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Veste de cuir, cheveux au vent, grande gueule et moustachu… Dans les années 80, Pierre Péan était un familier de la rédaction du Soir, il y avait ses entrées, ses amis, dont René Haquin, avec lequel il partageait volontiers un carafon de vin rouge et quelques bonnes histoires de mercenaires recrutés à Liège ou à Bruxelles, de trafics en tous genres, sans oublier les tueurs du Brabant wallon à propos desquels le journaliste du Soir était intarissable. Mais à l’époque, Péan, l’ancien reporter qui avait travaillé à l’AFP et surtout au Canard Enchaîné, était déjà fasciné par l’Afrique, les pays du pré carré francophone bien sûr mais aussi le grand voisin, l’ami de tous, le président Mobutu avec son appartement avenue Foch, sa villa de Nice et ses relations d’amour-haine avec la Belgique et ses journalistes… Au Douro, en face du Soir, sur notre territoire, à la terrasse du Métropole, lorsqu’il nous y invitait, nous avions toujours plaisir à discuter avec Péan, ce remarquable confrère, cet ami de longue date.
La sortie de son livre « Affaires africaines » fit l’effet d’une bombe : il avait osé ! Alors qu’à propos des « pays du champ » c’est-à-dire ces pays d’Afrique francophone qui entretenaient tous des relations particulières avec Jacques Foccart la presse française se montrait extraordinairement prudente, Péan, avec fougue et courage, avait porté le fer dans la plaie, révélé les petits arrangements entre amis et surtout les formidables bénéfices que la France – le budget de l’Etat ou les grandes entreprises - avait tiré de son ancien empire si peu décolonisé. A l’époque, Péan, journaliste d’investigation « chevalier de la plume » comme on dit au Congo, était une icône pour tous ses jeunes confrères qui suivaient ses démêlés avec le président du Gabon Omar Bongo ou le président du Congo Brazzaville, dévoraient son enquête sur le crash de l’avion d’UTA en plein désert libyen et rêvaient de le suivre sur ces pistes où se croisaient barbouzes, opposants politiques ou héros révolutionnaires…
En 1994 cependant, deux évènements firent basculer la vie de Pierre Péan : le premier, auquel il ne s’intéressa pas beaucoup au départ, c’est le génocide au Rwanda. Et le second, qui conforta sa notoriété et lui permit de récolter un grand succès éditorial, fut la parution de « Une jeunesse française » où il apparaissait que le président Mitterrand, l’homme à la rose, avait aussi été l’ami de Bousquet et n’avait jamais renié ses relations pétainistes. Grâce à Bruno Delhaye, ami de longue date et conseiller à l’Elysée, Pierre Péan avait obtenu un accès privilégié au chef de l’Etat qui lui avait confié ses archives personnelles, peut-être dans l’intention d’allumer un contre feu pour torpiller un autre ouvrage beaucoup plus incisif, rédigé par une historienne indépendante. Publié chez Fayard, « Une jeunesse française » secoua le pays et jeta une lumière nouvelle sur l’équivoque jeunesse du chef de l’Etat mais d’une certaine manière, l’attaque avait été circonscrite, l’incendie avait été maîtrisé. De sa rencontre avec François Mitterrand, Pierre Péan était sorti subjugué, ébloui : « c’est l’homme le plus intelligent, le plus captivant que j’aie jamais rencontré ».
L’investigateur, le bretteur de la Françafrique, avait soudain perdu le tranchant de sa plume et quelques années plus tard, Péan s’avérait incapable de mettre en cause la parole de François Mitterrand à propos du Rwanda. Car Bruno Delhaye, conseiller Afrique au moment du génocide, lui avait subtilement permis de renvoyer l’ascenseur en lui confiant l’accès aux documents disponibles, à la Défense, au Quai d’Orsay, et bien sûr à l’Elysée…Pierre Péan connaissait déjà le Burundi et le Zaïre de Mobutu, il découvrit le Rwanda par les yeux d’un chef de l’Etat gravement atteint par la maladie et par les dires de ses proches conseillers qui voulaient que l’histoire soit écrite à leur manière. « Pourquoi devrais je me rendre sur le terrain, alors que je dispose déjà de toutes les informations ? » nous déclarait Péan tout à son « enquête », qui déboucha sur un livre, « Noires fureurs, Blancs menteurs » qui devint la Bible de tous les révisionnistes et contribua à alourdir le chagrin des victimes.
Depuis lors, nous ne nous sommes plus revus, mais le souvenir qui demeure est celui d’un journaliste qui fut le premier à briser les tabous qui entouraient les relations entre la France et l’Afrique, une sorte de cow boy qui menait seul ses chevauchées et assumait autant ses engouements que ses inimitiés…