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Faisant grise mine au Tribunal pénal international, minorant sa participation financière et refusant toute extradition, Paris s'entête à faire de notre pays une terre d'impunité pour les massacreurs rwandais de 1994.
Citation
Le procès ouvert lundi dernier par la justice belge contre deux notables de la préfecture de Kibungo est le second de cette nature (voir ci-dessous). En juin 2001 déjà, quatre génocidaires rwandais - un ministre, un universitaire et deux religieuses - avaient été condamnés à des peines de douze à vingt ans de réclusion pour des crimes commis entre avril et juillet 1994. Procédure justifiée par la loi dite « de compétence universelle », qui accorde aux tribunaux belges le droit de juger les auteurs de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité, quels que soient le lieu où ils ont été commis et la nationalité de leurs auteurs. Depuis, la portée de cette loi a été réduite sous la pression des États-Unis, le gouvernement Bush ne cachant pas son hostilité à toute initiative susceptible de faire naître une jurisprudence internationale en ce domaine. Dans le cas présent, ces changements n'ont pas eu de conséquences, les deux inculpés ayant été arrêtés en Belgique. Un précédent est également à rappeler, concernant un autre pays européen :
Fulgence Niyonteze, ancien bourgmestre, arrêté en Suisse en 1996, avait été condamné en appel en mai 2000 par le tribunal militaire de Genève (infirmant toutefois sa condamnation à vie en première instance pour limiter la peine à quatorze ans de réclusion criminelle).
Belgique et Suisse ne sont pas les seuls pays où ont fui des responsables et acteurs
du génocide rwandais. La France figure en bonne place sur la liste. Et, pour cause : dès le début des massacres, en avril 1994, l'Élysée lançait l'opération « Amaryllis » qui, sous prétexte d'évacuer les résidents européens, exfiltrait au passage plusieurs gros bonnets du « Hutu power », à commencer par la première dame du pays Agathe Habyarimana, laquelle avait joué un rôle avéré dans la constitution des milices interahamwe (« ceux qui frappent ensemble ») fers de lance d'un génocide programmé au plus haut niveau. Puis il y eut l'opération « Turquoise », qui déboucha sur le drame des réfugiés hutu de l'ex-Zaïre, mais aussi sur l'exfiltration, cette fois massive, des planificateurs et exécutants des tueries indissociablement politiques et racistes. Depuis, inquiètes de la réputation d'une France terre d'asile aux génocidaires rwandais que notre pays était en passe d'acquérir, les autorités ont veillé à assurer leur départ vers d'autres horizons, notamment certains pays africains comme le Cameroun. Il en demeure cependant un nombre indéterminé sur le territoire français, comme le rappelle périodiquement certaine « affaire du père Wenceslas », du prénom de ce prêtre de l'église de la Sainte-Famille, à Kigali, désormais en charge d'une paroisse normande.
On conçoit dès lors la surdité de Paris chaque fois qu'est évoquée la nécessaire lutte contre l'impunité. C'est vrai, en particulier, de son comportement concernant le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), qui contraste avec celui observé pour l'ex-Yougoslavie (TPIY). Premier procureur au TPI nommé par le Conseil de sécurité (en juillet 1994 pour l'ex-Yougoslavie et en novembre 1994 pour le Rwanda), le Sud-Africain Richard Goldstone, de passage à Paris en avril 1996, faisait déjà part de sa « déception » devant l'inertie des autorités françaises, y compris au niveau de la participation financière au TPIR. « Je ne sais pas ce qui se passe en coulisses », poursuivait-il lors d'une rencontre avec la presse, avant de faire allusion à son entretien avec le Quai d'Orsay en ces termes : « Nous allons demander plus de transparence. Sans la générosité de certains pays [Richard Goldstone citait alors expressément les Pays-Bas - NDLR] nous ne pourrions faire face à notre tâche. Nous apprécierions un peu de générosité de la part des autorités françaises »...
L'affaire Wenceslas illustre le fait que cet appel n'est toujours pas entendu aujourd'hui. Rencontré l'année dernière lors des cérémonies du dixième anniversaire du génocide, Jean de Dieu Mucyo, procureur général du Rwanda, confiait à notre journal son amertume. « Nous avions évoqué trois possibilités dès le début : extrader ces personnes vers notre pays pour qu'elles y soient jugées [ce qui pose problème en droit français, la justice rwandaise admettant la peine de mort, contrairement à la nôtre - NDLR] ; si ce n'était pas possible, les déférer au TPIR ; sinon mettre en place l'appareil législatif permettant de les juger dans le pays refuge. Cette dernière position a été adoptée en Belgique ou en Suisse. À la France enfin de déterminer la sienne. » Plus de douze mois ont
passé depuis cet entretien ; force est de constater que rien n'a bougé en ce domaine.
Jean Chatain