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EDITORIAL
Le fardeau de la tragédie du Rwanda n'appartient pas aux seuls hommes
blancs. Les Rwandais, qui exterminent leurs compatriotes, hutus ou
tutsis, à coups de machettes et de fusils automatiques, y ont la
première part. Les ex-colonisateurs belges, qui favorisèrent
l'éclosion d'une idéologie raciste chez les extrémistes hutus y ont la
leur. La France aussi, qui a armé et soutenu un régime rwandais qui
protégeait, voire encourageait, les partisans d'une «solution finale»
pour la minorité tutsi. Régime que certains à Paris n'ont visiblement
pas encore accepté d'abandonner au sort qu'il mérite.
Mais, dans la distribution des blâmes, la palme revient peut-être au
Conseil de sécurité de l'ONU, c'est-à-dire aux grandes puissances qui
le dominent, les Etats-Unis en premier. Il aura fallu deux mois, des
dizaines de milliers de victimes et des centaines de milliers de
réfugiés avant que le conseil accepte enfin de faire revenir des
Casques bleus. Et encore en leur interdisant de faire usage de la
force pour tenter de mettre fin au génocide. Avant que la tuerie ne
commence à grande échelle, il s'était déjà refusé d'étendre le mandat
de la MINUAR. Et, quand elle avait commencé, il s'en était lavé les
mains, en retirant les Casques bleus «dans un silence
assourdissant», selon l'expression de Boutros Boutros-Ghali. Dans
chacune de ces décisions, les Etats-Unis ont joué un rôle
central. Tétanisé par son expérience désastreuse en Somalie, Bill
Clinton a décidé d'éviter à tout prix de remettre le pied dans les
marigots sanglants du continent noir.
Le Rwanda n'est pas seul à être abandonné à ses démons. De l'Angola à
la Somalie en passant par le Soudan ou le Libéria, la liste est longue
des pays africains qui sombrent dans les massacres, famines et
épidémies qui sont la conséquence directe de guerres civiles ou de
conflits ethniques. Dans le monde de l'après-guerre froide, l'Afrique
n'intéresse plus grand monde. Ses guerres ne menacent pas la stabilité
du monde riche. Et ses nations sont trop lointaines, trop obscures, et
trop pauvres, pour mériter que les «grands» y perdent leur temps, leur
argent et leur sang?