Fiche du document numéro 22559

Num
22559
Date
Jeudi Février 1996
Amj
Fichier
Taille
57054
Titre
Billets d'Afrique No. 31
Nom cité
Type
Publication périodique
Langue
FR
Citation
BILLETS D’AFRIQUE N° 31 - FEVRIER 1996

DECOLONISONS-NOUS !
Cette invite s’adresse autant aux citoyens français qu’aux africains, et si possible de concert. Si, détenteurs de la légitimité en
leurs pays respectifs, ils laissent la Françafrique prolonger impunément son emprise ubuesque, milicienne et pillarde, c’est que
leurs esprits conservent quelque complaisance envers les « commodités » coloniales.
Cette attitude déborde les cercles restreints qui s’approprient les 30 milliards de l’« aide » franco-africaine, les rentes du pétrole
et d’autres matières premières, ou les crédits internationaux. Elle affecte les multitudes taxées et/ou maltraitées.
L’on voit mieux aujourd’hui comment, au sud du Sahara, les « indépendances » octroyées par De Gaulle et le revenant Foccart
masquaient l’installation d’une perfusion à double sens : une présence et une « aide » françaises apparemment rassurantes, mais
payées cash - politiquement (à l’ONU), économiquement (en approvisionnements), financièrement (aux clans politico-affairistes).
La convertibilité du franc CFA fut la veine privilégiée de cette franco-dépendance. Mais il ne faut pas négliger les accointances
militaires, ni les reproductions juridiques et les facilités culturelles.
Où en est la mobilisation africaine pour la conquête des attributs majeurs de l’indépendance : la monnaie, la défense, le droit (et
son corollaire, la légitimité), l’expression culturelle ? Nul ne les (ré)inventera à la place des Africains. Le croient-ils assez ?
Les en considérer incapables flatte la nostalgie impériale des Français : ils continuent donc de transférer leurs modèles et de
cultiver un paternalisme familier. Nous stimulerons nos compatriotes (et les Européens) à s’éveiller aux manifestations de
l’autonomie africaine - à les reconnaître et les respecter. Ainsi seulement pourrons-nous sortir de l’ère des parrains - qui sinon
finira mal. Il s’agit, pour la France, d’un intérêt vital - conforme de surcroît au meilleur de ses traditions.
SALVES
France-Burundi : danger !
Après ses exploits au Rwanda, une certaine Françafrique brûle d’avancer ses pions au Burundi. Les schémas ethniques des deux
cellules africaines (n° 2 et 14 rue de l’Elysée) les incitent à soutenir le leader supposé du « peuple majoritaire » hutu, Léonard
Nyangoma. Que ses maquisards soient associés aux Interahamwe rwandais et à leurs homologues du Palipehutu burundais (pour
lesquels un bon Tutsi est un Tutsi mort) n’émeut pas davantage que les connivences génocidophiles de 1994, jamais critiquées.
L’objectif est clair, au Burundi comme au Rwanda : imposer un partage du pouvoir, sur une base « ethnique » - en ignorant la
nature très particulière des clivages locaux. Une batterie de moyens est disponible : diplomatiques, économiques, voire militaires
(clandestins).
Que l’insupportable situation burundaise et la spirale de guerre civile appellent une sollicitude internationale, sûrement. Mais
l’« aide » française quasi quotidiennement proposée pour « traiter les problèmes de fond » - via notamment une Conférence des
Grands lacs que l’on espère manipuler -, est infiniment suspecte. Avant de les autoriser de nouveau à « aider », on devrait
condamner les « Messieurs Afrique » élyséens à méditer plusieurs années en leurs cellules ce principe d’Hippocrate : Primum non
nocere (d’abord, ne pas nuire).
Les médiations de Julius Nyerere, de Desmond Tutu ou de l’ancien président malien Amadou Toumani Touré paraissent
beaucoup plus propices. Quand la force ne sait plus se garder des pulsions exterminatrices, il est plus qu’urgent de convoquer la
sagesse. En ce moment, celle-ci a une dent contre l’Elysée...
Exemple de folie : le Consulat de France à Bujumbura (assisté du conseiller spécial Déogratias Ngendahayo) délivrerait
désormais les visas sur une base ethnique (anti-Tutsi)...
Empaillons-nous, Franceville !
Le protectorat français ne réussit guère au Tchad. On y régresse d’une Conférence nationale souveraine (1993) à la
programmation de son enterrement. Via un « Monsieur Paul » de la DGSE (Lettre du Continent, 14/12/1995), Paris a suscité début
janvier à Franceville, fief de l’émir françafricain Bongo, une autre conférence - non plus des composantes de la société tchadienne,
mais des seigneurs de la guerre. Le retour en arrière ainsi cautionné irait, en quelque sorte, des Etats généraux de 1789 aux
« Grandes compagnies » de la guerre de Cent ans.
Les condottiere tchadiens étaient censés reconnaître la prééminence de l’un d’entre eux, Idriss Déby - qui, depuis trois ans, bat
des records de nocivité. Ils ont refusé. Cela n’a pas étonné grand monde - sauf Bongo, qui estime « que l’on se moque du Gabon ».
Ne serait-ce pas plutôt des Tchadiens ?
Du coup, Paris menace de sévir - via la Centrafrique du président Patassé - contre le plus vulnérable des mouvements militaires :
les FARF (Forces armées pour la république fédérale) de Laokein Frisson Bardé, qui reflètent l’exaspération des populations du
Sud, les plus maltraitées. (Le Monde, 11/01/1996).
Indice sur dix
Dans la série : cachez ce thermomètre que je ne saurais voir. Omar Bongo a ouvert le sommet de Cotonou en suggérant que la
Francophonie concocte sa propre mesure du développement, pour faire pièce à l’Indice du développement humain (IDH) du
PNUD (Programme des Nations unies pour le développement). (La Lettre du Continent, 14/12/1995).
Outre le PIB (Produit intérieur brut) par habitant, l’IDH intègre l’effort d’éducation et l’espérance de vie. Il a le tort de faire reculer le
Gabon de 36 places par rapport au classement selon le PIB/hab. Un symptôme fâcheux, assez général dans les ex-colonies
françaises.
Si l’on agrégeait dans l’Indice de jouissance françafricaine (IJF) une mesure de l’évasion des capitaux, la concentration des lieux
de naissance des gardes présidentiels, et l’inverse du taux d’imposition réel des plus grosses fortunes, nul doute que le Gabon de
Bongo, la Guinée équatoriale d’Obiang ou le Togo d’Eyadema s’enverraient en l’air...
Puisque l’afro-optimisme officiel d’un tel sommet s’encourage volontiers d’incursions au septième ciel, on se demande pourquoi
la suggestion de Bongo n’a pas décroché la lune.

Billets d’Afrique

N° 31 – Février 1996
Corsafrique

Pendant 20 ans, l’Etat français, trop attaché aux vieux clans corses, a refusé de prendre en compte les revendications des
nationalistes. Il a attendu qu’elles tournent au vinaigre mafieux pour entamer le « dialogue », sous la pression des attentats. On n’a
rien fait quand des Corses réclamaient la dignité et le développement - notions inconnues à Paris. Négocier des arrangements
inavouables avec des pouvoirs mafieux, par contre, on adore. Un ancien ministre corse s’y est même taillé une réputation
mondiale. Ses entremetteurs ont repris du service, en plein accord avec l’Elysée.
Résultat : on s’apprête à récompenser grassement ceux qui viennent de causer pour 300 millions de F de dégâts, « une poignée
de combattants aussi perdus que paranoïaques, au détriment des lois élémentaires de la démocratie et pour la plus grande joie de
tous les prédateurs de la planète » (J. FURBURY, Libération, 13/01/1996). On renchérira dans une « aide publique au développement »
franco-corse sciemment détournée (déjà 27 000 F par habitant et par an). A quand le « jumelage » entre la Corse et les Comores ?
Recyclage
La Lettre du Sud a cessé ses « révélations hebdomadaires sur l’Afrique et le Moyen-Orient ». Les milieux françafricains qui la
soutenaient font sans doute d’autres arbitrages. Nous avions, dans Billets n° 19, présenté un exemple des options pro-Hutu power
du directeur de cette Lettre, Sennen Andriamarido, ancien rédacteur en chef de Jeune Afrique.
Le toujours jeune hebdomadaire a proposé des piges au fils prodigue. Celui-ci commence très fort, avec l’article Rwanda,
Contre-génocides en série (03/01/1996). On y trouve accolés des griefs du RDR (Rassemblement pour le retour des réfugiés et la
démocratie au Rwanda, couverture politique du genocide set), les accusations chiffrées de Faustin Twagiramungu (qu’il ne reprend
plus guère) et de Sixbert Musangamfura (cf. Billets n° 30). Ces chiffres sont démentis vigoureusement par le représentant des Nationsunies à Kigali, Shaharyar Khan, la Croix-Rouge internationale et la coordination pour les droits de l’homme de l’Union
européenne (La Croix, 05/01/1996).
L’article cite aussi le ministre néerlandais Pronk : « Si ces révélations se révèlent [? ] exactes, nous devons revoir nos relations
avec le Rwanda ». Evidemment. Mais le journaliste ne dit pas que le ministre, après s’être informé personnellement, a conclu qu’il
fallait continuer d’aider le gouvernement de Kigali...
Hagiographie
La presse bien-pensante belge et française multiplie les panégyriques du prêtre-journaliste-militant rwandais André Sibomana.
L’accusation formulée à son encontre par Golias (avoir « encouragé des assassinats ») est certes excessive. Et cette forte
personnalité, témoin des ambiguïtés humaines et des contradictions rwandaises, a pris en plusieurs occasions des positions
courageuses. Mais il est aussi excessif d’en faire un héros de la résistance au génocide.
Il a porté, sur les accords de paix d’Arusha, le même jugement négatif que le Hutu power. Il maintient sa fidélité à Mgr.
Perraudin - ce père spirituel de la « révolution sociale hutue », qui ne regrette rien.
Dans sa revue Kinyamateka, André Sibomana a rédigé en mai 1991 une diatribe contre les Ibyitso (complices) : c’est ce terme
qu’employaient les médias et les circulaires du génocide pour englober les Tutsis (préjugés solidaires du FPR), ainsi que les Hutus
« modérés » ; le thème des Ibyitso ponctuera les appels au massacre. Il s’agit, pour conclure, de « décapiter les Inkotanyi [le FPR] »,
clairement désignés comme « l’ennemi ». Paré de l’autorité morale de Kinyamateka, un tel texte ne pouvait que contribuer à
banaliser l’opprobre anti-tutsi.
André Sibomana n’est ni un tueur, ni un saint : c’est un homme - pas forcément le mieux placé pour prôner la réconciliation.
D’autant que, cumulant les pouvoirs symboliques (il fait fonction d’archevêque, dirige le principal journal du pays et l’une de ses
plus importantes associations civiques), il mêle plusieurs légitimités et se trouve propulsé dans un rôle politique peu compatible
avec sa mission pastorale. Au Rwanda, de tels mélanges évoquent forcément l’ancienne et calamiteuse Sainte-Alliance.
Ethique
L’ex-PDG de Elf et nouveau patron de la SNCF, Loïk Le Floch-Prigent (LLFP) - que le président Mitterrand considérait comme
son véritable ministre de la Coopération -, est réputé pour sa franchise cynique. Il trouve naturel d’utiliser la corruption en affaires.
On ne s’étonnera pas dès lors qu’un curieux investissement opéré par Elf dans l’entreprise d’habillement Bidermann, qui fora dans
la société pétrolière (alors publique) un trou de 787 millions de F, apparaisse lié, selon un témoin, à des enveloppes et cadeaux
personnels d’un montant de 2,5 millions. LLFP dément. Pourquoi ? (Le Monde, 05/01/1996).
Bons points
- Le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) a procédé à ses premières mises en accusation. La Belgique lui apporte
un concours remarqué.
- L’ONU se refusant à financer la poursuite de la mission de ses 120 observateurs des droits de l’homme au Rwanda, le Danemark,
les Pays-Bas, la Belgique, l’Afrique du Sud et l’Union européenne ont mis la main au portefeuille.
Fausses notes
- Près de deux ans après le déclenchement du génocide rwandais, la France n’est guère pressée d’adapter sa législation à
l’existence du TPIR.
Faute de moyens, celui-ci souffre d’une logistique chaotique. (AFP, 09/01/1996).
- Au 12/09/1995, 18 % seulement du milliard de dollars promis au Rwanda début janvier 1995 par les bailleurs de fonds avaient
été décaissés. (Dialogue, 12/1995).
- Après avoir vendu pour 21 milliards de F de chars Leclerc aux Emirats arabes unis (EAU) en 1993, et dans la perspective d’un
contrat de 30 milliards de F pour Dassault, la France a signé un « accord de défense » avec les EAU, qui la lie en cas d’agression !
(Libération, 06/01/1996).

Billets d’Afrique

N° 31 – Février 1996

ILS ONT DIT
« Tout ce qu’on nous avait dit sur sa personne [François Mitterrand] et les dangers qu’il représentait pour l’avenir des relations francoafricaines ne sont que calomnies et mensonges ». (Maréchal MOBUTU, propos tenu à Siradiou DIALLO durant l’été 1982, cité in Jeune Afrique
du 18/01/1996).
Question de François SOUDAN (Jeune Afrique, 18/01/1996), à Bruno DELAYE, « Monsieur Afrique » de François MITTERRAND de 1992 à 1995 :

« Il y a eu aussi le génocide au Rwanda, et cette accusation de complicité lancée par certains contre la France... »
« Ceux-là ne doivent pas se sentir très fiers aujourd’hui. Je ne crois pas, en effet, que le pouvoir qui s’est installé à Kigali soit composé des
anges que l’on nous a décrits à l’époque. Pour le reste, c’est vrai, nous avons soutenu Juvénal Habyarimana, mais dans un cadre raisonnable, et
jusqu’à un certain point. Lorsqu’une commission des droits de l’homme a publié un rapport alarmant sur la situation, François Mitterrand,
après en avoir pris connaissance, a exigé d’Habyarimana des explications, puis il a pris ses distances. Quant aux accords d’Arusha, qui les a
violés ? Ce n’est pas la France, ni Habyarimana, mais bien le FPR. »[Il n’existe pas de pouvoir angélique : ce n’est pas à Bruno Delaye qu’il
faut l’apprendre ! La fierté n’est pas notre premier souci, mais davantage la vérité historique sur ce qui, un demi-siècle après Auschwitz, a de
nouveau rendu possible un génocide.
Ceux qui ont observé les complicités françaises au plus haut niveau, avant, pendant et après le génocide, étaient parmi les promoteurs de la
« commission des droits de l’homme » qui décela au Rwanda, début 1993, les « prémices d’un génocide ». Ils en firent part à Bruno Delaye,
documents à l’appui, et tentèrent en vain d’obtenir que la France se dissocie nettement d’un Hutu power en pleine dérive. A l’Elysée, on persista
à vouloir « casser du FPR », comme le confirme le compte-rendu de la rencontre entre le général Huchon (fidèle serviteur des choix militaires de
François Mitterrand) et le chef-adjoint de l’armée du génocide, au milieu de ce dernier.
Tout en rééquipant cette armée, d’avril à juin 1994, l’exécutif français a refusé, durant six semaines, d’admettre le mot même de génocide.
Début mai, une simple intervention téléphonique de Bruno Delaye suffit à empêcher les miliciens de massacrer des personnalités réfugiées à
l’hôtel des Mille collines : cela montre assez que Paris aurait pu, en affichant sa détermination, délégitimer, puis enrayer la fureur
exterminatrice de ses amis du Hutu power. Mais l’Elysée « comprenait » cette « colère ». Radio des mille collines n’a cessé, jusqu’en juillet
1994, de faire l’éloge de l’attitude de François Mitterrand. Puis l’armée française, lors de l’opération Turquoise, facilita le repli de cette
« Radio-machette », comme de tout l’état-major du génocide.
A la tête de ce dernier, le colonel Théoneste Bagosora a ordonné le début des massacres dès les premières heures suivant l’attentat contre
l’avion du général Habyarimana (06/04/1994). Les révélations affluent, à l’ONU et en Belgique, sur le degré de préparation du génocide,
plusieurs mois à l’avance. Le colonel Bagosora apparaît aujourd’hui comme le commanditaire le plus probable de l’attentat du 6 avril, avec
peut-être le concours de militaires français (pourquoi l’Elysée a-t-il, le 10 avril, envoyé un commando recueillir les indices matériels de
l’attentat, avant de les dissimuler ? ). En tout cas, les réseaux françafricains avaient une interprétation très spéciale des accords d’Arusha, pour
le moins tolérante face à l’installation du dispositif génocidaire. Ils sont mal venus de reprocher au FPR d’avoir « rompu les accords d’Arusha »
face à un génocide conçu et exécuté par ses ennemis - leurs amis.
Cf. F.X. Verschave, Complicité de génocide, La politique de la France au Rwanda, La Découverte, 1994, à compléter par la version actualisée
du Dossier noir n° 1, La France choisit le camp du génocide, in Agir ici et Survie, Dossiers noirs de la politique africaine de la France n° 1 à 5,
L’Harmattan, 1996. Cf. aussi, sous la direction de J.P. Chrétien, Les médias du génocide, Karthala, 1995, p. 281-283.
Bruno Delaye, comme beaucoup d’autres, croit pouvoir enfouir ses responsabilités sous l’avalanche des exactions imputées à l’actuel
gouvernement rwandais. Leur ampleur étant très controversée, Survie a sollicité en décembre 1995 l’avis des plus hautes instances
internationales - pour qu’elles réagissent si les allégations de « contre-génocide » étaient avérées, ou, dans le cas contraire, démentent une
désinformation incendiaire. De leurs réponses ou non-réponses transparaît surtout, pour le moment, un incroyable déficit d’investigation].

« Nous l’avions un petit peu amer que l’on nous dise comme cela que nous étions expulsés du Rwanda parce que nous n’avions
pas d’expérience, que nous ne faisions pas du bon "boulot" et que nous ne comprenions rien au Rwanda. Ce n’était pas acceptable.
Et si je suis allé à Kigali, ce n’était pas pour demander que MDM [Médecins du monde] reste au Rwanda, mais bien pour connaître les
vraies raisons de cette éviction.
A l’évidence, celle qui prédomine, c’est le geste politique adressé à l’ensemble de la communauté internationale et, en
particulier, à la France après le discours de notre président à Cotonou demandant au Rwanda d’être sous tutelle. C’est ce que ne
veulent plus les Rwandais ». (Michel BRUGIERE, Directeur général de MDM - finalement restée au Rwanda. Fraternitaire, 1/1996).
« Mon travail [au Rwanda] a consisté à instaurer la "fiche d’écrou", matérialisation juridique de l’incarcération d’un détenu qui
constitue un contrôle et une garantie des conditions de la détention et de sa légalité. J’ai aussi participé à la formation des greffiers
de prison. Nous allons installer prochainement le barreau [...]. La prochaine étape sera la formation des avocats et des mandataires
de justice.
Nous avons participé au transfert vers la prison de Nsinda, refaite et agrandie par [...] la Croix-Rouge, de 3 657 prisonniers. Ce
qui a permis de désengorger [plusieurs] prisons [...].
Au Rwanda, il ne s’agit pas de reconstruire le système judiciaire mais de le constituer à partir de zéro, car il n’y avait pas, avant
le génocide, de culture de la justice. [...] Sous le gouvernement d’Habyarimana, les prisons ne répondaient déjà pas aux critères que
l’on demande aujourd’hui au nouveau gouvernement ». (Macha SINEGRE-DAVID, de Juristes sans frontières, in La Croix, 09/01/1996).
[Rappelons qu’après son putsch de 1973, Habyarimana fit périr en prison une cinquantaine de responsables du gouvernement renversé].

« Des avions pilotés par des Irakiens ont largué lundi [20/11/1995] des bombes chimiques autour des montagnes de Namang et de la
ville de Kadugli [à 600 km au sud de Khartoum] ». (Al-OUMMA, principal parti d’opposition du nord-Soudan. AFP, 25/11/1995).
« Il faut arrêter ces gens-là avant qu’ils ne nous réduisent une deuxième fois en esclavage » (Robert MUGABE, Président du
Zimbabwe, à propos de l’expansionnisme du régime de Khartoum, assorti d’un regain des pratiques esclavagistes. La Lettre de l’Océan Indien, 11/11/1995).
A FLEUR DE PRESSE
Le Monde, Les organisations humanitaires, témoins gênants au Rwanda et au Burundi, 12/01/1996 (Jean HELENE) : « [La décision
d’expulser 38 ONG du Rwanda] peut aussi être interprétée comme un nouvel épisode du conflit qui oppose Kigali à Paris : sur les 38
ONG expulsées, une quinzaine sont françaises mais 2 seulement sur les 102 autorisées à demeurer sur place. [...]

Billets d’Afrique

N° 31 – Février 1996

[Parmi les expulsés], la section française de Médecins sans frontières (MSF). [...] MSF lie cette mesure à ses témoignages sur le
massacre de [...] Kibeho, et sur les épouvantables conditions de détention dans les prisons rwandaises où s’entassent 60 000
personnes. [...]
Au début de décembre, MSF avait aussi dénoncé la répression au Burundi. [Suit une série d’informations sur les difficultés des ONG
et de la Croix-Rouge au Burundi, dans un contexte gravissime].
[...] Plusieurs ONG estiment qu’elles ont, au-delà de leur fonction caritative, un devoir de témoignage. MSF rappelle que ses
équipes ont été expulsées d’Ethiopie, il y a dix ans, par le régime du colonel Haïlé Mariam Menguistu, pour avoir dénoncé les
transferts forcés de population. Avec le probable retrait des "humanitaires" et prochainement celui des "casques bleus" et
observateurs [...] des Nations unies [...] au Rwanda, se dessine le spectre d’une chape de plomb qui risque de s’abattre sur les
collines du Rwanda et du Burundi ».
[Cette conclusion de l’article de J. Hélène est suivie de l’entrefilet suivant] : « Médecins du monde (MDM), initialement incluse dans la
liste des ONG expulsées, a été autorisée à continuer son projet d’assistance humanitaire dans la région de Cyangugu. Selon le
directeur adjoint de cette ONG française, Michel Brugière, les équipes de MDM n’ont "pas constaté d’aggravation" de la situation
des droits de l’homme sur le terrain, mais M. Brugière craint que la persistance d’une suspicion généralisée ne "pousse le
gouvernement à plus de radicalisation" ».
[Fréquemment, lorsque Le Monde traite du Rwanda, il y a d’abord le titre qui tue (cf. Billets n° 11). La référence au stalinisme génocidaire de
Menguistu achève le tableau, brouillé comme d’habitude par un savant amalgame des situations rwandaise et burundaise. Heureusement,
l’entrefilet non signé rappelle, par la voix de Michel Brugière, qu’il existe une pratique de "suspicion généralisée", profondément déstabilisante,
et pas vraiment innocente.
MSF a parfaitement raison de revendiquer le devoir de témoignage, et son départ d’Ethiopie reste l’un de ses hauts faits. L’on conçoit que
MSF-France soit mécontente de son expulsion du Rwanda, mais la déclaration de son président Philippe Biberson (03/01/1996) - « Nous
craignons que les seules organisations humanitaires autorisées au Rwanda soient celles qui se taisent » - n’est pas très sympathique pour les 110
ONG finalement agréées (dont MDM, et des sections non françaises de MSF ! ), soit 70 %. Seraient-elles complices de la "chape de plomb" qui
s’abattrait sur le Rwanda - de cette radicalisation tant espérée par tous ceux qui eurent des complaisances envers le camp du génocide ? ].

Le Monde, La capitale du Burundi est quasiment assiégée et le pays glisse encore plus vers la guerre civile, 16/01/1996 (Jean HELENE) :
« Les ONG sont accueillies à bras ouverts dans le quartier hutu de Kinama. Témoins gênants des méfaits commis par l’armée, les
milices tutsies et, dans une moindre mesure, les "assaillants" hutus, les ONG ne sont guère appréciées par les extrémistes tutsis. [...]
[Les] agences humanitaires [...] se demandent s’il est prudent de se faire escorter par des militaires, souvent cibles des embuscades
rebelles. [...] Les rebelles hutus qui "tenaient" Kamenge [un quartier de la capitale Bujumbura] se sont [...] repliés dans les collines, et la
capitale se sent de plus en plus comme assiégée. [...]
L’état-major manque de moyens pour combattre les maquisards des FDD de Léonard Nyangoma, un ancien ministre de
l’intérieur très populaire parmi les Hutus, dont les rangs grossissent après chaque tuerie perpétrée par les militaires dans la
population civile, sous couvert d’opérations destinées à désarmer les rebelles.
[...] Dans l’armée comme dans les milieux politiques, les modérés des deux camps n’ont plus voix au chapitre. [Suivent des
déclarations de deux Tutsis, le premier ministre Ndwuayo et l’ancien président Buyoya - implicitement présentés comme extrémistes -, mais d’aucun « extrémiste
hutu », une catégorie qui semble absente du paysage burundais].

L’opposition tutsie (qui domine de facto au gouvernement) tente de convaincre la communauté internationale de lui accorder les
moyens de défaire les rebelles qu’elle s’efforce d’assimiler aux "génocidaires" rwandais. Mais, dans les milieux diplomatiques, on
souhaiterait plutôt encourager les pourparlers entre armée et rebelles [...]. D’aucuns évoquent d’éventuelles pressions économiques
pour y parvenir, [face au] refus obstiné des extrémistes tutsis qui semblent engagés dans une fuite en avant [...].».
[Cette fois, le titre n’est pas en cause, mais le complet déséquilibre de l’article - à comparer, par exemple, avec le reportage d’Anne FURST
dans La Vie du 11/01/1996, Le Burundi sur le fil du rasoir.
Personne ne conteste qu’il y ait au Burundi des extrémistes tutsis, ni qu’ils aient commis en 1972 ce que l’on pourrait appeler un « génocide
sélectif » de l’élite hutue. On ne peut que hurler sa colère face à l’assassinat, en 1993, de Melchior Ndadaye - premier président hutu,
démocratiquement élu, au terme d’une transition voulue par l’ex-président Buyoya (qui n’est donc pas précisément un extrémiste). Cependant, ce
crime a révélé l’existence d’un dispositif génocidaire contre les Tutsis, à l’instigation notamment du parti Palipehutu : plusieurs dizaines de
milliers d’entre eux ont été massacrés dans les collines (selon des méthodes proches de celles qui devaient se déployer quelques mois plus tard
au Rwanda), avant que l’armée burundaise n’engage de terribles représailles. Le Palipehutu participa d’ailleurs activement, en 1994, à
l’extermination des populations tutsies au sud du Rwanda.
Les FDD de Léonard Nyangoma sont alliées au Palipehutu et au Hutu power rwandais : si elles triomphaient, on ne voit pas ce qui
s’opposerait au déclenchement d’un génocide des Tutsis burundais (la communauté internationale ayant démontré son indifférence). Il est
impossible d’envisager que la force cède le pas à la justice tant que cette même communauté n’aura pas, au moins, condamné les génocidaires.
A moins que les « modérés des deux camps » ne fassent preuve d’un héroïsme surhumain. Du moins les Eglises paraissent-elles, beaucoup mieux
qu’au Rwanda, être fidèles à leur message de paix.
Il paraît difficile de départager les exactions d’une partie de l’armée burundaise (une autre ayant un comportement plutôt civilisé, bloquant par
exemple le 16 janvier une manifestation de milices tutsies) de celles des « rebelles » qui prennent cette armée pour cible, massacrent des civils
tutsis et même des communautés hutues récalcitrantes.
Dans ce contexte, les « milieux diplomatiques » et journalistiques qui affichent leur sympathie pour le « très populaire » Nyangoma et lui
confèrent un statut d’interlocuteur respectable, les « d’aucuns » élyséens qui envisagent des pressions économiques ne savent, pas davantage,
qu’en 1994, ce qu’ils font : il n’est plus possible de jouer aux dominos « ethniques » avec des chefs de guerre ou de guérilla dont on connaît les
attaches génocidaires. Si l’on ne veut combattre ceux qui cultivent de tels liens, il conviendrait, au minimum, de s’interdire de les soutenir. Et
découvrir enfin qu’il existe, dans les sociétés africaines, d’autres ressorts politiques que les passions ethniques... ].

La Croix, Chronique d’un génocide annoncé, 12/01/1996 (François JANNE d’OTHEE) : « L’ONU n’est jamais qu’un outil aux
mains des 189 Etats-membres, à commencer par les cinq permanents du Conseil de sécurité (Chine, Etats-Unis, France, RoyaumeUni, Russie). [...] Dans ce directoire mondial, les marchandages comme le clientélisme sont de rigueur. "En fait, la réalité du
terrain n’intervient parfois que pour 20 % dans les décisions du Conseil. Tout le reste est affaire de géopolitique ou de politique
intérieure", estime un officier [...] de l’ONU. [...]
En 1993, l’organisation Human Rights Watch soumet un rapport alarmant sur le Rwanda [...]. Il est balayé de la main. Raison :
"Il y a déjà trop de pays africains sur l’agenda". [...]

Le général Dallaire [...], dans un télégramme codé daté du 11 janvier 1994 (soit trois mois avant la génocide) [...] [signalait à l’ONU
un informateur bien placé dans la structure des milices [...] Interahamwe, [...] [celles-ci] ont désormais pour mission de
recenser tous les Tutsis de Kigali "pour leur extermination", [...] ajoutant que son personnel "pourrait tuer jusqu’à 1 000 Tutsis par
vingt minutes". [...] Malgré les avertissements, personne n’a bougé ».
que, selon]

Le Point, Affaire des Comores. Les secrets d’un coup tordu, 06/01/1996 (Paul GUERET) confirme notre analyse de novembre (n° 28) sur les
cautions parisiennes de l’opération Denard. Il cite des noms et des institutions : le général Paul Aussaresses de l’association d’anciens des
services spéciaux Bagheera, de « jeunes anciens » du 11e Choc (le service Action de la DGSE), des 2e et 4e RIMA, du 6e RPIMA, les Comoriens
Abba Youssouf et Saïd Hillali. Les mercenaires ont été « réceptionnés » à Moroni par les militaires de la DGSE officiellement affectés à la
protection du président Djohar : l’adjudant Ruby, du 11e Choc et, probablement, le capitaine Jean-Luc Kister, ex-plastiqueur du Rainbow
Warrior. Denard a négocié sa « reddition » avec le général Germanos, ancien patron du 11e Choc, et chef du cabinet militaire du ministre de la
Défense Charles Millon. Conclusion de l’article :

« Cherchez l’erreur... ».
Croissance, L’Afrique en voie de malversation, 1/1996 (Jean-François BAYART) : « Selon Libération, [l’aventure de Bob Denard aux
Comores] avait pour enjeu le contrôle d’un casino et du circuit de blanchiment de l’argent sale qu’il abritait. Un groupe sud-africain
et un réseau proche d’un ancien ministre de l’Intérieur français se seraient livré une âpre lutte pour s’emparer de ce maillon de
l’économie internationale du crime.
L’hypothèse n’est pas aussi rocambolesque qu’il y paraît. Les Comores sont un haut-lieu de trafic depuis des lustres, et les
Seychelles, la Somalie de l’ancien dictateur Syad Barre, le Libéria de feu Samuel Doe ont très tôt exploré les possibilités offertes
par le milieu italien. N’oublions pas que certains responsables de la loge P2 avaient trouvé refuge à Mogadiscio et que Paretti a fait
ses premières armes à Monrovia. [...]
[L’Afrique] présente la particularité d’être la dernière région du monde dominée par des transactions en cash sans pour autant être
coupée du système financier international, grâce notamment à la convertibilité du franc CFA. Dépourvue de vraies institutions
bancaires , privée de procédures fiables de certification des comptes des entreprises, l’Afrique noire peut vite devenir une voie
royale du recyclage de l’argent mal acquis. Placée sous cet éclairage, l’épopée de Bob Denard apparaît moins comme le chant du
cygne [...] d’un mercenaire en fin de carrière que comme un signe avant-coureur. L’erreur [...] serait d’opposer le cours aberrant
des Etats malfaiteurs au redressement vertueux d’autres pays. [...] Il n’est pas exclu que la croissance ivoirienne se nourrisse de la
guerre mafieuse du Libéria, et la Guinée équatoriale peut rendre bien des services aux dirigeants peu scrupuleux de l’Union
monétaire d’Afrique centrale ».
[Au Libéria, justement, « il y a quelques années, le transit du ravitaillement en armes de M. Charles Taylor, via le Burkina Faso et la Côte
d’Ivoire » - où l’actuel Monsieur Afrique de l’Elysée, Michel Dupuch, était ambassadeur de France -, s’opérait « sous un discret parrainage
français » (Philippe LEYMARIE, Le Monde diplomatique, 01/1996). Il n’est pas besoin de rappeler la collection de crimes contre l’humanité dont le
passé de M. Taylor est riche...
En Somalie, les dérives mafieuses de la coopération italienne ont été interrompues par l’opération « mains propres ». En France, le premier
président de la Cour de Cassation, Pierre Drai, vient d’assurer qu’il croyait « profondément » que ses collègues ne se livreraient pas à une telle
opération. Et le procureur général de Paris a fait « une mise en garde aux magistrats qui déstabilisent la vie économique » (Libération,
15/01/1996). De ce côté, la France à fric est bien gardée].

Le Monde diplomatique, Les deux résistances casamançaises, 1/1996 (Jean-Claude MARUT) : « Il n’y a pas de solution militaire en
Casamance. Ni pour les séparatistes, qui savent notamment que Dakar est soutenu par Paris et Washington. Ni pour l’Etat
sénégalais qui bute sur une rébellion bénéficiant de deux atouts majeurs : d’incontestables soutiens au sein d’une population dont
de nombreux jeunes sans perspectives ont rejoint le maquis ; et une configuration géographique favorable à la guérilla [...].
L’identité casamançaise multiethnique réclame une reconnaissance qui s’est, jusqu’à présent, révélée incompatible avec le modèle
de l’Etat-nation. Ce faisant, elle pose une question simple au demeurant : peut-on être à la fois Casamançais et Sénégalais ? De la
réponse qui sera apportée dépend l’issue du conflit ».
[Selon La Lettre du Continent (14/12/1995), la poursuite de la guerre en Casamance s’explique aussi par les convoitises que suscite une filière
de trafics de drogue et de pierres précieuses en provenance du Libéria - où se serait impliqué un homme d’affaires chiite libanais, K.A., proche à
la fois du président sénégalais Abdou Diouf et de la junte gambienne...].
(Achevé le 24/01/1996).

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