Citation
Le parti UNAR a tenu son premier meeting à Kigali le 13 septembre 1959. Mr Lazare
NDAZARO en fait un rapport à l’intention de la Résidence (autorité belge). L’auteur est
cofondateur de RADER, Parti « des fonctionnaires » opposé à UNAR. Le document est
authentique.
UNION NATIONALE RWANDAISE
‘‘U.N.A.R. ’’
Réunion à Kigali le 13 septembre 1959
Le 10 septembre 1959, j’ai rédigé un rapport concernant le siège, les buts, composition du
comité, programmes et objectifs de cette association. Le rapport en question a été présenté à
Monsieur le Résident du Ruanda
Le 13 septembre 1959, cette association d’inspiration absolument féodale s’est présentée au
public à Kigali de façon spectaculaire. La réunion a eu lieu devant le Cercle des « Evolués » à
Nyamirambo (Kigali) à 12 heures, en plein air, afin que le grand public puisse largement y assister.
Pour la circonstance le Président, François Rukeba, s’est hissé sur la carrosserie d’un
camion, pour dominer effectivement toute la foule, curieuse de l’entendre développer son
programme et les activités que s’assigne son parti. Il est entouré de plusieurs swahilis, de Kigali,
munis d’instruments de musique qui se mette en branle chaque fois que l’orateur prononce des
paroles d’indépendance ou autonomie, ou souligne les passages saillants de leur manifeste (texte en
français ou en kinyarwanda). Le groupe Swahili est particulièrement enthousiaste, admirateur de
Rukeba, très audacieux- dans l’opposition radicale qu’il témoigne par son éloquence, aux abus du
régime colonialiste.
La foule peut être évalué á mille individus : des habitants aux environs de Kigali qui avaient
été attirés dans le poste, non pas précisément pour la manifestation politique mais à qui l’on avait
raconté que le Mwami (nouveau) venait à Kigali, et qui, tout naturellement, par curiosité, se
présentait pour voir le souverain. La foule s’attendait également à assister à des fêtes destinées à
accueillir le Mwami. Rwasibo qui est rentré à Kigali après le week-end venant de Kabgayi, a
rencontré plusieurs personnes du Marangara Swahilis principalement qui revenaient de Kigali
également pour la manifestation, et qui s’étaient déplacés parce que le bruit avait couru que pour la
circonstance, Mr le Résident du Ruanda devait parler au public.
Le bruit était lancé intentionnellement pour attirer davantage le public à assister aux
conférences organisées, enfin d’emporter le plus d’adhésions enthousiastes des masses touchées.
Outre la foule, des chefs des chefferies en grand nombre, presque tous les membres du
Conseil du pays retenus à Nyanza y ont assisté, de même que certains assistants agricoles,
vétérinaires connus des différents territoires, sympathisants du mouvement en cause. Mr Poelaert
de Kisenyi était évidemment présent.
Dans son discours d’ouverture, Mr. Rukeba a souligné que le but de l’association était
d’affermir l’union nationale, d’écarter toute division interne néfaste et de favoriser l’émancipations
sociale de toute les couches de la population de façon absolument équitable, loyale et sincère pour
tout un chacun. Il a précisé que toute les injustices sociales devraient disparaître et que seuls les
éléments de valeurs occuperaient des places qu’ils méritent dans l’administration du pays à tous les
échelons.
A l’égard de l’Administration belge, il a déclaré que le Gouvernement belge a eu le mérite
de mener notre évolution, par l’enseignement, le développement social et économique, qu’à l’heure
actuelle, le pays a atteint sa maturité, et que nous-mêmes, exclusivement, nous sommes pleinement
responsables des institutions présentes et futures. C’est à ce sujet qu’il a souligné l’objectif principal
(politique) du parti : l’autonomie interne en 1960 et l’indépendance en 1962. D’après l’orateur,
tel n’est pas un souhait, nous devons exiger sans délai satisfaction à ce propos, par tous les moyens
à notre disposition. Que les belges le veuillent ou non, dit-il, c’est pour eux une obligation. Et
d’ajouter également que le régime colonialiste comporte des injustices et des abus que nous ne
pouvons pas supporter éternellement. A titre d’exemple, il se demande pourquoi tant d’éléments de
l’administration qui ont servi le gouvernement belge pendant de longues années, restent bloqués
derrière une machine au bureau retenus par la dactylographie au lieu de servir l’administration
même du pays, dans les chefferies, notamment à la tête des commandements politiques actuellement
vacants, dont les titulaires méritants (candidats) ne manquent pas et que l’administration a tort de
faire attendre inutilement. D’après l’orateur, le parti constitué aura à résoudre dans l’immédiat des
cas graves du genre.
De même, dans les tribunaux indigènes et dans tous les échelons de l’administration du
pays, les Batutsi détiennent encore un monopole inadmissible. Cette situation, dit-il, doit changer
également rapidement, pour permettre aux Bahutu et Batwa méritant d’occuper les postes en rapport
avec leurs aptitudes.
Après lui Mutabaruka A., Rebeka Côme, Conseillers de l’association ont pris la parole pour
souligner la nécessité de l’union active entre tous les Banyarwanda, sans distinction de races et de
tribus.
Le chef Mungarurire a parlé dans le même sens, en précisant les buts des partis politiques
dans un pays : ceux-ci sont destinés à mettre en place les institutions indispensables, par leur
intervention et programmes.
L’intervention de Rwagasana, secrétaire du Conseil Supérieur du Pays, a
été
particulièrement incendiaire. Il avait à développer, en effet, un thème délicat: l’autonomie et
l’indépendance. A ce sujet il a ouvertement critiqué l’action du gouvernement belge dans tous les
domaines social, politique, économique pour préciser que les belges se réservent les meilleurs
postes lucratifs, au détriment des africains de valeur; la prospection minière est faite de façon
parcimonieuse, alors que le pays est riche ; les fonctionnaires belges touchent des salaires fabuleux
alors que d’après les mêmes éléments le pays est extrêmement pauvre, ce qui est manifestement
contradictoire. D’après lui le problème Bahutu, Batutsi n’existait pas avant l’arrive des belges et par
leur faute, cette question provoque des divisions graves parmi la population.
Le chef Rwangobwa, orateur également, a parlé des relations diplomatiques du Rwanda avec
les autres pays d’Afrique. D’après lui, il est nécessaire pour nous de suivre des progrès qui
s’accomplissent ailleurs en Afrique, et d’y avoir des ambassadeurs rwandais.
Le chef Kayihura, lui, a développé, à l’intention de la foule, l’amour patriotique. Il s’est
insurgé violement contre la mauvaise éducation étrangère qui nous a fait perdre toutes les bonnes
manières nationales.
Par une méthode méchante, les dominateurs colonialistes nous ont imposé leur hymne
national, leurs conceptions, leur méthode d’administration et nous avons abandonné, tout
naïvement, les nôtres qui n’en étaient pas moins admirables. Ainsi tout jeune Rwandais parle, avec
admiration, De Gaule et des autres hommes illustres occidentaux, tout en ignorant le passé glorieux
des Rois du Rwanda, comme Rwabugiri. C’est vraiment scandaleux et nous devons remonter
vigoureusement le courant sans délai.
Pour conclure les débats oratoires, le président Rukeba a souligné également que, dans la
foule, il y avait des traîtres, des vendus de l’administration, ennemis du pays, de la royauté. Il a
même précisé que lors de la désignation du nouveau Mwami, un des Banyarwanda traîtres, devait
devenir le jour même, le président de la république Rwandaise…et que-Dieu merci, grâce à la
clairvoyance des “sages” du Rwanda, le pays a évité le désastre.
Mr Ntarugera Védaste, Secrétaire du Parti, notait les inscriptions des membres. Les chefs
surtout se sont faits inscrire avec enthousiasme et empressement, le parti en cause étant
manifestement destiné à soutenir leurs positions féodales fanatiques. Probablement aussi, quelques
« évolués » ont adhéré au parti en qualité des membres.
Reste à savoir ce que la foule a retenu de cette manifestation que ces organisateurs
considèrent eux-mêmes de grande envergure. Je n’ai pas la certitude que la foule a été tellement
touché, ni profondément ni complètement convertie à cet égard. Le Munyarwanda reste, malgré
tout, méfiant pour toute nouveauté, malgré les apparences.
Bien entendu, les chefs des chefferies, dans leurs circonscriptions indigènes, ont tout à dire,
ils mèneront campagne de façon absolument large, selon les consignes reçues. Comme
incontestablement, Kigali devient le centre de gravité de ces activités subversives, il est absolument
recommandable que dans ce territoire, nous ayons un chef progressiste de grande valeur. Le
rayonnement social de Bwanakweri résoudrait, en grande partie, la crise sociale actuelle, pour le
milieu stratégique de Kigali.
Tel est le déroulement des manifestations, dans leur ensemble. Les orateurs, du moins
certains, ont été d’un ton fanatique pendant que d’autres se montraient plus modérés. Il parait
qu’une manifestation analogue se déroulerait le dimanche prochain à Astrida, en vue de déjouer
surtout l’influence politique du mouvement muhutu, dont Gitera en tête.