Fiche du document numéro 24259

Num
24259
Date
Mercredi 17 avril 2019
Amj
Taille
326047
Titre
L’Église rwandaise doit vivre avec son passé
Sous titre
Reportage La Semaine sainte au Rwanda (1/3) – Le génocide a lourdement marqué l’Église rwandaise, qui n’a pas su protéger ses fidèles. Depuis la visite de Paul Kagame au Vatican en 2017, les relations semblent apaisées avec le pouvoir, qui entend toutefois renforcer son contrôle sur les Églises.
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Les catholiques rwandais forment toujours une communauté dynamique

« Maintenant, c’est fini?! Cette visite a assaini nos relations », résume le père Vincent Gasana. Le secrétaire national de la commission Justice et Paix explique que les tensions entre le président rwandais et l’Église catholique locale ont disparu depuis la visite de Paul Kagame au Vatican en mars 2017. évoquant le génocide de 1994, le pape François avait alors demandé « le pardon de Dieu pour les péchés et les échecs de l’Église et de ses membres, y compris les prêtres, les religieux et les femmes qui ont succombé à la haine et à la violence, trahissant leur mission évangélique ».

Au Rwanda, les héritiers du génocide



L’évêque de Butare et président de la Conférence épiscopale du Rwanda, Mgr Philippe Rukamba, le rappelle?: « Des chrétiens ont été tués par d’autres chrétiens. Certains religieux ont été accusés d’avoir véhiculé l’idéologie du génocide. Une bonne dizaine de prêtres ont été en prison. Un prêtre a été condamné par le Tribunal pénal international d’Arusha. »

L’Église ne pouvait pas sortir indemne d’un génocide qui a causé la mort d’au moins 800 000 personnes. 104 prêtres ont été assassinés, en majorité d’origine tutsie. Des églises où les Tutsis avaient cherché refuge sont devenues le lieu de leur sacrifice. Comme celles de Ntarama et Nyamata, devenues aujourd’hui des mémoriaux. D’autres membres de l’Église rwandaise ont été tués par les militaires du Front patriotique rwandais (FPR), commandés par l’actuel président Kagame. Ce fut le cas de trois évêques.

Avant 1994, l’Église catholique était au centre de la société. Elle soignait dans ses dispensaires et enseignait dans ses écoles. Le père Vincent Gasana se souvient de la réaction des fidèles après le génocide?: « Ils nous ont dit?:”C’est vous qui formiez les élites et regardez ce qu’elles ont fait?!” » Mgr Philippe Rukamba répète ce que lui lancent des jeunes?: « Vous avez failli dans votre mission?! » À l’occasion des 25 ans du génocide, il va ouvrir « un colloque sur la purification de la mémoire ».

« 800 religions sont reconnues. C’est devenu un véritable business »



Malgré ce séisme, l’Église catholique reste vivante au Rwanda. Une soixantaine de prêtres sont ordonnés chaque année. Les églises sont pleines, comme les grands séminaires, et 70 des 100 meilleures écoles rwandaises sont catholiques. Mais le pays n’est plus le même et l’Église tente de s’adapter. Comme dans d’autres pays d’Afrique, elle voit monter l’importance des Églises évangéliques, très actives en République démocratique du Congo (RDC), au Burundi, en Tanzanie ou en Ouganda. Autant de pays voisins où s’étaient réfugiés de nombreux Rwandais, revenus désormais dans leur pays. Mgr Philippe Rukamba constate?: « Avant le génocide de 1994, huit religions étaient reconnues par l’État. Aujourd’hui, ce sont 800 religions qui sont reconnues. C’est devenu un véritable business. »

L’Église catholique a aussi dû s’adapter à une nouvelle langue, l’anglais, promue langue officielle au même titre que le kinyarwanda et le français. « Historiquement, nous étions plus proches de nos voisins francophones, le Burundi et la RDC. Il a fallu nous mettre à l’anglais dans notre enseignement, et cela ne pouvait pas se faire du jour au lendemain », poursuit l’évêque.

Ce qui préoccupe le plus l’Église rwandaise, c’est de répondre aux exigences de l’État en matière de transparence des comptes. « L’État va commencer à contrôler nos ressources. Nous devons être transparents. Fini le temps où un curé faisait la pluie et le beau temps dans sa paroisse », explique Mgr Rukamba. L’État règle déjà la quasi-totalité des salaires des enseignants du secteur privé et des personnels de santé de l’Église. Mais il entend maintenant que les Églises fassent fructifier les biens qui leur appartiennent. Sous peine de les leur reprendre. « Nous devons entretenir tous nos bâtiments, cultiver ou construire sur nos terrains », constate l’évêque. Alors, pour pouvoir discuter d’égal à égal avec les services financiers de l’État, l’Église cherche des comptables de qualité. « Mais nous n’arrivons pas à les garder. Ils sont trop chers?! »

Parole



« S’occuper des tout-petits, c’est toucher Jésus »
Sœur Fortunée Mukamurenzi, Congrégation d’Abizeramariya (à Butare)


« Cette année, 21 novices vont entrer dans notre congrégation d’Abizeramariya (sœurs qui espèrent en Marie), fondée en 1956 par Mgr Raphaël Sekamonyo. Elles veulent savoir ce qui s’est passé pendant le génocide et faire en sorte que ces choses inhumaines n’arrivent plus. En parler, c’est une sorte de thérapie. Notre charisme est d’aider les personnes âgées. Nous avons huit maisons dans tout le pays pour les accueillir. C’est cette façon d’approcher les personnes les plus démunies qui m’a attirée. Jésus dit?: “Ce que vous avez fait à l’un de ces petits, c’est à moi que vous l’avez fait.” S’occuper de ces tout-petits, c’est toucher Jésus. »

Pierre Cochez, envoyé spécial à Kigali

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