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EN entrant dans Kigali, mardi matin, les rebelles du Front patriotique
rwandais (FPR) ont non seulement pris le contrôle de la capitale, mais
semblent désormais tenir en main les rênes d'un pays, traumatisé par
six jours d'affrontements et de massacres.
Stoppées à moins de trois kilomètres de Kigali, lundi, les troupes du
FPR - disposés en trois colonnes - ont poursuivi, dès l'aube, leur
offensive. A la mi-journée, les tirs d'armes automatiques, ponctués
par des salves de mortiers, provenaient des différents faubourgs de
Kigali, confirmant que la jonction avec les quelque 600 hommes du FPR
présents dans la capitale, était quasiment effectuée. Interrogé pour
savoir si les troupes gouvernementales pouvaient contrer voir
repousser les rebelles, un commandant français a été clair : « Ils
n'ont aucune chance. »
Des dizaines de milliers de personnes ont fui une ville en plein
chaos. Des informations confirment que la guerre s'étend à l'ensemble
du pays. Ainsi, selon Associated Press, « partout s'élèvent des
colonnes de fumée des villages incendiés ». Les atrocités se sont
multipliées sur tout le territoire. Le bilan provisoire se chiffrerait
à 20.000 morts. A Gisenyi, plusieurs centaines de Tutsis ont été
massacrés dans la nuit de lundi à mardi.
Preuve de l'avancée des rebelles, le gouvernement intérimaire
- 19 membres - a fui Kigali, provoquant un peu plus la panique dans
la population. Selon des témoins, il se serait réfugié dans la ville
de Gitarma, située à 40 kilomètres de la capitale.
Un pays en perdition
Formé le 6 avril, ce gouvernement n'a jamais été reconnu par le FPR,
le qualifiant « d'assassins » et de « clique de meurtriers » puisque
ayant fermé les yeux sur les massacres perpétrés, entre autres, par la
garde présidentielle.
Avant de plier bagages, ce gouvernement fantôme avait accusé la MINUAR
(mission des Nations unies d'assistance au Rwanda) « d'aider les
rebelles du FPR »...
Lundi soir, le premier ministre du gouvernement intérimaire, Jean
Kambanda, avait même tenté d'amadouer le FPR. Il s'était dit prêt « à
respecter à la lettre les accords de paix d'Arusha, signés en août
dernier ». Le dos au mur, celui-ci proposait « une trêve, un
cessez-le-feu et des négociations politiques ». Mais rien ne pouvait
arrêter des rebelles à portée de canon d'une capitale exsangue, où des
centaines de cadavres en décomposition gisent à même le sol. Maître
sur le terrain, le FPR est devenu en quelques heures, mardi matin,
maître d'un pays en perdition. Avant même la prise de Kigali, son
président, Alexis Kanyarengwue, avait d'ailleurs fixé les buts
politiques de son mouvement : « Nous allons rétablir la légalité et
l'ordre, avait-il souligné, puis nous entamerons de nouvelles
négociations avec les partis politiques sur la formation d'un
gouvernement de transition. Nous allons arrêter tous les
collaborateurs de la garde présidentielle, qui devront répondre, selon
les lois du pays, des crimes qu'ils ont commis. »
Preuve de l'installation d'un nouveau pouvoir à Kigali, un accord
entre le FPR et la MINUAR a été signé, hier matin, afin de garantir
l'évacuation de tous les ressortissants étrangers. Craignant toute
intervention militaire extérieure, les rebelles ont indiqué aux
casques bleus que « toute force étrangère ne faisant pas partie de la
MINUAR aura douze heures pour quitter le pays à la fin des opérations
d'évacuation ». Au total, hier, plus de 1.600 personnes - dont 600
Français - ont quitté le pays depuis samedi. Il ne reste sur place que
des centaines de civils belges. L'ONU a elle indiqué que « la majorité
des étrangers » avait quitté le Rwanda.
Tous nos compatriotes évacués, l'ambassade de France de Kigali a fermé
ses portes, alors que, au même moment, les soldats français
s'apprêtaient à transmettre à leurs homologues belges le contrôle du
centre d'évacuation des étrangers. Les soldats français se sont
ensuite regroupés à l'aéroport, où ils resteront « jusqu'à nouvel
ordre », a indiqué un capitaine présent. Un « ordre » qui inquiète le
FPR. Son porte-parole, Christine Umutoni, a même déclaré : « Les
forces françaises donnent l'impression de vouloir rester sur place
pour aider le régime criminel... » Prêt à l'affrontement contre toutes
« forces hostiles », le FPR entend mener en effet son offensive
jusqu'à la victoire totale.
LAURENT FLANDRE