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En costume noir et chemise jaune vif, le docteur Eugène Rwamucyo ne pouvait guère passer inaperçu. Ce n'est pourtant pas sa chemise qui l'a trahi, mercredi 26 mai, dans le petit cimetière du Sannois (Val-d'Oise).
Le médecin rwandais, fiché par Interpol en raison de son implication présumée dans le génocide des Tutsi, en 1994 (plus de 800 000 morts, selon les estimations de l'ONU), venait de s'incliner, aux côtés d'une vingtaine de ses compatriotes, sur la tombe fraîchement creusée de Jean Bosco Barayagwiza, lorsque les policiers municipaux, épaulés par leurs collègues de la police nationale, l'ont interpellé. « C'est un kidnapping ! », s'est écrié l'un des participants à la cérémonie, « ça pue, la France ! », lançait un autre, tandis que le gros de la troupe assistait, médusé, au départ du docteur Rwamucyo, prestement embarqué dans une voiture de service.
A vrai dire, ce n'est pas Eugène Rwamucyo, dont la présence en France a été révélée l'an passé, alors qu'il exerçait à l'hôpital de Maubeuge, que les policiers pensaient épingler. Alertés par le journaliste Jean-François Dupaquier, témoin-expert auprès du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), les services de police guettaient, dans la petite foule des participants aux obsèques, la silhouette d'un autre fugitif, autrement plus important que le docteur Rwamucyo : celle de Félicien Kabuga, richissime homme d'affaires, accusé d'avoir été « le financier du génocide », selon les termes de M. Dupaquier.
Depuis seize ans, Félicien Kabuga se cache, se riant des frontières et des juges. Lui et Jean Bosco Barayagwiza étaient de vieux amis. A l'époque du génocide, le premier finançait la Radio Milles Collines - arme de propagande anti-Tutsi -, que le second avait contribué à fonder. Condamné à une lourde peine par le TPIR, Jean Bosco Barayagwiza a finalement été arrêté et emprisonné au Bénin, où il est mort dans sa cellule, en avril.
Félicien Kabuga, lui, court toujours. Réside-t-il en France, comme le suppose Jean-François Dupaquier ? Le consultant auprès du TPIR, connu pour son attachement à la traque des génocidaires, soupçonne en effet le vieil homme, aujourd'hui âgé de près de 78 ans, de fréquenter, sous de fausses identités, les services de pneumologie des hôpitaux français, afin d'y faire soigner une insuffisance respiratoire chronique. Malade peut-être, prudent sûrement, l'oiseau, en tout cas, ne s'est pas posé à Sannois.
Moins vigilant, le docteur Eugène Rwamucyo y a été facilement repéré. « Jean-François Dupaquier est un de mes amis et j'ai une bonne police municipale ! », s'est réjoui le député et maire Yannick Paternotte. Informé par le TPIR que Jean Bosco Barayagwiza allait être enterré, à la demande de sa famille, dans la petite commune du Val-d'Oise, M. Dupaquier, qui, par pure coïncidence, réside depuis de longues années dans la région de Pontoise, n'a eu qu'à téléphoner à son ami le maire du Sannois pour avoir confirmation de la date de la cérémonie.
« Ce n'était pas évident de demander à nos policiers de monter cette opération, le jour des funérailles de leur collègue du Val-de-Marne », ajoute M. Paternotte. Ironie de l'histoire : c'est, en partie, grâce à un député UMP, Thierry Lazaro, élu du Nord, que le docteur Rwamucyo avait obtenu, en 2006, son permis de séjour ; c'est à l'initiative d'un autre député UMP, Yannick Paternotte, en l'occurrence, qu'il vient, quatre ans plus tard, d'être interpellé. Pour le reste, ce sera aux juges français de trancher. Condamné à la prison à perpétuité au Rwanda, fiché par Interpol, l'ancien médecin de Butare (sud du Rwanda) a toujours clamé son innocence, affirmant être « victime d'une diabolisation ».
Une information judiciaire pour « complicité de génocide et de crimes contre l'humanité » a été ouverte contre lui en février 2008. Il a été présenté au parquet général de Versailles, jeudi en fin d'après-midi.
Catherine Simon