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BILLETS D’AFRIQUE N° 28 - NOVEMBRE 1995
SALVES
L’œuf, la poule et le Château
Dans ces îles des Comores où de grands manitous françafricains soignent leurs petits trafics et leurs propriétés, le président
Djohar finissait par faire désordre. Passe encore qu’il se révélât un surdoué de l’« exploitation familiale » de son propre pays. Mais
il devenait trop gourmand dans le partage des flux externes (de l’aide et du « commerce »), et sa dictature trop caricaturale : dans
un archipel qui, manifestement, doit rester sous influence française, il convient de sauver les apparences. Comment se débarrasser
du gérant indélicat ?
Qui, le premier, suggéra la réponse : un Denard toujours aussi « affairé » et friand d’aventures exotiques, ou ses honorables
correspondants ? Jugé en 1993 pour sa sanglante tentative de putsch au Bénin, le « corsaire de la République » vit affluer à la
barre le gratin des « services ». On témoigna de sa constante « loyauté », depuis le Katanga des années 60. L’ex-colonel de la
DGSE Maurice Robert, mentor du très gaulliste Club 89, ne mesura pas ses éloges. Il vient d’en rajouter quelques louches dans un
édifiant documentaire diffusé sur Arte.
Quant à savoir lequel a commencé, de l’œuf Denard ou de la poule DGSE, n’ergotons pas : le poulailler était au parfum - du
moins le noyau foccartien qui, depuis 35 ans, fait bouillir la marmite et mijote les coups tordus. Que le réseau Pasqua, des huiles
marocaines ou des groupes sud-africains aient, comme d’aucuns le suggèrent, misé quelques plaques dans l’expédition
(escomptant les profits d’une régence Denard) ne serait pas incompatible avec un contrôle participatif de la DGSE. Et donc, peuton supposer, de l’Élysée. La phrase d’un haut gradé français : « Soit on a aidé Bob Denard, soit on est des nuls » (La Tribune de
Genève, 05/10/1995), vaut aussi pour le Château.
On retiendra donc respectueusement (comme Le Figaro du 14/10/1995) le premier terme de l’alternative. Les indices ne
manquent pas : intervention d’un Transall de l’armée française pour de mystérieux parachutages et livraisons, quelques heures
avant le coup d’État ; navettes d’un Zodiac entre un bateau de guerre français et la côte tenue par les putschistes ; évanescence du
dispositif, animé et encadré par des officiers français, censé protéger le président Djohar... (Le Nouveau Quotidien, Lausanne,
03/10/1995).
Si ces officiers n’étaient pas de mèche (selon Denard, ils se seraient « endormis sur leurs lauriers » !), les présidents africains
qui croient leur sécurité garantie par la coopération militaire française peuvent s’inquiéter de sa vigilance. S’ils l’étaient, les
« protégés » peuvent douter de la loyauté de leurs « protecteurs »... (« tous les portails étaient ouverts. Comme s’ils nous
attendaient », observe un mercenaire (Libération, 05 et 06/10/1995).
On choisira ici la seconde version : les chefs d’État en question savent pertinemment qu’en Françafrique, la « loyauté » se
mesure d’abord à l’épaisseur des liens d’affaires, ou des dossiers de chantage. Il s’en déduit que, dans le couple Denard-DGSE, la
seconde a doublé le premier - à moins que, suprême comédie, le scénario n’ait été écrit conjointement jusqu’à son terme : un bref
passage « à la Santé », et l’assistance de Me. Soulez-Larivière, qui fut à Auckland l’avocat des faux époux Turenge (DGSE contre
Rainbow Warrior).
Le nombre de nos lecteurs ne cessant de croître, certains nouveaux venus s’interrogent sur nos objectifs. Quelques destinataires
à l’esprit « inquiet » se demandent même : pour qui roulent ces Billets ?
Éditée par Survie (dont les amis couvrent tout l’éventail politique, hors Front national), cette lettre veut contribuer à « ramener
à la raison démocratique » la politique africaine de la France. Ladite « politique » a en effet tellement échappé au contrôle des
instances démocratiques qu’elle en a perdu la raison.
Cet objectif général est partagé avec d’autres associations - en une Coalition qui a produit, notamment, le « contre-sommet » de
Biarritz et les Dossiers noirs. Pour sa part Survie s’attache, avec Billets, à entretenir un feu nourri contre une machine à délires et
à dévoiements, la Françafrique - qui n’a pas abdiqué.
Nous réclamons de notre pays qu’il respecte quelques règles et conventions de base, parmi lesquelles :
PRINCIPES D’ÉMISSION
- l’indépendance des pays africains ;
- la validité des labels aide publique au développement et coopération (vérification de l’affectation des fonds, évaluation des
résultats) ;
- le contrôle démocratique de l’action de ses services secrets ;
- la contribution à la prévention et la répression des crimes de génocide.
Notre réflexion sur ce code minimal de bonne conduite, sur les moyens de l’imposer et sur les modalités de sa mise en œuvre,
n’est pas close : elle se poursuit avec le concours d’amis et d’avis éclairés.
D’autres lecteurs trouvent nos Billets trop « noirs », trop rares nos « alouettes » et autres « bons points » : l’humour (noir) n’y
serait que la politesse du désespoir. C’est que la réalité françafricaine reste bien peu réjouissante - même si se multiplient les
fêlures qui laissent espérer l’éclosion d’un autre système de relations. La solidarité planétaire est un fait, de plus en plus massif
(nous sommes sur le même bateau). Nous croyons à l’urgente nécessité de communiquer ce fait, et de faire vivre cette solidarité.
Nous y travaillons. Mais on ne peut, en attendant, laisser en plan le nettoyage des incuries...
Billets d’Afrique
N° 28 – Novembre 1995
Denard superstar
En tout cas, l’acteur qui a si magistralement bluffé journalistes et téléspectateurs mériterait d’être rapidement gracié (il boîte,
avez-vous vu ?). Grâce à ses loyaux services, Paris peut penser en effet avoir gagné sur tous les tableaux : Djohar est remplacé par
une équipe plus présentable - mais non moins dépendante ; tel un shérif triomphant des outlaws, le corps expéditionnaire tricolore
bannit les mercenaires de la carte d’Afrique, s’imposant en garant de la loi et de l’ordre.
Jacques Godfrain peut conclure, dans un style policé par 30 ans de foccartisme : l’intervention française est « tout à fait
exemplaire. Notre attitude est imparable. Aucun reproche ne peut nous être fait puisque toutes les précautions juridiques ont été
prises. Sur le plan opérationnel, l’action des militaires et des gendarmes français a été menée de main de maître. Quant au traité
de coopération, il a repris son cours normal ». (Le Journal du Dimanche, 08/10/1995). L’« affreux » BD, lui, tenait juste avant de « se
rendre » des propos à la polysémie surréaliste : « La France ne m’a pas lâché, et c’est bien là le problème, je crois qu’elle va
encore me tenir quelque temps ».
Reste à savoir ce que les Africains penseront de ce cinéma... et quel programme le producteur Chirac prétend leur asséner. A-t-il
voulu sceller, par ce happy end aux grosses ficelles, 35 ans de cycle Foccart ? ou ouvre-t-il son carnet de commandes à toute une
série de mauvais remakes ?
Bleuïte
Durant la guerre d’Algérie, voici près de 40 ans, les services français s’étaient attaché une cohorte de rebelles « retournés », les
« bleus ». Certains ne faisant que simuler leur conversion, on les laissa s’emparer de fausses listes de « collaborateurs », s’enfuir
avec elles, et semer dans les maquis les métastases d’une suspicion fratricide : la « bleuïte ». Ce stratagème diabolique, et quelques
autres, stimulèrent de tels massacres au sein de la résistance algérienne que son histoire est restée en partie indicible.
Depuis lors, la sécurité militaire (SM) algérienne, alliée à une junte d’officiers, a pris le contrôle du pays et l’a mis en coupe
réglée. Question manipulation, elle a surpassé ses homologues de l’ex-métropole. Exaspérés par une répression aveugle, des jeunes
fuient vers des « maquis islamistes » que la SM a préparé à leur intention, et qui servent d’instruments dans une lutte impitoyable
pour le pouvoir. Une portion de la Françafrique barbouzo-affairiste trouve ces pratiques d’autant plus sympathiques que la SM est
pourvoyeuse de grosses affaires d’import-export, avec des commissions colossales (jusqu’à 25 %).
Coupole
La mafia militaire d’Alger est dirigée par une véritable « coupole », une « sorte de "forum permanent" des colonels devenus
généraux qui, dans une névrose collective organisée, négocient et renégocient à l’infini leur place dans la "nomenklatura"
algérienne. Unis par un seul souci commun - garder le pouvoir -, ils sont en désaccord constant sur tout le reste » : le contrôle de
chaque filière d’enrichissement (Cahiers de l’Orient, 01/1995).
La junte crut habile, en 1992, de se parer de l’aura de Boudiaf - l’un des « fils de la Toussaint », pionnier de la résistance. Elle
avait sous-estimé l’aversion de ce dernier envers la corruption : il décida de faire secrètement enquêter sur les placements de la
« coupole » à l’étranger - dans les brasseries parisiennes, par exemple. Des agents français filaient les détectives de Boudiaf : des
« fuites » alertèrent la SM, qui décida de supprimer l’empêcheur de s’enrichir en rond(s).
Cette complaisance franco-algérienne, entretenue par de multiples canaux depuis le septennat de Giscard, atteignit des sommets
sous le second vizirat Pasqua (1993-95) - au grand dam d’Alain Juppé (L’esprit libre, 05/1995). En mai 1995, la victoire à la
Pyrrhus du Girondin sur le Corse semblait inaugurer une politique plus attentive à l’expression du peuple algérien - dont on peut
estimer que la plate-forme de Rome constitue l’expression la moins biaisée. Patatras ! Vite handicapé, Juppé est écarté du dossier
algérien, géré exclusivement à l’Élysée.
Les premiers attentats en France (sur lesquels pèse un soupçon de manipulation) provoquent la rentrée en grâce de Pasqua. Pour
diverses raisons (voir À fleur de presse), Chirac choisit alors de cautionner l’« élection » du général Zeroual : il entre dans le jeu de la
« coupole » algéroise. Ce ne sont pas les poseurs de bombes (extrémistes d’un bord ou de l’autre, solidaires dans la prise en otage
de la société algérienne) qui permettront à la France de sortir du piège.
On peut noter par contre que les révélations sur la vraie nature du régime algérien se sont fait assez insistantes pour que la
rencontre Chirac-Zéroual suscite un concert de protestations. Contraint de démentir tout retour à la « ligne Pasqua » (via par
exemple Le Monde du 19/10/1995), l’Élysée a pris tellement de gants qu’on a fini par lui faire le coup du mépris.
Pactole et pacotille
Le sort du Congo illustre un paradoxe, dont ne se réjouissent guère la majeure partie des Congolais : plus il est riche, plus il est
ruiné. La découverte de considérables réserves pétrolières l’enfonce un peu plus, en aiguisant la lutte au couteau pour l’accès aux
royalties. Ou plus exactement au pouvoir d’escompter les recettes futures - celles d’aujourd’hui étant depuis longtemps gagées. Le
Congo hérite ainsi du triptyque : milices claniques - pillage économique - décomposition de l’État (Libération, 11/10/1995).
Soucieux d’améliorer ce bel ordinaire, les chefs de clans parrainent la production et le trafic de drogues. « Chanvrés », leurs
miliciens n’en sont que plus violents (La Dépêche internationale des drogues, 10/1995).
Les Congolais ne sont pas les seuls responsables de leurs malheurs, tant sont nombreux ceux qui profitent de leur faiblesse et
leurs rivalités : les pétroliers, Elf en tête ; les trafiquants d’armes et de pierres précieuses, peu ou prou liés au narco-trafic ;
quelques requins de la finance ; et même les vendeurs d’« image », cette pacotille des temps modernes. La société BK2F (8 rue de
la Paix, pour les fans de Monopoly) encaisse ainsi 4 millions de F par an pour « mettre en place un réseau et développer en France
une politique [...] de lobbying [...] avec pour finalité de débloquer des fonds et faire avancer les dossiers congolais ». Le Congo,
lui, recule. (Le Canard enchaîné, 11/10/1995).
Billets d’Afrique
N° 28 – Novembre 1995
Défense d’y voir
Après celles du Togo, du Cameroun et du Gabon, c’est dans un autre bastion du « champ » francophone, la Côte d’ivoire, que
les élections présidentielles tournent à la sinistre farce. Un artifice juridique a permis d’écarter Alassane Ouattara, principal rival
du président actuel Henri Konan Bédié. Le cycle manifestations-répression s’est enclenché. Les appels au boycott se sont
multipliés.
On apprend cependant que la caste au pouvoir est impliquée dans le trafic de drogue, ainsi que le blanchiment de narcodollars dans
les hôtels et casinos (Canard enchaîné, 27/09/1995). Elle n’en recueille pas moins la sympathie officielle du RPR et, trois semaines
avant le scrutin, l’ingérence du ministre Godfrain : « La France sera à vos côtés, M. le président de la République, pour la longue
période qui s’ouvre devant vous » (Libération, 21/10/1995). HKB peut, après cela, exhiber sans complexe le soutien du massacreur
voisin, le seigneur de la guerre Charles Taylor (Le Monde, 17/10/1995).
L’ami Mobutu
Les relations de Jacques Chirac avec Mobutu sont fort anciennes et familières (cf. Dossier noir n° 5) : le second aurait même, en
1988, contribué à la campagne présidentielle du premier. On aurait pu penser que le rapport alarmant de J.F. Bayart sur La
criminalisation en Afrique subsaharienne inciterait J. Chirac à plus de retenue envers un faux-monnayeur patenté - entre autres
menus défauts.
Mais Mobutu a su se présenter comme le pivot incontournable du grand jeu occidental en Afrique centrale (un jeu à somme
globalement négative). Courtisé par la Belgique et, surtout, par le « grand Satan » américain, il méritait un très long appel
téléphonique de Jacques Chirac, le 19 août. L’anarcho-ploutocrate zaïrois pouvait donc déclarer : « entre la France et le Zaïre, les
choses vont aller encore mieux, et même davantage ». Ce n’est pas du tout l’avis des Français sur place. Quant aux Zaïrois, ils ne
sont guère ravis de cette énième restauration par l’étranger de leur désastre national - lors de la rentrée scolaire du 11 septembre,
30 % seulement des élèves ont pu revenir en classe... (Info-Zaïre, 29/09/1995).
Une Suisse trop coopérante
La « coopération bananière » n’a pas la religion de l’efficacité. Elle avait plutôt jusqu’ici celle des comptes en Suisse, pour
abriter le produit de ses détournements économico-politiques. Problème : la coopération judiciaire franco-helvète devenait trop
efficace, menaçant de mettre au jour des filières fort compromettantes. Zorro de l’« efficacité » judiciaire, et président du Club 89,
Jacques Toubon a décidé d’enrayer cette coopération avec le pays du chocolat, espérant épargner à ses amis un indigeste banana
split (Libération, 12/10/1995).
Tribunal, ça fait mal
Le récent livre d’Yves Ternon, L’État criminel (Le Seuil), le montre bien : en 1948, au lieu de traduire en droit efficace le « Plus
jamais ça ! » suscité par la découverte d’Auschwitz, la « communauté internationale » s’est employée à rédiger une Convention
sur la prévention et la répression du génocide qui soit inapplicable. Les États supportent mal la perspective d’être jugés pour leurs
crimes - tant leurs placards en sont encombrés.
Le tribunal de Nuremberg signifiait davantage la loi des vainqueurs qu’un engagement résolu contre le génocide - évacué de la
stratégie alliée (1942-45). Le tribunal international sur le génocide cambodgien a fini dans les limbes. Et l’ONU tire maintenant
prétexte de ses difficultés financières pour sabrer les moyens, déjà dérisoires, des Tribunaux pénaux internationaux pour l’exYougoslavie et le Rwanda (TPY et TPR).
Nous citions le mois dernier, avant même ce coup de hache, le propos « écœuré » d’un enquêteur du TPR estimant que « l’ONU
n’a pas la moindre volonté politique de faire réellement fonctionner ce tribunal, qui n’est, finalement, qu’un... magnifique exercice
de maquillage ». Daniel arap Moi, président du Kenya (qui abrite la crème du genocide set) peut bien dès lors, sans susciter la
réprobation universelle, menacer d’arrêter les enquêteurs du TPR qui se hasarderaient en son pays.
Le moins que l’on puisse dire est que la fermeté répressive de la « communauté internationale » vis-à-vis des responsables du
génocide rwandais n’est pas encouragée par la France, membre permanent du Conseil de sécurité. Elle a empêché que la résolution
du Conseil demandant leur arrestation ne revête un caractère obligatoire. La loi adaptant la législation française à la création du
TPY, votée fin 1994, a été conçue pour éviter toute arrestation inopportune. Le projet de loi en préparation pour le TPR est calqué
sur cet ingénieux précédent. Le chef de l’armée génocidaire, le général Augustin Bizimungu, pourra donc continuer de visiter ses
parrains hexagonaux. Quant au juge d’instruction Christophe Ruin, qui avait osé mettre en examen le père Wenceslas
Munyeshyaka (sur le comportement duquel La Croix du 06/10/1995 amène 3 nouveaux témoignages), il a été contraint de
constater que la loi française le rendait incompétent, et à demander le 4 octobre l’annulation de la procédure...
Ce demi-siècle d’incompétence et d’impuissance résolues face aux répétitions des engrenages génocidaires fait sens. Cela
devrait finir par inquiéter le citoyen ordinaire, qui se croit protégé du retour d’Auschwitz par l’arsenal juridique international et les
grands discours sur le bannissement du génocide : l’arsenal étant savamment saboté, il est en fait totalement vulnérable. Qui fronce
encore les sourcils au retour en force des Bérets rouges à Banja Luka - ces stakhanovistes du crime contre l’humanité ?
Économe
Ahmedou Ould Abdallah, représentant spécial de l’ONU au Burundi, a largement contribué durant près de 2 ans à épargner le
pire à ce pays. Au terme de sa mission, il aurait mérité le Prix Nobel de la Paix. Lui et sa petite équipe n’ayant coûté que 1 000
dollars par jour (2 000 fois moins que la MINUAR I qui, en 1994, n’a rien empêché au Rwanda), on le proposera, en ce temps de
dèche onusienne, pour le prochain Prix Nobel d’Économie. (Libération, 12/10/1995).
Billets d’Afrique
N° 28 – Novembre 1995
Bons points
- Le ministre de l’Économie Jean Arthuis critique vertement les États-Unis qui veulent diminuer de moitié leur contribution à
l’AID, cette filiale de la Banque mondiale qui finance les pays les plus pauvres.
- À l’occasion d’une commémoration des procès de Nuremberg, Bill Clinton a demandé (15/10/1995) la création d’un tribunal
permanent de l’ONU pour juger les crimes de guerre. La France pourrait surenchérir...
Fausses notes
- Le 1° décembre 1994, lors du sommet mondial sur le sida qu’elle co-organisait à Paris, la France s’était engagée à verser 100
millions de F aux programmes internationaux de lutte contre cette maladie. Elle serait à ce jour, selon l’OMS, le seul pays à
n’avoir pas tenu ses engagements...
- La contribution française à l’UNICEF est entièrement « gelée » (alors que son montant, 30 millions de F, est 5 fois inférieur aux
achats de produits médicaux français par l’UNICEF !). Plus de 60 % des concours promis au PNUD et au HCR sont victimes des
rigueurs budgétaires. Les protestations de Jean Arthuis sont inaudibles...
ILS ONT DIT
« [En certains pays africains] , la classe politique est en relation avec les milieux de la drogue par l’intermédiaire de la progéniture de
quelques dirigeants (Zambie, Côte d’Ivoire). [...]
[Pour] convertir en toute quiétude du cash d’origine douteuse, [on utilise] les hôtels (Sénégal, Côte d’Ivoire), les casinos (Gabon,
Cameroun, Côte d’Ivoire), le PMU et la loterie (différents pays de la zone franc), les pêcheries (Guinée), le commerce de la vanille
(Madagascar).
[...] À Madagascar, au Congo, en RCA [Centrafrique] , les nouveaux présidents élus au suffrage universel se prêtent à d’étranges
"financements parallèles" qui cachent mal de pures opérations de blanchiment d’argent sale.
[...] Dans différents pays, des membres de la classe politique sont propriétaires de boîtes de nuit [...], hauts lieux de la
prostitution, et sont même soupçonnés d’être à la tête de réseaux de proxénétisme en Europe. [...]
La zone franc est une voie d’accès privilégiée de l’argent sale aux places financières du monde industrialisé. Certains de nos
ressortissants sont directement impliqués dans les circuits de blanchiment en Afrique centrale, par l’intermédiaire du PMU et des
casinos. Nos compagnies pétrolières participent à l’opacité du négoce de l’or noir et sont parties prenantes au projet de zone
franche de Sao Tome, dont tout indique qu’elle sera un maillon important dans la criminalisation des échanges commerciaux ou
financiers. Jusqu’à nos forces armées qui sont compromises dans la consommation ou le trafic de stupéfiants (Tchad, Djibouti) et
dans la fraude du diamant (RCA) ». (Jean-François BAYART, Directeur du Centre d’études des relations internationales (CERI), dans
un rapport confidentiel C/1995-58 du 29/06/1995, La criminalisation en Afrique subsaharienne, à en-tête du Centre d’analyse et de prévision
(CAP) du ministère des Affaires étrangères. Cité par Le Canard enchaîné du 27/09/1995).
[Jean-François Bayart évoque aussi d’inquiétants « trafics de matières fissiles ». Émis par une instance officielle, ce rapport confirme le sombre
tableau présenté en janvier 1995 par la Coalition pour ramener à la raison démocratique la politique africaine de la France, dans son 2° Dossier
noir : Les liaisons mafieuses de la Françafrique. Ce dossier (en vente à Survie, 30 F.) est, lui, si peu confidentiel qu’il fait le tour de l’Afrique
francophone et qu’il sert de référence aux analystes de la presse européenne ou africaine traitant des relations franco-africaines].
« Les lois [Pasqua] doivent être accompagnées d’une action globale qui passe aussi par une action diplomatique forte envers les
pays d’émigration, réticents à reprendre leurs ressortissants [expulsés] . En raison de sa traditionnelle politique de coopération, la
France peut mener cette action ». (Jean-Claude BARREAU, conseiller technique de Charles Pasqua, puis Jean-Louis Debré, in
Libération du 01/10/1995).
[La « traditionnelle politique de coopération » servait déjà bien peu à développer les pays pauvres, et y réduire la pression migratoire. Si, en
plus, elle doit payer de gros bakchichs pour permettre l’atterrissage des charters d’Air Pasqua... Les problèmes de l’immigration ne se
résoudront pas dessous la table.]
« Il est sérieusement à craindre que la diabolisation de l’islam dans les opinions publiques européennes, sous le prétexte de la lutte
légitime contre le terrorisme, ne conduise insensiblement à l’acceptation politique de ceux qui se sont rendus coupables de crimes
contre l’humanité en Bosnie. [...]
Le défi que nous lancent les ultras nationalistes serbes ou les tueurs de Saint-Michel s’il se confirme que ceux-ci sont islamistes,
l’exigence à laquelle nous soumet le martyre de Sarajevo, l’horizon que dessine notre vocation européenne ont justement trait à ce
rejet [de la « purification ethnique »] , ou au contraire à l’acceptation d’une conception strictement identitaire de la politique. Que la
France s’y résigne, et elle perdra son rôle moteur dans la construction européenne et toute capacité à dessiner ses relations avec la
Turquie et l’Afrique du Nord. Qu’elle fasse preuve d’imagination, qu’elle renonce à voir dans l’Autre une menace potentielle
pesant sur ses intérêts et sur sa culture, et elle se mettra en bonne posture pour entrer dans le prochain millénaire en restant fidèle
au meilleur de son histoire ». (J.F. BAYART, in Croissance, 10/1995).
« La mort de ces deux chefs d’État hutus [rwandais et burundais, dans l’attentat du 6 avril 1994] avaient [sic] déclenché une guerre
civile entre les ethnies Hutu et Tutsis [re-sic] ». (Correspondant de l’AFP à Nairobi, dépêche du 07/10/1995).
[L’incendie du Reichstag a déclenché l’affrontement entre ethnies Allemand et Juifs ?] .
« Nous attendions de tous les États qui ont eu une responsabilité dans le génocide qu’ils nous aident à tourner la page. Or, certains
de ces États ne font que célébrer et entretenir le fossé qui s’est créé entre les Rwandais du fait du génocide. À plusieurs reprises,
Billets d’Afrique
N° 28 – Novembre 1995
nous avons dépêché à Paris notre ministre des Affaires étrangères pour essayer d’arrondir les angles. Pourtant, dans les réunions
internationales où il est question de réunir les fonds pour la reconstruction du pays, la France nous enfonce au lieu de nous
apporter son concours ». (Pasteur BIZIMUNGU, Président de la République rwandaise, interview à La Croix du 29/09/1995).
« [Le Parlement européen] condamne sévèrement les pays qui, en toute connaissance de cause, continuent à approvisionner en armes
les factions qui jouent la carte de la déstabilisation du Rwanda, [...] invite [...] les États membres [de l’Union européenne] à [...] aider
à l’identification des parties qui aident les anciennes forces gouvernementales rwandaises à acquérir illégalement des armes ou les
soutiennent dans cette entreprise ». (Parlement européen, résolution du 21/09/1995).
[Le PE sévère ne vise personne... ].
À FLEUR DE PRESSE
Libération, La rencontre Chirac-Zéroual entérinera le soutien de Paris à Alger, 09/10/1995 (José GARÇON) : « La rencontre ChiracZéroual [...] apparaît, qu’on le veuille ou non, comme une caution à une élection sur laquelle les partenaires étrangers de l’Algérie
n’osaient se prononcer compte tenu de son caractère "irréel". [...] L’investiture française [...] devenait décisive.
Mais cette rencontre consacre aussi publiquement [...] l’orientation nouvelle de la politique française. Quatre mois après l’arrivée
de Jacques Chirac, la page du discours officiel sur la "neutralité" française dans le conflit est bel et bien tournée. La ligne plus
favorable à une "solution politique" [...], exprimée par le ministre des Affaires étrangères Alain Juppé [...], n’a plus cours sous le
règne de Juppé Alain Premier ministre. Exit ainsi le souci exprimé à l’époque par ce dernier de ne pas voir la France identifiée au
régime algérien et d’accentuer les pressions sur celui-ci en faveur d’un "dialogue" après l’élection présidentielle française, sousentendu lorsque les réseaux Pasqua ne parasiteraient plus ces affaires ! [...]
Dans toutes les institutions financières et politiques internationales, la France met plus que jamais son poids pour aider
économiquement l’Algérie, ou bloquer les initiatives - par exemple de l’Union européenne - critiques à l’égard d’Alger. [...]
La personnalité et le poids du chef de l’État sont visiblement déterminants dans cette évolution. En témoigne la dichotomie totale
entre la politique française et les analyses de la quasi totalité des experts chargés du "dossier algérien" dans les ministères. "Tous
sont largement convaincus de l’incapacité du pouvoir algérien à gérer la crise et des interférences de ses services de sécurité,
mais c’est au sommet de l’État, au niveau politique, que les choses bloquent", remarque un grand commis de l’État. La gestion
directe du dossier algérien par l’Élysée a accentué ce phénomène [...].
Paris se rassure en affirmant que "des dirigeants iniques et totalement corrompus, mais que nous connaissons, valent mieux que
le saut dans l’inconnu". [...] D’autres considérations pèsent [...] et rendent compte de l’absence de transparence dans l’élaboration
de la politique française. La crainte [...] de voir les services de sécurité algériens manipuler des islamistes pour sanctionner une
éventuelle évolution de sa politique, n’est pas négligeable. Plus déterminant encore, bien que très opaque, reste le rôle considérable
des réseaux d’intérêt tissés entre Alger et Paris, réseaux rendus plus pugnaces aujourd’hui par les nouvelles liquidités générées par
les prêts et aides accordés à l’Algérie ».
[Encore un dossier « exemplaire ». Une gestion monarchique, sujette au chantage et lestée de complicités avec une junte mafieuse, choisit in
fine, pour le peuple « aidé », ce qu’elle considère comme « le moindre pire » : « des dirigeants iniques et totalement corrompus », mais connus avec lesquels, donc, on peut passer le type de deals (foireux, parfois... ) qu’affectionne Charles Pasqua. L’« exemple » n’est pas unique... ]
LIRE
Burundi, le venin de la haine. Étude sur les médias extrémistes, Barnabé NDARISHIKANYE et Jean-François DUPAQUIER, Reporters sans
Frontières, 1995, 98 p.
Un démontage de l’incitation permanente à la haine, cultivée par une partie de la trentaine de titres de journaux burundais. À noter la préface de
Jean-Pierre Chrétien sur La résistible ascension de la haine au Burundi et une chronologie très complète (1858-1995).
Le rôle du facteur ethnique au Rwanda et au Burundi. Controverse entre Filip REYNTJENS et Jean-Pierre CHRÉTIEN, in Esprit 10/1995.
Ce duel à fleurets non mouchetés entre deux éminents spécialistes de la région des Grands Lacs fait ressortir plusieurs questions : pourquoi a-t-on
remodelé un vieux clivage social héréditaire en antagonisme racial ? comment a-t-on pu « faire adhérer une masse de gens à cette globalisation
raciste » (JPC), et recruter ainsi tant de tueurs « ordinaires » ? peut-on dire (FR) qu’« une nouvelle logique génocidaire est aujourd’hui visible
au Rwanda » ? Ceux qui croient encore que les sciences humaines sont exemptes de passions seront édifiés. Annoncer la couleur permet de
mieux percevoir quelles options politiques fondamentales sont en jeu, quels risques aussi font courir en milieu explosif certaines « expertises ».
Pour Reyntjens, l’actuel régime rwandais équivaut au précédent : ce dernier ayant disparu (?), il faudrait concentrer tous les tirs sur Kigali et le
FPR. Au terme d’une dialectique hégélienne (thèse : Hutu power ; antithèse : Tutsi power), on ouvrirait la (3°) voie à une belle synthèse : la
majorité « naturelle », sous la tutelle, indemne, des parrains et bergers du génocide. Chrétien réclame que l’on s’attaque à la cause de ce dernier,
l’obsession raciale, et n’admet pas qu’elle soit indifféremment partagée. Mais si tout le monde s’acharne à occulter ou éteindre la lumière de la
justice, on désespèrera les résistants.
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DIRECTEUR DE LA PUBLICATION : FRANÇOIS-XAVIER VERSCHAVE - COMMISS. PARITAIRE N° 76019 - DEPOT LEGAL : NOVEMBRE 1995 - ISSN 1155-1666