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Ce 15 novembre, nous avons assisté à l’audition de Colette Braeckman, journaliste belge bien connue, spécialiste de l’Afrique des Grands Lacs. Comme à son habitude, son exposé est clair, permet de saisir le contexte ayant précédé le génocide et la tragédie du génocide lui-même. Elle se base sur son expérience de terrain et ses rencontres avec les personnalités politiques de l’époque comme le Président Juvénal Habyarimana ou la Première ministre Agathe Uwilingiyimana qui, avant le génocide, lui a confié être elle-même menacée et craindre pour sa vie, son nom se trouvant sur des listes. La suite des événements viendra confirmer ses sinistres craintes… Mme Braeckman rappelle aussi sa rencontre, le 28 mars 1994, avec un ami journaliste rwandais qui lui annonce : « C’est la dernière fois qu’on se voit… » Là encore, cette prédiction se réalisera malheureusement…
Lors des premiers massacres, elle est à Kigali. Elle accompagne un camion militaire qui récupère des expatriés. Elle croise des Interahamwe dégoulinant de sang, pénètre dans un hôpital rempli de cadavres et suit un camion poubelle lui aussi chargé de morts.
Rentrée en Belgique, il lui faudra deux ou trois semaines pour oser appeler cela un « génocide ». En mai, elle retourne au Rwanda en arrivant par l’Ouganda. Elle suit les troupes du FPR. C’est une traversée de l’horreur à Nyamata, au Bugesera. A Nyarubuye, la zone vient à peine d’être reprise par le FPR. « On marchait littéralement sur les cadavres… C’était l’image de l’enfer sur terre », dit-elle.
Elle affirme ne pas avoir assisté à des actes de vengeance de la part du FPR. Quand elle a interrogé les soldats à ce sujet, ils lui ont expliqué que s’ils se vengeaient, ils seraient exécutés. La discipline militaire l’exigeait.
Elle explique que, pour elle, le génocide s’est étendu au-delà des trois mois d’avril à juillet 94 et au-delà de l’espace du Rwanda. En effet, dans la région du Kivu, elle a vu les civils hutus entourés de militaires, utilisés comme des boucliers humains et amenés à passer la frontière avec le Congo. C’était un mouvement organisé, sous la houlette de l’armée française qui, « pratiquement, indiquait la sortie ». Des camps de réfugiés se sont constitués au Congo dans lesquels les génocidaires ont pris le pouvoir. Après un an, Médecins sans frontières a quitté les camps, refusant de cautionner une telle situation. Kagamé a prévenu l’ONU que si l’organisation ne faisait rien, il s’en chargerait lui-même. C’est ce qui est arrivé et des crimes de guerre de la part de l’armée rwandaise ont pu être commis, c’est vrai. Par la suite, les éléments hutu les plus extrémistes ne sont pas rentrés au Rwanda mais se sont enfoncés au Congo. Ils ont attaqué la population, se sont appropriés des terres. A partir de 1998, le docteur Mukwege lui a fait part de très nombreux viols et mutilations génitales systématiques visant à terroriser les populations locales.
Elle conclut en expliquant que, depuis vingt-cinq ans, elle retourne chaque année au Rwanda. Encore cette année, elle a suivi des réunions où des femmes se préparaient à assister les victimes lors des commémorations. Lors de l’une d’elles, une jeune femme de 18 ans – qui n’était donc pas née pendant le génocide - a pris la parole et a raconté que ses nuits étaient remplies de cauchemars et d’images de massacres. Malheureusement, la souffrance et le traumatisme se transmettent. C’est aussi l’une des tristes réalités du génocide…
Cette audition a aussi été l’occasion de constater une fois encore que l’avocat de la défense, Me Flamme, semble atteint d’une sorte de maladie qu’on pourrait qualifier de « FPRite aigüe ». La quinzaine de questions qu’il pose à Mme Braeckman ne portent pratiquement que sur le FPR. Ainsi, il lui demande pourquoi elle ne parle pas des exactions du FPR. Mme Braeckman répète : « J’écris ce que j’ai vu. De mes yeux, je n’ai pas assisté à des exactions du FPR. » Par ailleurs, le questionnement de l’avocat quitte le champ factuel pour lui demander d’évaluer moralement les faits. Ainsi, il l’interroge : « Trouvez-vous que la guerre du FPR était une guerre juste ? » Madame Braeckman rappelle les conditions des réfugiés tutsi en Ouganda, les nombreuses requêtes faites pendant trente ans devant toutes les instances internationales pour le retour des réfugiés au Rwanda et en conclut dès lors en distinguant le droit au retour des réfugiés d’une guerre d’agression.
Régulièrement, l’avocat demande surtout une confirmation de ses propres thèses : « N’est-il pas vrai que les accords d’Arusha ont été un énorme cadeau aux Tutsi vu la proportion de la population ? » Quand Mme Braeckman évoque la RTLM, la Radio-Télévision Libre des Mille Collines tristement célèbre pour sa propagande haineuse, l’avocat la questionne : « Le FPR n’avait-il pas aussi une radio ? » Mme Braeckman confirme qu’une telle radio existait, la radio Muhabura. Les deux radios, la RTLM comme Muhabura, étaient écoutées par l’ambassade belge. Pour la radio Muhabura, aucun message de haine n’a été relevé.
L’avocat de la défense aura donc réussi à ne jamais interroger Colette Braeckman sur le génocide des Tutsi. Comme en d’autres circonstances, il ne semble obsédé que par le FPR.
On peut s’interroger sur cette stratégie de défense qui ne semble pas servir la cause de son client tant elle est véhémente et systématique. Son but paraît davantage au service d’ une cause politique : faire le procès du FPR. Cette stratégie pourrait bien s’avérer contre-productive. Il serait préférable que ce flux anti-FPR puisse faire place à un examen précis des faits au service de la recherche de la vérité et de la justice.
Florence Evrard