« Naufrage judiciaire », « déni de justice ». C’est dans ces termes que les associations des parties civiles qualifiaient la décision des juges d’instruction de terminer leurs investigations sur de possibles responsabilités de l’armée française lors du massacre de Bisesero sans avoir prononcé de mise en examen.
Dans une ordonnance rendue le 22 novembre, que Jeune Afrique a pu consulter, les trois magistrats du pôle « crimes contre l’humanité et crimes de guerre » du TGI de Paris ont annoncé le rejet de l’intégralité des demandes d’actes présentées fin octobre par les parties civiles pour relancer cette enquête entamée il y a 13 ans et clôt le 27 juillet dernier.
Pour Me Patrick Baudouin, président d’honneur de la FIDH, partie civile dans le dossier, l’instruction avait permis « de documenter suffisamment de preuve contre les militaires de l’opération Turquoise » pour justifier ces demandes. Celles-ci comprenaient notamment des demandes de confrontations, des auditions supplémentaires de militaires et de responsables politiques français ou encore le versement au dossier de nouvelles pièces, parmi lesquelles des vidéos et échanges entre militaires français au moment des faits.
« Il reste des investigations à faire »
Le 25 octobre dernier, le site français Mediapart avait publié une vidéo montrant la réaction visiblement passive de militaires français face à la traque des quelque 2 000 Tutsi présents dans les collines de Bisesero. « Les vidéos faisaient déjà partie du dossier, mais on pouvait toujours espérer qu’avec l’écho de la publication, les choses puissent avancer dans le bon sens », explique le président d’honneur de la FIDH.
Il n’en a rien été. Les juges d’instruction ont finalement conclu que les demandes formulées par les parties civiles n’apparaissaient « ni utiles à la manifestation de la vérité, ni raisonnables au regard de la durée de la procédure » ajoutant qu’elles « auraient pour conséquence de conférer à la durée de l’information judiciaire une durée déraisonnable ».
En 2005, six rescapés du massacre, l’association Survie, la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH et LDH) et d’autres parties civiles ont accusé certains détachements de l’armée française déployés dans l’ouest du Rwanda d’avoir, entre le 27 juin et le 30 juin 1994, abandonné à une mort certaine plusieurs centaines de rescapés Tutsi, en vertu d’une alliance de longue date entre le pouvoir hutu de l’époque et le gouvernement français.
Ces rescapés à bout de force étaient poursuivis par des miliciens à la recherche des derniers survivants dans ces collines de l’ouest du Rwanda. « Il reste des investigations à faire », assure Patrick Baudouin. « Nous voulions notamment que la procédure entendent des témoins rwandais. Sans parler des militaires impliqués ».
« Loi de l’omerta »
Au cours de l’instruction, ouverte en 2005, au moins quatre hauts-gradés français – dont le chef de l’opération « militaro-humanitaire » Turquoise lancée le 22 juin, le général Jean-Claude Lafourcade – avaient été mis en cause et entendus par les juges sous le statut de témoin assisté. Les parties civiles ont, pendant plusieurs années, réclamé l’audition d’acteurs clés de l’époque, notamment du ministre de la Défense au moment des faits, François Léotard. Toutes ont été rejetées.
En 2017, les juges avaient également refusé d’entendre le général Raymond Germanos et son supérieur de l’époque, l’amiral Jacques Lanxade, l’ancien chef d’état-major des armées. Ce dernier a toujours contesté les accusations formulées contre l’armée. « Messieurs Rosier, de Villiers, non plus, ce n’es pas normal dans un tel dossier. Il est inconcevable que ce dossier soit clôt sans que ces hauts gradés, dont le chef d’état-major, n’aient été auditionnés », regrette Patrick Baudouin.
« Depuis le début, c’est la loi de l’omerta qui prévaut autour des militaires et des politiques français impliqués à l’époque », estime-t-il. Les parties civiles ont déjà annoncé leur intention de faire appel.