Fiche du document numéro 2121

Num
2121
Date
Mardi 26 juillet 1994
Amj
Taille
24885
Titre
Quelle solidarité pour l'Afrique ?
Cote
Pol. Etr. juillet-août 1994 p. 109-110
Source
Fonds d'archives
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation

Rwanda - intervention française - action humanitaire



Au Rwanda, la télévision, les journaux, les témoignages ont
brutalement mis sous les yeux des Français en vacances ou qui
s'apprêtaient à y partir, des spectacles insoutenables.

Des charniers, des centaines de milliers, puis des millions de pauvres
gens fuyant sur de mauvaises pistes, apeurés, terrorisés par les
massacres auxquels ils avaient assisté : je suis encore hantée par le
regard de ces centaines d'enfants errants que j'ai rencontrés lorsque
je me suis rendue dans ce pays voici trois semaines.

Où allaient ces gens ? N'importe où, pour sauver leur vie et celle de
leur famille.

Seule la France, à travers l'opération ``Turquoise'' et la constitution
d'une zone humanitaire sûre, a apporté quelque soulagement et un
certain répit à plusieurs centaines de milliers d'entre eux, en leur
permettant de demeurer en sécurité à l'intérieur de leur pays.

Face à l'ampleur de ce drame, provoqué par le génocide voulu par les
uns et les exactions perpétrées par les autres, je n'ai cessé de
promouvoir, au sein du ministère dont j'ai la charge, des aides de
plus en plus importantes en vue de parer au plus pressé, de concert
bien entendu avec le ministère de la Défense en charge de l'opération
``Turquoise'', le ministère de la Coopération et un petit nombre
d'organisations non gouvernementales.

Près d'un millier de tonnes de produits alimentaires ont ainsi été
expédiées vers les différents points de rassemblement des réfugiés,
sachant cependant qu'à ce jour, notamment en ce qui concerne au Zaïre
les régions de Goma et de Bukavu, l'ampleur des besoins devient sans
commune mesure avec les capacités de notre pays.

C'est pourquoi j'ai écrit aux ``patrons'' des différentes agences des
Nations unies et de l'Union européenne en charge de l'assistance
humanitaire pour les sensibiliser personnellement à l'urgence d'une
aide multilatérale massive.

Les réponses n'ont pas trop tardé : on s'oriente délibérément et
légitimement vers un transfert aux Nations unies des responsabilités
que la France assurait jusqu'à présent pour la protection, la
subsistance, voire la survie des réfugiés rwandais.

Solution politique - retour des réfugiés - nécessaire implication du
nouveau gouvernement rwandais - Droits de l'Homme



Parallèlement, vient de se mettre en place à Kigali un nouveau gouvernement dont la
composition pourrait constituer une promesse de réconciliation pour l'avenir.

Il est essentiel que, dans le concert des nations qui se sont portées
au secours du Rwanda, et de l'organisation internationale, le message
adressé à ce nouveau gouvernement soit unanime : le retour des
réfugiés sur leur terre et la restitution de moyens d'existence qui
leur permettaient d'y vivre paisiblement doit constituer un impératif
humain prioritaire.

Je sais que parmi ces réfugiés, certains se sont conduits de manière
hostile, voire criminelle à l'égard de ceux qui aujourd'hui gouvernent
le Rwanda et j'ai été l'une des premières à la commission des Droits
de l'Homme des Nations unies à Genève, à dénoncer au nom de la France
l'ampleur du génocide, à un moment où certains hésitaient encore sur
la qualification des horreurs rwandaises, pour demander l'ouverture
d'enquêtes. Mais à qui fera-t-on croire que les millions de
malheureux qui ont fui sont tous des coupables, hommes, femmes et
enfants confondus ?

Aujourd'hui, l'ampleur du drame des réfugiés appelle des réponses à la
mesure de la catastrophe : le choléra a déjà tué dans ces
rassemblements de populations déracinées des milliers de gens, l'aide
humanitaire se déploie et je reviendrai dans quelques jours sur le
terrain voir ce que l'on peut faire, notamment avec les nouvelles
autorités rwandaises pour améliorer le sort des différentes catégories
de réfugiés.

Politique humanitaire en Afrique - solidarités nécessaires - création
d'une instance africaine en matière humanitaire



Au-delà, il convient de réfléchir aux moyens d'éviter que de telles abominations puissent
se reproduire.

L'Afrique compte 700 millions d'habitants : la solidarité entre les
différents peuples de ce continent est bien loin de se concrétiser
suffisamment et l'indifférence prévaut trop souvent dans les relations
d'Etat à Etat. Pourtant, j'ai confiance en l'Afrique, et je ne
désespère pas que s'établisse un jour une vaste concertation avec ceux
de ses représentants qui appellent de leurs voeux une solidarité qui
est dans la nature des choses.

Il y a aujourd'hui en Afrique quantité de médecins et d'infirmiers de
qualité. J'ai entrepris d'y aider des initiatives humanitaires
naissantes. Les premières tentatives engagées au Rwanda avaient donné
des résultats encourageants : des médecins béninois s'étaient rendus
au chevet des réfugiés burundais et rwandais avant que le tragique
conflit n'éclate. Ce ne sont que les éléments précurseurs de
l'initiative humanitaire africaine dont je souhaite préparer la mise
en oeuvre le plus rapidement possible : il est urgent en effet de
créer un climat d'entraide au sein de l'Afrique et d'y responsabiliser
les acteurs de la vie politique. Nous devons soutenir avec force ceux
qui oeuvrent pour l'établissement d'une véritable démocratie et d'une
politique de développement économique et social concerté dans
l'intérêt de tous les Africains et non au profit d'oligarchies de
privilégiés, comme ce qui est trop souvent le cas aujourd'hui.

Toute l'Afrique est malade. Le diagnostic n'est pas simple, mais on
peut considérer que certains des maux dont elle souffre ont une
origine ancienne alors que d'autres sont des ``maladies de
jeunesse''. La France le sait, mais elle ne doit pas réagir par
à-coups, alors que cette situation implique des relations à long terme
fondées sur une confiance réciproque dans le respect des principes
énoncés par la Déclaration universelle des Droits de l'Homme.

Enfin, qui peut mesurer les conséquences pour le futur de l'ampleur de
la médiatisation provoquée par le drame rwandais ? Certes, ces morts
et ces blessés que l'on montre ne doivent pas être oubliés, mais ils
ne doivent pas faire oublier toutes les autres victimes des conflits
mondiaux : Angola, Ethiopie, Liberia, Soudan, Afghanistan, Haïti,
ex-Yougoslavie.

N'allons-nous accepter de concourir qu'au coup par coup et sous le
poids d'émotions passagères à la solution des problèmes de survie des
peuples en détresse ?

Je crois profondément qu'il incombe à la France de prendre
l'initiative de faciliter la création d'une instance africaine de
consultation et de dialogue en matière d'assistance humanitaire.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024