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Dans la grande salle du Palais de justice, régnait un silence attentif tandis que Sophie Leclerq, Présidente de la Cour d'Assises, interrogeait Fabien Neretse, notamment accusé de crime de génocide. Clarté, respect et fermeté, tel semble être le style de la Présidente, tandis qu'elle décortique les faits avec précision ou confronte l'accusé à d'autres versions que la sienne. Entre de telles mains, la sérénité des débats semble assurée.
Fabien Neretse répond avec calme aux questions qui lui sont posées, n'hésitant pas à ajouter tel ou tel détail. Nous avons face à nous un ancien fonctionnaire précis, soucieux de remplir sa mission avec rigueur. Un homme sûr de lui qui ne semble pas déstabilisé par le décorum de la cour et la gravité des accusations à son encontre.
J'essaye de me vider de tout savoir, de tout préjugé, pour écouter sa version des faits, me plonger dans son monde, son univers de pensée. Mon rôle n'est pas de le juger - heureusement, nous sommes en démocratie et les tribunaux nous déchargent de cette responsabilité. Je désire comprendre cependant comment il lit la situation qu'il a vécue au Rwanda avant et durant le génocide, comment il voit son rôle et son implication. Comment il se présente à nous.
Fabien Neretse se présente en innocent, sinon en victime. En membre contraint d'un Parti ingrat - le MRND, à l'époque au pouvoir - qui l'a lâché, lui le fonctionnaire zélé, pour le mettre sur une voie de garage avant, à sa demande, de lui rendre sa liberté professionnelle. En jeune entrepreneur d'une société de conseil qu'il venait de créer à l'époque, et qui mobilisait tout son temps, et toute son attention. Il n'aurait donc rien vu ni rien entendu de l'entreprise génocidaire qui se mettait en place à deux pas de chez lui, dans un stade, où se tenaient des meetings haineux.
Fabien Neretse se présente en père responsable de cinq enfants et d'un enfant adoptif, en voisin attentionné et respectueux des différences. Il vivait dans un quartier à quatre-vingt pour-cent Tutsi selon lui, en bonne entente avec les Sissi, notamment, même si ceux-ci - à son grand étonnement - ne semblent pas partager cette vision.
Fabien Neretse se présente en sauveur de Tutsi. N'est-il pas intervenu en faveur de sa voisine Colette Sissi - épouse de son ami
Evariste qui avait fui - afin de faire tourner les affaires en son absence ? Ne risquait-il pas ainsi sa vie?
Cloîtré chez lui, il ne connaissait rien, dit-il, des projets de fuite de ses voisins tutsi - les Bucyana-Beckers, les Gakwaya et les Sissi - qui craignaient pour leur vie, deux jours après l'assassinat du président Habyarimana. Il nous raconte avec force précision cependant ce qu’il a entendu le jour de leur massacre. N'a-t-il pas veillé ensuite à leur offrir une sépulture digne, eux qui furent cruellement tués par des miliciens qui voulaient se venger des exactions du FPR - le parti Tutsi ? (Une seule fois selon moi, et incidemment, il citera le nom de la milice des Interahamwe, le groupe paramilitaire hutu, à la solde du parti au pouvoir, responsable de nombreux crimes et exactions.)
Fabien Neretse nous raconte aussi comment il a recueilli et nourri, après le massacre de dix de ses voisins, des survivants cachés dans le plafond de la maison des Bucyana-Beckers. Et comment il a permis à d'autres Tutsi de fuir avec lui vers sa ville d'origine, Mataba, malgré les difficultés du périple.
L'homme donne de lui-même une image de courage et d'innocence. Mais qu'en est-il réellement ? Que révèlent les faits retenus par l'histoire ou découverts par les enquêteurs ? Et qu'en disent les témoins et parties civiles ?
Et si la vérité de Neretse était tissée du déni qui afflige une seconde mort aux innocents ? Une vérité alternative, au service d'une pseudo-réalité ?
Ce sera aux jurés d'en décider...
Evelyne Guzy