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Vingt-cinq ans après l’opération Turquoise, l’armée française, accusée de partialité, voire de complicité de génocide au Rwanda, défend haut et fort « l’honneur » de ses soldats et revendique sa « vérité ». « Depuis cette affaire du Rwanda, la France et son armée sont attaquées de façon tout à fait injuste », a déploré le chef d’état-major des armées d’alors, l’amiral Jacques Lanxade, lors d’un colloque inédit réunissant des hauts gradés, le 14 juin aux Invalides à Paris.
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« L’action de la France a été tout à fait exemplaire (…). Ce que les soldats français ont fait est digne des plus grands éloges », a-t-il estimé, tout en concédant qu’il « faudra du temps » pour « restaurer leur honneur ».
Le 22 juin 1994, deux mois après le début du génocide des Tutsi, l’ONU donne son feu vert à la France pour une opération militaire à but humanitaire baptisée Turquoise. Sa mission ? « Contribuer, de manière impartiale, à la sécurité et à la protection des personnes déplacées, des réfugiés et des civils en danger au Rwanda ».
« Je suis très fier d’avoir été un des soldats de Turquoise ! », renchérit l’actuel chef d’état-major des armées, le général François Lecointre, engagé alors comme capitaine au Rwanda.
« On doit lutter très fermement pour ne pas laisser dire que des choses fausses, tout simplement pour dire la vérité, dire notre vérité, pour se défendre contre les jugements a posteriori r», a-t-il souligné au colloque.
– Dure réalité –
L’opération Turquoise va mobiliser 2.500 soldats français jusqu’au 22 août et créer une « zone humanitaire sûre » dans le sud-ouest du pays.
Elle freine aussi de facto la progression des rebelles à majorité tutsi du Front patriotique rwandais (FPR), arrivés en 1990 de l’Ouganda anglophone et qui finissent par s’emparer de Kigali le 4 juillet, mettant fin au génocide.
Le chef du FPR Paul Kagamé, au pouvoir depuis cette date, accuse Paris d’avoir armé, soutenu et protégé le pouvoir hutu, se rendant complice des tueries.
L’armée française a notamment été accusée par des survivants d’avoir tardé à secourir des centaines de Tutsi qui ont été massacrés sur les collines de Bisesero, fin juin 1994. Les juges ont clos leurs investigations en France sans prononcer d’inculpation, ouvrant la voie à un non-lieu.
En France, témoins et historiens pointent aussi les zones d’ombre de la politique française. Le président François Mitterrand est soupçonné d’avoir longtemps soutenu les Hutus par crainte d’une expansion de la sphère anglo-saxonne.
Pour le général Lecointre, qui défend « la très grande noblesse » de l’opération Turquoise, la situation sur place revêt alors une « extraordinaire complexité ».
Les soldats français découvrent une dure réalité qui les dépasse. « Très rapidement une forme de malaise s’installe. Les gens qui nous acclament ne sont pas ceux que nous venons aider », raconte le colonel Loïc Mizon, déployé alors depuis la Centrafrique.
« On doit s’occuper de ceux cachés en forêt, dans les marais » pour échapper à l’engrenage génocidaire, poursuit l’officier. « De chaque tas de terre sortaient des os ». « Des foules tentaient de quitter le Rwanda » vers le Zaïre (aujourd’hui la République démocratique du Congo), ajoute-t-il.
– « Nous les avons escortés poliment » –
Les détracteurs de l’armée française, dont l’ancien capitaine Guillaume Ancel, tiennent un tout autre discours.
« C’est l’histoire d’un déni. Un déni de démocratie, un déni de réalité, un déni de la vie », a accusé l’ex-officier lors d’un débat en mars à Sciences Po Paris.
Selon lui, les soldats français ont d’abord reçu des ordres pour « arrêter par la force l’avancée des soldats du FPR » face aux Forces armées rwandaises (FAR), qui avaient été « formées et équipées » par la France.
« Pourquoi ne pas avoir arrêté les génocidaires? Pourquoi avoir engagé une puissance de feu si importante pour une opération humanitaire ? », a fait écho le journaliste Laurent Larcher, auteur du livre « Rwanda, ils parlent ».
« A l’époque, quand on parle de génocide, (dans les sphères politiques françaises) on détourne le regard », affirme Guillaume Ancel. « La zone humanitaire protège les génocidaires. Nous les avons escortés poliment jusqu’à la frontière du Zaïre », ajoute-t-il.
Pour le général Lecointre, la réalité a un tout autre visage: « Il n’y a pas de gentil, pas de méchant, il y a un déchaînement de violence, il y a la mort partout ».
« La France a accepté d’assumer sa responsabilité (en intervenant), elle est aujourd’hui considérée, quoi qu’il arrive, comme responsable même d’un mal qu’on n’a pas fait », regrette-t-il.