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Finalement, le président Emmanuel Macron ne se rendra pas aux cérémonies de Kigali qui marqueront, ce week-end, le 25e anniversaire du déclenchement du génocide des Tutsis au Rwanda (un million de morts), un génocide qui est un objet de contentieux entre les deux pays en raison de l’appui apporté par Paris aux génocidaires.
On s’attendait pourtant à ce que ce jeune Président, non lié aux partis qui avaient fait ce choix désastreux au nom de la France, fasse un geste historique. “Il n’a pas osé aller jusqu’au bout de sa démarche”, analyse François Gaulme, chercheur à l’Ifri (Institut français de relations internationales). En mai dernier, le président rwandais Paul Kagame avait pourtant été reçu en visite officielle à Paris et le gouvernement français avait appuyé l’élection, en octobre 2018, de la ministre rwandaise des Affaires étrangères, Louise Mushikiwabo, à la tête de l’Organisation de la Francophonie.
Représenté par un jeune député inconnu
En l’absence d’un ambassadeur de France à Kigali, le président Macron ne sera représenté que par un jeune député de 29 ans, Hervé Berville, inconnu mais orphelin tutsi rwandais adopté par un couple français en 1994.
Les oppositions à un reniement de la politique française envers le Rwanda à l’époque – quand François Mitterrand cohabitait avec la droite – sont encore fortes en France, tant chez les politiques impliqués dans ces choix que chez les militaires appelés à les appliquer. La France a en effet aidé militairement le gouvernement Habyarimana, qui prépara le génocide, ainsi que son successeur qui le mit en oeuvre, le gouvernement Kambanda, et livra des armes aux génocidaires réfugiés au Zaïre voisin pour fuir la victoire du Front patriotique rwandais (FPR, rébellion essentiellement tutsie à l’époque; aujourd’hui au pouvoir).
Alors qu’un grand nombre de présumés génocidaires se sont réfugiés en France, il a fallu attendre 20 ans, en 2014, avant qu’une Cour d’assises française juge l’un d’entre eux – contrairement à ce que firent d’autres pays comme la Belgique, le Canada, la Suède, la Finlande, l’Allemagne, la Norvège, les Etats-Unis, les Pays-Bas ou la Suisse.
En outre, malgré l’annonce de “déclassification” des archives Mitterrand, les chercheurs n’y ont toujours pas accès pour ce qui touche au Rwanda.
Le mur du silence se lézarde pourtant, avec la parution d’ouvrages et interviews de militaires envoyés au Rwanda. Le journaliste Patrick de Saint-Exupéry avait ouvert le ban dix ans après le génocide en accusant (“L’Inavouable”, ed. Les Arènes 2004) des officiers du Commandement des opérations spéciales (COS, dépendant directement du Président de la République) d’avoir laissé volontairement tuer des survivants tutsis à Bisesero par des extrémistes hutus, lors de l’opération Turquoise, présentée par Paris comme une opération humanitaire.
L’adjudant-chef Thierry Prungnaud avait été le premier militaire à parler, dans un livre co-écrit avec la journaliste Laure de Vulpian (“Silence Turquoise”, Ed. Don Quichotte, 2012), expliquant comment l’armée française, lors de Turquoise, avait laissé massacrer des civils.
Rétablir au pouvoir les génocidaires
Le capitaine Guillaume Ancel (“Rwanda, la fin du silence”, Ed. Les belles lettres, 2018) a raconté comment, lors de Turquoise, il avait été envoyé guider depuis le sol des bombardements aériens contre une colonne du FPR, lors d’une mission au Rwanda destinée, indiquait son ordre de route, à rétablir le gouvernement génocidaire qui venait de fuir Kigali devant l’avancée de la rébellion; l’ordre de ne pas bombarder est arrivé in extremis de l’Elysée. Il indique aussi que des armes ont été livrées aux génocidaires réfugiés au Zaïre par les militaires français de l’opération Turquoise.
Le général Jean Varret a raconté à Radio France (https://www.franceculture.fr/geopolitique/genocide-au-rwanda-le-general-jean-varret-parle-d-une-faute-et-d-une-responsabilite-de-la-france) comment, alors chef de la Coopération militaire avec le gouvernement Habyarimana à Kigali, il avait été écarté après avoir alerté plusieurs fois Paris sur les risques de la politique de soutien à Habyarimana. Le chef d’état-major de la gendarmerie rwandaise, le colonel Pierre-Célestin Rwagafilita, en novembre 1990, lui avait demandé des armes lourdes pour “liquider » les Tutsis.