, regardez cette population avec la croissance qu’il y a. Rappelez-vous de ce qui s’est passé ici à Paris le vendredi 28 février. La semaine dernière. La semaine avant, pardon. A la gare de Lyon. Ce qui s’est passé. On a dit beaucoup de choses. Personne ne peut soutenir la violence. Nous sommes tous contre la violence. Mais à un moment donné, les gens se laissent prendre. Ce qui s’est passé ici, c’est ce qui devait se passer au Congo. Mais les jeunes gens se sont dit : “Ici c’est un Etat de droit. Le pire que je peux connaître c’est que je sois emprisonné. Mais on ne va pas me tuer.” Et si au Congo il n’y avait pas un régime dictatorial, ça se serait passé tous les jours comme ça, ce qui s’est passé [à Paris]. »
Sans un mot de réel regret ni d’excuses, Martin Fayulu est bien l’instigateur de cette « stratégie du chaos » qu’il impute à ses adversaires. Lui laisse ses partisans dire et faire le pire, car Fayulu ne s’aventurera pas à prononcer « Tuez un Tutsi. Tuez tous les Tutsi Banyamulenge ! »
Ce sont ses militants qui l’expriment crûment sur les réseaux sociaux.
« Choisissez une machette et tuez un Tutsi. Tuez tous les Tutsi ! »
Dans un message audio largement diffusé entre octobre et décembre 2019, l’orateur qui utilise ce qui ressemble à du kiswahili katang déclare : « Mes frères Babemba [sic] à Fizi, Uvira, Kalemie, Moba, Rutchuru, je n’ai pas grand-chose à dire. Soyons tous fermes derrière le général Yakotumba. Les Banyamulenge ne sont pas Congolais. Ce sont des Tutsi du Rwanda… les Inkotanyi. Les hauts-plateaux de Minembwe ne sont pas un Tutsiland, ils appartiennent au peuple congolais ! J’appelle tous les Wabemba, Warega et Bashi à unir leurs forces et à lutter contre les Tutsi du Rwanda. Ne montrez donc aucune pitié ! Les Inkotanyi sont des démons ! Ce sont des sorciers ! Frappez-les durement ! Choisissez une machette et tuez un Tutsi. Tuez tous les Tutsi ! Utilisez des machettes et tuez-les tous, afin que nous puissions récupérer la terre de nos ancêtres ! Aucun Tutsi ne restera au Congo ! Tuez un Tutsi, tuez un Tutsi ! »
Le « problème tutsi » : un peuple nilotique sans terre, clairement différent des Bantous ?
Selon l’universitaire Félix Mukwiza Ndahinda, un observateur de la radicalisation raciste en RDC, « à côté du discours de haine explicite, le discours de haine anti-Banyamulenge se propage principalement dans un langage plus subtil, parfois codé. […] Les messages de haine consistent souvent en un mélange de théories du complot, de rumeurs, de stéréotypes et d’une réécriture de l’histoire où les frontières entre fictions et réalité sont commodément ignorées dans la construction d’un récit sur l’inhumanité, la perversité et l’altérité des Tutsi accusés de viser, à long terme, à établir un empire Tutsi-Hima dans la région des Grands Lacs. » [61]
Notre interlocuteur a relevé les termes utilisés sur les réseaux sociaux congolais contre les Tutsi : « Les stéréotypes fréquents les qualifient, entre autres, d’étrangers, réfugiés ingrats, serpents, cafards, vipères, envahisseurs tutsi, tueurs ambitieux et avides, impitoyables, expansionnistes, hégémonistes. »
« Tutsi est synonyme de tueur »
Ce discours de haine est identique à celui des journalistes du périodique rwandais raciste Kangura qui avait préparé le génocide de 1994. Ou aux propos du colonel Bagosora sur les Tutsi, c’est-à-dire le discours des criminels condamnés par le TPIR siégeant à Arusha.
Les « influenceurs » de Fayulu comptent dans leurs rangs des individus au passé des plus contestables, tels l’ancien conseiller en sécurité de Mobutu, Honoré Ngbanda Nzambo Ko Atumba. Aujourd’hui hébergé en région parisienne, il agite lui aussi la haine « raciale ». En marge d’un fichier audio YouTube posté par l’APARECO d’Honoré Ngbanda, un commentaire déclare que « Tutsi est synonyme de tueur ». Une sorte de caractère génétique criminel propre aux Tutsi.
Les allégations de Martin Fayulu au Sénat sur le « noyautage » de l’armée congolaise par les Tutsi ne sont que la reprise d’une prétendue « enquête » postée en 2015 par Honoré Ngbanda[62] et démontrant que cette idéologie de la haine s’enracine d’année en année.
Pour le journaliste Roger Bongos, rédacteur en chef d’Afrique Rédaction, Honoré Ngbanda, qu’on a vu dans des colloques du Club Démocraties, « a été l’un des artisans de la descente aux enfers de la RDC » et a mis en place « une campagne de dénigrement orchestrée par son officine, Radio Bendele, à l’image de Radio des Mille colline. » [63]
Faut-il rappeler qu’Honoré Ngbanda, domicilié en France, est soumis à la loi française sur l’incitation à la haine raciale ? Cette loi ne s’appliquerait-elle pas aux racistes à la peau noire ?
Où on retrouve le discours de haine de Charles Onana
D’où vient ce retour de flamme récent d’une haine contre les Congolais tutsi, récurrente depuis les années 1990 ? On est frappé de voir l’articulation de ce discours dans le pamphlet de Charles Onana de 2009, Ces tueurs tutsi au cœur de la tragédie congolaise. Un ouvrage à la diffusion confidentielle en France, mais qui a circulé au sein des élites urbaines à Kinshasa.
Il est difficile de comprendre les raisons de la virulence anti-tutsi chez cet essayiste successivement Camerounais, Italien et Français. Lui-même a raconté avoir rencontré au Cameroun en 1996 des suspects de génocide – ultérieurement condamnés par le TPIR – et décidé de partager leur combat. Sa volonté de délégitimer la nationalité congolaise des Banyamulenge ne s’embarrasse pas des travaux d’historiens reconnus. Selon sa méthode habituelle, il se contente d’affirmations péremptoires : « Contrairement à ce que prétendent et affirment certains historiens ou quelques idéologues sur la présence des Tutsi au Congo dès le XVème ou le XVIème siècle, aucun document ou témoignage sérieux ne permet à ce jour de soutenir cet argument. D’ailleurs l’ethnographie et la sociologie congolaises ne permettent pas de trouver la trace d’une tribu à laquelle appartiendraient des Tutsi au Congo à cette période de l’histoire. »[64] Un verbiage ampoulé qui ne sert qu’à attiser la haine.
Ironisant sur les doléances des Banyamulenge qui vivent désormais dans une région en état de siège, Onana les dénonce comme « des extrémistes tutsi qui alimentent un particularisme ethno-fasciste et militariste dans cette région. » [65] Sous sa plume, les victimes se transforment en bourreaux.
« Des extrémistes tutsi qui alimentent un particularisme ethno-fasciste »
Charles Onana a repris dans son livre et à diverses occasions une théorie conspirationniste en vogue au Rwanda depuis le début des années 1960 sur un prétendu « Plan de colonisation Tutsi de la région du Kivu et autres régions d’Afrique Centrale ». Il s’agit d’un document fabriqué par des provocateurs et prétendument « découvert » à Nyzamitaba, au Kivu, en 1962. Sorte de réplique vis-à-vis des Tutsi du « Protocole des sages de Sion » fabriqué par la police tzariste pour justifier les pogroms de Juifs, il avait le même objectif : légitimer les massacres de Tutsi.
Cette falsification a été analysée et réfutée depuis des années par les historiens[66], mais, à l’instar du « Protocole », elle reste très populaire chez les conspirationnistes. Charles Onana reprend cyniquement ce document[67] : « Depuis de nombreuses années, nous avions des informations sur l’existence d’un projet d’occupation du Congo par une partie de la communauté tutsi du Rwanda et de l’Ouganda. […] Remigius Kintu, un opposant à Museveni, nous confia […] un rapport rédigé par son mouvement politique, l’Uganda Democratic Coalition (UDC) portant sur un “Plan de colonisation Tutsi de la région du Kivu et autres régions d’Afrique Centrale”. Déjà troublant par son titre, ce plan l’est encore plus à la lecture de son contenu. »[68]
Onana prétend s’être assuré de la fiabilité du document auprès du professeur Bucyalimwe Mararo Stanislas qui aurait rédigé un article « d’un grand intérêt socio-politique sur la réalité du Kivu ». Ne s’agirait-il pas du discours que ce dernier avait tenu à Rutshuru, devant des étudiants le 15 juin 1994 (c’est-à-dire en plein génocide), où il affirmait que les Protocoles des Sages de Sion éclairaient bien la situation de la région des Grands Lacs ? [69]
La « balkanisation » du Congo par les Tutsi
C’est aussi Charles Onana qui a lancé dès 2009 un élément de langage qui fait aujourd’hui florès : la « balkanisation » du Congo, un thème de propagande attaché à sa logomachie conspirationniste : « Comment réveiller les Congolais et tous les Africains face à ce danger [« la balkanisation »] qui risque de se propager bientôt au Soudan, au Gabon, au Congo-Brazzaville, au Tchad, au Cameroun, en République Centrafricaine, en Guinée Equatoriale, en Angola et dans tous les pays africains qui ont du pétrole et d’innombrables ressources minières, énergétiques et stratégiques ? »[70]
L’objectif constamment répété du polémiste est de diaboliser les Tutsi en les présentant comme des ennemis de tous les peuples africains, forgeant à sa façon une théorie du Grand remplacement : « Mesurant l’ampleur de cette opération de dépeuplement par la violence en République Démocratique du Congo, nous avons pensé qu’il fallait briser l’omerta. […] Car l’holocauste des Africains a déjà commencé en RDC. C’est à ce titre que nous avons décidé d’expliquer l’origine de l’imposture des extrémistes tutsi au Congo.
Brandissant partout le “génocide tutsi” comme un étendard, ils font du tutsisme une version émotionnelle mais non moins criminelle du nazisme au Sud du Sahara. Ils la brandiront aussi longtemps que vous, chers lecteurs, manquerez de vigilance et de sens critique. »[71]
Onana, quelle influence en RDC ?
Quel est le poids réel de ce polémiste cherchant à provoquer panique et chaos en Afrique centrale en paraphrasant les discours incendiaires du magazine Kangura ?[72] Interrogé par le journaliste congolais Kerwin Mayizo, le « président élu » Martin Fayulu présente Onana comme sa référence : « La vérité est têtue, la vérité finit par triompher. On veut cacher des choses sur la région des Grands Lacs. On parle du génocide, oui il y a eu un génocide des Tutsi, mais il y a eu aussi un génocide des Hutu, mais il y a eu surtout un génocide des Congolais. Appelez ça comme vous voulez. […] Moi j’ai compris, parce que j’ai lu tous les livres de Charles Onana. J’ai lu les livres de Pierre Péan. J’ai déjà eu une discussion en tête-à-tête avec Pierre Péan. […] La vérité commence à sortir, et il faut faire tout pour que cette vérité soit répandue dans le monde entier […]. Il faut des connaissances. Charles Onana écrit depuis longtemps, ce que les gens ne veulent [peuvent ?] pas nier. » [73]
La vérité qui commence à sortir, c’est plutôt ce discours incendiaire sur les Banyamulenge, assimilés aux Tutsi en général. Comme au Rwanda avant 1994, leur élimination physique est ouvertement revendiquée par certains agitateurs. Ils sont présentés comme des apatrides, ce qui est un artifice pour nier globalement leur droit à avoir une nationalité, à l’instar des Juifs dans l’idéologie nazie. Sous prétexte de « légitime défense » face à un complot imaginaire, les Tutsi sont marqués comme cible légitime de toute ségrégation.
Le Sénat français, hôte d’un colloque appelant à la haine et à la violence politique
« Afrique des Grands Lacs, soixante ans de tragique instabilité ». Sous un tel intitulé, les organisateurs et les invités du colloque pouvaient-ils ignorer la situation géopolitique réelle de cette région ? Méconnaître les violences politiques et « raciales » qui y sont attisées par des pêcheurs en eaux troubles ? Mésestimer les massacres, les pillages, les déplacements massifs de populations tutsi ? Dédaigner les rapports des Casques bleus qui peinent à freiner une stratégie du chaos menée par des politiciens confortablement installés en France ? Les sophismes, les habiletés sémantiques et les contorsions des orateurs les exonèrent-ils de ce qu’ils disent et font en coulisses ?
La vérité de ce colloque opaque a surtout été démasquée par l’intervention de Martin Fayulu et les écrits de Charles Onana. Pire que du déni, c’est une relance ouverte de la propagande raciste qui a déjà produit le génocide des Tutsi du Rwanda en 1994.
Peu importe que les orateurs, soigneusement « briefés » par des professionnels de la désinformation, aient dissimulé la partie immergée de leur iceberg idéologique. Leur travail s’inscrit dans un contexte politique congolais déjà largement chaotique, qu’ils rendent plus conflictuel encore.
Dans ce contexte, les propos d’Hubert Védrine sont tout simplement ahurissants. L’ancien bras droit de François Mitterrand, qui se prétend très rationnel, s’abrite derrière un pathos confus et avance des arguments de très mauvais aloi dès qu’il est question du génocide des Tutsi du Rwanda.
En définitive, ce colloque démontre une volonté de banaliser le discours anti-tutsi, comme s’y étaient attelés les « médias de la haine » au Rwanda dans les années 1990 à 1994. On répétait aux Rwandais que « l’impérialisme » tutsi rendait nécessaire leur élimination. L’Elysée de François Mitterrand faisait comme si cette idéologie n’existait pas, ou bien était sans conséquence.
Un réseau d’acteurs français plus ou moins occulte permet à des négationnistes, à des propagandistes de la haine « raciale » de s’afficher dans un palais de la République, en les aidant à se construire une façade de respectabilité. Les organisateurs du colloque consolident un processus de radicalisation à risque génocidaire. Les croira-t-on, s’ils sont réduits à dire un jour « on ne savait pas » ?
Notes
[1] Cf. Patrick de Saint-Exupéry, Complices de l’inavouable, Ed. Les Arènes, Paris, 2009 ; Jean-François Dupaquier, Politiques, militaires et mercenaires français au Rwanda. Chronique d’une désinformation, Ed. Karthala, Paris, 2014 ; Benoît Collombat et David Servenay, « Au nom de la France », guerres secrètes au Rwanda, Ed. La Découverte, Paris, 2014.
[2] Assemblée nationale, Rapport d’information, Enquête sur la tragédie rwandaise (1990-1994), tome III, Auditions, volume 1, 1998, p. 212.
[3] André Guichaoua, Rwanda : de la guerre au génocide : Les politiques criminelles au Rwanda (1990-1994), Ed. La Découverte, Paris, 2010, annexe 84, p. 66.
[4] Titre de séjour spécial : « Le personnel étranger en mission officielle et de statut particulier obtient un titre valable un an renouvelable un an. Il s’agit de personnes de nationalité étrangère envoyées en mission officielle en France qui, en raison de la nature de leurs fonctions, ne peuvent se voir reconnaître le statut de membre d’une mission diplomatique ou d’un poste consulaire mais qui, à titre de courtoisie, bénéficient de facilités particulières pour obtenir un titre de séjour temporaire. En revanche, ils ne jouissent pas des privilèges et immunités attachés au statut de séjour spécial. » Source : ministère des Affaires étrangères.
[5] Augustin Ngirabatware a été mis en accusation par le Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR) le 1er octobre 1999. L’acte d’accusation comprenait des charges de génocide ou, alternativement, complicité dans le génocide, conspiration en vue de commettre le génocide, incitation directe et publique à commettre le génocide, etc. Le 20 décembre 2012, la Chambre de première instance a condamné Ngirabatware à 35 ans de prison pour génocide, incitation directe et publique à commettre le génocide et viol en tant que crime contre l’humanité. La Chambre d’appel a réduit sa peine à 30 ans d’emprisonnement.
[6] « Ce qui a été tenté a été honorable de bout en bout », grand entretien d’Hubert Védrine. « Proche conseiller du président Mitterrand au moment des faits, le diplomate récuse toute idée de connivence entre les génocidaires hutus et la France qui, dès 1990, a œuvré à éviter une tragédie puis cherché à mobiliser la communauté internationale. » Eric Fottorino, hebdomadaire Le 1, n° 140, 1er février 2017.
[7] Parmi les vidéos les plus récentes, voir celle d’Antoine Schirer :
https://www.lemonde.fr/afrique/video/2018/10/26/genocide-au-rwanda-quel-role-a-exactement-joue-la-france_5374967_3212.html?fbclid=IwAR1twjR2tCofcv9W8i9TTu8xAr2c41QU5GKg48UW59FTQORMd4CH9ns8g1Y [8] L’association « Club Démocraties » est un discret « club de réflexion politique » proche du parti socialiste. Elle était présidée par le général Henri Paris (membre du PS). Ce commandeur de la Légion d’honneur et enseignant à l’École supérieure de journalisme de Paris a été conseiller au cabinet du Premier ministre, Pierre Mauroy (1981-1982), puis chargé de mission aux cabinets des ministres de la Défense Jean-Pierre Chevènement et Pierre Joxe (1988-1991) L’association est aujourd’hui présidée par Paul Quilès, ancien ministre socialiste de la Défense.
Site de l’association :
http://www.democraties.fr/ Voir aussi le blog de Paul Quilès :
http://paul.quiles.over-blog.com/2019/10/venez-debattre-de-la-democratie.html [9] Le compte-rendu de la réunion était disponible sur le site du groupe Inshuti :
http://www2.minorisa.es/inshuti/cles.htm Il semble fermé depuis peu. On y lisait par exemple : « Les débats ont été très chauds. La présence du représentant de l’Ambassade du Rwanda, Mr Sebasoni, a été remarquée. Il est belgo-rwandais. Il a accepté de prendre la place réservée à Son excellence Jacques Bihozagara, qui s’est désisté à la dernière minute. Mr Sebasoni était accompagné d’une équipe de Français mariés aux Rwandaises, dont Mr Alain Gautier, Président du Collectif des Parties Civiles pour le Rwanda, un des grands parrains d’Ibuka. Il est devenu FPR par osmose, sa femme a été très active. […] Les gens chuchotent que ce pauvre monsieur a eu des confidences sur l’oreiller, qu’il connaît le Rwanda d’une seule version, celle de sa femme. » Etc.
[10] Marie-Roger Biloa est plutôt une influenceuse qu’une journaliste. Cf. son portrait par Vincent Hugeux dans Les Sorciers blancs. Enquête sur les faux amis français de l’Afrique, Ed. Fayard, Paris, 2007.
[11] Voir :
http://www.rfi.fr/fr/afrique/20140402-paris-le-drame-rwandais-debat-lors-colloque-senat [12] Voir :
https://www.jeuneafrique.com/134199/politique/france-rwanda-colloque-anti-kagam-paris/ [13] AFP, « Des associations de soutien aux rescapés du génocide rwandais dénoncent un colloque au Sénat », 7 mars 2020.
[14] Les deux associations, qui réclament l’annulation du colloque lundi au Sénat, indiquent avoir adressé le 29 février 2020 au président du Sénat Gérard Larcher une lettre de protestation, soulignant qu’au « nombre des conférenciers […] apparaissent les noms de plusieurs personnalités connues pour leur travail incessant de banalisation, minoration et/ou négation du génocide ».
[15] Voir :
https://www.jeuneafrique.com/901731/politique/genocide-des-tutsi-au-rwanda-des-conferenciers-taxes-de-negationnisme-au-senat-francais/
[16] Jean-Marie Vianney Ndagijimana, ancien ambassadeur du régime Habyarimana en France, affirme dans son livre Paul Kagamé a sacrifié les Tutsis (La Pagaie, 2009) : « Paul Kagame a délibérément sacrifié les Tutsis de l’intérieur du pays et s’en est ensuite servi comme prétexte pour trahir les accords de paix d’Arusha et prendre le pouvoir par la force. Mon analyse des événements et mon intime conviction me conduisent par ailleurs à affirmer qu’il y a eu deux génocides parallèles et concomitants au Rwanda ».
[17] Laurent Larcher, « Un étrange et problématique colloque sur l’Afrique des Grands Lacs au Sénat », La Croix, 8 mars 2020.
[18] Ibidem.
[19] Voir sur le site Jambonews :
https://www.jambonews.net/actualites/20191111-genocide-contre-les-hutu-au-rwanda-et-en-rdc-la-fin-de-lomerta/ [20] Voir par exemple, Le Monde avec AFP, 11 mars 2010 : « Gérard Longuet, le chef de file des sénateurs UMP, n’a pas fini d’entendre parler de ses propos polémiques sur le socialiste Malek Boutih, dont le nom a été évoqué dans les médias pour prendre la tête de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (Halde). »
[21] Extraits de la Charte du mouvement : « LDL est donc un mouvement clairement placé à droite de l’échiquier politique français […]. LDL est un mouvement conservateur : c’est-à-dire que nous nous référons aux valeurs traditionnelles de notre civilisation qui […] repose sur les valeurs chrétiennes. LDL […] s’est clairement prononcée contre le mariage génétiquement modifié, comme l’a remarquablement qualifié Paul-Marie Coûteaux. […] La France est le pays le moins libéral d’Europe, tout simplement du fait du poids de la dépense publique et des prélèvements obligatoires et de l’endogamie entre les dirigeans [sic] politiques et des grandes entreprises. […] Par ailleurs, LDL est très sensible à la dérive totalitaire qui s’est emparé de la France avec la multiplication des lois restreignant la liberté d’expression. […] LDL se prononce donc clairement contre toutes les lois mémorielles. […] Concernant la nation, LDL est pour un contrôle sévère de l’immigration, contre la double nationalité –Rachid Kaci avait remarquablement travaillé sur ce sujet – et, globalement, contre le principe de l’intégration au profit de la tradition multi-séculaire d’assimilation (Cf. Alain Mimoun). De plus, le communautarisme religieux ne doit plus avoir de place dans une France laïque : ceux qui veulent vivre selon la tradition islamique sont libre d’aller s’installer dans un des pays qui l’appliquent. […] ».
La Droite Libre est un mouvement de « droite dure » occasionnellement associé à l’UMP puis aux Républicains, qui ne se distingue du Front national que par sa revendication d’un libéralisme économique et social extrême. Récusant toute idée de « Front républicain » contre le FN, LDL « envisage de plus en plus de passer de mouvement d’influence à parti politique pour pouvoir mieux lutter sur le terrain électoral. »
Pour le texte intégral de son programme, voir :
http://www.ladroitelibre.fr/notre-parti/ Voir l’une des interview de Rachid Kaci sur :
https://www.c-e-r-f.org/fao-065.htm Sur les problèmes de Rachid Kaci dans la « préfectorale », voir :
http://www.leparisien.fr/politique/rachid-kaci-ex-conseiller-de-sarkozy-exclu-15-jours-de-la-prefectorale-18-07-2014-4011475.php « L’évènement est grave de conséquence : en effet, c’est la première fois depuis le vote de la loi de 1905 qu’une association religieuse obtient l’interdiction pure et simple d’une réunion politique publique dans l’enceinte de la représentation nationale sous prétexte que “l’Islam serait stigmatisé”. » Proche de la Droite libre et annoncé, au départ, comme participant à l’événement, le député UMP Christian Vanneste a lui aussi réagi via son blog :
« Je déplore qu’une fois de plus le politiquement correct ait empêché un débat et porté une atteinte que j’estime grave à la liberté d’expression. Qu’un grand mouvement politique et le Parlement, lieu privilégié de la liberté de parole, aient ainsi reculé me semble un signe inquiétant pour notre démocratie. »
[22] Voir « La Droite Libre interdite d’Assemblée nationale ». Le refus de l’Assemblée nationale avait immédiatement suscité des réactions de la part de La Droite libre. Sur son blog, le mouvement a dénoncé « les pressions » du CFCM, qualifié de « groupe théocratique ».
[23] Pour en savoir plus :
contact@tvlibertes.com
[24] Tarick Dali s’exprime, 17 février 2014, « Où est passée l’UMP ? ». Extrait : « Nos amis de Riposte Laïque et de Résistance Républicaine appellent à manifester le 9 mars prochain en faveur d’un referendum sur l’immigration. Il est, naturellement, indispensable qu’un maximum de Français, ou tout au moins de Franciliens, se joignent à cet événement [
http://ripostelaique.com ou
http://resistancerepublicaine.eu]. Etc.
Pour accéder à l’article :
https://resistancerepublicaine.com/2014/02/18/immigration-ou-est-passee-lump-par-Tarick-dali-de-la-droite-libre/ [25] Pour éclairer les méthodes d’Alain-Francis Guyon, il nous faut ouvrir cette indispensable parenthèse sur « l’Affaire ». Le 8 mai 2002, onze salariés français de la direction des Constructions Navales (DCN) de Cherbourg sont tués dans l’explosion de leur autobus à Karachi (Pakistan). Chargé d’instruire ce dossier, le juge Bruguière privilégie la piste d’un attentat commis par les réseaux islamistes d’Oussama Ben Laden. En 2009, le juge Marc Trévidic qui succède à Bruguière s’intéresse à une piste négligée par ce dernier : les services secrets pakistanais de l’ISI. Une piste qui conduira à démontrer que l’attentat est lié au financement de la campagne d’Edouard Balladur à l’élection présidentielle de 1995, reposant largement sur des « marges arrière » d’un contrat de fourniture de sous-marins au Pakistan.
Un article paru dans Le Monde et Mediapart le 13 septembre 2008, sous le titre « Ventes d’armes, la corruption au cœur de la République » dévoile le pot-aux-roses.
[26] Magali Drouet et Sandrine Leclerc, On nous appelle « Les Karachi ». Deux filles des victimes de l’attentat de Karachi témoignent, Ed. Fleuve Noir, Paris, 2010.
[27] Ibidem, pp. 212-213.
[28] Le 1er avril 2014 dans son allocution d’ouverture, le président de la conférence, Alain Weil remerciait Alain Guyon pour l’organisation du colloque.
Le 9 mars 2020, Hubert Védrine a rendu hommage à « son courage » au début de son intervention. Ce jour-là, Alain Guyon surveillait la tribune où avaient été relégués les journalistes « mal pensants » et a ordonné à un policier d’y contrôler l’appareil d’enregistrement du journaliste Théo Englebert.
[29] Voir :
http://www.geo2000.org/comptes-rendus-des-dernieres-manifestations/les-atouts-et-les-defis-de-lafrique-au-xxie-siecle/ [30] Pour parler de l’information et des médias à l’heure d’Internet, le Club Démocraties a réuni le 26 mars 2011 à Paris des acteurs de la presse en ligne, avec Nicolas Beau de Bakchich, Pierre Haski de Rue89 et François Bonnet de Mediapart. Le colloque avait pour thème : « Information et médias, quels nouveaux pouvoirs d’Internet ? » Me Florence Bourg, avocat à la Cour, a été invitée à intervenir sur le thème « Internet : une révolution du droit à l’information ».
[31] Laurent Larcher, La Croix, op. cit.
[32] Sur Hubert Védrine et le Rwanda, cf. Hubert Védrine, gardien de l’Inavouable, Jacques Morel, Georges Kapler :
http://jacques.morel67.free.fr/VedrineHubert.pdf [33] Transcription de l’intervention d’Hubert Védrine au colloque du 9 mars 2020 au Sénat sur le thème : « L’Afrique des Grands Lacs : 60 ans de tragique instabilité ». Titre de l’intervention d’Hubert Védrine : « Regard géopolitique sur l’Afrique des Grands Lacs ». Lien :
https://www.youtube.com/watch?v=Ng_Vh_nnM9k [34] Hubert Védrine, Comprendre le contexte stratégique, sans anachronisme, revue Le Débat, Ed. Gallimard n° 167, 2011/5, pp. 76 à 78.
Article disponible en ligne à l’adresse :
http://le-debat.gallimard.fr/articles/2011-5-comprendre-le-contexte-strategique-sans-anachronisme [35] Charles Onana, Ces tueurs tutsi au cœur de la tragédie congolaise, préface de Cynthia McKinney, Ed. Duboiris, Paris, 2009.
[36] « Nazisme tropical » est un concept formulé par l’historien Jean-Pierre Chrétien pendant le génocide dans une tribune publiée par Libération pour faire comprendre au public français que l’extermination des Tutsi du Rwanda n’était pas l’expression d’une « colère populaire spontanée », mais répondait à une campagne de propagande et à une stratégie de violence de masse perfides. L’expression a fait mouche, au point que les « génocidaires » et leurs amis tentent de la retourner selon les règles de la propagande en miroir.
[37] Charles Onana, op. cit., p. 23.
[38] Ibid., p. 24.
[39] Ibid.
[40] Ibid., p. 27.
[41] Ibid., pp. 36-37.
[42] Ibid., p. 20.
[43] Ibid., p. 28.
[44] Ibid., pp. 99-100.
[45] Ibid., p. 102.
[46] Ibid., pp. 103 et 106.
[47] Judi Rever, « Rwanda : révélations sur les massacres de Bisesero », Marianne, 21 décembre 2019 :
https://www.marianne.net/monde/rwanda-revelations-sur-les-massacres-de-bisesero
Voir l’excellente réfutation de cette thèse par Raphaël Doridant, « Génocide des Tutsis, Judi Rever dans le miroir de Bisesero », Survie, Billets d’Afrique, 26 juin 2020.
https://survie.org/billets-d-afrique/2020/298-juin-2020/article/negationnisme-judi-rever-au-miroir-de-bisesero [48] Sur le négationnisme et le conspirationnisme de Judi Rever, lire notre article :
http://afrikarabia.com/wordpress/genocide-des-tutsi-du-rwanda-le-negationnisme-comme-best-seller/ [49] Lire notamment son virulent article à l’occasion du décès de Pierre Péan sur le site du Comité Valmy :
http://www.comite-valmy.org/spip.php?article11469 [50] Le modérateur donnera ensuite la parole à Adolphe Muzito, coordonnateur de la plateforme d’opposition Lamuka – lui non plus « pas prévu au programme », prétendit encore Marc de Miramon. Au moins Muzito avait-il, lui, retenu la consigne. Il ne répétera pas au Sénat, comme en décembre dernier, à Kinshasa, qu’ « il faut faire la guerre au Rwanda pour rétablir la paix dans la région ». Des propos qui n’ont jamais été condamnés par Martin Fayulu et que chacun en RDC conserve en mémoire. Au Sénat, cet ancien Premier ministre s’en tiendra à des considérations insignifiantes.
[51] Pour la version intégrale de l’intervention de Martin Fayulu, voir :
https://www.youtube.com/watch?v=RbWtMbK7Dfc [52] Le délit de « provocation publique » à la haine, à la violence ou à la discrimination raciale est le fait de pousser par son attitude des tiers à maltraiter certaines personnes, en raison de leur couleur de peau, de leur origine ou de leur religion. Ce délit, institué par l’article 1er de la loi de 1972, est passible d’un an d’emprisonnement et/ou 45 000 euros d’amende. Il a été inséré à article 24 alinéa 5 de la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881 et de ses adaptations.
[53] Sur l’histoire des Banyamulenge, voir Joseph J. Mutambo, Les Banyamulenge : Qui sont-ils? D’où viennent-ils? Quel rôle ont-ils joué (et pourquoi) dans le processus de libération du Zaïre ? (Kinshasa : Imprimerie Saint Paul, 1997) ; Manassé Ruhimbika, Les Banyamulenge (Congo-Zaire) entre deux guerres (Paris, L’Harmattan, 2001) ; Jean-Claude Willame, Banyarwanda et Banyamulenge : Violences ethniques et gestion de l’identitaire au Kivu (Bruxelles : Institut Africain-CEDAF/L’Harmattan, 1997) ; Koen Vlassenroot, « Citizenship, Identity Formation and Conflict in South Kivu: The Case of the Banyamulenge », Review of African Political Economy 29 (93–94) (2002) : pp. 499-516 ; Stephen Jackson, « Sons of Which Soil? The Language and Politics of Autochthony in Eastern D.R. Congo », African Studies Review 49(2) (2006), pp. 95-123.
[54] L’établissement du territoire de Minembwe, aboli par la suite sous le RCD-Goma (1998-2002), et la création de la Commune rurale de Minembwe au cours des dernières années sont utilisés comme preuve de cette ambition. La Commune de Minembwe a été créée en 2013 (lorsque l’actuel ministre de la Décentralisation de Munyamulenge, Azarias Ruberwa, n’était pas au gouvernement) et dans le cadre d’un processus de décentralisation qui a créé de manière concomitante quelque 267 autres communes rurales à travers le pays – Minembwe étant l’une des 15 nouvelles entités au Sud-Kivu sont délibérément obscurcies. L’adoption par les Banyamulenge à la fin des années 1960 d’un ethnonyme qui les relie à un lieu est présentée comme une preuve de leur intention de chasser d’autres ethnies (principalement Bafuliru, Babembe et Banyindu) ou de les soumettre.
[55] Voir :
https://www.youtube.com/watch?v=b2DHSMQT2HE [56] Les discours de haine anti-Banyamulenge se propagent principalement à l’intérieur et au-delà des frontières de la province du Sud-Kivu, en utilisant des plateformes de médias sociaux telles que WhatsApp, YouTube, Instagram et des sites Web populistes où sont diffusés des messages audio, des vidéos et des textes. Certains des messages de haine sont anonymes et leurs auteurs ne sont pas faciles à identifier, au-delà des langues utilisées ou des accents des locuteurs. Beaucoup d’autres sont rendus publics, certains sont filmés ou se composent de messages audio et de brochures écrites où les auteurs sont enregistrés en déclinant leur identité. De nombreux messages proviennent de personnes impliquées ou de partisans de groupes Maï-Maï actuellement actifs dans les hauts-plateaux de la région de Minembwe, dans le but déclaré de nettoyer la zone de toute présence banyamulenge en les renvoyant au Rwanda, leur « véritable domicile » selon les auteurs.
[57] Voir :
https://umuvugizi.wordpress.com/2011/09/02/kagame-a-paris-une-visite-pretexte-a-un-flot-dinepties-selon-jean-francois-dupaquier/ [58] Voir les textes d’un de ses propagandistes, le journaliste Freddy Mulongo, sur :
http://freddymulongoreveilfm.centerblog.net/10.html [59] Voir :
http://www.mbokamosika.com/2020/01/non-non-et-non-les-pseudos-banyamulenge-ne-peuvent-etre-nos-freres-par-automatisme.html
[60] Déjà titulaire de succès internationaux avec des chansons world telles que « Chaise électrique » avec Olivia, « Sexy Dance » avec Krys, et « Sweet Life », il confirme sa popularité avec son single « Original » sorti le 5 mai 2014 qui atteint actuellement plus de 30 millions de vues mais aussi avec « Eloko Oyo » atteignant plus de 45 millions de vues. C’est le seul artiste congolais chantant en lingala à atteindre ce nombre de vues. En 2018, il fait partie des 50 Africains les plus influents dans le classement publié par Jeune Afrique.
[61] Interview du Dr. Felix Mukwiza Ndahinda, 25 juin 2020.
[62] « Enquête sur le fonctionnement du réseau d’infiltration et du système d’occupation de la République Démocratique du Congo par le Rwanda. » Résumé de l’enquête menée par Honoré Ngbanda-Nzambo Ko Atumba, président national de l’APARECO. Accessible sur :
http://www.info-apareco.com/wp-content/uploads/2017/03/Dossier-Enqute-sur-le-fonctionnement-du-rseau-dinfiltration-et-du-systme-doccupation.pdf On y lit : « Ce document décrit le fonctionnement d’un vaste réseau clandestin du lobby tutsi rwandais qui est parvenu à infiltrer au sein de l’Armée et de la Police nationales congolaises plus de 25 000 militaires et 354 officiers rwandais parmi lesquels 32 généraux, 140 colonels et 70 majors…! La plupart de ces infiltrés ont reçu frauduleusement des noms d’identité des ethnies congolaises. »
[63]
http://www.afriqueredaction.com/honore-nganda-loin-du-fauteuil-presidentiel-se-lance-dans-des-copier-coller-litteraires-afin-de-dissiper-son-desarroi-et-son-incur.html [64] Charles Onana, Ces tueurs tutsi…, op. cit., p. 86.
[65] Ibid., p. 152.
[66] Lire notamment Jean-Pierre Chrétien et Marcel Kabanda, Rwanda. Racisme et génocide, Ed. Belin, Paris, 2013.
[67] Voir par exemple :
http://www.mbokamosika.com/2016/09/le-plan-de-la-dynastie-tutsi-plan-de-colonisation-tutsi-de-la-region-de-kivu-et-autres-regions-d-afrique-centrale.html [68] Charles Onana, Ces tueurs tutsi…, op. cit., p. 92 [ensuite, reproduction intégrale du faux document, pp. 92 à 95.]
[69] Cf. Jean-Pierre Chrétien et Marcel Kabanda, Rwanda. Racisme et génocide, op. cit., chapitre 10.
[70] Charles Onana, Ces tueurs tutsi…, op. cit., p. 168.
[71] Ibidem, p. 29.
[72] Voir par exemple, « Afrique centrale et orientale : la guerre sainte d’une ethnie tyrannique », Kangura Magazine, version internationale, novembre 1990, n° 4, p. 17 ; ou « Qui vous blâmera d’avoir déraciné ces nazis ? », Kangura Magazine, version internationale, décembre 1990, n° 6, p. 10-11.
[73] Voir l’interview vidéo de Martin Fayulu et de Charles Onana par Kerwin Mayizo pour l’émission « l’Echange », diffusée sur Internet et réalisée par Papa Mayu (production Bob Lukasi). Enregistrée en marge du colloque du 9 mars 2020 au Sénat :
https://www.youtube.com/watch?v=WEFxw_3btck