Citation
N° 414821
M. N...
2ème et 7ème chambres réunies
Séance du 18 février 2019
Lecture du 28 février 2019
CONCLUSIONS
Mme Sophie ROUSSEL, rapporteure publique
M. N... est un ressortissant rwandais d’origine Hutu, né en 1955. Militaire de carrière,
occupant le grade de major – équivalent à celui de commandant dans l’armée française – il a
été engagé sur différents fronts et champs de bataille lors de la guerre ayant débuté en 1990
entre les Forces armées rwandaises (FAR) et le Front patriotique rwandais (FPR). Au moment
des massacres entre avril 1994 et jusqu’à sa fuite de Kigali en juillet de la même année,
M. N... était chargé du commandement de l’une des trois unités d’élite de l’armée rwandaise,
le bataillon blindé de reconnaissance de Kigali (bataillon RECCE).
Il est entré en France en 1997 et a sollicité le statut de réfugié, lequel lui a été refusé par une
décision du directeur de l’OFPRA du 25 janvier 1999, au motif qu’il existait des raisons
sérieuses de penser que il s’était rendu coupable du crime de génocide au sens du a) de
l’article 1 F de la convention de Genève.
M. N... a contesté ce refus devant la commission de recours des réfugiés. Toutefois, au cours
du mois de mai 2000, les autorités françaises ont décidé de son transfert devant le Tribunal
pénal international pour le Rwanda (TPIR), devant lequel il était poursuivi pour crime contre
l’humanité, entente en vue de commettre un génocide et violation grave de l’article 3 commun
aux conventions de Genève et au protocole additionnel II.
La Commission de recours de réfugiés en a tiré les conséquences par une décision du 6
décembre 2000 par laquelle elle a constaté qu’il n’y avait plus lieu de statuer sur sa requête.
Elle l’a toutefois invité, lorsque la procédure devant le TPIR serait achevée, à saisir de
nouveau la commission afin qu’il soit statué sur son recours.
Par un jugement du 17 mai 2011, la chambre de première instance du TPIR a déclaré M. N...
coupable d’assassinat constitutif de crime contre l’humanité et de meurtre constitutif de
violation grave de l’article 3 commun aux Conventions de Genève et du Protocole additionnel
II pour avoir ordonné, aidé et encouragé à commettre le meurtre du Premier ministre Agathe
Uwilingiyamana et pour n’avoir pas puni les auteurs du meurtre, le 7 avril 1994, de dix
soldats belges de la Mission des Nations Unies pour l’assistance au Rwanda (Minuar) chargés
de l’escorte du Premier ministre, et l’a condamné à 20 ans d’emprisonnement. Les autres
douze autres chefs d’accusation n’ont pas été retenus, le Procureur n’ayant pas prouvé « au
delà de tout doute raisonnable » la culpabilité de M. N.... Celui a cependant bénéficié d’un
acquittement en appel, par un arrêt du 11 février 2014, en raison notamment d’erreurs de droit
et de faits et de dysfonctionnements procéduraux, ayant conduit le tribunal à juger que les
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le code de la propriété intellectuelle. Par ailleurs, toute rediffusion, commerciale ou non, est subordonnée à l’accord du rapporteur public
qui en est l’auteur.
éléments matériels présentés par l’accusation ne permettaient pas d’établir, « au delà de toute
doute raisonnable », la culpabilité de M. N....
C’est à la suite de cet acquittement définitif que M. N... s’est retourné vers la Cour nationale
du droit d’asile (CNDA), afin d’être « rétabli dans son recours enregistré en 1999 ».
Par l’arrêt attaqué, dont la motivation est particulièrement circonstanciée, la CNDA a rejeté
cette demande. Elle a certes jugé que M. N... était exposé à un risque de persécution en cas de
retour dans son pays en raison de ses opinions politiques et de celles qui lui sont imputées,
mais a considéré – en dépit de l’arrêt d’acquittement du TPIR du 11 février 2014 – qu’il
existait, au vu de ses responsabilités dans l’armée rwandaise à la date des faits, des raisons
sérieuses de penser qu’il avait contribué à la préparation ou à la réalisation du crime de
génocide ou en avait facilité la commission ou avait assisté à son exécution sans chercher à
aucun moment, eu égard à sa situation, à le prévenir ou à s’en dissocier au sens et pour
l’application du a) de l’article 1 F de la convention de Genève.
Vous écarterez sans difficulté les deux moyens de procédure invoqués.
Vous jugez, d’une part, que la CNDA peut, sans méconnaître le caractère contradictoire de la
procédure, fonder sa décision sur des éléments d’information générale librement accessibles
au public sans les avoir versés au dossier (CE, 30 décembre 2014, M. K..., n° 371502, T. pp.
525-526). Or si le mémoire en défense de l’OFPRA devant la cour était effectivement assorti
de 72 notes en bas de page renvoyant à des actes de procédures du TPIR, des notes
d’information de Haut-commissariat des Nations-Unies pour les réfugiés (UNHCR), des
articles de journaux, des rapports du Sénat belge et de la Minuar ainsi que des extraits de
livres, la plupart d’entre eux étaient publics et aisément accessibles. Pour les autres, il ressort
des pièces du dossier devant la cour qu’ils ont fait l’objet d’une communication à un autre
stade de la procédure. La cour n’a donc ni méconnu le caractère contradictoire de la
procédure, ni porté atteinte aux droits de défense de M. N....
La cour n’a pas, davantage, méconnu les droits de la défense du requérant en faisant mention
dans son arrêt des motifs de l’acquittement de M. N... par l’arrêt du 11 février 2014 de la
chambre d’appel du TPIR, rédigé en anglais. Vous avez en effet jugé par cette même décision
K... qu’aucune règle ni aucun principe ne s'oppose à ce que la cour tienne compte de
documents indisponibles en langue française, dès lors que leur utilisation ne fait pas, comme
en l'espèce, obstacle à l'exercice par le juge de cassation du contrôle qui lui incombe. Nous
relevons en outre que cet arrêt a été produit par M. N... lui-même et qu’il n’a pas transmis la
traduction en français que lui demandait la Cour alors même qu’elle n’était pas tenue, en vertu
de votre jurisprudence C... (CE, 27 février 1987, n° 62851, T. p. 734), de le faire.
Mais là n’est pas l’essentiel du pourvoi, qui porte sur les motifs par lesquels la cour a jugé, en
dépit de la décision d’acquittement du TPIR, qu’il existait des raisons sérieuses de penser que
M. N... s’était rendu coupable des crimes mentionnés au a) de l’article 1 F de la convention de
Genève.
Trois types de moyens sont avancés pour soutenir que l’acquittement dont a bénéficié M. N...
faisait obstacle à l’application de la clause d’exclusion. Les premiers reposent sur le caractère
attentatoire aux droits de l’homme, particulièrement aux articles 3 et 6 de la convention
européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, de l’exclusion
du statut de réfugié. Les deuxièmes tiennent à l’objet même des clauses d’exclusion, qui
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qui en est l’auteur.
aurait été méconnu. Les derniers sont fondés sur l’autorité qui s’attache aux jugements rendus
par le Tribunal pénal international pour le Rwanda. Aucun ne nous paraît susceptible de
prospérer.
Commençons par les moyens tirés de l’atteinte portée aux droits protégés par les articles 3 et
6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés
fondamentales. Le pourvoi ne se place pas sur le terrain d’une incompatibilité de principe
entre la clause d’exclusion de la convention de Genève avec les stipulations des articles 3 et 6
de la convention européenne, laquelle échapperait largement, en vertu de votre jurisprudence
K... (CE, Assemblée, 23 décembre 2011, n° 303678, p. 623), à votre office. Il est au contraire
soutenu, par une argumentation in concreto, d’une part, que M. N..., dont la femme a obtenu
en France le statut de réfugié puis la nationalité française, se trouve, par le jeu de la clause
d’exclusion, dans une situation d’exil permanent constitutive d’un traitement inhumain et
dégradant prohibé par l’article 3 et, d’autre part, qu’il est porté atteinte à la présomption
d’innocence garantie par l’article 6. Ces moyens nous paraissent l’un et l’autre inopérants.
S’agissant de l’article 3, vous avez déjà eu l’occasion de rappeler que la décision se
prononçant sur le droit au bénéfice du statut de réfugié et à la protection subsidiaire n’a ni
pour objet ni pour effet de conférer ou de retirer au demandeur le droit de séjourner en France
ni de fixer le pays de destination où l’intéressé devrait être reconduit : CE, 16 octobre 2009,
Mme H..., n° 311793, T. pp. 743-790-910, à propos d’une ressortissante rwandaise à qui la
clause d’exclusion avait été appliquée alors que, comme pour M. N..., la réalité du risque de
persécution en cas de retour dans son pays d’origine n’était pas douteuse. La circonstance que
M. N... ait bénéficié dans ce dossier d’un acquittement par le TIPR est sans incidence sur cette
solution d’inopérance.
Quant à l’article 6, vous jugez de façon constante que la CNDA, qui a remplacé la
Commission des recours des réfugiés, n’est dans le champ ni dans son volet civil, ni dans son
volet pénal (CE, 7 novembre 1990, Mme S..., n° 93993, p. 311 ; CE, 30 décembre 1998, T...,
n° 184012, T. pp. 907-967 ; pour une réaffirmation récente : CE, 9 novembre 2016, K... c/
OFPRA, n° 395593, aux tables sur un autre point). L’invocation de la méconnaissance du
paragraphe 2, qui garantit le respect de la présomption d’innocence, est donc inopérante et la
jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme citée dans le pourvoi n’est pas
topique 1.
Le pourvoi défend en deuxième lieu l’idée selon laquelle les clauses d’exclusion auraient
uniquement été conçues pour éviter que le statut de réfugié ait pour conséquence l’impunité
des auteurs de certains crimes d’une exceptionnelle gravité, à une époque où il n’existait pas
justice pénale internationale pour les juger. Il en déduit que dès lors que M. N... a été
poursuivi, jugé et même acquitté par une juridiction pénale internationale, il n’est plus
susceptible de se voir appliquer la clause d’exclusion de la convention de Genève. Nous ne
contestons pas cette finalité. Mais elle ne suffit certainement pas à traduire, à elle seule,
l’esprit qui a présidé à la rédaction des clauses d’exclusion. Le raisonnement qui sous-tend les
clauses d’exclusion est en effet plus large : certains actes sont d’une gravité telle qu’alors
même que leurs auteurs risquent des persécutions en cas de retour dans leur pays d’origine,
1
L’application de la clause d’exclusion à M. N... ne constitue nullement une procédure judiciaire consécutive à
son acquittement par le TPIR, ni d’un complément à la procédure pénale engagée par ce tribunal, ce qui
correspond aux critères définis par la CEDH dans ses arrêts (v. par exemple CEDH, 13 juillet 2010, Tendam c/
Espagne, n° 25720/05).
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leurs agissements les rendent indignes de bénéficier d’une protection internationale en tant
que réfugiés. S’y ajoute la volonté de protéger l’Etat d’accueil des risques d’atteinte à la
sécurité et à l’ordre public que pourrait causer la présence d’un tel individu sur le territoire.
En l’absence de stipulation expresse le prévoyant, et alors même qu’il existe indéniablement
un recoupement entre le droit pénal international, le droit des réfugiés et le droit international
humanitaire, nous ne croyons pas qu’il se déduise mécaniquement de la compétence des
juridictions pénales internationales pour réprimer les crimes de guerre, crimes contre la paix
et crimes contre l’humanité un monopole qui ferait obstacle à l’application de la clause
d’exclusion prévue par l’article 1 F a) de la convention de Genève. Nous relevons en outre sur
ce point que les lignes directrices édictées par le Haut-commissariat aux réfugiés sur
l’application des clauses d’exclusion 2 de l’article 1 F de la convention de Genève ne disent
mot de l’application de ces clauses à un demandeur d’asile acquitté par une juridiction pénale
internationale 3. Quant à la doctrine, dont certains auteurs sont mentionnés dans le pourvoi,
elle est loin d’être univoque sur cette question.
Nous ne croyons pas non plus, en dernier lieu, que la cour aurait méconnu l’autorité de chose
jugée qui s’attache à l’arrêt du 11 février 2014 acquittant définitivement M. N.... Suivant la
jurisprudence de votre homologue judiciaire (Cass. 3 mars 1930, Hainard, S. 1930, I, p. 377,
note Niboyet, reprenant une jurisprudence ancienne Buckley, S. 1860, I, p. 210), vous
considérez que les jugements étrangers déterminant l’état des personnes et, de ce fait, non
soumis à la procédure préalable d’exequatur, ne sont revêtus que de l’autorité relative de
chose jugée et ne sont pas opposables aux tiers (CE, Assemblée, 23 juillet 1974,
Dame veuve N..., n° 81086, p. 428, avec les concl. de M. Morisot ; CE, 24 novembre 2006,
B..., n° 275527, p. 484). Pour les jugements rendus dans les autres matières, sauf texte spécial,
vous considérez qu’un jugement étranger constitue, dans l’hypothèse où il n’est pas revêtu de
l’exequatur, un simple élément de fait (CE, 17 novembre 1972, Dame veuve B...¸n° 86388, p.
731).
Il nous semble que vous ne pouvez raisonner ainsi s’agissant des décisions rendues par des
juridictions pénales internationales, à la mise en place desquelles la France, à travers son rôle
au sein du Conseil de sécurité des Nations Unies, a contribué. Vous affaibliriez alors
considérablement l’efficacité de la justice pénale internationale et son articulation avec celle
des Etats.
Cela nous paraît évident pour la Cour pénale internationale, dont la ratification du traité
l’instituant a nécessité une révision de la Constitution, eu égard notamment aux atteintes
portées aux conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale (Conseil
constitutionnel, décision n° 98-408 DC du 22 janvier 1999, Traité portant statut de la Cour
2
UNHCR « Principes directeurs sur la protection internationale : application des clauses d’exclusion : article 1F
de la Convention de 1951 relative au statut de refugié », HCR/GIP/03/05, 4 septembre 2003 :
https://www.unhcr.org/fr/publications/legal/4ad2f7f8e/principes-directeurs-protection-internationale-no-5application-clauses.html et Note d’information sur l’application des clauses d’exclusion : article 1F de la
Convention de 1951 relative au statut des réfugiés https://www.refworld.org/docid/4110d7334.html
3
Les conclusions de la réunion d’experts, organisée du 11 au 13 avril 2011 à Arusha par le Haut-commissariat
des Nations Unies aux réfugiés et le TPIR à l’occasion du soixantième anniversaire de la convention de Genève
(https://www.refworld.org/pdfid/4e1729d52.pdf), soutiennent l’idée l’acquittement d’un demandeur d’asile par
une juridiction pénale internationale pour des raisons de fond (non procédurales) devrait conduire à ce que l’acte
d’accusation le concernant ne puisse plus être regardé comme la preuve d’une raison sérieuse de penser qu’il a
commis un crime. Elles estiment qu’une telle décision devrait au minimum conduire au réexamen de la demande
d’asile. Ce sujet est annoncé comme l’un des chantiers des prochaines lignes directrices.
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pénale internationale). Cela nous paraît s’imposer également s’agissant des tribunaux pénaux
internationaux régionaux mis en place sous l’égide des Nations Unies. Si le Statut du tribunal
pénal international pour le Rwanda, annexé la résolution 955 (1994) du 8 novembre 1994 du
Conseil de sécurité des Nations-Unies qui l’institue, ne comporte aucune stipulation réglant
expressément cette question, cela se déduit de son économie générale, et notamment de la
primauté de la compétence du TPIR sur les juridictions nationales (art. 8) et de la clause
relative au respect du principe non bis in idem (art. 9). A cela s’ajoute l’accord signé le 14
mars 2003 entre la France et l’Organisation des Nations Unies concernant l'exécution des
peines prononcées par le TPIR, dont l’approbation a été autorisée par une loi n° 2004-495 du
7 juin 2004 4 et qui a publié au Journal officiel par un décret du 29 juin 2005.
Il y a lieu par suite, pour déterminer la portée devant l’administration et le juge administratif
des décisions rendues par les tribunaux pénaux internationaux créés par le Conseil de Sécurité
des Nations Unies, de transposer les règles que vous avez définies à propos des décisions
rendues par les juridictions pénales internes, rappelés encore très récemment en section avec
l’affaire Mme T... (CE, Section, 16 février 2018, n° 395371, p. 41) et en assemblée avec
l’affaire SARL Super-Coiffeur (CE, Assemblée, 12 octobre 2018, n° 408567, à publier au
recueil) : vous accorderez donc la même autorité à la chose jugée par une juridiction
répressive interne que par ces tribunaux pénaux internationaux. Celle-ci ne s'impose qu'en ce
qui concerne les constatations de fait retenues par la juridiction et qui sont le support
nécessaire du dispositif d'un jugement devenu définitif. La même autorité ne saurait en
revanche s'attacher aux motifs d'un jugement de relaxe tirés de ce que les faits reprochés ne
sont pas établis ou de ce qu'un doute subsiste sur leur réalité.
C’est d’ailleurs en se plaçant implicitement dans ce cadre de raisonnement que votre
formation de jugement a statué à plusieurs reprises pour écarter des moyens tirés de la
méconnaissance de l’autorité de la chose jugée par le TPIR dans des litiges relatifs à des refus
de visas d’entrée opposés à des ressortissants rwandais acquittés en appel au bénéfice du
doute par le TPIR (CE, 3 février 2012, Min. de l’intérieur c/ N..., n°s 353952 et 353953, p.
16 ; CE, 11 avril 2018, Min. de l’intérieur c/ M..., n° 409521, inédite).
Votre 6ème chambre jugeant-seule l’a même explicitement affirmé dans les motifs d’une
décision M. K... du 11 juin 2015 (n° 367922, inédite) dans le cadre, là encore, d’un
contentieux relatif à un refus de visa. Vos chambres réunies pourraient, nous semble-il,
entériner cette solution, s’agissant au moins des juridictions pénales internationales créées par
le Conseil de sécurité des Nations-Unies pour juger les personnes coupables d’actes de
génocide ou d’autres violations graves du droit humanitaire. La seule limite sur laquelle
pourrait butter cette transposition tient aux spécificités de ces juridictions internationales, plus
proches de la common law que du droit continental pratiqué par les juridictions pénales
françaises, par exemple, sur le critère anglo-saxon de la culpabilité « au delà de tout doute
raisonnable » dont vous n’êtes pas familier. Mais l’obstacle est loin d’être insurmontable.
En l’espèce, il ressort du jugement de première instance et de l’arrêt d’appel du TPIR, pris
ensemble, que M. N... a été acquitté des quatorze chefs d’accusation retenus contre lui dans
l’acte d’accusation du 22 octobre 2002 soit en raison d’erreurs procédurales, soit parce que
l’accusation n’établissait pas sa culpabilité « au delà de tout doute raisonnable ». Ces
4
Décret n° 2005-729 du 29 juin 2005 portant publication de l'accord entre le Gouvernement de la République
française et l'Organisation des Nations unies concernant l'exécution des peines prononcées par le Tribunal pénal
international pour le Rwanda, signé à Arusha le 14 mars 2003
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qui en est l’auteur.
décisions juridictionnelles sont donc assimilables à une relaxe au bénéfice du doute au sens du
droit pénal français.
Il appartenait par suite à la Cour nationale du droit d’asile d’apprécier, sans être tenue par ces
décisions, s’il existait des raisons sérieuses de penser que l’intéressé entrait dans le champ des
clauses d’exclusion mentionnées au F de l’article 1er de la convention de Genève.
Précisons que cette appréciation n’est en rien comparable à celle que pourrait porter une
juridiction pénale sur un ou plusieurs crimes particuliers. Le critère n’est pas en effet celui de
la culpabilité certaine de l’intéressé, mais seulement la recherche de « raisons sérieuses de
penser » que le demandeur d’asile a commis un ou plusieurs des crimes mentionnés par la
convention de 1951. Vous avez à cet égard récemment rappelé, par une décision du 4
décembre 2017 mentionnée aux tables sur ce point (n° 403454, T. p. 475), que l’application
du a) de l’article 1 F de la convention de Genève n’implique pas que soient établis des faits
précis caractérisant l’implication de l’intéressé dans les crimes mentionnés à cet article.
Reste en conséquence à vérifier si la CNDA a ou non a inexactement qualifié les faits en
jugeant qu’il existait des raisons sérieuses de penser que le requérant s’était rendu coupable
d’un agissement visé par l’article 1F a) de la convention de Genève. Tel est bien en effet
l’étendue de votre contrôle en cassation en la matière, ainsi que vous l’avez jugé par une
décision du 9 décembre 2016, OFPRA (n° 388830, p. 465).
Pour fonder son appréciation, la CNDA ne s’est en l’espèce pas seulement appuyée sur des
ouvrages relatifs au génocide au Rwanda, qui relatent l’implication personnelle de M. N...
dans le génocide. Elle a également retenu que le requérant ne pouvait, entre avril et juillet
1994, se maintenir à la tête du bataillon blindé RECCE, qui recevait directement ses ordre du
chef d’état-major de l’armée rwandaise et a directement pris part aux massacres, et afficher
une position dissidente par rapport au génocide planifié par le gouvernement intérimaire au
service duquel il exerçait à un haut niveau de responsabilité. Le moyen d’inexacte
qualification juridique des faits nous paraît devoir être écarté.
Nous ajoutons pour finir que la CNDA n’a nullement renversé la charge de la preuve en
recherchant si le requérant n’établissait pas qu’il avait pris des mesures pour prévenir les
crimes ou s’en dissocier : il s’agit là simplement des critères de la notion de complicité d’un
crime de génocide, telle que vous l’avez explicitée par votre décision du 22 janvier 2011, H...,
n° 312833, p. 16.
Nous concluons par ces motifs au rejet du pourvoi.
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Ces conclusions ne sont pas libres de droits. Leur citation et leur exploitation commerciale éventuelles doivent respecter les règles fixées par
le code de la propriété intellectuelle. Par ailleurs, toute rediffusion, commerciale ou non, est subordonnée à l’accord du rapporteur public
qui en est l’auteur.