Fiche du document numéro 24867

Num
24867
Date
Mardi 30 juillet 2019
Amj
Taille
171553
Titre
Les Rwandais ont changé de langue après le génocide
Sous titre
Au Rwanda, depuis dix ans, le français n’est plus que la deuxième langue internationale, utilisée après l’anglais. Les enseignants ont dû, du jour au lendemain, basculer d’une langue à l’autre. Deuxième volet de notre série « Les parlers français d’ailleurs ».
Tres
Pour comprendre le génocide, il est nécessaire de connaître le français.
Résumé
To understand the genocide, it is necessary to know the french language
Source
Type
Langue
FR
Citation
En l’espace de quinze ans, à l’aéroport de Kigali, le « bienvenue » de la police des frontières s’est transformé en « welcome » ; au menu du restaurant Chez Lando, le « potage » est devenu « soup » et le poulet « chicken ». Les Rwandais auraient-ils « switché » du français vers l’anglais? La réponse à la question est toujours la même. « Non, nous n’avons pas changé de langue. Nous en avons ajouté une nouvelle, l’anglais. »

Les Rwandais ont décidé de parler kinyarwanda, français et également anglais. Depuis son enfance, chaque Rwandais parle en famille et avec ses amis le kinyarwanda. Alors, ici, nul besoin d’emprunter aux anciens colonisateurs – en l’occurrence les Belges – leur langue pour se comprendre. C’est cette nécessité qui pousse, dans d’autres pays d’Afrique, les Mozambicains à parler le portugais, les Congolais à manier le français, les Zimbabwéens à utiliser l’anglais.

Dans ce petit pays enclavé, qui revendique une histoire millénaire et glorieuse, pas non plus besoin d’une autre langue pour se haïr. On assure que le français n’a pas été gommé par l’anglais pour oublier le souvenir du génocide des Tutsis. « Nous ne nous sommes pas massacrés en français, mais bien en kinyarwanda », souligne Moussa, dirigeant d’une start-up de Kigali. Il n’était pas né en 1994, mais il sait que « pour comprendre l’histoire de notre pays, analyser les mécanismes qui ont mené à cette tragédie, il est nécessaire de connaître le français. Tout était consigné par écrit dans cette langue. »

« J’ai appris à raisonner en français »



À Butare, le bureau du père André de l’Université catholique croule sous les livres pratiquement tous écrits en français. Ce cinquantenaire a effectué toute sa scolarité et son grand séminaire dans cette langue. « Même à la récréation, nous devions parler en français. » Depuis lors, chaque jour, il écoute Radio France international (RFI), rédige ses textos en français et publie ses travaux de recherche dans cette langue. « C’est comme cela que j’ai appris à raisonner », résume-t-il.

Plus loin encore de la capitale rwandaise, à Gikongoro, le père Anicet revient de neuf années passées comme vicaire à Aulnay-sous-Bois, en banlieue parisienne. Il en garde un excellent souvenir. « Je servais trois communautés bien distinctes : celle des Français de l’Hexagone, qui étaient à cheval sur l’heure et voulaient de l’orgue, celle des Antillais, qui ne commençaient jamais à l’heure mais dont la ferveur était communicative, et celle des Africains de l’Ouest, qui tenaient à leur orchestre de percussions. » Le père Anicet a aussi rencontré des paroissiens portugais ou polonais, qui n’avaient pas peur de parler le français « sans verbe ou sans accords des temps ». Il enviait leur absence de timidité. « Nous, les Rwandais, nous sommes très fort dans l’écriture de la langue, pas dans son parler. À l’école, si je faisais une erreur en français, on me frappait. Du coup, je me demande tout le temps si j’emploie la bonne tournure. »

Au Rwanda, le français était la langue pour comprendre l’Européen de passage ou pour lire les circulaires émises par l’administration et l’Église. Maintenant, les ministères rédigent leurs textes en anglais et tout Européen sera abordé dans cette langue, surtout si son interlocuteur rwandais est jeune. On peut trouver une explication à ce glissement linguistique dans l’histoire. Les Tutsis, qui ont formé l’armée du FPR conduite par Paul Kagame, avaient trouvé refuge dès les premiers massacres en 1959 en Ouganda ou en Afrique du Sud, deux pays anglophones.

Les Rwandais restés dans leur pays partageaient la langue française avec le Congo. C’est dans ce pays voisin, la République démocratique du Congo, que des génocidaires ont trouvé refuge après 1994. Aujourd’hui, dans son développement économique, le Rwanda regarde vers d’autres pays anglophones comme le Kenya, l’Éthiopie, la Tanzanie ou l’Ouganda.

Ovation pour la nouvelle secrétaire générale de la francophonie



Le français ne s’est pas forcément éteint au Rwanda. Le 7 avril 2019, au commencement des commémorations du génocide, 1 500 personnes étaient invitées au Centre de convention de Kigali. Le premier ministre belge, Charles Michel, rappela, en français, les excuses présentées par son prédécesseur Guy Verhofstadt pour « un cortège d’erreurs et de fautes, d’incompétences et de négligences » des Belges. Le premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed, témoigna, en anglais, de son expérience, « en 1995, de jeune casque bleu du contingent éthiopien, où il a découvert la dévastation causée par l’intolérance ».

Lorsque le président Kagame introduisit un à un ses invités, c’est la récente secrétaire générale de l’Organisation internationale de la francophonie, Louise Mushikiwabo, qui reçut – de loin – les applaudissements les plus nourris. L’accession de leur ancienne ministre des affaires étrangères à la direction d’un organisme international nourrit la fierté des Rwandais. La romancière francophone Scholastique Mukasonga y voit le signe d’« une francophonie de cohabitation, d’accueil et de création ».

En termes de logistique, l’entrée décrétée de l’anglais dans le système scolaire et universitaire rwandais n’a pas été sans mal. Cyprien Rwabigwi a fondé avec son épouse en 2006 Les petits poussins de la Dame (comprendre la Vierge Marie) dans un quartier résidentiel de Kigali. « Ma femme est allée spécialement à Montréal pendant deux ans pour passer son baccalauréat. Nous sommes francophones. Et puis, en 2008, le Rwanda a basculé dans le Commonwealth. »

Le programme du ministère est devenu anglophone du jour au lendemain. Les professeurs qui enseignaient depuis parfois plusieurs décennies en français ont dû changer de langue, non sans de sérieux problèmes d’adaptation et bien souvent sans les manuels scolaires en anglais, qui ont mis du temps à arriver. « Nous avons dû chercher des professeurs anglophones en Ouganda et au Kenya, et une Franco-Slovène qui avait fait ses études au Royaume-Uni est venue diriger l’école. » Les petits poussins de la Dame sont donc devenus Mother Mary School. La scolarité de l’école de Cyprien est désormais certifiée « Cambridge » et peut ainsi attirer des parents prêts à payer pour assurer à leurs enfants un enseignement de qualité.

Le français est plus difficile à apprendre que l’anglais



Trois ans après, l’État a assoupli sa position. La Mother Mary school propose la maternelle en français. Ensuite les trois premières classes du primaire s’enseignent en kinyarwanda, avant de poursuivre en anglais, mais avec le support de cinq heures de cours hebdomadaires en français. Cyprien Rwabigwi a demandé l’appui des enseignants bénévoles à la retraite de l’ONG française Agirabcd. Et il espère bien obtenir l’homologation de son école par l’éducation nationale française. Mais tous ceux qui luttent pour une présence francophone au Rwanda le constatent : « Le français est une langue beaucoup plus difficile à apprendre que l’anglais. »

Joseph Bitega, le directeur du Cecydar, un centre pour les enfants des rues, est convaincu des vertus des langues étrangères pour permettre aux Rwandais de s’ouvrir au monde. Sur les neuf enfants de sa fratrie encore en vie, l’une habite à Lorient où elle est médecin depuis trente ans, deux sont en Belgique, un au Royaume-Uni et un au Burundi. Avant même le génocide, il avait senti la menace pour lui, tutsi. « J’avais lu cinq fois le livre français Au nom de tous les miens écrit par Martin Gray, un rescapé du camp de concentration de Treblinka. Je m’identifiais au peuple juif. Cela m’a aidé. »

Pour nombre de Rwandais, le français reste lié à une histoire douloureuse. Pas pour Moussa, qui communique en français sur Facebook avec des amis congolais et burkinabés. Il aime cette langue avec laquelle « on essaie de ne jamais utiliser deux fois le même mot. Quand on parle de quelqu’un, on va recourir à diverses expressions pour montrer toute la richesse de cette langue. C’est une langue qui me rend intelligent ».

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024