Fiche du document numéro 24654

Num
24654
Date
Samedi 15 avril 2006
Amj
Taille
154858
Titre
L'éternelle quête des sources du Nil
Sous titre
Après avoir bravé rapides, marécages et guérilla, des explorateurs prétendent avoir localisé, au Rwanda, le lieu de naissance du fleuve mythique, recherché depuis la Haute Antiquité.
Nom cité
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Source
Type
Langue
FR
Citation
C'est un filet d'eau qui sourd de terre, à 2 428 mètres d'altitude, sur les hauts plateaux rwandais. Un écoulement de trois fois rien. A peine un ruisselet fangeux. Mais il suffit à relancer une quête plurimillénaire où le mythe se mêle à l'histoire : celle, jamais tarie, de la source du Nil.

Deux Néo-Zélandais, Cam McLeay et Garth MacIntyre, âgés de 43 ans, et un Britannique, Neil McGrigor, âgé de 44 ans, pensent l'avoir localisée au sud du Rwanda, dans le parc national de Nyungwe, qui abrite l'une des plus grandes forêts primaires d'Afrique de l'Est. Les trois explorateurs, partis de l'embouchure du fleuve, près d'Alexandrie (Egypte), le 20 septembre 2005, ont remonté le cours du fleuve à bord de canots pneumatiques, guidés par des images satellitaires et un GPS.

Commencée comme une partie de plaisir durant la traversée de l'Egypte, l'équipée, racontent-ils, s'est faite plus mouvementée au Soudan, où il leur a fallu affronter les rapides, puis braver les marécages infestés de crocodiles, les cobras et les essaims de moustiques.

L'expédition a viré au drame quand, ayant atteint le sud de l'Ouganda, début novembre, elle a été attaquée par des rebelles de l'Armée de résistance du Seigneur (LRA). Au cours de l'accrochage, un Britannique, Steve Willis, 38 ans, qui avait rejoint les trois hommes, a été tué, ses compagnons blessés.

Le temps de surmonter l'épreuve, et ceux-ci ont repris leur progression, en mars 2006. Pour parvenir finalement au coeur d'une épaisse forêt jusqu'ici connue pour la richesse de sa flore (200 essences forestières et plus de 100 orchidées différentes) et la diversité de sa faune (13 espèces de primates), au bord d'un modeste trou d'eau.

C'est là, sont-ils convaincus, que prendrait naissance le deuxième plus grand fleuve de la planète après l'Amazone. Long, selon leurs calculs, de 6 718 kilomètres, soit 47 de plus que les 6 671 kilomètres annoncés par toutes les encyclopédies. Voilà qui fait sourire Robert Collins, historien américain spécialiste du Nil, pour qui quelques kilomètres en plus ou en moins ne changent pas la face du monde. « Ces types ont fait ça pour l'aventure, et je trouve ça très bien », commente-t-il.

Un sentiment partagé par le journaliste-archéologue français Bernard Nantet, auteur d'une Histoire du Nil (Editions du Félin, 2005) : « C'est une belle aventure, un formidable exploit, même, que d'avoir remonté le fleuve. Pour le reste, j'attends de savoir ce qu'en diront les géographes et les géomètres. »

Toute la question, ajoute-t-il, est de savoir ce que l'on entend par « source ». Car le Nil n'a pas une seule, mais plusieurs sources, qui doivent autant à la géopolitique qu'à la stricte topologie. La plus lointaine se trouve au sud du Burundi, sur le mont Kizizi, à 2 050 mètres d'altitude. Appelé successivement Luvironza, puis Ruvubu (« la rivière aux hippopotames »), ce torrent rencontre la Nyabarongo, née au Rwanda dans les monts Mifumbiro, à plus de 3 000 mètres d'altitude, et beaucoup plus abondante. Ce qui permet au Burundi et au Rwanda de revendiquer chacun « sa » source, avec l'avantage de la distance pour le premier, du débit pour le second.

Réunis, les deux cours d'eau prennent alors le nom de Kagera (« la profonde »), la plus grosse des rivières qui alimentent le lac Victoria. Ce réservoir lacustre, le plus vaste d'Afrique, s'épanche, par les chutes de Rippon et d'Owen, jusqu'au lac Albert, en swahili Luta Nzigé, « la clarté qui tue les sauterelles ». Cette vasque, où se déversent les eaux du lac Edouard, lui-même exutoire du lac Georges, fait aussi partie des candidats au titre de source du Nil.

Dévalant ensuite en flots impétueux dans les plaines du Soudan, sous le nom arabe de Bahr el-Djebel (« le fleuve des montagnes »), le Nil se gonfle du Bahr el-Ghazal (« la rivière des gazelles »), avant de ressortir du lac No, épuré et filtré, sous l'appellation de Bahr el-Abiad, « le Nil blanc ».

Celui-ci rejoint enfin, à Khartoum, le puissant Bahr el-Azrak, « le Nil bleu », sauvage torrent né dans les montagnes d'Ethiopie, près du lac Tana, à 2 700 mètres d'altitude. C'est à lui que l'Egypte doit l'essentiel des eaux fertilisant ses rives et cette source éthiopienne s'ajoute donc à la liste des prétendantes.

Encore faut-il mentionner, complète Bernard Nantet, une source oubliée : le lac Turkana, entre le mont Kenya et le massif éthiopien. Les perches et les crocodiles qui le peuplent toujours, ainsi que les papyrus qui couvrent ses berges, semblent attester que cette longue étendue d'eau communiquait autrefois avec le Nil, avant que des mouvements tectoniques ne l'isolent et ne la transforment en mer morte.

La recherche de l'ombilic du grand fleuve ne s'arrêtera sûrement pas là. Depuis la Haute Antiquité, elle alimente croyances, rêves et passions. Les habitants de l'Egypte ancienne, émerveillés devant le miracle de ce fleuve nourricier, assimilent ses crues à la divinité Apis, figure androgyne à la mamelle pendante, parfois représentée avec, dans les mains, deux aiguières d'où s'écoule l'eau bienfaitrice.

Le Nil est à leurs yeux une résurgence de l'océan primordial, jaillissant par deux sources : l'une, pour la Basse-Egypte, à Héliopolis, non loin de l'actuelle ville du Caire ; l'autre, pour la Haute-Egypte, au débouché de la première cataracte, près de l'île Eléphantine, siège du dieu Khnoum à tête de bélier, symbole de fécondité pour ces populations de pasteurs établis sur les bords du fleuve.

Les Romains, devenus maîtres du pays à la veille de notre ère, poussent plus avant. Sous le règne de l'empereur Tibère, ils remontent le fleuve jusqu'à la cité nubienne de Napata, au pied de la quatrième cataracte, qu'ils mettent à sac.

Néron, à son tour, envoie deux centurions en éclaireurs qui, passé Khartoum, suivent probablement le Nil blanc, avant d'être stoppés par « d'immenses marécages impénétrables aux piétons et aux barques ». Des pèlerins franciscains au Moyen Age, puis des jésuites, empruntent la piste du Nil bleu, jusqu'en Abyssinie.

Il faut attendre le XIXe siècle, avec l'expansion des empires coloniaux, pour que l'explorateur anglais John Hanning Speke, parti de Zanzibar, parvienne, en 1858, jusqu'à l'ample formation lacustre que les indigènes appellent Nyanza (« étendue liquide ») et qu'il rebaptise du nom de sa souveraine, la reine Victoria.

Quelques années plus tard, ses compatriotes Samuel et Florence Baker découvrent le lac Luta Nzigé, qu'ils renomment Albert, époux de Victoria. Pour la couronne britannique, désireuse d'établir son emprise « du Cap au Caire », le lac Victoria prend valeur de symbole et restera la seule et unique source du Nil.

Mais les Allemands, eux aussi, étendent leurs colonies en Afrique orientale : en 1892 et 1898, Oscar Bauman et Richard Kandt poussent les repérages plus en amont et identifient les sources burundaise et rwandaise du fleuve.

A défaut de trancher la question, la récente expédition anglo-néo-zélandaise « porte le coup de grâce à l'axiome très british et très impérialiste faisant du lac Victoria l'origine du Nil », observe Bernard Nantet.

Cette querelle des sources se nourrit aujourd'hui d'un autre enjeu : celui du partage des eaux d'un fleuve qui, arrosant une dizaine de pays, abreuve 100 millions d'individus.

Jean-François Augereau et Pierre Le Hir

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