Fiche du document numéro 22554

Num
22554
Date
Vendredi Septembre 1995
Amj
Fichier
Taille
54350
Titre
Billets d'Afrique No. 26
Type
Publication périodique
Langue
FR
Citation
BILLETS D’AFRIQUE N° 26 - SEPTEMBRE 1995
CHIRAC ET L’AFRIQUE
Quelle sera la politique africaine de Jacques Chirac ? Plusieurs « lignes », plusieurs projets peu compatibles coexistaient au
départ dans le premier cercle du pouvoir (cf. Billets n° 24 et 25). Leurs poids respectifs n’étant pas encore établis, nos pronostics
resteront prudents. On ne pouvait attendre beaucoup d’enseignements du premier voyage présidentiel en Afrique, fin juillet : cette
brève tournée de la Riviera françafricaine, au bras de papy Foccart, ces accolades aux « frères de la Côte », nourris aux mêmes
mamelles rentières, s’apparentaient aux figures imposées du patinage artistique. On n’en retiendra que quelques « perles », et de
modestes signaux.
Les figures libres se jouent à Paris. Sur plusieurs points (électrons libres, Soudan), des signes de rupture ont été émis. Sur
d’autres (le Rwanda par exemple), s’installe plutôt une continuité inquiétante. Quant au système de Coopération, les projets de
réforme agitent le Landerneau, d’ici que l’Élysée ne tranche. À suivre.
Nous évoquons ci-après ces avatars, et d’autres affaires pendantes, ou pendables. La plupart témoignent, un tiers de siècle
après les indépendances, d’un néocolonialisme vivace. Ici et là-bas, il s’agit de le rendre indésirable, incongru. L’impertinence de
Billets tient à la pertinence de son engagement sur ce terrain, où il retrouve nombre d’informateurs et de militants. Ce réseau
désargenté cultive une denrée rare. Abondez-le !
SALVES
Électrons en laisse ?
L’Élysée admet le diagnostic sur la prolifération des « électrons libres » français dans le champ africain : intermédiaires
parallèles, militaires « autonomes », officiels ou secrets, etc. (cf. Billets n° 24, Trop, c’est trop ?). Conscient de leur effet désastreux
sur la cohérence et l’image de la politique française, il se montre résolu à reprendre en main les multiples intervenants publics ou
parapublics sur le continent. On signale, certes, qu’il faudra quelque temps pour enrayer les mauvaises habitudes. Mais l’on se dit
prêt, d’une part à enquêter sur les bavures et à les sanctionner, d’autre part à assumer, dès maintenant, la responsabilité d’une
politique africaine redevenue unique.
Celle-ci ne se met donc plus « en dérangement », ni la cellule élyséenne aux « abonnés absents ». C’est un changement d’autant
plus remarquable que cette politique continuera d’être fortement critiquable - ne fût-ce que par le poids du passé -, et que les
tentations de coups tordus ressurgiront. Mais une politique assumée a plus de chances d’être amendée qu’une tragi-comédie
anarchique, à double ou triple fond(s). Chiche ?
Soudan : dé-collage ?
À Dakar, Jacques Chirac s’est démarqué publiquement du « collage » franco-soudanais. Au 2 rue de l’Élysée, le coup de foudre
pour le régime de Khartoum et l’alliance militaro-barbouzarde qui s’en est suivie sont qualifiés d’« incompréhensibles ».
Pour comprendre, il ne serait pas superflu de faire évaluer l’information et les analyses transmises par le commandement français
au Tchad, par les divers services de renseignement et par l’ambassadeur de France à Khartoum. Ce choix aberrant fut, d’autre part,
le résultat typique d’un dépeçage du centre de décision politique par les lobbies et réseaux. Ils guettent le nouveau dompteur...
Les amis du Soudan se réjouiront que cette page honteuse soit tournée. Le moment est opportun : l’ensemble de l’opposition
soudanaise, du Nord et du Sud, vient de signer le 23 juin à Asmara (Érythrée), un accord historique sur les bases d’un vivre
ensemble ou d’une coexistence pacifique en ce vaste territoire déchiré. (Vigilance Soudan, 07/1995).
Fantômes rwandais
À part Alain Juppé, qui conçut et promut avec François Mitterrand la trouble opération Turquoise, le nouvel exécutif est a priori
délié, sur le dossier rwandais, du fâcheux besoin d’auto-justification : il pourrait tirer les leçons du désastre.
Mais, là-bas, l’investissement multiforme de la France fut sans commune mesure avec le copinage soudanais. Au Quai, rue
Monsieur, rue Saint-Dominique, à la Piscine, ... tous ceux qui soutinrent sans retenue l’alliance avec le camp génocidaire
continuent d’instruire la politique française au Rwanda. Les schémas de diabolisation (du FPR, de l’Ouganda, des anglophones, ...)
hantent toujours les esprits, sous-tendent les analyses. L’information alternative n’a guère d’accès.
Les motifs ne manquent pas de suivre les mêmes ornières : le gouvernement de Kigali fait figure de mouton noir chez nos
« amis » les potentats francophones ; il est l’allié de Museveni, l’anti-Mobutu par excellence ; l’Internationale DémocrateChrétienne poursuit son travail de sape, tandis que certains milieux catholiques sont plus tentés par la croisade que par l’amende
honorable. Les thèses d’un Filip Reyntjens (voir : À fleur de presse) représentent bien l’arrière-plan mental qui reprend ses aises au
ministère de la Coopération, et qui risque de circonvenir l’Élysée. À la clef : le soutien à une fantasmatique « troisième voie »,
incapable de se dissocier d’un Hutu power que la « communauté internationale » n’a ni la force ni l’envie de mettre hors jeu.
Ce soutien serait diplomatique, dans la future Conférence régionale en gestation. Mais l’on peut craindre la tentation des
solutions de force, ou le regain des opérations clandestines. Mobutu est toujours partant : il touche chaque fois le jackpot.
Les péripéties du vote de la résolution n° 1011 du Conseil de sécurité, le 16 août, illustrent ces enjeux. Le Rwanda demandait la
levée de l’embargo sur les armes (décidé l’an dernier dans le contexte du génocide) pour pouvoir se défendre contre la menace
croissante du Hutu power. La France et la Belgique essayèrent de s’y opposer, puis, trop isolées, se rallièrent sous conditions.
L’explication de vote du représentant français traduit la ligne actuelle, encore hésitante. Après une litanie de reproches au
gouvernement de Kigali, le diplomate reprend l’antienne consensuelle sur la nécessité d’un « plein soutien » à ce même

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gouvernement, « pour lui permettre de mener à bien l’œuvre de réconciliation nationale et de reconstruction qu’il s’est engagé à
poursuivre. Si nous voulons éviter de nouvelles catastrophes, il faut progresser rapidement vers cet objectif ».
On aimerait que la France adopte franchement ce refrain. En attendant, elle ne débloque pas un sou, ou si peu... Veut-elle, ou
non, « éviter de nouvelles catastrophes » ?
Godfrain en main ?
Nous évoquions début juillet (APD : le blitz ?, n° 24) le projet de supprimer la Direction de l’administration générale du ministère
de la Coopération - plaçant celui-ci dans l’orbite des Affaires étrangères. Cette mesure, qui favoriserait la normalisation
diplomatique des relations franco-africaines, est l’un des enjeux de la réforme du système français de Coopération voulue par A.
Juppé, contre la continuité incarnée par Jacques Foccart.
Celui-ci avait été, en mai, rétrogradé du 2 au 14 rue de l’Élysée, tandis que son disciple Jacques Godfrain, le nouveau ministre de
la rue Monsieur, devait renoncer à composer librement son cabinet. Mais Foccart aurait, selon Jeune Afrique (06/07/1995), remporté
vite fait la seconde manche. Il aurait obtenu de Chirac que son protégé Godfrain conserve la gestion de son budget et de son
personnel. Jacques Godfrain aurait, de son côté, renforcé sa position en nouant une alliance stratégique avec le Directeur
balladurien de la Caisse française de développement, Antoine Pouillieute.
Si ces informations devaient se confirmer, elles seraient de mauvais augure. Autant il est souhaitable que ne soit pas diluée la
responsabilité de la politique franco-africaine, autant il faut redouter l’instrumentalisation par le Château d’un ministère de la
Coopération confié à un familier, et redevenu en quelque sorte extra-gouvernemental - au « carrefour » de toutes les dérives... (cf.
par exemple Le nègre au palais de Thierry Pfister, Albin-Michel, p. 137-157).
Transformations
En lançant à Dakar l’idée de « transformer la dette extérieure des pays africains francophones en investissements », Jacques
Chirac pouvait désigner le meilleur ou le pire. Le meilleur, c’est de renoncer à des créances envers certains États à condition que
leurs chefs, pas vraiment innocents de la dissipation des crédits, s’engagent à investir les sommes remises au bénéfice des
populations. C’était le principe du Fonds de conversion de créances créé à Libreville en 1992. L’application est malaisée, car les
responsables de l’État bénéficiaire renâclent, et ceux de l’État français, eux-mêmes plus complices qu’innocents, disposent en
l’affaire d’une autorité morale limitée.
Le pire est sérieusement envisagé (cf. l’audition de J. Godfrain, retour d’Afrique, devant la Commission des Affaires étrangères de
l’Assemblée) : on échangerait la dette contre la participation d’entreprises françaises à la privatisation du secteur public africain.
Lesdites entreprises ont souvent frôlé le diabète en se sucrant dans les contrats fauteurs d’endettement. Elles se feront prier pour
réinvestir en Afrique : arguant du risque, elles demanderont à bénéficier d’avantages fiscaux, ou d’une louche d’APD. Résultat :
on bouclerait une gestion néocoloniale désastreuse en recolonisant des secteurs-clefs - toujours avec les mêmes irresponsables. Il
n’est pas sûr que les opinions publiques africaines et française marchent dans la combine.
Charles reste branché
Le bras droit de Charles Pasqua et son conseiller occulte pour l’Afrique, Daniel Leandri, demeure chargé de mission au
ministère de l’Intérieur. Le réseau Pasqua reste ainsi branché sur l’un de ses principaux lieux-ressources, la place Beauvau - et
notamment sur le Service de coopération technique internationale de la police (SCTIP). Charles Pasqua avait fait du SCTIP une
sorte de sous-réseau interactif, dévoué à ses plans et à ses œuvres. Il lui avait ouvert les crédits à dégainage rapide du Fonds d’aide
et de coopération (FAC). Ce service peu policé lâchait de temps à autre des « électrons libres » - dont certains, en Guinée
Équatoriale, sont accusés d’avoir assassiné des coopérants français.
Jacques veut-il, via Jean-Louis (Debré), ménager les « coopérants » très spéciaux de Charles ? Peut-on continuer d’allouer au
SCTIP les crédits prioritaires de l’aide publique au développement (APD) sans un débat sur les objectifs et les méthodes d’une
coopération policière - surtout auprès de dictatures - et sans une évaluation contradictoire de ses résultats ?
Asile
Selon le bi-hebdomadaire local La nouvelle expression (25/07/1995), le Cameroun est devenu le repaire d’un noyau de
responsables du génocide rwandais. LNE en publie la liste. Leur groupe, Amasasu, qui se réunit régulièrement à Douala dans le
quartier IPD-Bassa, aurait mis à prix la tête d’autres réfugiés rwandais - des « gêneurs ». Le président Paul Biya n’a sans doute pas
lu la résolution 978 du Conseil de sécurité de l’ONU, qui demande aux États membres d’arrêter les auteurs présumés du
génocide... Pour ces derniers, Libreville aussi mérite bien son nom. Y conviant fin juillet Paul, Omar et les autres, Jacques Chirac a
sans doute omis de leur distribuer des copies de la résolution 978 : il se refuse à « donner des leçons » (voir : « Ils ont dit »).
C’était en l’occurrence bien vu : la justice belge s’est irritée des fréquents séjours que feraient en France deux leaders du Hutu
power (ordonnateurs du génocide, mais aussi du massacre de 10 Casques bleus belges), dont le « cerveau » présumé de
l’extermination, le colonel Théoneste Bagosora (La Croix du 13/07/1995).
On n’arrête pas les idées
Comme souvent en période électorale, le régime camerounais a interdit plusieurs titres de la presse libre. Ce ne serait plus une
nouvelle si la faillite générale du régime Biya n’amenait les policiers à vendre à leur compte les exemplaires saisis !

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Mongo Béti a fort bien décrit cette faillite dans La France contre l’Afrique (La Découverte, 1993). Il y exprime un sentiment de
plus en plus répandu dans tout le pays (y compris parmi l’ethnie dont se réclame le président Biya, et qu’il « avantage ») : la
brutale impudence du régime ne tient plus qu’aux garanties reçues de ses parrains français.
Ni l’APD, ni Elf n’ont plus les moyens d’éviter la banqueroute du régime Biya. Convient-il, par un soutien occulte acharné, de
sceller la francophobie des Camerounais ?
Rumoristes
La France (ou des « électrons libres » français) ont poursuivi leur soutien au Hutu power après le déclenchement du génocide
(pour un résumé, cf. le Rapport 1995 de l’Observatoire permanent de la Coopération française, Desclée de Brouwer, p. 155-179). Chaque fois

qu’une enquête ou un témoignage viennent le confirmer, on assiste à un curieux ballet politico-médiatique. L’exécutif « dément
formellement ». La presse légère publie distraitement, non l’information, mais son démenti, tandis que la presse dite « de
référence » s’emploie à déqualifier en « rumeurs » les nouveaux indices ou déclarations. Rien en tout cas qui permettrait de
trancher, sur un sujet qui met pourtant gravement en cause l’honneur de la France, et les modes de son action en Afrique.
Ces enquêteurs ou journalistes, presque toujours étrangers, sont trop curieux : leurs motivations et leurs méthodes sont forcément
suspectes. La DGSE distille les ragots, complaisamment relayés. Human Rights Watch (cf. les extraits de son rapport dans Billets n° 23)
est particulièrement visée. Ayant dénoncé les prémices du génocide plus d’un an à l’avance, en février 1993, elle a acquis une
crédibilité gênante. Sa ténacité inquiète.
Autre symptôme de la persécution anglo-saxonne : une équipe de la BBC a diffusé le 20 août un documentaire accablant, Le
drapeau tricolore sanglant, résultat d’une longue enquête. Les radios et télés n’ont pu cette fois esquiver le témoignage-choc de
l’ancien chef-adjoint des forces de l’ONU à Kigali, le colonel Luc Marchal : l’un des avions français destiné le 8 avril 1994 à
l’évacuation des Européens amenait des munitions pour les Forces armées rwandaises, qui « encadrèrent » le génocide. Gageons
qu’une écrasante majorité des rédacteurs en chef demanderont à leurs journalistes d’investigation (s’ils en tolèrent) de classer le
propos importun de ce colonel au dossier : « Rumoristes patentés ».
Je te tiens, tu me tiens...
Au Zaïre, la Troïka (France, Belgique, États-Unis) soutient indéfectiblement un Premier ministre sans guère de légitimité, Kengo
wa Dondo, contre celui (Étienne Tshisekedi) désigné par la Conférence nationale souveraine. Pourquoi ? Et de quoi se mêle-t-on ?
En tout cas, la manipulation des réfugiés rwandais et burundais de l’Est zaïrois, dont l’expulsion brutale menaçait d’allumer un
conflit régional, aura permis au tandem Mobutu-Kengo d’exercer un fructueux chantage vis-à-vis de ses parrains occidentaux.
Diable !
Le n° 43 de la revue Golias (cf. Billets n° 24) est centré sur l’affaire Wenceslas (ce prêtre rwandais accusé de participation au
génocide, arrêté le 28 juillet en Ardèche, puis placé sous contrôle judiciaire). Il dresse aussi un premier inventaire des connivences
ecclésiastiques avec le processus génocidaire. Le rédacteur en chef de Golias, Christian Terras, en tire un réquisitoire fortement
argumenté : Rwanda, l’honneur perdu de l’Église (in Libération du 10/08/1995).
Mais quel diable a poussé la revue à un double dérapage, qui entache la qualité du dossier ? Elle a laissé l’auteur de l’un des
articles désigner le Pr. Filip Reyntjens comme « le plus hypocrite des jeunes fascistes belges » (p. 35). On peut contester les
positions de cet expert (voir : « À fleur de presse »), ou s’en indigner. Le traiter de fasciste, c’est glisser verbalement dans le
totalitarisme que l’on veut dénoncer.
Par ailleurs, Golias publie une liste de 25 prêtres ou pasteurs « qui ont assassiné ou encouragé les assassins ». Cette liste inclut
André Sibomana. Ce prêtre-journaliste administre aujourd’hui le diocèse de Kabgayi. Via sa revue Kinyamateka, il s’opposa
vigoureusement au régime Habyarimana, et dénonça ses exactions.
Opposant peu nuancé au FPR, ses prises de position sur les tensions au Rwanda sont discutées. On lui reproche aussi ses liens
avec des personnes impliquées dans le génocide - un « péché originel » désormais commun, malheureusement, à la plupart des
Rwandais. Rien de cela n’autorise à le classer parmi les assassins ou leurs commanditaires. Le combat contre l’impunité commence
par la précision des griefs. Et la réhabilitation du débat politique, si nécessaire au Rwanda, interdit les amalgames.
Développement féminin
Dans la perspective de la conférence de Pékin, le rapport 1995 du PNUD s’efforce de mesurer la contribution des femmes au
développement humain, et les injustices qu’elles subissent. De ce chantier gigantesque, on ne retiendra que deux faits : les femmes
travaillent plus que les hommes ; la part non rémunérée ou sous-évaluée de leur travail représente plus de 60 000 milliards de F
(28 % des ressources mondiales).
(L)armes
Sans la moindre innocence, le Congrès US a diffusé un rapport selon lequel, en 1994, la France serait devenue le premier
vendeur d’armes au Tiers-monde - pour plus de 50 milliards de F. Ce rapport a suscité de vives polémiques, tant sur les chiffres
(commandes, livraisons, ou règlements ?) que sur l’appartenance au Tiers-monde d’un pays comme l’Arabie saoudite. La France
n’en reste pas moins en pointe.
Or, la fourniture de matériels très chers et sophistiqués à des États comme le Pakistan est triplement néfaste : elle relance la
course aux armements dans la sous-région ; elle distrait des sommes énormes au détriment de l’éducation et de la santé, déjà
sacrifiées ; elle accroît la richesse, la corruption et le pouvoir de castes militaires dont on mesure bien, en Algérie ou en Irak, à quel

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point elles maltraitent leurs pays. Encore une fois, le contribuable (via les garanties COFACE ou de futures remises de dettes)
finance une aide secrète au contre-développement (et à des industriels français gros pourvoyeurs de fonds politiques).
Faim de pain
Après des années de surabondance, les stocks mondiaux de céréales baissent sous le seuil de sécurité : ils représentent 14 % de la
consommation annuelle, au lieu des 17 % requis. Les cours s’envolent. La mise en jachère ne sera bientôt plus qu’un mauvais
souvenir, mais le déficit à moyen et long terme n’est pas résolu. Une mobilisation se fourbit face à cette inversion de tendance,
avec notamment un séminaire à Poitiers, La révolution doublement verte, les 8 et 9 novembre. En attendant, l’approvisionnement
des dizaines de millions de réfugiés ou victimes de disettes va coûter beaucoup plus cher : trouvera-t-on l’argent nécessaire ?
(Perspectives de l’alimentation, FAO, 07/1995).

Faim de justice
Une salve en l’honneur de Maguy Marin, Ariane Mnouchkine, Olivier Py, François Tanguy et Emmanuel de Véricourt. Leur
grève de la faim pour la Bosnie, au nom de la Déclaration d’Avignon, est de celles qui relèvent les consciences. J. Chirac leur a
écrit le 23 août : « Soyez assurés de ma détermination à poursuivre, avec toute la ténacité qui s’impose, dans la voie que nous
dicte cette conviction partagée ». On préfère ce partage à la communauté d’idéaux avec Bongo (cf. ci-dessous). Mais quelle fut la
détermination française à Bihac (sinon de condamner la rupture du siège par les Croates) ? Quelle fut-elle à Srebrenica ?
Laissera-t-on les mêmes bouchers « finir le travail » à Gorazde ?
ILS ONT DIT
« J’ai voulu en venant très vite en Afrique et en y consacrant mon premier voyage extérieur marquer une certaine continuité de la
politique française ». (Jacques CHIRAC, point de presse à Dakar, le 23/07/1995).
[On eût aimé que le candidat du « changement » affiche, sur ce chapitre le plus sombre de la gestion mitterrandienne, un peu plus de distance.
Pour essayer d’éviter pareille faillite, il devrait lire d’urgence le dossier de Politique africaine, qui en tire le bilan (voir rubrique Lire)].

« [Le] Président Omar Bongo [...] est pour moi un ami de longue date [...]. [Il] a témoigné de sa fidélité à nos idéaux communs et à
notre engagement commun pour une certaine idée franco-africaine ». (Jacques CHIRAC, allocution à Libreville, le 22/07/1995).
[C’est gentil de faire plaisir à Omar, qui nous garde le pétrole gabonais, mais quand même : Jacques Chirac a-t-il vraiment les mêmes
« idéaux » que Bongo, et la même « idée franco-africaine » - celle du pillage des ressources nationales et du bourrage des urnes ? Tiendrait-il ce
propos en France ? Il n’est plus (l’oubliait-il dans la moiteur équatoriale ?) cet éternel candidat aux gros besoins financiers, mais un Président
de la République censé - surtout à l’étranger - parler au nom de tous les Français].

« Chacun doit selon sa culture, son histoire, sa tradition, conduire le mouvement vers la démocratie à son rythme et à sa façon.
Nous n’avons pas de leçons à donner comme trop souvent nous sommes tentés de le faire, mais nous avons un mouvement à
encourager » (idem).
[Sur le thème de la démocratie, J. Chirac reprend la formule politiquement correcte, ciselée par son prédécesseur dans le repentir post-baulois.
Le principe est inattaquable. Sauf qu’en même temps la France n’était pas neutre : elle aidait à truquer les élections au profit de tyrans, elle
armait le Hutu power jusqu’en plein génocide, et la DGSE justifiait la protection des dictateurs par la « politique du moindre pire ». Avant
d’« encourager le mouvement », il faudrait que la Françafrique cesse de le décourager. Il ne serait pas inutile que J. Chirac précise comment il
compte « reconvertir » tous ceux qu’elle payait pour cette tâche].

« Que peut faire la France ? Qu’elle prenne partie pour la démocratie et qu’elle dise non aux "coups d’État électoraux". Qu’elle
comprenne que son intérêt est de coopérer, en Côte d’Ivoire, avec un pouvoir réellement légitime et non pas un pouvoir drapé dans
des apparences de légitimité » (Laurent GBAGBO, l’un des leaders de l’opposition ivoirienne, in Libération du 23/07/1995).
« Tous les ennuis que nous avons eus en Afrique occidentale française n’ont rien à voir avec un désir d’indépendance, mais avec
une rivalité entre les blocs français et britannique. Ce sont des agents britanniques qui ont fomenté tous nos ennuis. [...] J’aimerais
vous faire rencontrer Houphouët. Vous verrez comme ils nous aiment. L’Afrique française ne veut pas l’indépendance. ».
(François MITTERRAND, entretien du 5 mars 1957 avec le journaliste britannique R.W. Howe, cité dans Politique africaine, 06/1995, p.
52-53).
[37 ans plus tard, François Mitterrand imputera les « ennuis » de la France au Rwanda - peu de choses, à vrai dire, au regard des « ennuis »
des Rwandais - à la malveillance des Anglo-Saxons].

« C’est l’ébauche d’un droit international. Une brèche concrète dans le principe généralisé d’impunité dont bénéficient les
e
criminels de guerre. Il faut en finir avec les exils tranquilles et pépères ». (M Henri LECLERC, président de la Ligue des droits de
l’homme, à propos de l’arrestation en Ardèche du Père Wenceslas. In Le Monde du 06/08/1995).

« Je suis étonné qu’il n’y ait pas d’Arabes là où tu habites.
- Après l’épuration qu’on va y faire, il n’y en aura plus ! ».
« Il faut terminer le travail inachevé il y a cinquante ans ».
(Quelques propos, parmi d’autres, tenus par des participants à l’université d’été du Front national de la jeunesse, du 15 au 21 juillet dans le
Cher, selon un témoignage cité dans Le Monde du 06/08/1995).

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[Il n’y a pas qu’au Rwanda qu’on a envie de « terminer le travail »].

« Si l’Europe avait arrêté à temps les prétentions territoriales de la Serbie, il n’y aurait pas eu ici de conflit. Mais les
gouvernements occidentaux ont fait précisément ce qui en 1939 a entraîné le monde dans le tourbillon de la guerre. Ils ont cédé
devant l’agression du fascisme. [...] En regardant nos enfants massacrés, nos femmes violées et nos villes détruites, vous regardez
votre propre destin. Ne vous faites pas d’illusion, la Bosnie n’est pas bien loin de chez vous ». (Haris SILADZIC, Premier ministre
de Bosnie, message adressé le 19/07/1995 à l’opinion française, via l’Association Sarajevo).

À FLEUR DE PRESSE
Le Soir, L’An un du « nouveau Rwanda », 20/07/1995, (Carte blanche à Filip REYNTJENS) : « [..] La dérive totalitaire est visible à
tous les niveaux. [...] Certaines zones interdites d’accès et de survol aux observateurs étrangers (notamment le parc de l’Akagera)
abriteraient des camps de concentration. [...] On évolue ainsi inexorablement vers une situation qu’a connue le Burundi jusqu’à la
fin des années 1980 et dont on a pu mesurer le potentiel explosif. [...] Tout comme les Tutsis, soupçonnés de sympathies pour le
FPR, ont fait l’objet d’un génocide "prophylactique" l’année passée, les Hutus aujourd’hui à l’intérieur, soupçonnés de constituer
une cinquième colonne des assaillants, risquent de subir le même sort [...] en cas de réelle menace militaire. [...]
Il existe une "troisième voie", le milieu du terrain composé de démocrates qui ne sont ni FPR ni génocidaires ».
[Spécialiste de la région des Grands Lacs, ancien conseiller du Président Habyarimana, Filip Reyntjens est un expert très influent, en Belgique
mais aussi à Paris. L’exécutif français, qui le consulte, tient des propos similaires : assimilation au Burundi, réalité ou risque d’un deuxième
génocide, penchant pour la "troisième voie"... Toutes les imperfections du Rwanda actuel, tous les délits et les crimes qui s’y commettent sont
attribués au FPR, dont on postulait au départ qu’il était, chez les Tutsis, le double mimétique du Hutu power. Les « démocrates » seraient
forcément ailleurs, dans le ni-ni. On y compterait les leaders des fractions Power, surgies en 1993 parmi les partis de l’ex-opposition : la
Françafrique et l’Internationale Démocrate Chrétienne, entre autres, avaient encouragé ces dissidences, poussant certains opposants hutus à
rallier un « front de race » autour du régime Habyarimana.
Ce schéma de « troisième voie » prolonge ainsi d’anciennes manœuvres, à l’issue funeste. Il séduit les complices internationaux du génocide,
qui redeviendraient alors d’honnêtes courtiers entre deux barbaries. Trop de milieux ont besoin que se vérifie a posteriori la démonisation du
FPR. Mais les « vérités » consolantes doivent être vérifiées deux fois.
Ainsi, la terrible allégation de « camps de concentration », dans l’Akagera, est étayée sur une prétendue interdiction « d’accès et de survol ».
Selon l’ambassadeur du Rwanda à Bruxelles, la MINUAR survole tout le pays et circule partout - y compris dans le parc de l’Akagera. Une
visite de ce parc peut être organisée pour qui le souhaite. Interrogé à Genève, le HCR confirme avoir accès à tout le territoire rwandais. Il
dément catégoriquement l’existence de camps de concentration. L’expertise n’autorise pas à colporter n’importe quel bobard].

Le Soir, Le Rwanda doit rompre avec la culture de l’impunité, 15/08/1995, (Carte blanche à François-Xavier NSANZUWERA) : « Les
intellectuels hutus doivent avoir le courage de dénoncer les génocidaires qui sont avec eux, plutôt que de chanter toujours la même
chanson sur Kibeho qui montrerait que le nouveau pouvoir de Kigali est aussi mauvais que l’ancien. [...] Ils prétendent se donner
bonne conscience en faisant une sorte de "mélange", de parallélisme impossible entre, d’une part, le génocide - pour lequel certains
d’entre eux n’éprouvent aucun remords - et, d’autre part, les violations actuelles des droits de l’homme. Les intellectuels tutsis
doivent avoir l’honnêteté de dénoncer certains de leurs "frères" qui se comportent comme en pays conquis, assimilant le Hutu à
l’assassin.
[...] Les modérés de l’Armée patriotique rwandaise doivent avoir le courage de lutter contre leurs camarades extrémistes. [...] Les
témoins du génocide rwandais qui refusent de témoigner pour la justice ainsi que les délateurs qui font la chasse à l’homme sont
tous des assassins et des destructeurs du Rwanda. Le Rwanda nouveau sera construit par les modérés de l’intérieur et de
l’extérieur ».
[Nous avons plusieurs fois cité (Billets n° 22 à 24) F.X. Nsanzuwera, procureur de Kigali (qui a pris, selon ses propres termes, une « année
sabbatique à Anvers ») : il ne se départit pas de cette exigence d’humanité qui est la clef du relèvement rwandais. Il n’a pas caché ses critiques
sur les lenteurs et les lacunes de la justice rwandaise. Dans sa Carte blanche du 20/07/1995, Filip Reyntjens les évoquait à l’appui de son
jugement. Mais le procureur refuse cet enrôlement.]

LIRE
Algérie, La libération inachevée, Ghazi HIDOUCI, La Découverte, 1995, 303 p.
La descente de l’économie algérienne aux enfers de la corruption est l’une des clefs du présent enchaînement de ce pays à la violence. Les
responsables de la coopération économique franco-algérienne n’ont rien fait pour enrayer cette évolution : ils savaient pourtant qu’ils finançaient
un système de plus en plus mafieux, et ses complices (en France notamment). Privilégiant la logique des systèmes, l’auteur ne donne pas de
noms. On aimerait quand même savoir, pour notre gouverne, qui, en France, a savonné la planche, et pourquoi.
Mitterrand et l’Afrique, Dossier de 100 p. in Politique africaine, n° 58, 06/1995, Karthala. Coordonné par Philippe MARCHESIN..
Ce bilan peu reluisant s’appuie sur plusieurs monographies (économie, Zaïre, Djibouti, Togo). Les réflexions de Jean-François Bayart sont
toujours aussi percutantes. La mise en perspective historique, par Ph. Marchesin, accrédite la thèse des « points fixes », chers à l’ancien
Président : celui-ci est resté fidèle aux idées qu’il exposait au temps des colonies, et à ses amitiés avec les hommes politiques africains des années
50 (tel le despote djiboutien). Un thème se dégage avec insistance (y compris dans l’article, hors dossier, de Serge Michaïlof sur la zone Franc) :
la paresse. Elle a une grande part dans les dérives constatées. Cela réduit la part du cynisme, mais le résultat est le même : on a pactisé avec la
montée des tyrannies, de l’ethnisme et du pillage.

Billets d’Afrique

N° 26 – Septembre 1995
e

L’État criminel. Les génocides du XX siècle, Yves TERNON, Le Seuil, 1995, 449 p..
Une excellente synthèse du travail considérable effectué sur le sujet (plus à l’étranger qu’en France) tant sous l’angle juridique que
philosophique, psychologique, historique, politique, ... Un ouvrage indispensable pour ceux qui n’abandonnent pas le projet de bannir le
génocide. Ils ont du pain sur la planche. À peine passés le sursaut d’horreur consécutif à la Shoah, et son impact juridique sur les procès de
Nuremberg, les diplomates s’employèrent à vider de toute efficacité la « Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide » :
le texte adopté par l’ONU en 1948 étale son impuissance.
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DIRECTEUR DE LA PUBLICATION : FRANÇOIS-XAVIER VERSCHAVE - COMMISS. PARITAIRE N° 76019 - DEPOT LEGAL : SEPTEMBRE 1995 - ISSN 1155-1666

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