Fiche du document numéro 2676

Num
2676
Date
Jeudi 5 mars 1998
Amj
Taille
22543
Sur titre
Monde
Titre
Le Rwanda intéresse enfin les députés. Une Mission d'information enquêtera sur le rôle de l'armée française
Nom cité
Cote
n° 5223
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Ce fut une affaire rondement menée. Alors que Louise Arbour, procureur
général des tribunaux internationaux pour le Rwanda et
l'ex-Yougoslavie, demandait depuis des mois à la France de laisser
témoigner ses militaires, il a suffi que des organisations
humanitaires, des intellectuels, des députés Verts et communistes
(lire Libération du 28 février) lancent une campagne pour la création
d'une Commission d'enquête parlementaire sur le Rwanda afin que soit
créée une mission d'information.

La rapidité avec laquelle Paul Quilès en a fait adopter le principe,
mardi, à l'unanimité des membres de la commission de la défense de
l'Assemblée nationale, témoigne de son intelligence à décrypter le
malaise qui entoure encore, quatre ans après le génocide, le rôle
qu'ont joué la France et son armée au Rwanda de 1990 à 1994. Mais
cette décision est loin de satisfaire ceux qui, s'inspirant de
l'exemple belge, souhaitent un véritable débat public sur les
relations franco-rwandaises: une mission d'information au lieu d'une
commission d'enquête, serait-ce une manoeuvre de diversion?,
s'interrogeait hier Médecins sans frontières.

La mission d'information sur le Rwanda devrait être mise en place
avant la fin du mois. Elle comprendra une dizaine de membres, issus de
tous les groupes politiques de l'Assemblée. La Commission de la
Défense de l'Assemblée a la maîtrise de l'investigation et de
l'audition des témoins. Paul Quilès saura certes l'utiliser. Depuis
son élection en juin 1997, il n'a eu de cesse d'imposer la marque des
parlementaires sur les questions militaires. En septembre, il a par
exemple pris de front le ministère de la Défense et les états-majors
en faisant voter un amendement exemptant de fait les jeunes salariés
du service national.

Mais l'implication de la France au Rwanda, avant et pendant le
génocide, ne se limite pas à son aspect militaire. Confier une mission
d'information à la seule commission Défense est réducteur, estiment
ceux qui y sont opposés. Françoise Saulnier, responsable juridique de
MSF, dénonce ce qu'elle appelle un contrôle corporatiste. Seule une
Commission d'enquête, ouverte à tous les députés, permettrait selon
elle un véritable contrôle démocratique. La juriste redoute également
que la formule choisie n'offre aucune transparence: Il est rarissime
qu'une mission d'information soit publique. Même son rapport peut être
secret.

En Belgique, les travaux de la commission d'enquête parlementaire ont
abouti à la publication en décembre d'un rapport d'un bon millier de
pages, disponible sur le web. Les auditions de la mission Quilès
seront-elles publiques? La question n'est pas tranchée. Ce n'est pas
impossible, mais je souhaite qu'elle travaille dans la sérénité,
affirme l'ancien ministre de la Défense. C'est-à-dire, à l'écart des
journalistes.

Pour expliquer son choix, Paul Quilès assure qu'il était impossible de
créer une commission d'enquête: Le règlement de l'Assemblée ne le
permettait pas, puisqu'il y a une procédure judiciaire en cours au
tribunal pénal d'Arusha. Or, aucune procédure n'est engagée contre la
France par le tribunal international pour le Rwanda. Le TPR en outre
n'enquête que sur les actes de génocides et les crimes contre
l'humanité commis par des individus en 1994. La mission d'information
s'est, elle, donné un champ d'investigation plus large dans le temps,
entre 1990 et 1994, et d'une autre nature. Nous voulons analyser
l'ensemble du dossier, en auditionnant des témoins - dont des
militaires français-et en analysant les documents: les dérapages, les
dysfonctionnements, les ordres, les absences d'ordres, la chaîne de
commandement, le rôle de l'Onu, etc, dit Paul Quilès.
Il s'agit donc d'analyser des choix politiques et non de juger des
personnes: il n'y a pas de conflit de compétences entre une commission
d'enquête et le tribunal d'Arusha, conclut MSF. J'ai l'impression de
revivre la même histoire, ironise Alain Destexhe, le sénateur belge à
l'origine de la Commission d'enquête dans son pays. C'est ce même
argument qui à un moment donné nous a été opposé Seule une longue
campagne, appuyée par des parlementaires de l'opposition et de la
majorité, a permis à la commission belge de voir le jour. Mais au delà
des arguties judiciaires, il faut rappeler, dit Alain Destexthe,
l'ampleur du drame rwandais, 800 000 morts en moins de quatre mois. Le
premier génocide reconnu par l'ONU depuis la deuxième guerre mondiale
mérite bien un traitement exceptionnel.

Les communistes français ne disent pas autre chose: Si nous nous
dérobions une nouvelle fois à ce devoir impérieux, nous aurions tout à
redouter du jugement de l'Histoire et de la perte de crédibilité qui
l'accompagnerait dans l'opinion internationale. Hier, les 36 députés
PCF ont déposé une résolution réclamant la constitution d'une
véritable commission d'enquête. Ils devraient bénéficier du soutien
des députés Verts qui s'étaient prononcés la veille dans le même
sens. Le ministère des Affaires étrangères s'est déclaré hier prêt à
coopérer avec la mission Quilès. Le ministre de la Défense, Alain
Richard, l'a appuyé, sans s'engager à permettre l'audition de
militaires. A Matignon, on ne veut surtout pas intervenir dans la
controverse qui couve au sein de la majorité: On laisse le choix au
Parlement des moyens de contrôle dont il veut se doter.

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