Dans l’espoir d’obtenir un procès en France, les familles des victimes de l’attentat contre le président rwandais Juvénal Habyarimana, épisode déclencheur du génocide de 1994, demandent mercredi à la justice d’invalider le non-lieu ordonné l’an dernier après deux décennies d’enquête.
L’enjeu pour les familles est de relancer les investigations, voire obtenir un hypothétique procès aux assises, pour neuf membres ou anciens membres de l’entourage de l’actuel président rwandais Paul Kagame, dans un dossier qui empoisonne les relations entre Paris et Kigali depuis 20 ans.
La chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris, qui rendra sa décision à une date ultérieure, examinera à huis clos le recours formé contre l’abandon des poursuites décidé le 21 décembre 2018 par les juges d’instructions antiterroristes français, Jean-Marc Herbaut et Nathalie Poux. Dans ses réquisitions écrites, le parquet général a demandé à la cour de confirmer ce non-lieu, selon une source proche du dossier.
Le 6 avril 1994, l’avion de Juvénal Habyarimana, un Hutu, et du président burundais Cyprien Ntaryamira avait été abattu en phase d’atterrissage à Kigali par au moins un missile. Cet attentat est considéré comme le déclencheur du génocide qui fit 800.000 morts selon l’ONU, principalement dans la minorité tutsi.
En France, une information judiciaire pour «
assassinats et complicités en relation avec une entreprise terroriste » avait été ouverte en mars 1998 après la plainte des familles de l’équipage, composé de Français.
« La plupart des débris de l’avion avaient disparu »
Le premier juge saisi, Jean-Louis Bruguière, avait privilégié l’hypothèse d’un attentat commis par des soldats de l’ex-rébellion tutsi du Front patriotique rwandais (FPR) mené par Paul Kagame, devenu président du pays en 2000. Les relations diplomatiques entre les deux pays avaient été rompues quand le juge avait émis en 2006 neuf mandats d’arrêt contre des proches de Kagame. Elles avaient été rétablies trois ans plus tard.
La thèse du juge Bruguière avait toutefois été fragilisée en 2012 par un rapport d’experts, notamment en balistique, qui s’étaient rendus sur place deux ans plus tôt avec les juges ayant repris le dossier, Marc Trévidic et Nathalie Poux. Les conclusions du rapport désignaient le camp de Kanombe, alors aux mains de la garde présidentielle d’Habyarimana, comme zone de tir probable. Mais, lors de ce déplacement des enquêteurs en 2010, «
la plupart des débris de l’avion avaient disparu », «
la végétation et (...) la topographie des lieux avaient profondément changé » et la boîte noire n’a jamais été retrouvée, rappelaient les juges dans leur ordonnance finale.
« Climat délétère »
Seuls éléments matériels récupérés à l’époque de l’attentat: les photos de deux tubes lances-missiles et le rapport d’un officier rwandais rédigé un mois après les faits. «
En l’absence d’éléments matériels indiscutables », l’accusation repose donc sur des témoignages «
largement contradictoires ou non vérifiables », notaient les juges, rappelant aussi les assassinats et disparitions de témoins, les manipulations ou les récits souvent «
manichéens » des deux camps qui avaient émaillé une longue instruction au «
climat délétère ».
«
On n’a jamais cherché à examiner la responsabilité individuelle des mis en cause », déplore M
e Philippe Meilhac, avocat de la veuve Agathe Habyarimina, qui estime les charges suffisantes pour renvoyer au moins certains des suspects aux assises. Face à la faible probabilité d’obtenir un procès aux assises, l’avocat espère a minima la réouverture des investigations afin que la justice française se fasse communiquer un rapport secret de 2003 du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), qui attribuait la responsabilité de l’attaque au clan Kagame.
L’existence de ce rapport avait été révélée dans l’ouvrage d’une journaliste canadienne, Judi Rever, en mars 2018, alors que l’enquête française était close. Estimant cette piste suffisamment documentée et non concluante, le juge Herbaut avait refusé de relancer une nouvelle fois les investigations. Au Rwanda en 2009, la commission d’enquête Mutsinzi - qui revendiquait sa partialité, notent les juges français - avait imputé la responsabilité de l’attentat aux extrémistes hutus qui se seraient ainsi débarrassés d’un président jugé trop modéré.