Fiche du document numéro 24326

Num
24326
Date
Jeudi 18 avril 2019
Amj
Taille
531173
Titre
Transcription de la soirée « débat et signature autour du livre Un génocide pour l'exemple »
Sous titre
Hubert Védrine : « Comme je ne suis pas du tout hostile à l’ouverture des archives, je suis plutôt content que les gens voient que les accusations sont infondées ».
Nom cité
Nom cité
Fonds d'archives
Commentaire
We have the audio recording of this evening.
Type
Conférence
Langue
FR
Citation
Hubert Védrine : « Comme je ne suis pas du tout hostile à l’ouverture des archives – d’ailleurs, je ne les connais pas –, d’autant que les chefs militaires français ne sont pas hostiles, je suis plutôt content de pouvoir enfin…, que les gens voient que les accusations sont infondées »

Transcription de la soirée « débat et signature autour du livre Un génocide pour l’exemple », qui s’est tenue le 18 avril 2019 en présence de Fabrice Epstein, Hubert Védrine et Alexis Lacroix.

*

ASSIS DE GAUCHE A DROITE : HUBERT VEDRINE, ALEXIS LACROIX ET FABRICE EPSTEIN.

NB. – Les principaux bégaiements ont été supprimés. A noter également que la présente transcription ne tient pas compte des premières secondes du début de la rencontre.

[Début de la transcription]

Alexis Lacroix (journaliste à L’Express) : Face à lui ou à côté de lui plutôt, Fabrice Epstein. Vous êtes avocat au barreau de Paris et vous signez cette enquête absolument passionnante Un génocide pour l’exemple, consacrée bien sûr au Rwanda et au degré discuté, débattu, d’une culpabilité éventuelle de la France dans ce génocide. Vous allez nous expliquer ce qu’il en est réellement d’ailleurs, au-delà justement, peut-être, des affrontements idéologiques qui ont trop souvent lieu aujourd’hui. Alors nous allons tout d’abord, peut-être, vous présenter les arguments en présence. Et puis dans un second temps, on prendra évidemment quelques-unes de vos questions parce que, comme vous êtes nombreux, il y aura forcément beaucoup de questions qui émaneront de ces débats. Alors, je vais commencer avec une question au fond très simple, pour l’un comme pour l’autre : pourquoi, Hubert Védrine, est-il d’après vous si difficile, aujourd’hui, de parler d’une manière, on va dire, apaisée du Rwanda ?

Hubert Védrine : On ne peut pas parler de façon complètement apaisée sur un drame aussi effrayant que ce génocide. Donc, on peut comprendre d’une certaine façon que ça ne soit pas apaisé. Mais on pourrait en parler de façon objective, rationnelle, historique et documentée. Après… En réalité, je ne sais pas ! Je ne sais pas pourquoi. Je vois qu’il y a un certain nombre de gens de différents milieux, pas tellement politiques d’ailleurs, [inaudible], qui se déchaînent quand une interprétation qui n’est pas celle qui domine dans les médias français apparaît. Et je ne sais pas quelles sont leurs motivations.

Alexis Lacroix : Vous pensez à quoi, par exemple ? Enfin, s’il faut nommer des situations concrètes, des morceaux de discours, vous pensez à quoi ?

Hubert Védrine : Par exemple, il y a… Alors je ne parle pas du livre de Fabrice que je trouve très intéressant.

Alexis Lacroix : D’accord ! Mais…

Hubert Védrine : Sur l’histoire elle-même, je vois que, comme il y a notamment des auteurs étrangers, comme le professeur, l’expert belge qui a fait le Que sais-je ? Il y a l’enquêtrice canadienne qui a écrit un livre qui [inaudible] énormément. Tout ce qu’avait dit Carla Del Ponte. Ce qu’avaient dit les juges espagnols, il y a une dizaine d’années. Ce que nous disent les Congolais, tout le temps. Donc, c’est une présentation de l’enchaînement qui conduit au génocide et de tous les massacres dans la région. Dès lors que ça n’attaque pas la France, c’est intéressant. C’est quand même un peu curieux ça ! Ça fait longtemps que ça dure ! Parce qu’il y a eu un paroxysme récemment parce que c’était le 25ème anniversaire mais, en en gros, c’est les mêmes attaques depuis 10, 15 ans, qui ont été rassemblées à un moment donné dans le rapport dit « Mucyo » en 2008. Mais, en gros, c’est les mêmes attaques. Alors, pourquoi ? Je ne sais pas. Il y a plusieurs explications. Mais je n’ai pas la [inaudible]. Je pense qu’il y a quoi ? Je pense qu’il y a des gens parmi les journalistes et les chercheurs qui ont été réellement traumatisés en vrai, traumatisés par ce qu’ils ont vu pendant le génocide. Ça, je peux comprendre tout à fait. Mais ça n’explique pas la mise en cause de la France. C’est deux choses différentes. On peut dire : « J’ai vu des choses atroces, inimaginables », que les gens racontent. Mais si par les mêmes constructions complètes sur… En inversant complètement ce que la France a fait, je ne vois pas le passage de l’un à l’autre. Après, il y a des organisations – pas tellement des partis politiques, c’est souvent des associations, des ONG qui condamnent ce que fait la France en Afrique. Il y a le Rwanda où ils ont condamné tout ce qui s’était passé avant. Bon, c’est une ligne politique ! Il y a des ONG là-dessus. Après, il y a des… Il y a plein de gens qui détestent l’armée [inaudible]. Donc, ils se jettent sur tel ou tel évènement [inaudible] à mon avis [inaudible]. Mais ça n’explique pas que ce soit impossible d’en parler. Ce que je constate [inaudible] la plupart des sujets qui ont été controversés en France sur les raisons de l’engagement de 90, la politique suivie après, les attaquants escamotent Arusha évidemment… Comme Arusha contredit totalement ce qui est raconté en général dans les attaques, Arusha disparaît [inaudible] 93. Tout ce qui est raconté sur 94, les dates sont mélangées, c’est approximatif et certaines personnes en 2004, qui attaquent aujourd’hui, disaient le contraire il y a 10 ans. En fait, c’est très, très curieux en fin de compte.

Fabrice Epstein : Alors, moi…

Alexis Lacroix : Fabrice Epstein. Je ne l’ai pas dit en introduction mais vous avez été le conseil de Pascal Simbikangwa. Vous avez suivi, évidemment, son procès puisque vous l’avez défendu tout au long de son procès. Le livre donc, que vous faites paraître aux éditions du Cerf, enfin… Un génocide pour l’exemple, c’est aussi… Il s’étaye sur le récit du procès tel que vous l’avez vécu. Comment vous expliquez, justement, que le débat d’aujourd’hui – qui est intéressant ! –, mais soit tellement polarisé ?

Fabrice Epstein : C’est-à-dire que, moi, j’ai une approche qui est très différente de celle d’Hubert Védrine dans le sens où j’ai été un acteur judiciaire des affaires rwandaises et où je me suis rendu compte très rapidement qu’il était presque impossible d’avoir des relations apaisées dans le cadre de ce dossier. Je veux dire, j’ai vite compris, en prenant la défense de Pascal Simbikangwa, que le simple fait de défendre un Hutu, qui avait vécu à Kigali entre les années 60, 90, ce simple fait là faisait passer l’avocat qui le défendait pour un négationniste. Et qu’à partir… Alors, je commence par donner ce mot, qui est peut-être un mot très, très fort. Mais les attaques sont permanentes lorsqu’on décide de défendre quelqu’un comme Pascal Simbikangwa. Et surtout, il faut être mis dans une case qui est celle que les parties civiles, ou d’autres parties prenantes de ce dossier, essaient d’instiller, disons. C’est que…

Alexis Lacroix : Alors, donc, c’est aussi que, généralement, de toute façon, dans le débat public en général, pas seulement le débat autour du génocide rwandais, mais les personnes oublient que l’avocat n’est évidemment ni le porte-parole ni le défenseur ou le promoteur des actes reprochés à son client ou à sa cliente. Par définition, l’avocat il a une distance, il défend mais il ne cautionne pas forcément.

Fabrice Epstein : Bien sûr.

Alexis Lacroix : Ce sont deux choses différentes.

Fabrice Epstein : Mais je dois dire que j’ai été extrêmement naïf. En tout cas, je subis encore cette naïveté. C’est que je pensais qu’on pouvait avoir une position médiane dans le dossier rwandais.

Alexis Lacroix : Et c’est pour ça que vous avez décidé d’écrire ce livre.

Fabrice Epstein : Alors, c’est pour ça que j’ai décidé d’écrire ce livre, notamment. Parce que je voulais montrer qu’on pouvait avoir une histoire personnelle difficile, en lien avec le génocide. Puisqu’on va peut-être en parler par la suite mais… Le livre repose sur une approche un peu… Je ne sais pas comment on pourrait dire. Mais c’est une évolution d’une personne face au dossier rwandais. Parce que je raconte au départ, en 2007, lorsque j’ai la chance d’aller au Rwanda, à quel point c’est un pays étonnant, à quel point la reconstruction est difficile. Et au fur et à mesure de mon expérience du Rwanda, je me rends compte maintenant, 10 ans plus tard, que ce n’est absolument pas apaisé.

Alexis Lacroix : Alors, comment vous avez lu ce génocide pour l’exemple, Hubert Védrine ?

Hubert Védrine : Moi, j’ai lu… Enfin, j’ai lu ce livre avec admiration pour le courage de l’auteur. Parce que, précisément, pour les raisons que l’on indique, ce n’est quand même pas évident avec votre parcours [inaudible] un cheminement. Comme on est dans un débat public qui est devenu caricatural, complètement binaire… Le débat public a toujours été un peu violent. Mais enfin, ça s’est quand même énormément aggravé depuis les réseaux sociaux, les choses comme ça. Bon. Donc, je trouve ça formidable d’aller [sourire] au combat intellectuel.

Fabrice Epstein : Oui, enfin je ne vais pas, évidemment, aller dans l’autre sens. Enfin, ce n’est pas de dire qu’il y a… Je ne sais pas s’il y a du courage ou de la naïveté ou… Mais il y a une volonté de dire et ça m’avait été extrêmement reproché par les parties civiles. Quand je parle des parties civiles, je parle notamment des époux Gauthier, qui alimentent ce combat, qui sont des espèces de porte-parole du gouvernement actuel de Kigali. Mais, par rapport à eux, par exemple, avec qui j’avais essayé d’avoir une relation apaisée – j’emploie ce mot mais il est peut-être inadéquat –, je…, ils m’avaient fait clairement payer ma transparence. Quand je dis ma transparence, c’est effectivement ce que je dis dans le bouquin. C’est que je tente de passer d’une posture de victime, en disant : « Voilà, je suis un petit enfant de la Shoah », si l’on peut le dire ainsi. Et j’ai décidé ou j’ai tenté de me confronter à ce génocide, rwandais. Pas le mien, mais celui des autres. Mais celui qui m’a touché parce que j’avais 13 ans lorsque les Tutsi ont massacré les Hutu au Rwanda [sic]. Et, en étant transparent par rapport à ça, même ça, c’est quelque chose qui est vécue de façon très négative par les parties civiles.

Alexis Lacroix : Alors, vous vous réappropriez ce mot d’« apaisé ». Hubert exprimait plus de circonspection sur la possibilité de parler un jour de manière apaisée du génocide du Rwanda. Est-ce que c’est votre objectif, au fond, avec ce livre…

Fabrice Epstein : Je ne sais pas.

Alexis Lacroix : Non, mais d’instaurer un moment où, en France, il pourrait y avoir une discussion honnête sur les torts des uns et des autres, bien sûr, lucide sur les manquements éventuels de la France, mais qui ne soit pas un affrontement camp contre camp, comme c’est le cas aujourd’hui ?

Fabrice Epstein : Alors, je l’espère évidemment. Et je ferai remarquer une chose : mais ce n’est pas vraiment moi qui le dis, c’est un spécialiste du Rwanda, qui est André Guichaoua, qui le dit très clairement. C’est que, pour ne pas discuter des faits, pour ne pas discuter du génocide, on met en avant la responsabilité de la France et on s’écharpe sur : qu’a fait la France ? Quelle a été son rôle ? Est-ce qu’il y a eu un aveuglement ? Est-ce que la politique de Mitterrand – et ça vous en parlerez bien mieux que moi – a été adéquate, inadéquate ? Est-ce qu’elle a fait l’objet d’une certaine naïveté ? Ou est-ce que, tout simplement, c’était un conflit qui ne pouvait pas se résoudre ? Et en, systématiquement, discutant de ça, ou le mettant sur le tapis, on oublie de discuter de ce qui s’est passé au Tribunal pénal international pour le Rwanda, la recherche, les avancées. Et aussi, on ne parle pas du régime actuel : quel a été son positionnement dans le génocide ? Quid de l’après ? Et quid, surtout – parce qu’il y a des Rwandais dans la salle, il y a [inaudible], c’est la caution morale [sourire], mais il y a des Rwandais, et c’est important – comment fait-on, aussi, pour que les Rwandais se réconcilient ?

Alexis Lacroix : Alors, il va vérifier si tout ce qu’on dit est casher [sourire]. J’ai donc peur, je vais faire attention, aussi. Même à mes questions ! C’est dans les questions que, parfois, se niche le diable ! Vous le savez bien ! Donc, est-ce que, Hubert Védrine, vous partagez l’approche que développe Fabrice, dans son livre ? Et est-ce que vous pensez aussi comme lui qu’un jour, il sera peut-être possible de débattre, sinon sereinement – parce que les débats n’ont pas vocation forcément à être sereins –, mais de débattre équitablement de ce qu’il s’est réellement passé au Rwanda ? Et, évidemment, de cette question cruciale, qui va être un peu au cœur de notre discussion ce soir, de l’implication, du degré d’implication et de la nature de l’implication de la France dans ces évènements ?

Hubert Védrine : Je pense qu’on y arrivera un jour mais c’est en France que ça arrivera en dernier ! On y arrivera partout ailleurs : en Belgique, en Grande-Bretagne, dans [inaudible] de pays, dans les pays d’Afrique autour. Mais en France, en dernier. Parce qu’il y a maintenant des gens pas très nombreux – puisqu’ils sont une cinquantaine en tout, donc – qui mènent dans différents milieux, médiatique universitaire ou autre, des attaques en permanence. [Inaudible] de passionnés. Enfin, ils sont enfermés dans le rôle qu’ils se sont donné à un moment donné. Pour 36 raisons. C’est l’objectif à atteindre. Il faudrait au moins que ça puisse être…
Alexis Lacroix : Ça serait 50 personnes ? 50, disons, agitateurs intellectuels ou d’opinion, qui empêcheraient une discussion publique apaisée ?

Hubert Védrine : Mais je n’emploie pas le terme « apaisé » parce qu’il n’y a aucun épisode de l’histoire de France dont les Français parlent de façon apaisée. C’est quand même toujours un peu… Bon. C’est comme ça. Donc, pas apaisé mais, au moins, objectivement. Qu’au moins que les faits puissent être cités. Dans les affaires depuis quelques années, [inaudible] quand même extraordinaire de démentis, d’explications, qui sont apportés, qui ne sont jamais relayés. Jamais ! Jamais, jamais ! Donc, au moins, on pourrait peut-être obtenir des médias contemporains qu’on donne la parole aux uns et aux autres. Vous voyez ? Donc, vous voyez, ce n’est même pas l’apaisement que je vise. Un minimum de déontologie quand même !

Alexis Lacroix : Et peut-être d’équité ?

Hubert Védrine : Exactement.

Alexis Lacroix : Alors, justement : vous, vous êtes un proche historique de l’ancien président de la République François Mitterrand. Le moins que l’on puisse dire, c’est que vous avez toujours été, au cours de ces deux septennats, très proche, disons, du cœur nucléaire des décisions. On y viendra. Est-ce qu’on peut, d’après vous, considérer que la France a eu une réelle influence sur le Rwanda ? Est-ce qu’on peut parler d’un rôle de la France dans le génocide ? Et, par ailleurs, est-ce qu’on peut même parler, comme certains, justement, auxquels vous faisiez allusion, d’une complicité objective des autorités françaises avec les génocidaires ?

Hubert Védrine : Evidemment non ! Enfin, les deux dernières hypothèses sont simplement monstrueuses !

Alexis Lacroix : Elles sont répandues !

Hubert Védrine : Mais c’est pour ça qu’elles sont monstrueuses. Mais, en réalité, la… Je ne sais pas combien de temps on peut consacrer à ça, mais la France est le seul pays au monde, parce que Mitterrand avait une expérience africaine ancienne, qui, en 90, a compris que si – c’est son raisonnement ! –, si on laissait la micro-minorité tutsi… Parce que, ce n’est pas que les Tutsi de l’intérieur, c’est des Tutsi qui étaient en Ouganda. Un tout petit groupe appuyé par l’armée d’Ouganda. Si on laissait cette offensive réussir en 90, ça déclenchait une gigantesque guerre civile. Parce que jamais les Hutu, qui étaient 85 % en gros, se laisseraient faire. Donc, Mitterrand l’a compris tout de suite, ça. Face à un monde entier qui s’en fichait totalement ! On ferait mieux de s’intéresser à l’inaction et au silence des autres ! Pourquoi les autres pays d’Afrique ? Eh bien, il y a eu une espèce de guerre terrible pendant des années. Mais, dans les pays occidentaux européens, tout le monde s’en fichait complètement ! Mitterrand, il a tout de suite vu ça. Donc, il a décidé l’intervention de la France en 90 pour bloquer l’offensive. Ça, c’était un des premiers volets. Et le deuxième volet, c’était : utiliser le fait qu’on était militairement présent dans l’opération du début pour imposer un compromis. Alors là, on peut prétendre que c’est irréaliste, tout ce qu’on veut mais… Donc, on peut se poser des questions sur l’intervention de 90. Et c’est ça le but : c’est d’être présent militairement pour empêcher, pour arrêter l’engrenage qui va vers la guerre civile. Je dis guerre civile parce que personne n’imaginait l’ampleur des massacres et du génocide au début. Mais Mitterrand avait quand même compris le danger pour le Rwanda. D’autant qu’il y avait eu des massacres en sens inverse au Burundi, pas longtemps avant [inaudible] de l’histoire de l’Afrique des Grands Lacs. C’était effrayant, explosif. Il comprend ça. On intervient. Le FPR continue à attaquer, en 90-11-12-13. Le FPR attaque, avec d’ailleurs des massacres qui sont documentés dans un livre. Les livres qui évoquent les massacres du FPR quand il avance sont présentés comme étant négationnistes ! C’est [inaudible] propagande… Et même ce qui me paraît, moi, honteux ! C’est honteux de se servir du terme « négationnisme » ou « révisionnisme » à propos de gens qui n’ont jamais nié le génocide des Tutsi ! Jamais ! Il n’y a pas un seul livre dans lequel on dit que ça n’existe pas. Il n’y a pas l’équivalent de : « Les chambres à gaz n’ont pas existé ». Personne ne dit ça à ce sujet ! Donc, c’est une honte de tirer le concept de négationnisme pour l’appliquer à toute sorte de gens qui sont, pas tellement Français d’ailleurs, mais qui racontent l’enchaînement des faits autrement !

Alexis Lacroix : Alors…

Hubert Védrine : Attendez, attendez…, que je finisse au moins une fois le récit complet. Donc, la politique de la France, c’est d’imposer un compromis ! On peut penser que c’est naïf, que c’est tout ce qu’on veut, mais c’est exactement le… C’est le contraire absolu des accusations qui sont lancées ! Ça aboutit finalement à Arusha l’été 93. Parce qu’entre temps, il y a eu un changement de… Aux élections législatives, Balladur a gagné. Balladur a assumé la politique de Mitterrand. Juppé aussi. Juppé, ministre. Et il a vu que c’était tellement urgent, parce que, précisément, de part et d’autre, il fallait bien se préparer à des massacres. Donc, les gens qui disent : « Vous ne pouviez pas ne pas savoir ! », c’est des imbéciles ! Puisque c’est évident que Mitterrand a compris dès la première minute qu’il y avait ce danger. Donc, tout ce qui montre le renforcement des menaces, ou des intentions génocidaires ou des massacres de part et d’autre, c’est la confirmation du diagnostic de Mitterrand du début. Donc, finalement, Juppé s’engage parce qu’il voit que c’est très urgent. Il obtient – c’est largement lui, largement lui, on l’oublie – des accords d’Arusha, qui vont très loin ! Puisque dans les accords d’Arusha, imposés notamment par la France, qui tord le bras du régime – qui est présenté comme son ami par les attaquants, c’est incohérent ! –, on obtient que l’armée, la future armée du Rwanda, comporte quand même 40 % de Tutsi ! C’est quand même un sacrifice géant pour de nombreux Hutu. Et même du côté hutu, il y a des mouvements, des groupes qui s’organisent en disant : « Jamais ! ». Ils sont furieux qu’Habyarimana soit obligé de céder à la pression de la France. Alors, après il y a… Juste après Arusha, la France retire ses troupes. Et avec le recul, si on avait un débat normal, entre historiens, on dirait : « Mais pourquoi la France a retiré ses troupes alors que c’était évident que les Hutu ne voulaient rien lâcher, les Tutsi tout prendre ? ». Le FPR avait posé ça comme condition. Le FPR n’aurait pas signé les accords d’Arusha si la France ne s’était pas engagée à partir. Alors, si d’autres pays s’étaient intéressés au sujet, si la France n’avait pas été tragiquement seule, s’il y avait eu 15 pays pour dire : « On est là pour imposer l’application des accords d’Arusha », la suite eut été différente. Et les regrets que j’exprime, ça n’a rien à voir avec les accusations de complicité de génocide.

Fabrice Epstein : Oui, d’accord.

Hubert Védrine : Par ailleurs et d’autre part, c’est pour répondre à sa question et justement les deux dernières questions…

Fabrice Epstein : Bien sûr !

Hubert Védrine : Il a répété les accusations les plus effarantes qu’on peut entendre. Et alors après, on arrive à 94. Il y a l’interminable débat sur qui a abattu l’avion. Du point de vue de la France, ça n’a aucune importance parce que quels que soient les auteurs – j’ai mon idée, tout le monde à son idée ici –, mais quels que soient les auteurs, dans les deux cas, ce sont des extrémistes qui veulent stopper la politique française d’Arusha. Donc, dans les deux cas, c’est honorable pour la France. Donc, on n’a pas à s’étriper sur qui a fait le truc. Et après, les interprétations les plus répandues contre Turquoise sont encore incohérentes : c’est présenté comme si la France était intervenue pour sauver un régime ami. Si c’était le cas, si la France avait été l’amie d’un régime génocidaire – personne ne comprend pourquoi, mais bon ! –, si c’était le cas, la France n’aurait pas passé plusieurs semaines, quasiment deux mois, à New York, pour obtenir du Conseil de sécurité le mandat des Nations unies ! Donc, tout ce qui est…, les polémiques inventées après sur tel ou tel détail de Turquoise sont incohérentes par rapport à ça. Donc, voilà, ce que je conçois. Voilà ce que pense Alain Juppé, qui n’est pas là mais il s’est exprimé souvent à ce sujet. Et je suis vraiment… Franchement, je ne comprends pas pourquoi les médias – même les plus grands – n’arrivent pas à équilibrer la présentation.

Alexis Lacroix : Merci beaucoup. Alors, Fabrice Epstein.

Fabrice Epstein : Je voudrais dire un mot, peut-être sur les accords d’Arusha. Je n’ai pas du tout… Je ne les ai pas négociés, je n’ai pas été partie prenante dans ce cadre-là.

Hubert Védrine : Moi non plus, d’ailleurs.

Fabrice Epstein : Je sais, je sais ! Mais la question que je me posais un peu, c’est que c’est peut-être : est-ce que ces accords d’Arusha, ce n’est pas une vision trop européenne de la politique ? Et avec les difficultés, la nouvelle « démocratie » entre guillemets impulsée par Habyarimana, la multiplication des partis politiques…

Hubert Védrine : Depuis le discours de Mitterrand à La Baule [inaudible] la démocratie.

Fabrice Epstein : Oui, impulsée par le discours de Mitterrand. Non, non, mais il n’est pas… En tout cas, ce n’est pas ma volonté de mettre ça en doute. Mais de me dire, en tout cas de me demander – mais je pense que vous partagez ce point de vue – qu’il y a peut-être une vision trop européenne de ces accords et qu’au fond… Bon, la naïveté, c’est un mot que j’ai employé, peut-être de la candeur, je ne sais pas, qui fait que, bon, eh bien, ces accords, on peut se dire…, ou en tout cas qu’ils pourraient ne pas réussir. Et d’ailleurs, on le voit très vite parce que, moi…

Hubert Védrine : Je l’ai dit moi-même. Mais ça n’a rien à voir…

Fabrice Epstein : Oui. Mais parce que, moi, ce que j’avais vécu lorsque j’avais étudié un peu le dossier c’est : comprendre le Rwanda, c’est extrêmement difficile. Je pense que quand…, mais même…, enfin d’autant plus peut-être quand on est avocat. Et comprendre tous les enchaînements d’accords d’Arusha qui étaient une sorte de partage du pouvoir avec des partis politiques qui étaient contre celui d’Habyarimana, qui devaient entrer au pouvoir. Et comme vous l’avez dit, un mixte de l’armée entre Tutsi et Hutu, au fond, ça n’a jamais réussi à prendre forme entre le 8 août 93 où ça a été voté, le dernier protocole, et le moment du génocide et au fur à mesure où il y a une volonté… Je crois qu’il y a un moment où Habyarimana vient prêter serment devant l’Assemblée nationale mais le président de la Cour constitutionnelle n’est pas là. Donc, au fond, il n’y a pas vraiment de gouvernement entre le 8 août 93 et le 6 avril 94.

Hubert Védrine : Oui, mais, vous allez dans mon sens parce que...

Fabrice Epstein : Mais je ne dis pas le contraire.

Hubert Védrine : On peut tout à fait dire : « Après Arusha, si on avait voulu que les accords soient respectés, il fallait une gigantesque présence internationale ». Bon, il fallait que la France reste et que les autres arrêtent d’être lâches et viennent aussi !

Fabrice Epstein : Tout à fait.

Hubert Védrine : Donc, on peut dire : « Ça a été illusoire, ça a été utopique, ça été naïf ». Tout ce qu’on veut, bon. Mais ça n’a rien à voir avec les accusations répandues dans les journaux français. C’est le contraire, même ! De même qu’on peut débattre, moi ça ne me choquerait pas qu’on débatte de la…, l’utilité de l’intervention de 90. Surtout, moi, j’ai passé toute ma vie à être plutôt réticent face à l’ingérence et aux interventions. Et je me suis… Enfin, je me suis… Je me retrouve en train d’expliquer une intervention, dans laquelle j’ai joué zéro rôle, en plus – je n’ai jamais pris une décision militaire ou [inaudible] – par les hasards des choses. Bon, on peut discuter de 90 ! Si Mitterrand avait été cynique – ce que plein de gens croient –, il aurait pu dire : « Après tout, il va se passer des choses atroces, mais enfin on n’y peut rien et puis on n’a pas les moyens, etc. ». Il a tenu un raisonnement, un chemin inverse. On peut débattre de ça, si on était dans les débats qu’on souhaite voir s’établir un jour. Donc, Arusha, on peut se demander pourquoi on n’est pas resté après. J’ai donné un peu d’explications. Et en 94, on ne peut pas répéter sans fin des accusations qui sont totalement contredites par ce qui s’est passé à l’ONU, par le calendrier, par ceci, par cela.

Fabrice Epstein : Oui, oui.

Alexis Lacroix : En revanche, tous vos éclaircissements produits…

Hubert Védrine : On s’est fait des illusions mais en matière de Proche-Orient – c’est un autre sujet – pendant des décennies, les gens ont beaucoup investi sur la paix au Proche-Orient. Bon.

Alexis Lacroix : Tous vos éclaircissements produits contre le politiquement correct dans cette matière – et on vous remercie tous les deux –, quand même, laissez-moi me faire…

Hubert Védrine : Fanatiquement correct [sourire].

Alexis Lacroix : Si vous voulez [sourire]. OK ! D’accord, Hubert. Laissez-moi me faire l’avocat des diables que vous évoquiez tout à l’heure. Est-ce qu’ils n’ont pas raison quand ils pointent la cécité absolue de la France – donc, ce n’est pas de la complicité, on est bien d’accord ! – mais la cécité absolue de la France, de l’époque, vis-à-vis du génocide qui se préparait, qui couvait ?

Hubert Védrine : Alors, la réponse à ça, je l’ai déjà esquissé. Encore une fois, je suis devenu un spécialiste après, moi ! Parce que j’ai, compte tenu de la controverse, j’ai tout relu, j’ai lu les acteurs, tout ça. La réponse à ça, c’est que Mitterrand avait compris tout de suite, pas les détails de ce qui se passerait en 94, mais le risque est géant compte tenu de l’histoire de l’Afrique des Grands Lacs.

Alexis Lacroix : Lui, oui. Lui, bon.

Hubert Védrine : Il était ministre de la France d’Outre-mer quand il était jeune ! De la quatrième [inaudible]. Il a compris ça. Donc, chaque fois que vous voyez que le FPR, en attaquant, massacre. Chaque fois que vous voyez, alors, que s’organise une intention génocidaire chez les autres qui disent : « Mais, s’il y arrive, ils vont [inaudible] ». [Inaudible] dans un engrenage monstrueux ! ». C’est la confirmation, en fait. Mais on ne peut pas parler de cécité ! C’est la confirmation ! Alors après, quelle est la seule réponse de la France ? Eh bien, à l’époque, c’est imposer Arusha. C’est une course vitesse. Il y a un mécanisme qui devient de plus en plus défaillant pour imposer par la force…, parce qu’on est militairement présent. Si on n’était pas militairement présent, on ne peut rien imposer du tout ! Donc, le fait d’être présent permet de tordre le bras et d’arriver à Arusha ! Donc, la vraie faille – moi, je trouve, on peut critiquer –, la vraie faille dans l’affaire, c’est qu’après Arusha, au lieu de mettre en place un gigantesque système de monitoring international, où il y aurait toujours la France, mais [inaudible] Belges, les Africains, et ceux-ci, ceux-là, et les Américains, on s’en va. On s’en va, parce que le FPR a posé comme condition – je le répète – pour accepter Arusha, que la France parte. Et ils ont montré l’intention [inaudible] par rapport à ça. Donc, on ne peut pas présenter les menaces qui montent comme étant quelque chose de nouveau qui contredise le diagnostic initial. Ça confirme le diagnostic et l’urgence. Pourquoi croyez-vous que quand Juppé arrive, comme ministre, donc, en mars… 94, 93…

Alexis Lacroix : 93, oui.

Hubert Védrine : 93, pourquoi il se précipite sur le sujet ? Parce qu’on voit bien que c’est hyper dangereux !

Alexis Lacroix : Que la dynamique est lancée. Vous êtes d’accord, Fabrice Epstein ?

Fabrice Epstein : Oh, moi, ce n’est pas pour donner l’apparence d’un débat. Ce n’est pas du tout ce que je veux faire mais…

Alexis Lacroix : Ah, vous avez le droit !

Fabrice Epstein : Non, mais évidemment !

Alexis Lacroix : Le droit, c’est forcément de s’opposer sur des détails !

Fabrice Epstein : Non, je ne sais… Cécité de la France, je n’en sais absolument rien. La cécité du monde, oui ! Je… Devant une catastrophe qui est… Alors, c’est un peu compliqué parce que, quand on est avocat et qu’on traite ce type de sujet, on a aussi une vision judiciaire…

Alexis Lacroix : Bien sûr.

Fabrice Epstein : On essaie de comprendre ce qui s’est passé au Tribunal pénal international pour le Rwanda, qui s’est intéressé à la question…

Hubert Védrine : Ça, c’est après ça.

Fabrice Epstein : Oui, bien sûr, c’est après ! Mais, moi, je suis un peu comme vous… Enfin, beaucoup plus novice.

Alexis Lacroix : Quelle appréciation vous portez sur le TPI, justement ?

Fabrice Epstein : J’ai une appréciation qui est bien postérieure. Je comprends le Rwanda qu’avec les yeux de quelqu’un de 2011-12-13-14 et jusqu’au procès en appel. Je vois la cécité du monde devant ce qui se passe. Et qui aurait pu arriver au Burundi ! Parce que, vous parliez du Burundi tout à l’heure… Je ne suis pas spécialiste du Burundi, mais tous les intellectuels qui parlent du Rwanda expliquent que ces deux pays sont proches, c’est des sociométries très proches et que, en 93 – vous l’avez dit – le Président burundais est assassiné, et on peut croire, on peut se dire qu’un génocide pourrait arriver au Burundi. D’ailleurs, dans l’avion qui ramène Habyarimana à Kigali, il n’y a pas qu’Habyarimana : il y a aussi le Président burundais. Et on aurait pu tout à fait imaginer qu’un génocide arrive au Burundi. Donc, je… Une cécité, globale, humaine un peu, comme… Ce n’est pas du tout pour citer un philosophe que je cite dans ma plaidoirie, mais Karl Jaspers parle de culpabilité allemande. Et c’est ce fait que tout le monde manque d’imagination du cœur, manque d’un regard neuf et laisse des gens s’entredéchirer. Alors, pas en se disant dès le départ que ça va être un génocide, évidemment ! Mais je crois qu’assez vite, on se rend bien compte qu’il y a un génocide potentiel.

Alexis Lacroix : Alors, il faut qu’on parle en quelques mots…

Hubert Védrine : Il faut que je réagisse là-dessus.

Alexis Lacroix : Oui, bien sûr ! En quelques mots.

Hubert Védrine : Le terme de cécité n’est pas… Moi, je pense, ce n’est pas le terme adéquat. Je l’ai dit à propos de Mitterrand : au contraire, c’est l’intuition, la prescience des enchaînements. Et alors, après, concernant les autres, moi je ne comprends toujours pas pourquoi l’ensemble des autres pays importants s’en sont fichu totalement ! Ça, c’est monstrueux ! Et on ne les interpelle jamais ! Enfin, il n’y a jamais la moindre polémique dans les autres pays !

Alexis Lacroix : Et est-ce que vous ne pensez pas que ça vient de quelque chose, enfin, au fond de simple, mais qui peut être, en revanche, remis en cause : mais la France est considérée – à tort ou à raison – comme une sorte de gendarme de cette région au sens large. C’est-à-dire pas seulement d’ailleurs de ses anciennes colonies. En l’occurrence, le Rwanda n’en était pas une. Mais, dans l’inconscient collectif européen, au fond, c’est une des zones d’influence naturelle de la France.

Hubert Védrine : Oui, mais enfin ça n’excuse pas quand même la lâcheté à ce point. Quand la Belgique est partie dans la… C’est la confusion que l’on connaît. Le Congo de l’époque, le Rwanda et le Burundi ont demandé au général de Gaulle à entrer dans la communauté française de l’époque. Ça a été accepté. Donc, ils font partie de l’ensemble. Donc, il peut y avoir des [inaudible] qui disent : « Ça c’est leur problème, nous on s’en fiche ! ». Mais, pour répondre plus précisément à la question, quand il y a eu, donc, l’attentat contre l’avion, massacres, génocide, il y a eu l’opération Amaryllis en quelques jours pour sortir des gens en urgence – des Tutsi comme des Hutu – à l’époque, bon. Et après, la question s’est posée : « Est-ce qu’on revient avec des vrais moyens ? ». Parce qu’Amaryllis, il n’y avait pas les moyens de s’interposer. Et c’est là où il y a l’arbitrage de Mitterrand, entre Balladur et Juppé qui n’étaient pas du même point de vue. Mitterrand, il dit : « On ne peut pas revenir, il faut un mandat du Conseil de sécurité ». La discussion commence. Et là, ce n’est pas de la cécité ! Les membres permanents, les Chinois et les Russes, ils disent : « On ne comprend pas, mais enfin, c’est votre truc. Débrouillez-vous. On verra ce que disent les autres Occidentaux ». Les Américains disent : « Il n’en est pas question. Personne sait que le Rwanda existe, on ne sait pas où c’est ». Et en plus, il y a eu des Marines qui avaient été assassinés en Somalie dans une opération genre ingérence aussi, vous voyez ? Comme ça. Donc, les Américains disent : « Non, on ne peut pas revenir là-dessus, l’opinion ne comprendrait pas ». Ça, c’est les Américains. Les Anglais disent un mélange des deux : « C’est un peu votre truc. Débrouillez-vous. Et puis… ». Le Rwanda, ça n’existe pas, en fait. Donc, il y a… Ce n’est pas de la cécité…

Fabrice Epstein : Donc, c’est pire que ça ?

Hubert Védrine : C’est pire que ça.

Fabrice Epstein : Tout le monde s’en fout !

Hubert Védrine : C’est pire que ça, oui.

Alexis Lacroix : Crime d’indifférence ! Crime d’indifférence ?

Hubert Védrine : Et c’est pour ça qu’on a eu le mandat pour Turquoise fin juin. Très, très, très longtemps après. Mais ce n’est pas de la faute si c’est arrivé longtemps après ! S’il y avait eu l’accord du Conseil de sécurité 15 jours après, dans une opération internationale [inaudible] aussi des Belges et des contingents africains, d’ailleurs, dans Turquoise. Donc, vous voyez, ce n’est pas de la cécité.

Alexis Lacroix : Alors…

Hubert Védrine : Il n’y a pas de cécité du côté de la France, je répète ça. Ça c’est un contresens extraordinaire ! C’est… Tout ce qui se passe d’horrible et qui monte à partir de 90, ça confirme le diagnostic de Mitterrand ! D’ailleurs, quand le jour de l’attentat contre l’avion, il est entré dans mon bureau, et comme ça, il m’a dit : « C’est épouvantable. Tout ce qu’on a fait depuis 90 est mis par terre ». Donc, dans sa tête, c’est tout ce qu’on fait depuis 90. « Ils vont s’entretuer, etc. ».

Alexis Lacroix : Vous n’allez pas me le pardonner mais je me fais le porte-voix des contresens [inaudible] des uns et des autres, mais…

Hubert Védrine : Il y en a plein d’autres ! Vous pouvez continuer [rires]. Mais enfin, c’est votre rôle.

Alexis Lacroix : Il ne faut pas chercher [sourire], OK ? Trêve de plaisanteries, donc. L’un des intérêts…

Fabrice Epstein : Ça, c’est beaucoup de plaisanteries [sourire] sur le génocide rwandais !

Alexis Lacroix : Non, non [sourire]. L’un des intérêts majeurs de votre livre, Fabrice Epstein, c’est évidemment de nous faire pénétrer dans les arcanes de cette juridiction internationale. Vous avez été aux premières loges puisque vous avez défendu l’un des accusés de génocide. Vous allez nous raconter, d’ailleurs, comment ça s’est passé. Mais est-ce que d’après vous, ce procès et les autres – donc, que vous n’avez pas plaidé – ont montré une certaine aptitude du TPI à un jugement équitable ? Est-ce que sur, au fond, en globalité, vous décernez un satisfecit au TPI ?

Fabrice Epstein : Alors, je précise, parce que je n’ai pas été avocat devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda. J’ai été un des avocats dans le cadre d’un procès d’un Rwandais en France mais qui est l’expression de ce qu’on appelle « la compétence universelle ». D’ailleurs, c’est une petite parenthèse : j’étais à un colloque, il y a deux jours, qui parlait de la promotion de la compétence universelle. Mais après avoir écouté tous les participants, je crois que c’était plutôt l’inverse : de compétence ou l’incompétence de la compétence universelle. Non, moi j’ai eu, alors, je disais la chance, mais au fond, je ne sais pas trop, avec le recul, puisque… Mais je vais garder ce terme de « chance ». Il y a tellement de coups à prendre dans un dossier comme celui-ci. C’est si difficile d’aller et de représenter un accusé face à une horde de parties civiles, d’ONG, de bien-pensants, de médias d’ailleurs, qui…

Alexis Lacroix : De médias bien-pensants ?

Fabrice Epstein : Oui, de médias bien-pensants.

Alexis Lacroix : Vous avez hésité ?

Fabrice Epstein : Non, non, puisque je… Ça s’est passé de façon un peu curieuse. C’est que j’étais secrétaire de la Conférence, cette chance d’un jeune avocat qui peut être commis d’office dans le cadre d’un dossier criminel. Et un jour, le dossier de Pascal Simbikangwa est arrivé et une de mes consœurs souhaitait le défendre et elle avait besoin d’un second. Et je me suis auto-désigné parce que je voulais… C’est peut-être curieux de dire ça mais…, être dans une affaire de génocide. C’est-à-dire voir comment, avec aussi mon histoire personnelle, la France… Et ça, c’est peut-être un autre sujet. Ce n’est pas la responsabilité de la France mais c’est le rapport qu’a la France à son génocide, ses génocides. Je ne sais pas très bien comment il faudrait le dire. Mais j’ai un chapitre dans le bouquin qui s’appelle « La France des génocides », où je voulais voir ce que c’était qu’un juge d’instruction qui traitait d’un génocide qui est celui des Tutsi. Et je voulais aller devant une Cour d’assises qui traiterait d’un cas d’un génocidaire. D’abord, parce que j’étais persuadé qu’il était innocent. Et j’en ai défendu ensuite… J’ai défendu une autre personne dont j’étais persuadé qu’elle était… Et je suis toujours persuadé qu’elle est innocente ! Et cette expérience est intéressante. Alors, c’est aussi un livre d’avocat mais j’espère avec tous les…, pas tous les déboires que connaissent les avocats. Un tout petit peu d’humilité, ou en tout cas d’honnêteté intellectuelle, pour expliquer à quel point c’est difficile de se retrouver dans un procès comme celui-ci et raconter la justice française face au cas Simbikangwa.

Alexis Lacroix : Alors, justement.

Fabrice Epstein : Et…

Alexis Lacroix : Vous pensez qu’on voulait le faire condamner pour l’exemple ?

Fabrice Epstein : Alors, bon, j’utilise cette formule-là qui, pour certains, est assez malheureuse mais… C’est aussi le fruit d’une longue discussion avec mon éditeur pour trouver un titre convenable [sourire]. Et je l’en remercie parce que c’est sous son impulsion…

Alexis Lacroix : C’est plutôt un bon titre entre nous [sourire] !

Fabrice Epstein : Bon, je n’en sais rien mais…, bon. En tout cas, il dit une chose qui est extrêmement claire : c’est que Simbikangwa avait la tête de l’emploi. Du moins, il était un homme de l’ombre. Alors, on a beaucoup voulu parler au Rwanda d’un gouvernement de l’ombre. Parce que quand Habyarimana – vous l’expliquiez – a perdu son pouvoir et quand il a souhaité donner du pouvoir à d’autres, on a considéré qu’il y avait un gouvernement de l’ombre qui, au fond, préparait le génocide.

Alexis Lacroix : Oui.

Fabrice Epstein : Ça, c’est ce que les parties civiles, ce que les médias bien-pensants veulent bien faire entendre. Une sorte de gouvernement « shadow », pour employer le mot anglais, qui travaillait dans l’ombre, qui…

Alexis Lacroix : Presque de complot en quelque sorte, voilà ?

Fabrice Epstein : Oui, voilà, parce que les thèses complotistes sont assez à la mode, quel que soit le sujet, d’ailleurs. Et Simbikangwa était un bon représentant : parce que, dans l’organigramme, il avait ses entrées auprès d’Habyarimana, c’est un de ses cousins éloignés, il a été son garde du corps. Et, par ailleurs, il est handicapé et il a été en charge de la presse au moment où la presse s’est libéralisée. Mais malheureusement, en charge des mauvais traitements de certains journalistes. Et donc le… Bien qu’il n’ait pas été mis en examen le premier, il s’est retrouvé le premier à être jugé. Et là, de façon assez logique, il…, on était dans les 20 ans de la commémoration du génocide, eh bien, Simbikangwa ne pouvait être que coupable et que condamné. Mais je dis une chose – et ce n’est pas à mettre au crédit des avocats ou de l’accusé –, c’est que, ce qu’on dit rarement avec ce premier dossier, c’est que Simbikangwa a été acquitté pour une partie des faits qui lui étaient reprochés. Et dans, là encore l’histoire un peu officielle… Puisque vous parliez de l’attentat tout à l’heure, vous disiez que par rapport à la France, ce n’était pas si important de savoir qui avait fait sauter l’avion. Mais, au fond, l’attentat, il est important aussi parce qu’il contribue à une écriture du génocide rwandais. Alors, je sais que si on dit « génocide rwandais », on pourrait se faire tirer les oreilles si ce n’est plus. Mais je le dis à dessein. Au fond, il y a cette écriture, permanente, qui est voulue. Et à la Cour d’assises, on n’a pas échappé à cette écriture du génocide et c’est ce que j’avais essayé un peu de contrecarrer dans le cadre de ce procès.

Alexis Lacroix : Bon, là-dessus, je ne sais pas si vous voulez intervenir, là.

Hubert Védrine : Non, j’écoute avec intérêt.

Alexis Lacroix : Et si on globalise la scène – c’est-à-dire pas seulement le procès qu’a plaidé Fabrice –, quel jugement vous portez sur les différents jugements qui ont été rendus par le TPI, ou par la France au niveau de la compétence universelle, sur les cas des génocidaires du Rwanda ?

Hubert Védrine : Je n’ai aucun avis, moi, là-dessus.

Alexis Lacroix : Vous n’avez pas d’avis. Ou d’une perception ?
Hubert Védrine : Je ne me sens pas capable de juger les jugements.

Fabrice Epstein : Non, mais ce qui est intéressant. Alors, ce n’est pas votre avis mais…

Hubert Védrine : [Inaudible], mais…

Fabrice Epstein : Pardon, je vous interromps. Ce qui est intéressant, c’est la réflexion de Paul Kagame juste après le jugement de Pascal Simbikangwa. Il y avait un très long article dans Jeune Afrique, qui est un excellent journal par ailleurs. Et où il expliquait que la… Bon, il n’y avait pas de quoi se paner au fond, que la France avait attendu 20 ans pour juger quelqu’un et que, eh bien 25 ans, au fond ce n’était pas grand-chose pour un aussi grand salaud. Et que…, bon, eh bien… Kigali en tout cas ne se rapprocherait pas de Paris pour des raisons judiciaires. Et j’ai trouvé que la réaction était assez intéressante.

Alexis Lacroix : Alors…

Fabrice Epstein : Je ne sais pas si, depuis, il est content de…

Hubert Védrine : Oui, attendez. Je voudrais ajouter… Moi, j’ai toujours eu des doutes sur la compétence universelle.

Fabrice Epstein : Ah, eh bien… Vous faites bien [rires].

Hubert Védrine : Je ne parle pas en tant que juriste mais j’ai trouvé ça incroyablement prétentieux en réalité. Je ne trouve pas ça tellement différent de la manière américaine d’adopter des lois extra-territoriales…

Alexis Lacroix : Faut en rappeler le principe. Rappelez-en le principe.

Hubert Védrine : Eh bien, les Américains, le Sénat des Etats-Unis, la Chambre des représentants trouvent normal de voter des lois qui s’appliquent au monde entier, indépendamment des ressortissants américains, du territoire américain. Donc, des sanctions qui peuvent s’appliquer à tout le monde, c’est quelque part quand même choquant, je trouve. Et je ne trouve pas que la compétence universelle soit le contraire de ça. Donc, il y a une prétention qui a existé en Belgique un moment donné. Ça s’est arrêté tout de suite. Des ONG ont voulu traîner Sharon en justice. Donc le système belge a tout arrêté aussitôt. Bon. Donc, il y a quelque chose d’un peu prétentieux, quoi.

Fabrice Epstein : Alors, juste… Je vais rejoindre ce que vous dites…

Hubert Védrine : Je rebondis parce que vous avez parlé de la…, du colloque sur l’incompétence…

Fabrice Epstein : Oui. Bon, enfin, ça, c’est… Je me suis permis ce petit mot mais…

Hubert Védrine : La compétence universelle.

Fabrice Epstein : Mais, je ne sais pas, parce que, moi, je ne suis pas si dur avec la compétence universelle pour autant qu’elle se donne les moyens…

Hubert Védrine : Je m’interroge !

Fabrice Epstein : Non, mais vous avez raison de vous interroger…

Hubert Védrine : Je m’interroger à la légitimité.

Fabrice Epstein : Mais moi aussi. Sur la légitimité, je m’interroge peut-être moins que vous, mais je m’interroge sur sa mise en œuvre. Puisque le problème qu’on a eu dans le cadre du dossier de Simbikangwa ou dans le cadre du dossier d’Octavien Ngenzi, c’est la difficulté ou l’adaptation du Code de procédure pénale français, en tout cas, des institutions françaises, à un procès de compétence universelle. Et ça devient, malheureusement à la Cour d’assises, mais ça, ça rejoint aussi les procès exceptionnels que la France a connus, un endroit où ça devient une sorte de grand colloque, aussi. C’est que les experts du génocide viennent. D’abord, les experts du génocide au sens large, après les experts du génocide rwandais, après les psychologues qui sont des experts de criminels contre l’humanité. Et on se retrouve dans une sorte de foire à laquelle on est un peu pieds et poings liés, et contre laquelle on tente de se battre, avec en plus la haine de l’opinion publique et la haine, évidemment, des parties civiles – mais ça, c’est peut-être inhérent au procès pénal – et, eh bien, tout un ensemble de rouages qui font que tout ça n’est pas fluide.

Alexis Lacroix : Alors…

Fabrice Epstein : Et pour l’avocat, il y a de la frustration ! Et d’ailleurs, je pense que, dans ce dossier rwandais, de manière générale, il y a un mot qui revient. Parce que, avant de venir ici, j’ai un peu préparé mon intervention. Et je trouvais que tous les gens qui écrivaient sur le Rwanda – journalistes, politiques, avocats – employaient ce mot de « frustration ». C’est un sujet où… Et moi, d’ailleurs, je… auteur, disons, du bouquin, c’est un sujet où, une des conséquences, c’est la frustration. Parce que c’est extrêmement difficile de pouvoir – je reviens à ce terme « apaisé » –, mais de pouvoir avancer sereinement dans ce dossier, sans être frustré comme avocat, comme auteur, comme politique ou comme journaliste. Et c’est un mot qui revient !

Alexis Lacroix : Frustré, Hubert ? Non ?

Hubert Védrine : Non, non [sourire].

Fabrice Epstein : Vous n’avez pas l’air [sourire].

Hubert Védrine : Non, je suis accablé par le fait qu’on ne puisse pas avoir en France, en 2019, ce qu’on fait-là. Cette conversation est formidablement intéressante. Où est-ce qu’on peut parler comme ça ? Alors, je veux dire un mot sur le Tribunal d’Arusha. Moi, je n’ai aucune expérience d’Arusha mais, dans le petit Que sais-je ? de Filip Reyntjens – je prononce toujours mal [sourire]... Mais comment il faut prononcer ?

Fabrice Epstein : Reyntjens.

Hubert Védrine : Reyntjens, bon. Dans le petit Que sais-je ?...

Alexis Lacroix : Vous allez lui donner des cours de Flamand ? [Inaudible].

Hubert Védrine : Il y a un développement sur Arusha qui est très intéressant. Il est quand même très, très critique sur… Il a été expert au Tribunal d’Arusha. Il est très critique sur la façon dont Arusha a travaillé ou pas travaillé, en fait. Alors moi, je n’ai pas d’avis mais je vous renvoie à ça. D’autant que ce Que sais-je ? est l’objet d’une campagne immonde, absolument scandaleuse. Il est présenté – c’est un exemple –, présenté comme négationniste alors que la description du génocide y est totalement…, c’est atroce. Et c’est une campagne pour ne pas le faire lire, empêcher qu’il soit lu ! Donc, si on pouvait le citer, ça serait formidable parce qu’il est très précis, très intéressant. Il est plein de critiques sur la France. Ce n’est pas un Que sais-je ? pro-français. Et à mon avis, il sous-estime énormément l’implication de la France dans les accords d’Arusha, par exemple. Et il fait des critiques sur ce qu’on aurait pu faire. Mais les critiques n’ont rien à voir avec les accusations qui circulent. Et il y a deux ou trois pages très précises sur le dysfonctionnement d’Arusha.

Fabrice Epstein : Alors, sans parler du TPIR, mais peut-être pour parler de Reyntjens. Il doit avoir les oreilles qui sifflent. Mais Reyntjens, c’est l’exemple type de la personne qui considère que le débat est trop polarisé et qui ne veut plus venir parler à la Cour d’assises.

Hubert Védrine : Oui.

Fabrice Epstein : Alors que c’est un réel expert, comme André Guichaoua qu’il a… Il a… C’est vraiment quelqu’un, me semble-t-il, pour parler du Rwanda qui est extrêmement important. D’ailleurs, il était au Rwanda de façon très régulière. Et Reyntjens, j’avais eu cette expérience avec lui, c’est que, dans le cadre du premier procès, je voulais absolument qu’il soit là. Et Reyntjens, c’est quelqu’un d’extrêmement honnête. C’est qu’en parlant avec lui, il m’avait dit : « Voilà, moi, je veux bien venir. J’ai des choses à dire sur Kagame, sur l’impossibilité pour une quelconque partie de dire ce qu’il pense dans ce pays, que tout est bâillonné, etc. Mais, je dois dire que, pour moi, Simbikangwa est un très méchant et une personne qui a été absolument nocive pour Habyarimana. Et si je viens à la Cour d’assises, je dirai ça ». Et, au fond, il était venu à la Cour d’assises la première fois. Et… Mais quand on lui avait demandé de venir dans le cadre du dossier de Ngenzi, et qu’on pensait que son témoignage était extrêmement intéressant, il a refusé de venir, parce qu’il considérait que le débat était trop polarisé, que c’était beaucoup trop violent. Et on a préféré faire venir des faux experts. Alors, certains, qui d’ailleurs disent qu’ils sont experts au TPIR et qui ne le sont pas – pour ne pas les citer mais ils se reconnaîtront ! – et d’autres, qui ne sont pas du tout experts, qui ont fait un film ou que sais-je, et qui pensent qu’ils ont toute licence pour parler du Rwanda, qui sont des grands moralistes intellectuels de notre temps. Et eux viennent. Et c’était curieux parce que je ne veux vraiment pas le citer mais il est cité dans mon bouquin... Et il y en a un d’entre eux, qui est un intellectuel très respectable… Non, non mais je ne suis pas là pour le citer ! Mais… Et on a avait eu droit à un échange assez intéressant parce qu’à la Cour d’assises, vous le savez peut-être mais le président à un rôle extrêmement important : c’est lui qui fait le débat, il pose des questions, etc. Mais quand il y a des jurés courageux – et ça peut arriver, d’ailleurs, ceux qui votent pour l’acquittement parfois –, eh bien eux-mêmes peuvent poser des questions. Et cet expert, on lui avait demandé quel était le premier génocide dans le monde. Est-ce qu’il pouvait dater, est-ce qu’il pouvait dire quel était le premier génocide. Je m’en souviens comme si c’était hier : « Est-ce que, par exemple, les Indiens d’Amérique, c’est…, on peut considérer que c’est le premier génocide ? ». Et il avait été assez bluffé par la question de ce juré et il avait dit : « Je ne sais pas répondre ». Et, donc, on se demandait : voilà un type qui vient, qui est expert du génocide des Tutsi et qui est incapable de répondre à cette question – qui est peut-être difficile –, et qui, par ailleurs, est un nouveau converti du Rwanda. Donc, au fond, il n’était ni expert du génocide, ni expert du Rwanda mais il vient. C’est la bonne parole. C’est, j’allais dire, un peu comme la signature. C’est l’Ecole des hautes études en sciences sociales. Et il a le droit de tout dire ! Tout ce qu’il dit est fantastique. Tout ce qu’il dit est intelligent. Il le dit avec une façon de le dire qui, visiblement, le tamponne. Enfin, bon. Je… Voilà. C’est quelque chose qui est assez difficile et il faut réussir à jongler avec ça.

Alexis Lacroix : Alors, vous avez été formidable tous les deux Fabrice et Hubert, on vous remercie. Mais, quand même, avant qu’on passe aux questions, parce que je suis sûr qu’il y en a plein – après vos exposés, justement, assez décoiffants, à l’un comme à l’autre –, une question, alors, vraiment de politique plus immédiate : est-ce que vous sentez Emmanuel Macron, aujourd’hui – qui n’est pas un converti du Rwanda, lui, mais… –, est-ce que vous le sentez embarrassé par les invitations que lui fait le régime de Kagame ?

Fabrice Epstein : Je veux bien répondre le premier mais je suis un très mauvais analyste politique, donc, je vous céderai la parole sur ce point-là. Moi, je n’en sais que trop rien. Emmanuel Macron est très pragmatique et il a raison. Je ne sais pas très bien ce qu’il a fait avec cette commission d’historiens. Les gens qui se disaient spécialistes du Rwanda et du génocide qui ont été mis dehors, après tout, ils ne sont ni spécialistes du Rwanda ni spécialistes du génocide, donc c’est peut-être très bien qu’ils n’y participent pas. Bon, là-dessus, je…
Alexis Lacroix : Votre religion n’est pas faite.

Fabrice Epstein : Ma religion n’est vraiment pas faite. Je pense qu’on a intérêt à ce que les choses soient dites, à ce que les archives soient ouvertes, à ce que les uns et les autres puissent chercher, y trouver ce qu’ils veulent. D’ailleurs, je ne sais pas très bien ce qu’ils vont trouver. Moi, je suis assez favorable à ce que les dossiers judiciaires soient accessibles, malgré un certain nombre de problématiques des différents Codes français. Mais, là-dessus, je pense qu’on aura à gagner à cette toute transparence et à montrer qu’on a…, enfin, que la France n’a rien à se reprocher de ce point de vue-là.

Hubert Védrine : Alors moi, je rappelle que, si j’interviens dans ce débat – je ne parle pas d’aujourd’hui, mais en général…

Alexis Lacroix : En général, oui.

Hubert Védrine : Ce n’est pas du tout par rapport à un rôle que j’aurai joué. Je n’ai pas joué de rôle personnel dans l’affaire. Mais je suis solidaire de ce qui a été fait, j’étais au courant de ce qui a été fait. Je pense que la France a agi honorablement et qu’elle est le seul pays au monde – je le répète – à essayer d’enrayer l’engrenage dans les massacres. Donc, c’est à ce titre. Donc, je me concentre sur 90-94. Je suis président de l’Institut Mitterrand, donc, par loyauté, fidélité, je pense que, de temps en temps, je dois intervenir pour essayer de corriger – mais c’est difficile – l’interprétation dominante qui est quand même scandaleuse. Bon, après, le moment où, à mon avis, où les dirigeants français ont vraiment fauté, gravement, c’est en 2008.

Alexis Lacroix : Oui.

Hubert Védrine : Quand le rapport Mucyo a été élaboré, quand les autorités de Kigali craignaient les éventuelles conclusions du juge Bruguière. Ce rapport pour accuser en bloc les 30 à 40 responsables militaires et politiques français de l’époque. Ça aurait dû être rejeté immédiatement. Il fallait une réaction très, très, très forte tout de suite. Tout de suite, tout de suite. Ça n’a pas été le cas. Et il s’est trouvé en France ce que Lénine appelait dans un autre contexte les « idiots utiles ». Il y a une interprétation mensongère qui s’est développée, qui s’est installée, qui s’est enkystée. Donc, moi, je ne critique pas le Président Macron qui arrive dans un contexte de…, sur un héritage très difficile. Il tient compte du fait que Kagame à l’époque va être Président de l’Union africaine – puisqu’il l’a été, c’est fini maintenant –, que les Africains, pas tellement dans sa région d’ailleurs, mais plutôt ailleurs, sont assez pour lui. Donc, voilà ! Donc, je n’ai pas d’autres commentaires à faire en plus. Il est réaliste. Sur la question des archives, alors je profite de l’occasion pour rappeler que l’Institut Mitterrand que je préside n’a pas d’archives ! C’est un lieu de travail, d’étude, etc., mais il n’y a pas d’archives. Elles sont versées aux Archives nationales ! Donc, il n’y a pas l’Institut Mitterrand qui empêche l’accès aux archives Mitterrand. Il y a une mandataire désignée par Mitterrand, qui est…, qui a son mot à dire, qui est un des deux morceaux de la double-clé, justement [inaudible]. Et ça, ce n’est pas l’Institut Mitterrand. Je rappelle ensuite qu’au moment de la Mission d’information Quilès-Cazeneuve – décidée quand j’étais ministre, à la demande de Jospin et en plein accord suivi d’Alain Richard –, on a déclassifié 7 à 8 000 documents. C’est sans précédent ! C’est sans comparaison ! Il y a un rapport énorme de 700 pages, présidé par Paul Quilès, qui est très, très choqué quand on présente ce rapport comme n’ayant pas été objectif, complet, etc., etc. Mais évidemment ! Evidemment, les attaquants – c’est l’une des thèses qu’Alexis a rappelé tout à l’heure –, ils n’ont pas trouvé la confirmation dans les documents ouverts de leur thèse ! Et pour cause. Donc, ils ont dit : « Les vraies archives sont cachées ! ». Donc, si… Ils ont relancé ! Sous le Président Hollande, il y a un petit comité mais on ne sait pas à quoi il a accédé. On ne sait pas quoi. Bon. Et là, il y a une nouvelle commission d’historiens… Faisons le pari, espérons que [inaudible]. Espérons que cette commission travaillera de façon objective. J’ajoute qu’Israël a été saisie – je ne sais plus dans quelle condition – et qu’Israël a refusé d’ouvrir ses archives. Et puis Israël a soutenu Kagame à l’origine – mais ce n’est pas du tout pour embêter la France –, c’est parce que, pour les Israéliens et pour les Américains, c’était important d’avoir l’Ouganda comme base arrière pour alimenter des guérillas au Soudan. Soudan islamiste ou dangereux. Ça fait partie de la géopolitique. La Grande-Bretagne, à ma connaissance, a refusé et n’a rendu publique que deux lettres sans importance de Tony Blair. Et moi, je suis… Comme je ne suis pas du tout hostile à l’ouverture des archives – d’ailleurs, je ne les connais pas –, d’autant que les chefs militaires français ne sont pas hostiles, je suis plutôt content de pouvoir enfin…, que les gens voient que les accusations sont infondées. Mais j’ai trouvé bizarre que la campagne en question ne concerne que les archives françaises ! C’est bizarre que les uns et les autres ne s’intéressent pas aux archives du Rwanda s’il y en a, de l’Ouganda, ou du Congo, des Etats-Unis, d’Israël, de ceux-ci, ceux-là, d’Arusha, du Tribunal pénal, de l’ONU ! D’abord, ce n’est pas du tout une réticence par rapport à… Alors, les seuls qui sont vraiment réticents, en matière d’ouverture des archives, c’est les milieux des archivistes qui considèrent que les lois contemporaines, notamment depuis Mitterrand, sur la protection des archives présidentielles ou ministérielles, c’est très important, qu’il y a des dates de protection variables selon qu’il y a des données personnelles, secret-défense, etc., etc. Et puis si tout ça saute, parce qu’une campagne de presse répétée, tenace, a fait sauter cette protection, il n’y a plus d’archives, en fait. Plus personne ne mettra ses archives là. Donc ça, c’est un enjeu mais qui n’a rien à voir avec le Rwanda. C’est plus général.

Alexis Lacroix : Merci infiniment à tous les deux. Donc, je rappelle : Fabrice Epstein, Un génocide pour l’exemple. Merci beaucoup aussi, Hubert Védrine, de vous être prêté à l’exercice de ce débat, je pense, assez constructif, mais qui n’est pas terminé – on les applaudit, quand même, tous les deux [applaudissements du public] –, qui n’est pas terminé puisqu’on a une vingtaine de minutes pour qu’ils répondent, l’un et l’autre, à vos, j’imagine, nombreuses questions.

Fabrice Epstein : Pardon, mais je voudrais dire une dernière chose avant. Ce n’est pas pour faire la promotion de mon livre du tout mais c’est un peu pour…

Alexis Lacroix : Mais vous avez le droit, vous avez le droit !

Fabrice Epstein : Non, mais… C’est un peu aussi pour sortir du Rwanda. C’est que le livre va au-delà du procès de Pascal Simbikangwa ou de la question de la France, etc., pour raconter une histoire personnelle et c’est aussi pour ça que je pense qu’il a vocation… En tout cas, il est agressif à certains égards. C’est-à-dire, même-là, j’énonçais que je savais taper sur un certain nombre de personnes. Mais à d’autres, il est plus consensuel. Et il raconte comment, d’une posture de victime, si l’on puit dire, qui est héritée, on peut aller vers une autre posture. Et en tout cas s’intéresser à autre chose d’un autre côté. Du côté du bourreau n’est pas réellement un terme qui est employé, mais… En tout cas une… C’est une discussion qui permet, via le retour sur son propre génocide, sa propre histoire, en Biélorussie… Je raconte ces pages avec mon père, etc., qu’on a été voir là où mon grand-père est né. Et tout ça, je pense que ça devrait aussi permettre… Et c’est… Je parlais aussi d’apaisement. Ça devrait aussi permettre à une voix comme la mienne d’être un peu crédible dans ce débat. Et de dire : « Je ne suis pas qu’un ultra qui est du côté, entre guillemets, des “Hutu génocidaires” ». Mais j’ai aussi fait le… – et je le raconte avec Simbikangwa –, j’ai aussi fait…, essayé d’être un honnête homme, dans le sens où, en le rencontrant la première fois, je me suis dit : « C’est quoi ce truc ! Le mec, il dit absolument n’importe quoi ! Il est paranoïaque ! Des Kagame par-ci, Kagame par-là, je ne comprends rien ! Et d’ailleurs, il est sûrement coupable ». Et ça, je ne devrais pas le dire parce que je suis avocat. A, au contraire, un glissement vers un discours qui est audible, qui est le sien. Et aussi, chez moi, un itinéraire, un chemin. Alors, ce n’est pas le chemin de Saint-Paul Kagame [sourire], c’est différent, mais… En tout cas, voilà : un chemin, une explication, un itinéraire qui fait qu’on doit réfléchir, on doit dépasser une certaine posture. Et c’est ce que ce bouquin raconte aussi.

Hubert Védrine : Est-ce que ça a été perturbant, pour vous ?

Fabrice Epstein : Oui, ça a été perturbant. Pas au point de ce que certains journalistes-ennemis disent sur mon…, ma faculté mentale à plus être bien [inaudible], mais… Non, ça a été… Ça n’a pas été perturbant. Ça a été… C’est comme se confronter à quelque chose. Donc, peut-être que c’est perturbant pour les uns et les autres de se regarder dans un miroir. Pour moi, ça a été un exercice…, un peu comme une psychanalyse, disons. Long ! Ça été un long exercice.

Alexis Lacroix : On peut continuer la cure analytique, en psychothérapie, là [sourire] !

Fabrice Epstein : Bien sûr, excusez-moi !

Alexis Lacroix : Vous voyez, avec quelques questions. Donc, on y va.

Un membre du public : Oui, j’aurais une question et je ne voudrais pas la poser aux intervenants. Je voudrais la poser au spécialiste de la presse. Vous êtes journaliste et je voudrais vous poser un cas d’école : il y a un militaire qui est apparu miraculeusement, lors du… Il y a cinq ans. Et il truste tous les médias ! Il expliquait, il y a deux jours…

Alexis Lacroix : Qui est-ce ?

Le même intervenant : Ancel, bon ! Moi, je vais dire son nom. Guillaume Ancel…

Alexis Lacroix : Ancel ? Je ne le connais pas.

Le même intervenant : Dommage. Il a fait 178 prestations, il a dit. A côté de cela, il y a une personne qui s’appelle Judi Rever, qui est éditée par le plus grand éditeur nord-américain, Penguin Random House, qui accumule les reconnaissances internationales. Elle a été nominée pour deux prix, elle en a obtenu un. On a dit qu’à Hong-Kong, son bouquin était dans les six meilleures ventes…

Fabrice Epstein : Alors, je peux vous interrompre une seconde ?

Une dame prend la parole : Pardonnez-moi, juste une seconde puisque je vois que certaines personnes partent. Donc, en termes d’organisation, le livre de Fabrice est bien sûr disponible. Et, ce que je vous propose aussi, c’est de continuer la discussion ensuite pendant qu’il dédicace son livre et que vous preniez une coupe de champagne. Voilà.

Alexis Lacroix : Bien sûr. Juste… On lui laisse juste finir sa question !

La même intervenante : Voilà. Mais je ne voudrais pas priver certains de leur dédicace.

L’intervenant cité plus haut : Judi Rever, elle accumule les reconnaissances internationales : conférences à Tokyo, Hong-Kong… On dit qu’elle est dans les [inaudible] des six meilleurs bouquins. Elle a eu…

Fabrice Epstein : Vous connaissez la réponse ! Vous connaissez la réponse à votre question.

L’intervenant : Elle a… Elle a eu deux interviews : un par quelqu’un qui n’avait même pas lu le bouquin. Et un deuxième, un peu mieux, dans France 24. Et, par contre, l’autre militaire, j’ai dû compter à peu près 80 interviews le dernier mois. Alors, il est clair que chez les journalistes français, il y a une quinzaine de militants. Hubert Védrine a parlé de 50 activistes, 15 journalistes militants. Et j’ai l’impression que, derrière, il y a du panurgisme. Ça suit et il n’y a aucune valeur ajoutée.

Alexis Lacroix : C’est possible, c’est possible. Je vous aurais répondu, vraiment, de la manière la plus sincère possible. Mais je ne connais pas ce…

L’intervenant : Vous êtes bien le seul.

Alexis Lacroix : Ah non, mais je ne le connais pas ! D’autant plus que…

L’intervenant : Vous êtes journaliste ? Vous êtes bien le seul [rires].

Alexis Lacroix : Je ne me prononcerai pas… Non, mais, vous savez, moi, je n’ai pas spécialement travaillé sur la question du Rwanda. Donc, je suis désolé, je n’ai jamais vu d’interview de ce Monsieur. Donc, je suis désolé ! Là, je ne peux pas vous répondre.

L’intervenant : D’autant plus…

Alexis Lacroix : Je l’aurais fait sur un cas particulier que je connais, mais...

L’intervenant : D’autant plus qu’Hubert Védrine a souligné que ce qu’il dit maintenant est en contradiction avec ce qu’il a écrit dans son rapport de fin de mission…

Alexis Lacroix : Je connais son nom mais je n’ai jamais lu…

L’intervenant : C’est quand même un vrai problème. Comment se fait-il qu’il y ait ce panurgisme dans les médias et qu’on n’ouvre pas un peu, qu’on ne regarde pas ce qui s’écrit à l’étranger ? Rien ! Rien, rien, rien ! C’est autocentré, narcissique.

Alexis Lacroix : Ça, c’est vrai que, là [inaudible] cas général parce que, sincèrement, je n’ai pas suivi ses travaux. Donc, je ne vais pas commenter une pensée ou une réflexion que je ne connais pas. Ça ne sert à rien, je dirai n’importe quoi, donc. Mais en revanche…

L’intervenant : Non, mais c’est les médias ! C’est les médias dont je parle !

Alexis Lacroix : En revanche, le panurgisme autocentré, le fait qu’il n’y a pas assez de curiosité dans ce qui s’écrit à l’étranger, ça c’est un trait ! Et c’est aussi un trait critiquable, malheureusement très partagé chez l’ensemble des élites françaises, vous voyez, qui pensent que leurs petits débats à elles intéressent le monde entier et sans se rendre compte qu’il y a souvent des travaux bien supérieurs, dans le monde anglo-saxon par exemple. Et là, je ne vous réponds pas sur Ancel, je ne connais pas ses travaux.

Hubert Védrine : Ce n’est pas du panurgisme, c’est une volonté collective pour ne pas donner la parole aux experts étrangers qui contredisent la thèse dominante...

Alexis Lacroix : Peut-être, peut-être mais alors je… Peut-être, je n’en sais rien, là ! Vous voyez, je ne veux pas dire des bêtises. Ancel, je ne le connais pas. Enfin, je le connais de nom mais je n’ai jamais suivi ce qu’il racontait. Donc, je me prononce… Moi, j’aime bien me prononcer sur des choses que j’ai entendues personnellement.

Hubert Védrine : Ce n’est pas Frédéric Encel, le géopoliticien.

Alexis Lacroix : Non, non, non ! Mais j’ai bien compris !

Hubert Védrine : C’est l’ex-capitaine ou sous-lieutenant, c’est ça ?

Fabrice Epstein : Je vous propose qu’avant que j’aille signer le bouquin qu’on puisse prendre une petite coupe de champagne, comme ça...

Une intervenante : Il y a une question.

Alexis Lacroix : Très rapidement, puis après on va prendre une coupe de champagne.

L’intervenante : Ne pensez-vous pas que le génocide rwandais, tel qu’on le connaît, ne cacherait pas un autre deuxième génocide beaucoup plus important, enfin, si j’ose dire, c’est le génocide congolais ?

Fabrice Epstein : Là-dessus, là encore, je suis vraiment un très, très mauvais analyste politique. Je ne saurai pas répondre à cette question. Très franchement. Je ne sais pas si vous avez une réponse, mais…

Hubert Védrine : C’est une controverse très ancienne parce que les gens, notamment les églises congolaises, l’Eglise congolaise parle d’un double génocide. Et alors dès que c’est évoqué, évidemment, il y a une réaction très, très, très, très, très violente en disant il n’y en a qu’un. Et ceux qui disent qu’il n’y a qu’un génocide considèrent qu’il n’y a même pas de crimes en face ! Donc, il y a tout [une] espèce de débat qu’on entend, c’est un… Moi, déjà quand j’étais encore ministre, j’étais interviewé par un journaliste qui m’a dit : « Quoi, quelqu’un a dit qu’il y a eu un double génocide [inaudible] ». C’était pour me piéger. Il me le disait [inaudible]. Et alors, j’ai dit : « Eh bien, on évalue le génocide des Tutsi à, je ne sais pas très bien, 600-700-800 000. Et puis les rapports de l’ONU, le rapport Mapping par exemple, au Congo, parle de trois à quatre millions de morts ». Donc, j’ai retourné la question. J’ai dit : « Vous appelez ça comment, vous ? ».

Alexis Lacroix : Merci en tout cas à tous les deux [applaudissements du public]. Un génocide pour l’exemple de Fabrice Epstein au Cerf.

[Fin de la transcription]

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024