QUATRE Mirage F1-CR, de l'escadron 2/33 Savoie stationné sur la base
112 « Marin La Meslée », ont quitté Reims mardi matin pour rejoindre
Istres, d'où ils repartiront vers le Rwanda dans le cadre de la
mission « Turquoise ». Ces appareils (CR pour « chasse et
reconnaissance ») sont dotés de capteurs photo et infrarouge, et
capables de prendre (en fonction de la vitesse et de l'altitude)
jusqu'à 600 photos en couvrant entre 60 à 100 kilomètres de
terrain. Le 2/33 Savoie et le 1/33 Belfort sont les seuls escadrons de
reconnaissance existants en France.
Question de bon sens : à qui fera-t-on croire que l'envoi d'appareils
aussi sophistiqués et performants est guidé par de strictes
préoccupations « humanitaires » ? Même durant la période 1990-93,
durant laquelle le corps expéditionnaire français a sauvé la mise à la
dictature à plusieurs reprises, de tels moyens n'avaient pas été
engagés.
Dans les heures suivant cette information, on apprenait que François
Léotard, ministre de la Défense, allait quitter Paris pour se rendre
dans la zone frontalière entre le Zaïre et le Rwanda, où se déploient
les 2.500 militaires français expédiés dans cette aventure. Pour cette
inspection des troupes qui durera toute la journée de mercredi,
François Léotard sera accompagné du ministre délégué à l'Action
humanitaire, Lucette Michaux-Chevry.
Les deux ministres devaient voyager de nuit à bord d'un Falcon 900 et
faire escale à N'Djamena (Tchad). Ils étaient attendus ce matin à 9
heures à Goma (Zaïre), proche de la frontière rwandaise, où le général
Jean-Claude Lafourcade a installé son quartier général. Ils se
rendront ensuite sur la deuxième base de Bukavu, plus au nord, avant
de pousser leur visite jusqu'au Rwanda. « Ils iront probablement dans
la région de Cyangugu », a-t-on laissé entendre à l'agence
Reuter. Peut-être y seront-ils réceptionnés par le préfet de cette
ville, grand coordinateur des assassinats politiques et massacres
racistes depuis le 6 avril dernier ?
Sur le terrain, le concept d'une « zone de pénétration » de 15
kilomètres évoqué par Paris est d'ores et déjà oublié. Une patrouille
de parachutistes est arrivée dès lundi dans la ville de Gikonjoro, à
une centaine de kilomètres à l'intérieur du territoire rwandais au
sud-ouest du pays, a constaté un journaliste de l'AFP. Officiellement,
on se contente d'indiquer qu'il s'agit d'une mission de
reconnaissance. Sans autres précisions.
Et pourtant, les questions ne manquent pas de se poser. Gikonjoro se
trouve à une vingtaine de kilomètres du front entre les troupes des
FAR (Forces armées rwandaises) et celles du Front patriotique. Encore
quelques kilomètres, et l'on arrive sur la route reliant Gitarama à
Butare. Un axe essentiel pour la suite des événements. Gitarama, où
s'était replié dans un premier temps le « gouvernement intérimaire »
autoproclamé fuyant Kigali, est désormais aux mains du FPR. Plus au
sud, à Butare, les combats se poursuivent depuis de nombreux
jours. Que se passera-t-il si les soldats français coupent la voie de
communication entre ces deux préfectures ? Comment le FPR ne
considérerait-il pas cela comme une intervention directe en faveur
d'une soldatesque « gouvernementale » manoeuvrant en recul ?
Au cours d'une conférence de presse tenue à Nairobi (Kenya), Augustin
Ngirabatware, ministre du Plan dans le « gouvernement intérimaire », a
réaffirmé sa satisfaction à propos de « la présence française (qui)
reste nécessaire ». Avec cet ajout à garder en mémoire : « pour
parfaire son geste humanitaire », la France devrait également «
intervenir en secteur rebelle »...
J.C.