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DURANT des semaines, le gouvernement français avait choisi le mutisme
sur le Rwanda. Du moins vis-à-vis de l'opinion publique chez
nous. Ailleurs, par exemple au Conseil de sécurité de l'ONU, il
continuait d'exprimer ses sympathies en s'opposant par exemple à
l'usage du terme « génocide », le seul qui, pourtant, s'impose.
Maintenant Paris a modifié son vocabulaire, mais a-t-il changé sa
position sur le fond ? Le ministre Alain Juppé s'efforce de renvoyer
les deux camps dos à dos, et, surtout, de badigeonner son gouvernement
aux couleurs de la préoccupation humanitaire. Le soutien à la
dictature du général Habyarimana ? Les envois d'armes à cette même
dictature ? L'intervention directe sur le terrain lorsque
l'insurrection populaire menaçait sa toute-puissance ? L'actuel
détenteur du Quai-d'Orsay n'est au courant de rien et ne veut pas en
entendre parler.
Quelques points de repère concernant les quatre dernières années.
La phase actuelle de la tragédie rwandaise a débuté en octobre
1990. La dictature installée à Kigali était déjà confrontée à une
offensive du Front patriotique. Elle se retourne alors vers l'Elysée
et fait appel à l'aide militaire française. Laquelle lui est aussitôt
accordée en vertu, paraît-il, d'un accord conclu en 1975 sous le règne
de Valéry Giscard d'Estaing. Une compagnie de paras arrive à Kigali,
accompagnée de troupes belges. Objectif déclaré : protéger les
ressortissants étrangers. Quelques jours plus tard, les troupes belges
se retirent ; le corps expéditionnaire français, lui, reste. Encore
quelques mois, et il sera même renforcé.
La dictature met ce soutien à profit. En deux ans, ses forces armées
passent très officiellement de 5.000 à 40.000 hommes. Ces derniers
reçoivent une formation intensive distribuée par des conseillers
militaires français, qui, lorsque l'occasion s'en présente, n'hésitent
pas à faire le coup de feu contre les « rebelles ». Une lugubre
plaisanterie circule au Rwanda à ce propos : les soldats français
repéraient l'objectif, ils pointaient l'artillerie, l'officier
français commandait le feu, et le seul militaire rwandais présent
appuyait sur le bouton. La cible était atteinte et l'apparence sauve.
Pis. Dans « l'Humanité » du 22 novembre 1991, Claude Kroës a écrit,
sans avoir reçu le moindre démenti : « Me Gillet, avocat au barreau de
Bruxelles, affirme que ce sont des officiers français qui conduisent
les interrogatoires musclés des combattants du FPR ». Il concluait
en dénonçant cette « guerre civile où les droits de l'homme sont
bafoués, où soldats français et mercenaires sud-africains assurent la
pérennité d'une sanglante dictature ».
Lorsque Paris brandit les droits de l'homme pour évoquer l'initiative
d'une intervention au Rwanda, une question ne peut pas ne pas être
posée : veut-il refaire demain ce qu'il a déjà commis hier ?
J. C.