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Quatre cent tonnes d'aide arriveront dans les prochains jours à Goma
(est du Zaïre). Ce nouveau dispositif doit permettre de répondre en
priorité aux besoins des civils. Dans Kigali, d'intenses combats
reprenaient hier soir après une journée presque calme. Profitant de la
relative accalmie, le CICR a évacué de son hôpital surpeuplé, en zone
gouvernementale bombardée en permanence, 40 blessés vers la zone
rebelle. Le général Roméo Dallaire, qui commande la Minuar, a expliqué
que l'opération française contribue à compliquer encore sa tâche et
que depuis qu'elle a commencé, il n'a plus aucun contact avec la
direction militaire du FPR.
Province de Kibuye, envoyé spécial
« Ramenez-nous avec vous. Dites-nous où nous pourrons vous
rejoindre. Ici, tout le monde veut vivre avec vous. »
Eric Nzaihimana, instituteur, est le chef du groupe d'une centaine de
Tutsis surgis des broussailles au passage du détachement de soldats
français qui arpentent les montagnes boisées à une trentaine de
kilomètres au sud-est de Kibuye, à deux heures par des pistes à peine
praticables de Misesero. Une douzaine de fusilliers-commandos de l'air
sont arrivés-là dès lundi après-midi [27 juin] pour effectuer une reconnaissance sur
la base d'un renseignement. C'est la première fois que les Français
s'enfoncent dans les montagnes de la région. La rumeur faisait état de
forces du FPR (Front patriotique rwandais), plusieurs milliers
d'hommes, qui se cachaient dans les bois et attaquaient le soir les
villages hutus des environs. Mais les hommes et adolescents tutsis
qu'ils ont découverts là ne sont pas des guerriers. Tout juste des
fantômes émaciés, en guenilles, qui survivent sur les hauteurs depuis
avril dernier. Tout de suite après l'assassinat du président
Habyarimana, disent-ils, les Hutus ont massacré la plupart de leurs
femmes et de leurs enfants et brûlé leurs maisons.
Dans un fossé, un cadavre est abandonné en décomposition. Juste à
côté, un trou hâtivement recouvert de branchages laisse dépasser deux
paires de pieds. « Ils viennent chaque jour avec des armes pour
nous tuer. Par groupes de trois cents. Quelques soldats des FAR
(Forces armées rwandaises), des
miliciens, des gendarmes et des civils hutus. Aujourd'hui, cinq
d'entre nous ont été tués. Ils se cachaient dans des broussailles à
deux kilomètres d'ici. Les assaillants ont fui quand ils ont entendus
les hélicoptères (des forces françaises) qui survolaient le
secteur. » Eric Nzaihimana parle d'une voix calme, dans un français
parfait. D'un geste il désigne la direction où s'est produit
l'accrochage. Prudents, les militaires français se sont mis en
position de combat.
Pour prouver les faits, quelques Tutsis sont allés chercher le cadavre
de l'un d'eux qu'ils ont déposé aux pieds des soldats. Ce jeune homme
venait à l'évidence d'avoir la gorge tranchée, après avoir été blessé
par balles, quelques heures plus tôt. Cela correspondait aux coups de
feu entendus depuis la vallée. A côté un gamin découvre sa fesse
gauche sanguinolente, déchirée d'un coup de machette. Rompu aux
opérations à risque, les fusiliers-commandos de l'air détournent la
tête. Combien sont-ils à errer ainsi comme un gibier traqué dans les
montagnes, se nourrissant du sorgho cueilli en hâte avant la récolte ?
« Plus de 10 000 qui se dissimulent par petits groupes dans les
dizaines de collines du secteur de Misesero », assure
l'instituteur. Son groupe, armé de simples bâtons et de rares lances,
devient nerveux. Des jeunes viennent de reconnaître le civil hutu qui
nous avait accompagné depuis le village de Mubuga. « C'est lui
qui dirigeait les assassins. » Les commandos l'entourent pour le
protéger.
Juste avant cette rencontre, les Français ont dépassé une voiture, un
énorme drapeau tricolore plaqué sur le capot, un autre aussi grand
accroché à une hampe. A son bord deux soldats des FAR. « En
faisant comme cela, ils diminuent les risques d'être attaqués. On les
prend de loin pour des Français », explique le guide hutu. Deux heures
plus tôt, les militaires français avaient pu constater de visu la
haine tenace vouée encore aujourd'hui par les Hutus à la minorité
tutsie. Haine attisée, guidée, par les autorités hutues, qui contredit
les propos pacifiques, voire réconciliateurs, tenus par le
gouvernement intérimaire. Des voyageurs avaient signalé des massacres
de Tutsi près du village de Mont Nyagurati, toujours dans le secteur
de Misesero.
A l'entrée du village hutu, l'accueil est symptomatique. Ivre d'alcool
de bananes, machette brandie de manière belliqueuse, un villageois
effectue une danse du sabre devant un soldat français ébahi. A côté,
un policier en civil, médaille à l'effigie du président Habyarimana
accrochée à la poitrine, donne sa version: « Il y avait ici
cinquante Tutsis (sur 600 habitants) Tous sont partis ou
morts. Les femmes, les vieux, les adultes. Tous complices des
malfaiteurs (le FPR). » Les enfants aussi ? La réponse est terrible:
« Oui, les enfants aussi, car les enfants sont les complices des
complices. » Il ajoute: « J'en ai tué huit de ces
malfaiteurs. » Le policier explique qu'il assure, sur ordre du
bourgmestre de la région, « la défense contre les malfaiteurs
cachés dans les forêts » qui, selon lui, « attaquent les
villages la nuit ». Tout autour du village, à flanc de montagne, des
dizaine de maisons de terre sans toits, brûlées de l'intérieur,
témoignent de la violence de l'épuration des villages.
Des attaques de Tutsis, nous ne verrons qu'un signe: la joue recousue
d'un jeune Hutu victime d'un coup de machette.
Devant la supplique des Tutsis des montagnes, le chef des commandos de
l'air, le lieutenant-colonel « Diego » (un nom de code radio. Il souhaite
garder l'anonymat) est très embarrassé. « Il sera possible de
venir vous chercher quand l'aide humanitaire sera arrivée. Nous allons
revenir dans quelques jours. » Avec quarante hommes présents sur sa
base de Kibuye, et disposant seulement de Jeep T4, il n'a pas les
moyens de faire plus pour eux. Les Français n'ont pas encore de
camions pour les transporter, de médicaments pour les soigner, de
vivres pour les nourrir. Pas de camp non plus pour les
accueillir. Pour l'instant et pour quelques jours encore, leur travail
se limite pour l'essentiel à des reconnaissances du terrain.
Pour les Tutsis des montagnes de Misesero, chaque jour qui passe
signifie 10, 20, 100 morts ou plus.
En attendant des moyens et une décision politique pour installer de
nouveaux camps de réfugiés au Rwanda, les militaires visitent ceux qui
existent déjà pour évaluer l'aide qu'il faut y acheminer. Hier, un
détachement s'est rendu à Kivumu, à l'est de Gitarama, où se trouvent
des dizaines de milliers de Hutus fuyant l'avance du FPR qui menace la ville.
Ils ont aussi évacué un groupe de 38 religieuses et cinq orphelins
recueillis par ces dernières, qui vivaient depuis deux mois sans
sortir d'une mission de Kibuye adossée au camp de base des militaires
français. Elles avaient survécu aux mois de massacres dans Kibuye
même, ou plusieurs milliers de Tutsis et de Hutus modérés auraient été
rassemblés, puis tués dans l'église et le stade. Avec les soeurs
rwandaises, il y avait six religieuses belges et une Anglaise qui
avaient refusé d'être évacuées en avril. « Nous partons parce que
nous sommes très fatiguées. Mais nous reviendrons », dit d'une voix
douce une religieuse rwandaise.
Un photographe de l'agence américaine Associated Press, Ricardo
Mazala, 29 ans, de nationalité argentine, a été blessé par balle hier
après-midi, à Kigali.