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Num
24416
Date
Mardi 16 avril 2019
Ymd
Size
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Colloque “La Compétence universelle et le génocide des Tutsi au Rwanda”
Title
Le génocide rwandais, 25 ans plus tard. Quelles certitudes, quelles questions ?
Source
Type
Conférence
Language
FR
Citation
Association française pour la Promotion de la Compétence universelle (AfpcU)
Paris, Maison du Barreau, mardi 16 avril 2019
Colloque
“La Compétence universelle et le génocide des Tutsi au Rwanda”
Intervention de Johan Swinnen, ancien ambassadeur de Belgique au Rwanda
(août 1990 - avril 1994)
“Le génocide rwandais, 25 ans plus tard
Quelles certitudes, quelles questions?”
L.S.,
Je vous remercie de me permettre d’apporter ma petite pierre à votre débat.
C’est peut-être même souhaitable…
Mais c’est vous qui en jugerez!
En effet, lorsqu’on aborde la question rwandaise, on sait que l’on s’engage assez
rapidement dans un débat complexe et difficile, que ce débat risque de
s’échauffer, de dégénérer, de nourrir des antagonismes, de susciter des
controverses politiques, de gâcher des relations humaines, …
Je me réjouis donc avec vous que cette assemblée ait pu travailler dans une
atmosphère sereine.
Parce qu’un débat ouvert, respectueux et tolérant est utile et nécessaire.
Comme témoin de la période pré-génocidaire (1990-94), que j’ai relatée in
extenso dans mon livre ‘Rwanda, mijn verhaal’ (Rwanda, mon histoire, mon
récit), je ne peux sous-estimer le risque qu’un passé non ou mal assimilé
hypothèquerait cet avenir.
Je vous le dis d’emblée. Une des raisons pour lesquelles j’ai écrit ce livre est un
sentiment de frustration. L’histoire du Rwanda des années 90-94 est parfois mal
contée, partialement ou partiellement, manquant souvent de nuance, soufrant
de simplismes polarisants, d’indignation sélective, de contre-vérités, voire
même de désinformation et de fantasmes.
J’ai côtoyé les forces positives ét les forces négatives.
Je me suis engagé corps et âme, au premier rang souvent, de concert avec mes
autorités, avec de nombreux acteurs rwandais et étrangers du monde politique,
diplomatique, économique, culturel, religieux. Avec l’espoir, la conviction que la
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dynamique de la paix allait finalement l’emporter, que les forces modérées
allaient avoir raison des extrémistes.
I was a believer!
*
Aujourd’hui, beaucoup d’efforts sont encore nécessaires pour nous rapprocher
de la vérité, de la justice ensuite, pour déclencher une véritable dynamique de
réconciliation, sans laquelle un développement durable ne sera pas possible.
Vous me permettrez que j’évoque rapidement les ingrédients qui selon moi ont
fait déraper un processus de paix et de réforme, un processus de réconciliation
et de libéralisation, de démocratisation, de partage du pouvoir. C’étaient les
défis majeurs auxquels le Rwanda se trouvait confronté depuis la première
invasion du FPR le 1er octobre 1990. Je venais d’arriver, à la mi-août.
D’importantes réformes libérales furent réalisées en relativement peu de
temps.
La révision constitutionnelle fut adoptée dès juin 1991.
Elle produisit une véritable éclosion d’émancipation politique et civique.
Plus de douze partis politiques furent reconnus, à un moment donné on
comptait près de quarante titres de journaux, de magazines, et de publications
éphémères.
Les associations de presse et des droits de l’homme répondaient également aux
exigences du pluralisme démocratique.
Les accords de paix d’Arusha, signés en août 1993, réglaient en détail le partage
politique et militaire et prévoyaient des élections endéans les 22 mois.
Les deux dynamiques, celles de la paix et des réformes, se légitimaient et se
renforçaient mutuellement.
Elles allaient aller de pair, hélas, avec des dérapages dramatiques:
des violations successives des cessez-le-feu entraînant le déplacement de
centaines de milliers de paysans,
une presse ultra menant des campagnes de haine comme celle de la Radio
Télévision Libre des Mille Collines (RTLM),
sans compter les massacres massifs, les assassinats politiques ciblés, la
formation de milices sauvages, les distributions d’armes.
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Le président et surtout sa belle-famille étaient soupçonnés d’organiser des
escadrons de la mort.
Déjà dans les premiers jours d’octobre ’90, immédiatement après la première
invasion du FPR, le régime organisait un simulacre de combats dans la capitale
pour justifier des razzias et l’arrestation de plusieurs milliers de Rwandais,
essentiellement Tutsis, accusés d’ “intelligence avec l’ennemi.” Pour sa part, le
chef des rebelles, le Major et président actuel Kagame, se vit reprocher de
favoriser la radicalisation en lançant régulièrement de nouvelles attaques qui
élargissaient le territoire qu’il contrôlait.
A la veille du génocide, près d’un million de personnes déplacées – un Rwandais
sur sept – vivaient reclus dans des camps, dans des conditions humainement
inacceptables.
L’implosion du centre démocratique modéré et la polarisation radicale des
forces politiques trouvaient une explication partielle - mais non pas une
justification - dans certains éléments des accords d’Arusha eux-mêmes.
Ceux-ci prévoyaient, par exemple, un partage du pouvoir militaire
incontestablement avantageux pour le FPR.
Le mouvement Hutu Power organisait la résistance contre une nouvelle
domination des Hutus par la minorité Tutsi, en instituant les milices
Interahamwe, et en procédant à la distribution d’armes parmi la population qui
lui était acquise.
L’extrémisme qui s’échauffait s’enflamma en octobre 1993 lors de l’assassinat
du président du Burundi, le Hutu Melchior Ndadaye.
Celui qui incarnait les vertus de la démocratisation en cours se vit éliminer
physiquement par des militaires Tutsi cinq mois à peine après sa victoire
électorale éclatante.
Cette tragédie porta un véritable coup de massue au processus en cours au
Rwanda. “Comment voulez-vous, me lança un Habyarimana outré, que nos
citoyens gardent confiance dans la paix et la démocratie que nous avons
négociées à Arusha, tandis que chez nos voisins une dynamique similaire n’a
pas survécu plus de cinq mois.”
*
Beaucoup de questions pèsent encore sur le dossier complexe et difficile du
Rwanda.
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-Comment autant de Rwandais se sont-ils laissé entraîner dans une
radicalisation hallucinante? Qui tirait profit de ce que tant de Rwandais
tombent dans ce piège? Existait-il des plans diaboliques à côté desquels
Machiavel passerait pour un enfant de chœur?
-Si le 1er octobre 1960 le FPR était venu négocier au lieu de recourir à la force
armée et d’envahir le pays, l’histoire du Rwanda aurait-elle suivi un autre cours?
Des conversations exploratoires étaient en effet prévues à Kigali, , sous les
auspices du HCR des Nations-Unies .
-Qui a organisé le coup et tiré le missile fatal contre l’avion présidentiel?
-Pourquoi une enquête indépendante et internationalement mandatée n’a-t-elle toujours pas été diligentée? Quelles conclusions les constats de Poux et
Trévidic permettent-ils de dégager?
-Comment juger l’attitude de la communauté internationale, des Nations Unies,
des Etats-Unis et d’autres membres permanents du Conseil de Sécurité (le
Royaume-Uni par exemple), de l’Europe, de la France, de la Belgique, sans offrir
des alibis aux premiers responsables du génocide, les Rwandais eux-mêmes?
-Pourquoi l’Europe a-t-elle échoué? Echoué? Oui, parce que la France et la
Belgique n’ont pas pu éviter l’écueil de la caricature que les extrémistes
faisaient de nos deux diplomaties respectives. N’aurions-nous pas pu peser
beaucoup plus sur le processus de paix, sur la mise en œuvre des accords
d’Arusha?
(Nous avons sans doute raison, l’obligation même de faire le procès de la
communauté internationale, mais nous devons aussi éviter de parler
exclusivement des responsabilités de cette communauté internationale).
-Et le président Habyarimana lui-même était-il responsable ou otage? Otage de
son entourage, de sa belle-famille, des Hutus durs?
Existait-il un plan pré-établi de génocide, avant le 6 avril? Le TPIR n’a pas retenu
cette thèse. Mais si ce plan a existé, Habyarimana était-il impliqué?
-Le FPR n’était-il pas en mesure de mettre plus rapidement fin au génocide?
Pourquoi Kagame était-il tellement hostile au maintien ou au retour des forces
étrangères, comme l’écrit le général Dallaire dans ses mémoires ‘Shake hands
with the devil.’?
-Quels étaient les réels objectifs de l’Opération Turquoise?
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-Qui a commis les crimes politiques de la période pré-génocidaire ?
-Les victimes du FPR sont-elles mortes à la suite de dommages collatéraux, de
crimes contre l’humanité ou pire encore? Poser ces questions ne vise nullement
à exonérer les méfaits des uns au nom d’une triste équivalence avec les méfaits
des autres.
J’ai lu le livre de Judi Rever. Je ne me permettrais pas de qualifier ses recherches
de banales, légères ou peu approfondies. Elles doivent être prises au sérieux.
Ces questions visent à établir la vérité, qui seule peut guérir.
Ce sont des questions qui harcèlent. Il y en a d’autres. Dans le dernier chapitre
de mon livre je me pose même la question : “dans quelle pièce avons-nous
joué?”.
*
Beaucoup de responsables politiques, d’observateurs ou de chercheurs
n’hésitent pas à donner des réponses tranchées à ces questions. Mes voisins ici
autour de la table l’ont fait et je respecte leurs positions.
Quant à moi, je me borne à continuer de poser des questions restées sans
réponse satisfaisante. Je persiste à penser que l’honnêteté intellectuelle et
morale requiert déjà un certain courage.
Je m’indigne dès lors que celui ou celle qui pose une question ou souligne une
nuance est séance tenante taxé(e) de négationnisme ou de révisionnisme.
Espérons que les commémorations de ces jours se déroulent dans un climat de
respect et de tolérance. Je souhaite qu’elles soient inclusives, afin de permettre
à tous les Rwandais, à tous les hommes et toutes les femmes concernés, de
faire leur deuil dans la mesure du possible, d’honorer la mémoire de toutes les
victimes.
La recherche de la justice et de la vérité ne sera crédible que dans la mesure où
elle cultive la réflexion objective et la nuance et s’interdit toute accusation
tendancieuse ou légère, toute indignation sélective, toute présentation
unilatérale et incomplète, tout simplisme polarisant.
Je partage l’espérance et l’ambition des Rwandais. Il serait bon que la stabilité
apparente du pays soit construite sur des fondations solides et durables et que
les leaders et la population se reconnaissent progressivement dans un large
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consensus, qui garantisse le bien-être, la sécurité et le développement de tous
les Rwandais, sans aucune distinction.
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