Fiche du document numéro 25118

Num
25118
Date
Mercredi 4 septembre 2019
Amj
Auteur
Taille
573351
Titre
Opération Noroît 1992
Type
Twitter
Langue
FR
Citation
Michel Goya, né le 19 avril 1962 à Montaut, est un ancien colonel des troupes de marine, enseignant et auteur français, spécialisé dans l'histoire militaire et l'analyse des conflits.

Engagé dans l'armée de Terre en 1983, il intègre le groupement de qualification des sous-officiers à l'École d'application de l'infanterie de Montpellier de 1983 à 1984. Il devient sergent, avec fonction de chef de groupe (puis de sous-officier adjoint) de 1984 à 1988, au 170e régiment d’infanterie d'Épinal. D'octobre 1985 à avril 1986, il est envoyé à Nouméa avec son groupe pour protéger les sites sensibles, dans le contexte des tensions entre Néo-Calédoniens.

Entré en 1988 à l'École militaire interarmes de Saint-Cyr Coëtquidan, il en sort major de la promotion Valmy en 1990. Il est nommé lieutenant en 1990. À sa sortie, il choisit l'arme des troupes de marine.

Il sert ensuite au 21e régiment d’infanterie de marine (21e RIMa) de Fréjus, comme chef de section, de 1991 à 1994. Il est déployé avec sa section au Rwanda pendant l'opération Noroît de juin à août 1992 ; puis il participe à la Force de protection des Nations unies (FORPRONU) à Sarajevo, alors assiégée, de juillet 1993 à janvier 1994.

Nommé capitaine en 1994, il est affecté au régiment d'infanterie de marine du Pacifique - Nouvelle-Calédonie caserné au camp de Nandaï (près de Bourail), de 1994 à 1996. Il passe ensuite au 2e régiment d’infanterie de marine (2e RIMa) caserné au camp d'Auvours (près du Mans), où il exerce les fonctions d'officier adjoint, puis de commandant de compagnie et enfin de rédacteur au bureau opérations instruction, de 1996 à 2001. Il est de nouveau déployé à Sarajevo d'octobre 1996 à mars 1997, cette fois au sein de l'Implementation Force (IFOR) puis de la Force de stabilisation (SFOR) avec fonction d'officier adjoint. Il participe à l'opération Cigogne en République centrafricaine de février à avril 1998.

Enfin, il commande la compagnie forêt du 9e régiment d'infanterie de marine (9e RIMa), chargée de la surveillance le long du fleuve Maroni, de juillet à septembre 1999. Il passe au grade de chef de bataillon en 2001.


1-Bon, ok c'est parti. Nous sommes au Rwanda à l'été 1992. Je suis chef de section. Le compagnie tient un carrefour stratégique dans le nord du pays. La zone est immense, les trois sections sont éloignées les unes des autres de plusieurs kilomètres de collines et forêts.

2-Je ne sais même pas où est le PC de la compagnie placé loin et en hauteur pour avoir de bonnes liaisons. Nous sommes en 2e rideau derrière les forces armées rwandaises (FAR) face au Front patriotique rwandais (FPR).

3-Un jour, l'instituteur du village à côté de notre position vient me voir pour me remercier d'être là et de les protéger. Il me décrit le passage, façon sauterelle, de l'armée zaïroise l'année précédente. Je lui réponds naïvement qu'ils peuvent compter sur nous.

4-Quelques minutes plus tard, un autre homme qui se dit préfet vient me voir. M'annonce que sa préfecture a été attaquée par le FPR et qu'il entendu dire que le FPR voulait nous attaquer le soir même. Je transmets le renseignement immédiatement.

5-Je reçois tout de suite l'ordre d'évacuer la position et de couvrir le repli de la batterie franco-rwandais nettement plus à l'ouest. Je fais embarquer en catastrophe toute ma section dans notre camion civil et nos Toyotas.

6-Nous passons à fond devant l'instituteur à qui je venais de dire qu'on ne l'abandonnerait pas. Nous arrivons sur la position indiquée, j'installe un dispositif de recueil de la batterie. On m'appelle pour me dire que finalement ce n'est pas le même endroit.

7-On m'ordonne surtout de revenir tout de suite sur ma position qui va être attaquée le soir même par le FPR (mon renseignement donc qui vient d'être digéré). La nuit va bientôt tomber. Nous repassons à nouveau devant l'instituteur qui commence à avoir des doutes sur nous.

8-Je réinstalle un dispositif défensif, fait distribuer les munitions et me prépare à la Grande guerre. J'avale trois Guronsan d'un coup. Arrive l'officier adjoint de la compagnie, pour la première fois sur ma position.

9-Il regarde la carte, me dit que le FPR va franchir les marais juste à côté de nous (il se trompe en regardant la carte, les marais sont beaucoup plus au nord) et m'ordonne de faire des "patrouilles d'intervalle" entre ma position et celle de la position de la section voisine.

10-Voilà donc l'ordre manifestement con. On ne voit pas à quoi ça sert, nous ne connaissons pas bien le terrain et c'est très dangereux d'envoyer un petit groupe isolé (qui dégarnit le dispositif, nous ne sommes pas très nombreux) en pleine forêt. Je le dis (pas que c'est con).

11-Il me répond, cela va bien se passer et alors que sommes censé être attaqué dans quelques heures, part se coucher dans une case. Je suis très embêté.

12-Je décide de mener moi-même la 1ère patrouille pour bien établir la route. Nous sommes 5. J'ai une carte à peu près aussi utile que celle de Brest. Au bout d'une heure, je suis perdu en pleine nuit, en pleine forêt loin de ma position mais très près de celle de l'ennemi.

13-Je rebrousse chemin, retrouve ma section. Réétudie la carte, le terrain, et repart...pour le même résultat. Là, je me dis que je suis vraiment très con. J'ai laissé ma section et je suis vulnérable. Je reviens sur ma position, je ne dis rien et surtout ne réveille pas l'OA.

14-Je m'installe prêt à faire Bazeilles et puis au milieu de la nuit, les effets du Guronsan disparaissant d'un coup, je m'effondre et dort la tête sur le bord de ma tranchée. La lumière du jour du jour me réveille. J'appelle tout de suite mon adjoint.

15-Il me dit : "Ils ont attaqué mais on n'a pas voulu vous réveiller, on s'est occupé de tout". Je n'ai pas encore fini mes paliers de décompression : "C'est vrai ?" Il me répond : "Non, je déconne, ils n'ont pas attaqué". Je l'insulte, va voir le capitaine, qui dormait toujours.

16-Il me demande "tu as fait les patrouilles". Je bafouille "non". Il me regarde, ne dit rien range ses affaires et repart. J'apprendrais plus tard que le rens que j'avais donné avait permis aux FAR de bloquer l'attaque du FPR qui donc n'est jamais venue.

17-J'ai retenu que j'aurais dû soit m'entendre avec le chef de section voisin pour monter un bateau, soit tenir vraiment tête à mon chef et assumer les conséquences disciplinaires.

Pardon pour les fautes, j'écris vite depuis une chambre d'hôtel à Madrid.


1-D'humeur nostalgique, voici une nouvelle scénette. Nous sommes au printemps 1994. Ce qui s’appelle encore la 6e division légère blindée termine une période d’entrainement au camp de Valdahon. Le lendemain matin, tous les régiments retourneront dans les garnisons.


Bon, j'ai un peu de temps, je vous en raconte une autre, peut-être le moment le plus WTF de ma carrière.

1-Toujours au Rwanda, je dirige un peloton d'instruction CM1 (stage de formation pour commander un groupe de combat). Nous sommes près de la région des volcans.

2-J'apprends à mes gars à organiser une zone de défense. L'endroit me paraît idéal et apparemment il n'y a personne. J'organise l'affaire et fatalement au bout d'un moment tout le monde creuse.

3-La nuit est en train de tomber. Je suis dans un abri en train de critiquer l'oeuvre lorsque j'entends : "Mon lieutenant, on a un petit problème".

4-Je remonte de l'abri et là je me retrouve nez-à-nez avec une trentaine de guerriers, presque nus, certains le visage peint. Surtout ils sont armés d'un arc et de flèches et ils me visent.

5-Je suis un peu décontenancé, cherchant en vain dans toute ma formation et les conseils reçus une situation analogique sur laquelle je pourrais m'appuyer.



6-Le seul truc qui me vient est que nous sommes dans le pays de Tarzan et que je suis face aux féroces Gabonis. Que faire ? La puissance de feu est de notre côté et on pourrait tous les massacrer. J'écarte cette option.

7-Reste la négociation mais là comment faire ? Je fais baisser doucement les armes à mes gars et en me rappelant des films, j'écarte les mais pour indiquer que mes intentions sont pacifiques.

8-Je m'aperçois qu'ils ont en fait assez la frousse. Je ne suis pas sûr qu'ils aient déjà vu d'hommes blancs. Celui qui paraît être le chef tape du pied en m'indiquant le sol. J'interprète ce geste comme "Vous êtes en train de creuser dans un sol sacré, bande de cons !".

9-J'essaie de faire comprendre que j'ai compris. Je fais doucement partir mes gars vers les véhicules et pars le dernier en m'inclinant façon mousquetaire, je ne sais pas pourquoi mais cela m'a paru classe. Ils ont baissé leur armes et nous sommes partis. Fin.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024