Fiche du document numéro 24625

Num
24625
Date
2019
Amj
Auteur
Taille
31234
Titre
La découverte de Bisesero [Transcription française d'une vidéo]
Type
Langue
EN
Citation
Bonjour, mon nom est Sam Kiley. Je suis journaliste. Au moment du massacre de Bisesero, j’étais le correspondant Afrique du Times basé à Johannesburg.

La raison pour laquelle nous avons pu découvrir ce qui s’est passé à Bisesero
est que le 25 ou le 26 juin, j’étais à Kibuye avec un collègue Scott Peterson
du Daily Telegraph lui aussi en reportage sur les massacres qui se passaient
là-bas.

Et pendant que j’étais là-bas, j’ai croisé un prêtre franciscain nommé Vjeko
Curic, qui escortait le nonce papal, l’ambassadeur du Vatican dans la partie
occidentale du Rwanda et qui essayait de le convaincre qu’un génocide était
effectivement en train de se dérouler ici au Rwanda.

Je connaissais Vjeko de précédents reportages au Rwanda. Vjeko m’a parlé et
indiqué clairement la route vers Bisesero et il m’a dit que des massacres de
Tutsi continuaient à avoir lieu là-bas.

C’était une information incroyable, car d’après ce que nous savions, il n’y
avait quasiment plus de Tutsi vivants au Rwanda, tous avaient été tués ou
avaient fui.

Donc découvrir des poches importantes de Tutsi vivants était un scoop et un
gros sujet.

Ma voiture était abîmée, nous y sommes allés, nous sommes arrivés à l’aurore le
lendemain ou le jour-même.

Je me rappelle très clairement des indications qu’il m’avait données. Nous avons trouvé facilement. Nous avons monté un kilomètre sur cette route peut-être moins, peut-être 4 ou 500 mètres. Nous sommes passés à côté de maisons en flamme. La nuit tombait. Il y avait des Interahamwe dans les rues ou sur la route de chaque côté de la voiture avec des lances et des machettes. Il était clair que les massacres continuaient. Puis il y a eu des tirs au-dessus de notre voiture.

J’avais Scott Peterson qui était à moitié délirant à cause du paludisme, donc
nous avons décidé de faire demi-tour et je l’ai ramené pendant la nuit et le
jour suivant à Gisenyi puis à Goma où j’ai aussi fait réparer ma voiture.

Mais sur la route, ça devait être le 26, il faut que je vérifie mes notes, que
malheureusement je n’ai pas avec moi, nous avons rencontré une équipe des
forces spéciales françaises qui allait vers le sud accompagnée par des
journalistes. Parmi eux, il y avait CNN, pour qui je travaille maintenant, CNN était là-bas.

J’ai arrêté le convoi, j’ai parlé avec l’officier responsable qui, je pense,
était colonel. J'ai insisté auprès de lui pour qu’il m’écoute quand je lui ai
décrit ce que j’avais vu.

Je lui ai montré l’endroit exact que j’avais marqué sur ma carte du Rwanda. Je
lui ai dit : « C’est une zone où vous devez aller et y aller maintenant car des
Tutsi se font tuer et je crois qu’il y en a beaucoup ».

Cet incident a été filmé par CNN, je ne sais pas si cela a été diffusé à la
télévision.

Après je suis rentré à Goma, j'ai fait réparer ma voiture, et j'ai passé la
nuit à Goma.

Je suis retourné à Gishyita, qui était le hameau le plus proche de
l’embranchement vers Bisesero. Par hasard ou non, j'ai trouvé une unité des
forces spéciales françaises, différente de celle que j’avais informée la
veille. Commandée par l’homme qui s’est révélé… a dit s’appeler Marin Gillier.
Il faisait partie d’un commando de marine. Les Français, je dois le préciser,
partout au Rwanda pendant l’opération Turquoise étaient convaincus que je
faisais partie des forces spéciales britanniques ou le MI6 ou les deux.

Ça m’a un peu compliqué la vie parfois, mais d’autre fois, comme ils voulaient me garder à l’oeil, ils toléraient ma présence. Cela est lié, je l’ai compris plus tard, au syndrome de Fachoda, ou une obsession militaire française qui voit derrière le FPR, le mouvement rebelle dominé par les Tutsi, une sorte de complot anglophone. Expliqué par un journaliste français, ça me semblait incroyable, mais ce que je voyais sur le terrain c'était exactement cela.

Donc nous somme arrivés à Gishyita, et sommes allés - j’étais avec Dominic
Cunningham-Reid qui était reporter free-lance … photographe pour Associated
Press.

Nous sommes arrivés à Gishyita en fin d’après-midi, vraisemblablement le 27,
sur la séquence des évènements c’est clair, sur les dates non.

Aucun journaliste n’avait été à Bisesero à ce moment-là, personne n’en avait
entendu parler. Donc je n’étais pas au courant de ce qui se passait.

Nous avons rencontré cette petite unité de commandos de marine et ils étaient
avec d’autres militaires. Il y avait aussi des parachutistes et des gendarmes
du GIGN. Nous sommes arrivés à leur camp et avons demandé si l’on pouvait camper
avec eux par sécurité dans un… Ils campaient dans d’anciens bâtiments d’école
ou quelque chose du genre.

Et Marin Gillier a dit « Oui » et nous avons campé là, préparé notre nourriture
et ils nous ont dit que nous ne pouvions pas aller aux alentours car ils
allaient lancer une opération le lendemain.

Donc nous nous sommes levés plus tôt qu’eux. Et sur une intuition, je suis monté en
voiture en direction de Bisesero, au-delà, non, pas tout à fait, juste à
l’endroit, peut-être un peu avant l’endroit où j’étais allé, qui est situé dans
un virage très marqué de la route et j’ai attendu pour voir si le message que
j’avais passé aux forces françaises de venir et sauver ces Tutsi survivants
était bien passé.

Ils sont bien arrivés une heure plus tard et sont passés devant moi dans un
petit convoi de jeeps avec des hommes des forces spéciales.

Ils avaient plutôt un armement lourd, équipement d’infanterie classique, mais
ils avaient des roquettes anti-char ce qui n’est pas anodin.

En passant devant nous l’un d’eux a furtivement levé le pouce, peut-être en admiration du fait que j’avais deviné où ils allaient. C’était en fait une supposition et le hasard. Néanmoins, ils sont passés et nous avons suivi l’arrière de leur convoi. Ils sont passés à travers les zones de massacre. Ils ont été bien au-delà de là où les Tutsi étaient encerclés. Jusqu'en haut de la colline, où ils ont poireauté un moment.

A un moment, Marin Gillier s’est glissé derrière moi et m’a fouillé pour
vérifier que je n’avais pas d’armes. Il était encore convaincu que j’étais des forces spéciales britanniques, ce que je suis pas.

Et il y avait à ce moment, je ne suis pas sûr de quand ils sont arrivés ou nous
ont trouvés, une petite équipe de Paris Match, qui venait enquêter. Ils sont arrivés et nous étions au sommet de cette colline et ils parlaient avec les Interahamwe et
les militaires restants des FAR.

Je parlais à Paris Match… Et il y avait un hélicoptère qui amenait de la nourriture au sommet de cette colline pour les Interahamwe, ce qui m’a horrifié, j’étais totalement stupéfait.

Donc j’ai dit aux militaires et aux journalistes français « ces hommes sont
dans le mauvais camp et ils ne comprennent foutrement rien à ce qui se passe.
Ce qui est important se passe là-bas ». Et j’ai pointé vers le bas vers le site
où je savais que les massacres se déroulaient.

Donc je suis redescendu en voiture en emmenant l’équipe de Paris Match avec nous. En descendant, c'est sûr, nous avons trouvé des enfants. J’ai trouvé un enfant qui avait le sommet de son crâne découpé et manquant, encore en vie. Le sommet du crâne manquait comme un oeuf. Il y avait des corps partout, en particulier en remontant la colline vers la gauche, c’était horrible. Il y avait des gens avec des blessures récentes, d’autres avec de vieilles blessure pourries, des corps en décomposition, des corps récents.

Il n’y avait aucun signe des Interahamwe à ce moment, pas de signes manifestes
à part ceux qui étaient en train de parler avec les militaires français en haut
de la colline.

De ce que je me rappelle, pendant que j’étais en bas, les gens de Paris Match étaient choqués par ce qu’ils voyaient. Ils sont remontés sur la colline et ont trouvé deux parachutistes, et deux gendarmes du GIGN, ils les ont fait descendre pour leur montrer ce qu’ils avaient vu.

Je sais que les paras français avaient des bérets rouges et les gendarmes avaient des uniformes différents, des bérets différents. Ils sont venus en bas et nous leur avons montré ce que nous voyions et ils ont dit qu’ils remontaient sur la colline pour rapporter à leur officier ce qu’ils avaient trouvé et qu’il y avait des massacres en cours.

Quelques survivants Tutsi que l’on rencontrait, il y en a un ou deux qui sont sortis des buissons pour nous parler et nous dire ce qui se passait. Ils sont retournés se cacher. Il y a eu beaucoup d’aller-retours parmi les troupes françaises, alors qu’ils remontaient sur la colline d’autres descendaient, d’autres remontaient vers le sommet pour faire leur rapport par radio. C’est ça.

Donc les premières personnes qui sont descendues avec les paras, ils ont appelé à la radio. Deux gendarmes de plus sont descendus. Après ils sont remontés, les paras sont remontés car ils n’avaient pas de réponse à la radio. Finalement après plusieurs heures, Marin Gillier et son équipe sont descendus et ont clairement réalisé ce qui se passait, quels qu'aient été ses ordres. Et il m’a dit qu’ils étaient là pour stopper le FPR. Et que ça allait être dangereux au sommet de la colline et que nous ne devions pas traîner par là car il allait y avoir des combats à cause du FPR qui était proche, ce qui était vrai, et qu’il avait ordre de les stopper.

On avait dit à la plupart de ses hommes qu’ils allaient se battre contre le FPR, qui était derrière les massacres. Ils ont été salement désinformés sur presque tout. Ils sont finalement descendus, ont réalisé l’étendue du problème. Les médias étaient de plus en plus présents. Dès la fin de la journée les Français avaient commencé à arriver avec du renfort par hélicoptères.

Incidemment, j’ai fait une photo qui est au musée du génocide de Kibuye je
crois, mon nom n’est pas mentionné, mais un universitaire canadien l’a
découverte. C’est une photo des survivants Tutsi qui se sont regroupés. Des
centaines et des centaines d’entre eux sont rassemblés sur le flanc de la
colline le long de de la route, cherchant de l’aide. Et les Interahamwe sont
passés avec deux véhicules sur cette route, ils venaient rencontrer d’autres
troupes françaises qui étaient encore au sommet de la colline.

Mais les militaires français qui étaient plus bas avec les victimes du massacre
et les survivants ont pointé leurs roquettes anti-char contre les Interahamwe
qui souriaient et saluaient les Français en passant.

Cette photo est particulièrement significative car on y voit le ces Tutsi qui
avaient l'air désespérés observant leurs tueurs qui passent, maintenant
protégés par les troupes françaises. Assez vite les troupes françaises ont
commencé à amener du ravitaillement aux Tutsi en disant qu’ils allaient évacuer
les blessés les plus graves par les airs vers Goma. Et c’est comme ça que les
Français ont découvert qu’ils sauvaient des gens à Bisesero.

Ils auraient pu et dû intervenir plusieurs jours avant.

Il était clair pour moi que leurs ordres n’étaient absolument pas une
intervention humanitaire en défense des victimes du génocide, mais était pour
arrêter la progression tutsie si elle avait lieu.

Pendant que j’étais à Goma, en fait, j’ai rencontré des membres du 11e Choc, le
service action de la DGSE qui étaient aussi convaincus de cela et même plus,
qu’au sein du FPR il y avait des forces spéciales britanniques ou des
mercenaires britanniques, ce que je n’ai jamais pu voir. Mais encore une fois
cela renforçait leur opinion selon laquelle je faisait partie de cette
conspiration.

Voilà, c’est vraiment l’histoire de la découverte de Bisesero en détails.

En résumé, j’ai été tuyauté par un prêtre franciscain, Vjeko Curic.
Dans les 24 heures j’en ai parlé aux militaires français, des troupes
françaises qui allaient vers le sud depuis Goma. 24 heures ou 36 heures plus
tard, j’étais avec une unité différente à Gisenyi. En gros, je les ai forcés à
intervenir en montrant le site du massacre à Paris Match qui a utilisé la
pression médiatique pour obtenir une réponse de Marin Gillier, ses officiers et
ses hommes.

Je dois dire que les parachutistes et les gendarmes qui ont été les premiers à
descendre regarder ce que nous avions découvert avaient l’air absolument
bouleversés par ce qu’ils ont vu.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024