Fiche du document numéro 24908

Num
24908
Date
Jeudi 9 janvier 1997
Amj
Auteur
Taille
117134
Titre
France-Afrique : coopération militaire et « accords spéciaux »
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
LA coopération militaire de la France est sujette à interrogations pour bon nombre d'observateurs - souligne Dominique Bangoura, dans son analyse des « nouveaux enjeux sociopolitiques et stratégiques de la coopération militaire française en Afrique » (1). Une certitude s'impose toutefois: « Force est de constater que la politique française est la même depuis trente-cinq ans, en dépit de profondes modifications politiques, stratégiques, sociales et économiques sur la scène nationale et internationale. Certes, des adaptations à ces changements apparaissent, mais restent très ponctuelles ou conjoncturelles. »

Diplomatie secrète



Les « interrogations » évoquées ci-dessus ont encore été renforcées par les dernières interventions de soldats français en Centrafrique (en mai dernier, en ce début 1997). Qu'est-ce qui autorisait le gouvernement Chirac-Juppé à prendre aussi visiblement partie en faveur d'un gouvernement Patassé confronté à des mutineries militaires à répétition (trois en huit mois) et à l'hostilité grandissante de la population? En fait, il est impossible de répondre à cette question, dans la mesure ou, en dehors des deux gouvernements, personne ne peut dire si cette forme d'ingérence militaire est ou non prévue par les accords de défense signés par les deux capitales. Nous sommes là dans ce qu'il est convenu d'appeler la diplomatie secrète, avec tout ce que cela implique d'arbitraire et de coups fourrés.

Après plus de trois décennies d'expérience, le bilan de l'Assistance militaire technique (AMT) reste à dresser. Comme celui des interventions militaires dans l'Afrique sub-saharienne, tant celles-ci ont été pratiquées dans l'ombre et, autant que faire se peut, en tenant l'opinion publique nationale dans l'ignorance des agissements de ses gouvernants dans cette partie du monde. Un exemple: qui, en 1991, savait que des militaires français intervenaient au Rwanda, sauvant la mise à la dictature Habyarimana en passe d'être défaite par l'insurrection déclenchée par le FPR (Front patriotique rwandais)? Il a fallu le génocide de 1994 pour que, à retardement, l'opinion découvre une réalité qui lui avait d'autant plus facilement été cachée que ce petit pays, ex-colonie allemande puis belge, n'appartenait pas à ce qu'il est convenu d'appeler le pré carré historique français.

La coopération militaire française recouvre deux notions distinctes.

L'assistance militaire technique



Celle-ci est théoriquement non liée politiquement. Elle est mise en oeuvre principalement, en ce qui concerne les pays africains, par le ministère de la Coopération avec la mission militaire française. Ce qui n'empêche pas un fractionnement croissant des compétences, allant de l'Elysée à Matignon (secrétariat général de la Défense nationale), en passant par le Quai d'Orsay. Sur ce poste, la France engage annuellement environ 1 milliard de francs, près du cinquième des ressources du ministère de la Coopération.

Une coopération qu'on veut élargir



Vingt-trois pays ont signé des accords de ce type avec la France: Bénin, Burkina, Burundi (ceux-ci ont été suspendus unilatéralement l'an passé), Cameroun, Centrafrique, Comores, Congo, Côte d'Ivoire, Djibouti, Gabon, Guinée équatoriale, Guinée, Madagascar, Mali, île Maurice, Mauritanie, Niger, Rwanda (là aussi suspendus depuis la défaite de la dictature), Sénégal, Seychelles, Tchad, Togo et Zaïre. A trois exceptions près (Guinée, Madagascar et Congo, qui, dans un premier temps, avaient pris leurs distances avec l'ex-métropole coloniale), ces accords datent du lendemain même des indépendances officielles.

Paris cherche actuellement à élargir le champ de cette « coopération ». Notamment en ce qui concerne deux anciennes colonies portugaises, Angola et Mozambique. A noter également que des formes ponctuelles de coopération militaire peuvent intervenir en dehors d'accords globaux (ce fut récemment le cas en Haïti, où la France a proposé 20 millions de francs pour transformer une force de « police » locale en une gendarmerie).

Des accords de Défense



Ils établissent entre les deux Etats concernés des liens beaucoup plus étroits qu'une alliance militaire: harmonisation des diplomaties et même existence d'institutions politiques communes. Celles-ci, ainsi que les troupes prépositionnées sont financées et administrées par le ministère de la Défense.

Défense externe et interne...



La France a des accords de ce type avec huit pays: outre la Centrafrique, le Cameroun, la Côte d'Ivoire, les Comores, Djibouti, le Gabon, le Sénégal et le Togo.

Nous entrons là dans ce que nous avons appelé le domaine du secret. Dans ces accords, le concept de défense est entendu dans une double acception, externe et interne, ce qui implique que d'aucuns ont par la suite appelé, non sans une bonne dose d'hypocrisie, un « droit d'ingérence ». Et, dans ce cas précis, permanent puisque codifié par des textes dont une partie seulement est rendue publique.

Aide et accords spéciaux



Les clauses par lesquelles la France peut décider une « opération de maintien de l'ordre » dans tel ou tel pays dont le gouvernement lui en aurait adressé la demande restent secrètes. Leur teneur ne figure pas au « Journal officiel ».

Exemple. On lit au « JO » du 21 novembre 1960, seul texte de référence en ce qui concerne les relations militaires France-Gabon: « La République gabonaise a la responsabilité de sa défense intérieure, mais elle peut demander à la République française une aide dans les conditions définies par les accords spéciaux. » Les citoyens français et gabonais n'en sauront pas plus. Les seconds auront simplement constaté que les manifestations de Libreville et Port-Gentil ont été, en leur temps, brisées par des militaires français. Comme les citoyens centrafricains peuvent vérifier une nouvelle fois, aujourd'hui, que les troupes prépositionnées sont bien pratiques pour sauver la mise à un pouvoir impopulaire et mafieux.

(1) Observatoire permanent de la Coopération française. Rapport 1996 (pages 99 à 140). Ouvrage publié aux éditions Desclée-de-Brouwer (76, bis rue des Saints-Pères, 75007-Paris).

JEAN CHATAIN

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