Paul Kagamé est en visite à Paris les 23 et 24 mai à Paris. Cela fait trois ans qu’il n’est pas revenu en France. Le président rwandais s’entretiendra, mercredi, avec Emmanuel Macron, et participera au salon Viva technologies, un rendez-vous international consacré au numérique. Les tensions persistent entre Paris et Kigali depuis le génocide rwandais de 1994 mais l’Elysée espère tourner la page.
Entre la France et le Rwanda, les relations se réchauffent. Emmanuel Macron a invité mercredi les stars de la Tech dont Mark Zuckerberg (Facebook), Satya Nadella (Microsoft), Ginni Rometty (IBM), Dara Khosrowshahi (Uber) pour un déjeuner à l’Elysée en compagnie de Paul Kagamé, président en exercice de l’Union africaine. L’après-midi, les convives prendront part à une réunion « Tech for Good » avec des ateliers sur le travail, l’éducation, la diversité. Pendant ce temps, Paul Kagamé sera reçu en entretien à l’Elysée.
La plupart des invités se retrouveront le lendemain à VivaTech à la Porte de Versailles que le président français visitera avec son homologue rwandais. La séquence a été montée par Maurice Lévy, président du Conseil de surveillance de Publicis Groupe et cofondateur de VivaTech. « Paul Kagamé est un des leaders de l’innovation en Afrique, explique-t-on à l’Elysée. Le Rwanda organise chaque année des salons sur le sujet ». L’idée française est de mobiliser les géants du secteur en faveur de l’innovation en Afrique.
Cela fait trois ans que Paul Kagamé n’est pas venu en France. Paris n’a plus d’ambassadeur accrédité à Kigali et les deux pays n’ont toujours pas dissipé les malentendus liés à la prise de pouvoir du Rwandais et au génocide. L’instruction interminable sur l’attentat contre l’avion du président rwandais Juvénal Habyarimana en 1994, ouverte en 1998, empoisonne la relation bilatérale. L’enquête est désormais achevée mais le parquet n’a pas encore décidé s’il ordonnait la tenue d’un procès ou l’abandon des poursuites.
Faut-il voir dans la venue de Kagamé à Paris une volonté de normalisation ? « Ce n’est pas la manière dont les deux présidents conçoivent leur relation, explique-t-on à l’Elysée. Plusieurs tentatives de normalisation ont été tentées par le passé qui n’ont pas abouti. Ni Paul Kagamé ni Emmanuel Macron ne veulent rejouer le même film. Les deux dirigeants ont adopté une approche différente lors de leur première rencontre en marge de l’Assemblée générale des Nations Unies en septembre dernier à New York ».
Macron à Nouakchott. L’objectif est d’avancer sur les sujets transversaux qui rassemblent les deux présidents : la construction d’une architecture de sécurité et de paix en Afrique, les réformes de l’Union africaine, l’éducation et le numérique... L’Elysée espère ainsi tourner la page d’une relation délétère. Mercredi, Macron et Kagamé évoqueront la relation bilatérale, les crises africaines et dresseront les contours d’une participation du chef de l’Etat français au sommet des dirigeants de l’Union africaine, début juillet à Nouakchott.
Cette visite n’est toutefois pas du goût de certains politiques, diplomates et militaires français traumatisés par l’épisode rwandais. Les lobbys anti-Kagamé à Paris sont à pied d’œuvre. Et n’hésitent à diffuser des notes sur « la dictature criminelle et terroriste » du Rwandais, à rappeler les enlèvements et les disparitions d’opposants, la déstabilisation des voisins (RD Congo, Burundi) et à pointer du doigt la responsabilité du régime dans l’attentat de l’avion du président Habyarimana. Une éternelle querelle franco-rwandaise sur la responsabilité originelle du génocide. Beaucoup à Paris considèrent que le fait déclencheur est cet attentat quand Kagamé et ses proches accusent la France de complicité des génocidaires Hutus.
Dans le rôle de « l’aboyeuse », Kagamé utilise souvent sa ministre des Affaires étrangères, la francophile Louise Mushikiwabo. Elle l’a redit en novembre dernier : « Il faut que ce soi-disant procès se termine un jour. Et si la France ne le fait pas, nous allons le faire ».
Or, à la surprise générale, Louise Mushikiwabo est annoncée par Jeune Afrique, proche du régime rwandais, comme future candidate au poste de secrétaire général de la Francophonie occupé par Michaëlle Jean. « Il n’y a pas eu démenti, indique la source élyséenne. Pour Emmanuel Macron le centre de gravité de la Francophonie est en Afrique. Une candidature africaine a du sens ».
Paul Kagamé voit cette candidature d’un bon œil même s’il a été surpris de la démarche. C’est du moins l’avis de l’un de ses visiteurs réguliers qui parle d’apaisement de la relation franco-rwandaise : « Politiquement, cela converge dans le bon sens comme en témoigne cette visite en France ».
Une rwandaise à l’OIF. Mais les lobbys anti-rwandais sont farouchement opposés à cette candidature. Ils rappellent que Paul Kagamé a décidé d’imposer la langue anglaise comme langue d’enseignement et de l’administration à la veille du Sommet de la francophonie de Quebec en 2008 ; que le Rwanda a adhéré au Commonwealth en 2009 ; que le centre culturel franco-rwandais de Kigali a été démoli en 2014... Ils ressortent aussi les déclarations de la patronne de la diplomatie affirmant que « l’anglais est une langue avec laquelle on va plus loin que le français. Sinon, le français au Rwanda va nulle part ». Ils estiment qu’elle n’est pas la personne idoine pour porter les valeurs de l’OIF sur la démocratie, les droits de l’homme, l’Etat de droit et la justice, le pluralisme des médias... Et demandent au gouvernement français de ne pas soutenir sa candidature.
Pas sûr qu’ils fassent entendre raison au chef de l’Etat français. Même si Paul Kagamé s’exprime publiquement en anglais, il n’a jamais retiré son pays de l’OIF, le français restant une langue officielle du Rwanda. Et Macron souhaite faire avancer sa politique africaine. Il a envoyé en février Laura Flessel à Kigali. Une première visite ministérielle française depuis 2010. La ministre des Sports a évoqué la préparation des Jeux olympiques en France (2024) à laquelle elle souhaite associer les Africains.
En Afrique, Paul Kagamé pourra compter sur le soutien de plusieurs chefs d’Etat comme le Gabonais Ali Bongo ou le Sénégalais Macky Sall, pour promouvoir la candidature de Louise Mushikiwabo. Justement, le tchadien Moussa Faki Mahamat, président de la Commission de l’Union africaine, souhaite mettre ce dossier à l’ordre du jour du prochain sommet des dirigeants de l’organisation panafricaine.
Emmanuel Macron a abordé la question avec Justin Trudeau, le Premier ministre canadien, lors de son dernier passage à Paris, en avril. « Michaëlle Jean compte beaucoup de détracteurs au Canada et au sein de l’OIF, explique un ancien de l’organisation. Trudeau n’a pas émis d’objection à ce qu’elle soit remplacée ».
Le prochain sommet de la Francophonie à Erevan en Arménie, le 12 octobre, pourrait donc être le dernier de la Canadienne. « Si l’UA adopte une position commune pour soutenir la Rwandaise en juillet, le match est plié », confie l’ancien de l’OIF. A Paris, on espère que cette élection fasse revenir le Rwanda dans une ère d’influence francophone. Ce serait un joli pied de nez aux Américains qui ont tout fait, au temps de Bill Clinton, pour prendre la place de la France dans la région des Grands Lacs.