Fiche du document numéro 26290

Num
26290
Date
Mardi 7 avril 2020
Amj
Auteur
Taille
94257
Sur titre
International Diplomatie
Titre
Paris choisit Hubert Védrine pour réfléchir à l’avenir de l’OTAN
Sous titre
L’ex-ministre des affaires étrangères, partisan du dialogue avec Moscou, sera membre d’un comité présidé par des figures très atlantistes.
Nom cité
Nom cité
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Si l’OTAN est en « mort cérébrale », comme l’affirmait Emmanuel Macron en novembre 2019, le président français ne compte pas sur un renouvellement des spécialistes à son chevet. Le secrétaire général de l’Organisation, Jens Stoltenberg, a annoncé par communiqué, le 31 mars, la composition d’un groupe d’experts chargés de réfléchir à l’orientation future de l’Alliance. Le principe en avait été acquis au sommet de Londres, début décembre. Le groupe réunit cinq hommes et cinq femmes. La France sera représentée par Hubert Védrine, dont le nom a été mis en avant par l’Elysée dès la fin 2019.


Les questions sont nombreuses : quel positionnement par rapport à la Russie, comment traiter la question turque – membre de l’OTAN aux alliances contradictoires –, quelles capacités de projection militaire en dehors de l’Europe, etc. ? Agé de 72 ans, Hubert Védrine, ancien secrétaire général de l’Elysée (1991-1995) sous François Mitterrand, continue d’écrire des ouvrages, de façon régulière, sur la politique étrangère et l’Europe. « L’expérience n’est pas exclue pour réveiller une organisation, dit un conseiller d’Emmanuel Macron. Hubert Védrine est connu pour son indépendance d’esprit, il a déjà travaillé par le passé sur l’OTAN et il n’est pas réputé atlantiste militant. »

Depuis 2003, Hubert Védrine est aussi le gérant d’un cabinet de conseil en stratégie géopolitique portant son nom, qui a réalisé pour l’année 2018 un chiffre d’affaires de 1,3 million d’euros. Le cabinet effectue de l’analyse pour des groupes privés français, y explique-t-on. Il a aussi des clients étrangers, des entreprises sans concurrent français direct, et il a fait une consultation pour des pays du golfe de Guinée, il y a cinq ans, au moment de l’élaboration d’une charte sur la sécurité maritime.

Un geste d’autorité du président



Parmi les diplomates français, ce choix de l’ancien ministre des affaires étrangères a été vu comme un nouveau signe de défiance de l’exécutif. Les propos d’Emmanuel Macron à l’été 2019 sur un « Etat profond » qui résisterait à sa main tendue à la Russie avaient réjoui M. Védrine, qui a souvent fustigé l’inertie supposée de son ancienne administration. Sa désignation relève autant d’un choix idéologique que d’un geste d’autorité du président. Pourtant, la vieille opposition entre « gaullo-mitterrandiens » et « atlantistes » n’a plus guère de pertinence, dès lors que l’administration Trump a cessé d’être un allié prévisible et sûr pour les Européens.

« Védrine est parfois un peu pontifiant, mais il ne dit pas des choses fausses, souligne le député européen Arnaud Danjean (LR), spécialiste des questions de défense. Avec son expérience et sa connaissance des institutions, il pèsera dans le comité. Ce qui me gêne, c’est qu’au-delà de ses critiques, souvent très pertinentes, je l’ai rarement entendu faire des propositions concrètes. Il pointe par exemple régulièrement les dysfonctionnements de l’Union européenne, mais sans suggérer d’alternative. »


Sur l’OTAN, les positions de l’ancien secrétaire général de l’Elysée ont évolué. Il ne s’est pas opposé à l’élargissement de l’Alliance, au début des années 2000. C’est en 2009, sur décision du président de l’époque, Nicolas Sarkozy, que la France a réintégré le commandant intégré de l’OTAN, quitté en 1966. En mars 2009, Hubert Védrine exprimait son désaccord sur Europe 1 avec cette décision, qui représentait selon lui une concession regrettable aux « atlantistes ». « On diminue la possibilité d’avoir une analyse spécifique, une autonomie de pensée, une autonomie de décision, une construction originale, que ce soit sur le plan européen ou autre », disait-il.

Sortir de l’impasse avec Moscou



A peine trois ans plus tard, changement de ton. En novembre 2012, à la demande cette fois de François Hollande, Hubert Védrine remettait un rapport à l’Elysée faisant un bilan contrasté de la décision de Nicolas Sarkozy, sans envisager un retour en arrière. « Une (re)sortie du commandement intégré n’est pas une option. Elle ne serait comprise par personne ni aux Etats-Unis ni en Europe. (…) Cela ruinerait toute possibilité d’action ou d’influence. » Selon l’ancien ministre, Paris devait « continuer de plaider, malgré tout, en faveur d’une Europe de la défense dans le cadre de l’Union ».

Cette ligne ne sera pas aisée à défendre dans le comité d’experts. Il est présidé par l’ancien ministre de la défense allemand Thomas de Maizière et par Wess Mitchell, ex-sous-secrétaire d’Etat pour les affaires européennes au sein de l’administration Trump, qui avait démissionné en janvier 2019. L’Américain défend une ligne de confrontation avec la Chine et la Russie. Lors d’une conférence au Atlantic Council, en octobre 2018, il expliquait que les Etats-Unis devaient répondre à une « compétition géopolitique » exacerbée sur le continent européen. « Bien au-delà de la frontière, dans les pays d’Europe centrale, la Russie utilise des tactiques manipulatrices dans l’énergie, la corruption et la propagande pour affaiblir les nations occidentales de l’intérieur et entamer leurs liens avec les Etats-Unis », disait M. Mitchell.


Une autre membre du comité d’experts se retrouvera dans ces propos : Anna Fotyga, députée européenne. Cette figure du parti Droit et justice (PiS), au pouvoir dans son pays, ne jure que par Washington pour la sécurité nationale, face à la Russie. Elle a promis d’œuvrer à la consolidation du lien transatlantique. « Telles sont les racines de l’OTAN, tels sont les fondements du monde occidental, indépendamment des obstacles et des processus qui ont lieu dans certains Etats », a-t-elle expliqué à la Radio polonaise après sa désignation.

« Védrine va se sentir très seul au comité, craint Thomas Gomart, directeur de l’Institut français des relations internationales (IFRI). Nos projets d’autonomie stratégique européenne risquent d’être inaudibles. La ligne majoritaire sera celle de l’Allemagne, qui ne peut concevoir sa défense et sa sécurité, de façon organique, hors de l’OTAN. Les Polonais par exemple sont les derniers auxquels on peut faire croire que l’Europe de la défense les protégerait. »

Le contraste est fort avec les positions d’Hubert Védrine, en particulier sur la Russie. Lui prône une sortie de l’impasse avec Moscou, au nom d’un réalisme inspiré par la géographie. Comme si les Européens étaient responsables des « malentendus » accumulés, pour reprendre un mot employé par M. Macron. La « nouvelle architecture européenne de sécurité » avec Moscou, proposée par le président français à l’été 2019, se veut aussi une prise en compte pragmatique, mais très risquée, du voisinage avec la Russie. Elle ne peut déplaire à M. Védrine.

Piotr Smolar

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024