Fiche du document numéro 19319

Num
19319
Date
Vendredi 15 septembre 2017
Amj
Taille
634828
Titre
Au Rwanda en 1994, le génocide des Tutsi a déclenché la guerre et non l'inverse
Mot-clé
Résumé
In Rwanda, the Tutsi’s genocide in 1994 has triggered the war and not the opposite. The role of the Rwandan Patriotic Front (RPF) at the beginning of the Tutsi’s genocide is disputed. According some authors, RPF has attacked immediately after the fall down of president Habyarimana’s plane on April 6th, 1994 at 8.30 p.m. Lacking of other proofs, it allows them to consider that RPF is responsible of this murder. Other authors claim that RPF took advantage of the power vacation to attack on April 7th morning. In both cases, the resumption of fighting would happen before the slaughters. The genocide would be the consequence of the war. In reality, the slaughters have been triggered few hours after the president’s assassination and the RPF battalion in Kigali kept quiet. Only after having been targeted from the presidential guard’s barracks, he went out on April 7th at 4 p.m. to secure himself. That afternoon, Paul Kagame, commandant of the RPF troops, has summoned in vain general Dallaire, commandant of the Blue helmets, to intervene against the slaughters. He ordered troops to move to Kigali to support his proposal to help the Rwandan governmental Forces to disarm and control the renegade forces. On April 8th morning, Kagame renewed his proposal which was rejected by Dallaire. It’s only when the announce of the formation of the new interim government has been published, in contravention with the Arusha’s peace agreements, on April 8th evening, that RPF attacked along three axis. The reinforcement arrived in Kigali on April 11th but a first reinforcement would have arrived during the night of April 8th to 9th to rescue the threatened battalion.
Type
Note
Langue
FR
Citation
Au Rwanda en 1994, le génocide des Tutsi a
déclenché la guerre et non l’inverse
Jacques Morel
15 septembre 2017, v1.12

Résumé
Le début du génocide des Tutsi du Rwanda fait l’objet de controverses
mettant en cause le Front patriotique rwandais (FPR). Selon certains
auteurs, celui-ci serait passé à l’attaque peu après que l’avion du président
Habyarimana ait été abattu le 6 avril 1994 vers 20 h 30. Ce qui revient, en
l’absence d’autres preuves, à lui attribuer la responsabilité de cet attentat.
D’autres auteurs affirment que le FPR aurait profité de la vacance du
pouvoir pour passer à l’attaque le 7 avril. Dans les deux cas, la reprise des
combats par le FPR aurait précédé les massacres. Le génocide serait donc
une conséquence de la guerre. En réalité, les massacres ont été déclenchés
dans les heures qui ont suivi l’attentat et le bataillon FPR stationné à
Kigali n’a pas bougé. C’est après avoir été bombardé depuis le camp de la
garde présidentielle qu’il a fait une sortie le 7 avril à 16 heures pour assurer
sa défense. Cet après-midi-là, Paul Kagame, commandant des troupes du
FPR, a appelé en vain le général Dallaire, commandant des Casques bleus,
à intervenir contre les massacres. Kagame met des troupes en marche le
soir du 7 pour appuyer son offre d’aider les Forces armées rwandaises
(FAR) à désarmer et contrôler les unités qui massacrent. Le 8 au matin, il
renouvelle cette proposition qui est rejetée par Dallaire. Ce n’est que le 8
avril au soir, à l’annonce de la formation du gouvernement intérimaire en
violation des accords de paix d’Arusha, que le FPR passe à l’offensive sur
trois axes. Les renforts arrivent à Kigali le 11 avril mais un premier renfort
serait parvenu dans la nuit du 8 au 9 avril pour secourir le bataillon FPR
encerclé.
Abstract
In Rwanda, the Tutsi’s genocide in 1994 has triggered the war and
not the opposite. The role of the Rwandan Patriotic Front (RPF) at the
beginning of the Tutsi’s genocide is disputed. According some authors,
RPF has attacked immediately after the fall down of president Habyarimana’s plane on April 6th, 1994 at 8.30 p.m. Lacking of other proofs, it
allows them to consider that RPF is responsible of this murder. Other
authors claim that RPF took advantage of the power vacation to attack
on April 7th morning. In both cases, the resumption of fighting would

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LE FPR PASSE À L’OFFENSIVE DÈS L’ATTENTAT ?

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happen before the slaughters. The genocide would be the consequence
of the war. In reality, the slaughters have been triggered few hours after
the president’s assassination and the RPF battalion in Kigali kept quiet.
Only after having been targeted from the presidential guard’s barracks, he
went out on April 7th at 4 p.m. to secure himself. That afternoon, Paul
Kagame, commandant of the RPF troops, has summoned in vain general Dallaire, commandant of the Blue helmets, to intervene against the
slaughters. He ordered troops to move to Kigali to support his proposal
to help the Rwandan governmental Forces to disarm and control the renegade forces. On April 8th morning, Kagame renewed his proposal which
was rejected by Dallaire. It’s only when the announce of the formation
of the new interim government has been published, in contravention with
the Arusha’s peace agreements, on April 8th evening, that RPF attacked
along three axis. The reinforcement arrived in Kigali on April 11th but
a first reinforcement would have arrived during the night of April 8th to
9th to rescue the threatened battalion.

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Le FPR passe à l’offensive dès l’attentat ?

Reprenant les accusations des auteurs du coup d’État et du génocide, la correspondante de Jeune Afrique prétend que c’est le FPR qui a attaqué la garde
présidentielle :
À l’annonce de l’attentat qui avait coûté la vie aux deux présidents ainsi qu’à leurs proches collaborateurs, une totale consternation s’est répandue sur la ville, bientôt suivie par les premiers coups
de feu. Il semblerait que ce soient des éléments du FPR (les rebelles
de la minorité tutsie, abrités près de l’enceinte du Parlement depuis
les accords de paix) qui aient attaqué le camp de la garde présidentielle, déclenchant une sanglante réaction de la part des militaires.1
Le lieutenant-colonel Maurin, adjoint à l’attaché militaire à Kigali, rapporte
que le lendemain de l’attentat, le 7 avril à 5 heures du matin, des éléments FPR
échangent des tirs avec la garde présidentielle :
Jeudi 7/4 5 h 00 : Premiers tirs à l’arme légère et à la mitrailleuse
entre G.P. du camp de KIMIMURURA [sic] et des éléments FPR
qui commencent à sortir du CND2
vers le carrefour du Méridien (500 m ouest)
“chez Lando” (1 km est).3
1 Spérancie Karwera, « Ivres de vengeance », Jeune Afrique, no 1736, 14 avril 1994, pp. 1517. http://www.francegenocidetutsi.org/IvresDeVengeanceJA14avril1994.pdf
2 CND : Conseil national de développement, l’Assemblée nationale rwandaise, où se trouve
stationné le bataillon FPR en vertu des Accords d’Arusha.
3 Mission d’assistance militaire à Kigali, Compte rendu du colonel CUSSAC et lieutenantcolonel MAURIN, Paris, 19 avril 1994, Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994 [10, Tome
II, Annexes, p. 350]. http://www.francegenocidetutsi.org/CussacMaurinCR19avril1994.
pdf

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LE FPR PASSE À L’OFFENSIVE DÈS L’ATTENTAT ?

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Le 28 juin 1994, l’ex-capitaine Paul Barril, montrant à la télévision des pièces
à conviction à propos de l’attentat, déclare : « On a des photos satellites de la
zone de Kigali du soir de l’attentat de l’avion, mais également de la frontière
Ouganda-Rwanda où on voit des camions qui se précipitent en masse à l’assaut
du Rwanda et des forces gouvernementales ».4 Jamais il ne montrera ces photos. Pourtant, il répétera plusieurs fois par la suite que le FPR est l’auteur de
l’attentat et a attaqué le Rwanda dès la chute de l’avion.
En 1998, le général Quesnot affirme devant les députés de la Mission d’information parlementaire (MIP) que « des éléments du bataillon FPR de Kigali
étaient déjà en position de combat le 6 avril entre 20 heures 20 et 20 heures
40 ».5
La « Fiche en possession du Ministère de la Défense tendant à montrer que
le FPR avec la complicité de l’Ouganda est responsable de l’attentat », publiée
en 1998 dans les annexes du rapport Quilès, indique6 :
6 avril 1994 : Une note de renseignement fait état de l’interception, en zone démilitarisée, de deux éléments du FPR dans les
secteurs de BYUMBA et du MUTARA. Cela fait craindre à l’étatmajor des FAR une attaque dans ces secteurs à partir du 8 avril.
Cette attaque pourrait être précédée de provocations interethniques
à KIGALI. [...]
Nuit du 6 au 7 avril : Alors que la nouvelle n’est pas encore
diffusée par la radio, les premiers rebelles se mettent en position de
combat autour de l’hôtel Méridien à 1 km de leur cantonnement. [...]
7 avril 1994 :
6h00 : Le FPR attaque sur l’ensemble du front
14h00 : Une compagnie rebelle est signalée à 10 km de la capitale.
Sa rapidité d’exécution témoigne de sa préparation.
Cette fiche, vraisemblablement rédigée par des militaires français en poste à
Kigali en avril 1994, vise d’après son titre à établir que le FPR est l’auteur de
l’attentat contre le président Habyarimana. Elle publie un message dans lequel
Paul Kagame est censé s’exclamer : « Victoire, victoire, notre escadron renforcé
a réussi sa mission... l’armée ennemie ne pourra pas tenir retranchée de son
chef ». Richard Mugenzi, qui aurait capté ce message, reconnaît que c’est un
faux.7 La même fiche révèle que les missiles utilisés pour abattre l’avion sont de
type SA-16 « d’après les débris de missiles retrouvés sur les lieux de l’attentat ».
Des militaires français s’y étant rendus, pourquoi le ministère français de la
Défense n’a pas remis ces débris au juge en charge de l’enquête ?
4 Interview

de Paul Barril par Daniel Bilalian, France 2, 28 juin 1994, journal de 13 h.
Auditions,
Vol.
1,
p.
343.
http://www.francegenocidetutsi.org/
QuesnotAudition19mai1998.pdf#page=7
6 Fiche en possession du Ministère de la Défense tendant à montrer que le FPR avec
la complicité de l’Ouganda est responsable de l’attentat, Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994 [10, Tome II, Annexes, p. 280]. http://www.francegenocidetutsi.org/
FicheMinDefFPRresponsableAttentat.pdf
7 Jean-François Dupaquier [6, p. 275].
5 MIP,

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LE FPR PASSE À L’OFFENSIVE DÈS L’ATTENTAT ?

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Les affirmations de cette fiche ne sont pas corroborées, comme on le verra
plus loin, en ce qui concerne :
- des rebelles en position de combat autour de l’hôtel Méridien dans la nuit
du 6 au 7 avril ;
- une attaque sur l’ensemble du front le 7 à 6 h ;
- une compagnie FPR à 10 km de Kigali le 7 à 14 h.
En 2006, le juge Bruguière affirme dans son ordonnance que « Paul Kagame,
informé du succès de l’opération [l’attentat contre l’avion présidentiel] par le
lieutenant-colonel James Kabarebe, avait peu après donné l’ordre de marche aux
unités de l’A.P.R. ».8
À la suite de Paul Barril et du juge Bruguière, André Guichaoua affirme
que, dès la nuit du 6 au 7 avril 1994, le FPR fait mouvement depuis la frontière
ougandaise :
Dès la nuit du 6 au 7 avril, alors que les barrages étaient installés
par les FAR dans les quartiers résidentiels et aux principaux carrefours de Kigali, des troupes du FPR stationnées près de la frontière
ougandaise firent mouvement vers Byumba, Ruhengeri et surtout Kigali pour établir la jonction avec les « 600 hommes » basés au CND
(600 selon le texte des accords, 800 ou 1 200 selon les observateurs).9
André Guichaoua n’étaye son affirmation sur aucune preuve. À cette époque,
la zone FPR au nord du Rwanda était surveillée par le bataillon ghanéen de
la Mission des Nations Unies pour l’assistance au Rwanda (MINUAR) et par
des observateurs militaires qui veillaient à ce que ses troupes ne traversent pas
la zone démilitarisée. Les textes de la MINUAR que nous montrons plus loin
contredisent Guichaoua.
Selon une note déclassifiée du commandement des opérations de l’armée
canadienne, l’assistant du général Dallaire, Brent Beardsley, contacté le 7 avril
à 11 h, heure locale, déclare que le FPR a commencé son offensive :
MAJ BEARDSLY, THE EA TO MGEN DALLAIRE CONTACTED NDHQ10 AT ABOUT 1100 (L) AND REPORTED THAT UNREST AND MILITARY ACTIVITY IN RWANDA WAS CONFINED TO THE AREA SURROUNDING KIGALI. THE REMAINDER OF THE NATION WAS DESCRIBED AS RELATIVELY
QUIET. RWANDA PATRIOTIC FRONT (RPF) REBELS OUTSIDE KIGALI HAVE LAUNCHED AN OFFENSIVE AGAINST
THE PRESIDENTIAL GUARD AND PALACE.11
8 Jean-Louis

Bruguière, Ordonnance, pp. 24, 54.
Guichaoua [7, p. 348].
10 NDHQ : National Defence Headquarter.
11 Silvester, J3 OPS Notes 07 APR 94, 7 avril 1994. Cf. TPIR, Case No : ICTR-9841-T Exhibit No : DNT 316 Date admitted : 19.1.2007 Tendered by : Defence. http:
//www.francegenocidetutsi.org/Beardsley7avril1994.pdf Traduction de l’auteur : Le major Beardsley, assistant exécutif du général Dallaire, a contacté le Quartier général de la Défense nationale vers environ 11 h (locale) et a fait savoir que les troubles et l’activité militaire
9 André

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LE FPR PASSE À L’OFFENSIVE DÈS L’ATTENTAT ?

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Cette note a été utilisée par des accusés du procès Bagosora et al. au Tribunal
pénal international pour le Rwanda (TPIR) pour affirmer que le FPR est passé
à l’offensive le 6 avril. Elle surprend sur plusieurs points :
- d’abord, le major Brent Beardsley a largement participé à la rédaction du
livre du général Dallaire, J’ai serré la main du diable - La faillite de l’humanité
au Rwanda, et il n’y est pas question d’une offensive du FPR le 7 avril au matin ;
- plus précisément, le rapport du général Dallaire à Maurice Baril du Département des opérations de maintien de la paix des Nations Unies à New York est
rédigé par Brent Beardsley. Il retrace les événements du 6 au 7 avril à 13 h 15
et note que le FPR reste calme ;12
- il y a contradiction à affirmer que le reste du pays est relativement calme,
alors que le FPR est passé à l’offensive ;
- comment le FPR peut-il passer à l’offensive en dehors de Kigali contre la
garde présidentielle, alors que celle-ci se trouve essentiellement à Kigali ?
- on ne voit pas bien de quel palais il s’agit. Est-ce la résidence du président ?
Des tirs contre sa résidence de Kanombe ont été rapportés. C’était des tirs en
l’air des FAR du camp militaire ou des CRAP (Commando de recherche et
d’action en profondeur) du bataillon paras-commando autour de la maison mais
sûrement pas des tirs du FPR.
Cette note fait partie des bruits qui ont circulé ce jour-là. Elle n’est pas
confirmée par ailleurs.
Dans une lettre à Filip Reyntjens, Marcel Gatsinzi, qui fut chef d’état-major
des FAR par intérim du 7 au 15 avril, écrit qu’à son arrivée le 7 avril, « j’ai pris
d’abord connaissance de la situation opérationnelle puisque les combats avaient
repris dès 1600 h, sur tout le front NORD (déjà au MUTARA les combats
avaient repris le 05/04/94) et dans KIGALI à KIMIHURURA ».13 Le FPR serait donc passé à l’attaque avant l’attentat. Rien dans les documents de la MINUAR que nous avons pu consulter ne vient le confirmer.14 Gatsinzi confie plus
loin : « la situation était peu claire pour moi. Chose que certainement ceux qui
avaient un plan qu’ils voulaient mettre à exécution avaient bien prévu et planifié.
Pour qu’ils aient les coudées franches pour opérer à l’aise, il fallait quelqu’un ne
connaissant pas la situation à Kigali [...] Il fallait bien quelqu’un qui serait rendu
responsable des exécutions et exactions qu’ils commettaient clandestinement à
ce moment ».
au Rwanda étaient limités à la région de Kigali. Le reste du pays est décrit comme relativement calme. Les rebelles du Front patriotique rwandais (FPR) en dehors de Kigali ont lancé
une offensive contre la garde présidentielle et le palais [ ?].
12 Force Commander Dallaire to Baril, Significant Incident Report - Reported Death of President of Rwanda, 7 avril 1994, section 30, p. 5. http://www.francegenocidetutsi.org/
DallaireBaril7avril1994.pdf ; Traduction française http://www.francegenocidetutsi.
org/DallaireBaril7avril1994fr.pdf
13 Lettre au professeur Reyntjens, 25 juin 1995. http://www.francegenocidetutsi.org/
Gatsinzi25juin1995.pdf
14 En plus des livres rédigés par les principaux acteurs comme le général Dallaire et des
dépêches d’agence AFP et Reuters, notre source d’information est le site web http://www.
rwandadocumentsproject.net de Peter Erlinder, avocat du commandant des paras-commando
Aloys Ntabakuze au procès Bagosora et al. au TPIR.

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LE FPR PROFITE DE LA VACANCE DU POUVOIR ?

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Cette offensive du FPR le 5 avril est probablement une fausse information fabriquée par les services de renseignement des FAR, du même type que celles prétendument captées par Richard Mugenzi mais en réalité rédigées par le colonel
Anatole Nsengiyumva, où le FPR revendique l’attentat contre Habyarimana.15

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Le FPR profite de la vacance du pouvoir pour
attaquer ?

Plus récemment, en 2014, l’éditorial de la revue L’Histoire pour le 20e anniversaire du génocide des Tutsi,16 portant le titre « Nous sommes tous des Tutsi »,
feint de paraître engagé en faveur des victimes mais c’est pour imputer, par le
détour d’une parenthèse, ce qui a été perpétré par les auteurs du génocide, le
colonel Bagosora et ses acolytes. Voici cette phrase entre parenthèses : « Comme
les autres [génocides], il s’est déroulé sous le couvert d’une guerre (le 7 avril,
profitant de la vacance du pouvoir, le FPR déclenchait l’offensive depuis la frontière de l’Ouganda) ».17
Prétendant que le génocide des Tutsi s’est fait sous le couvert d’une guerre,
l’éditorial de la revue L’Histoire affirme que l’entrée en guerre du FPR a précédé
le génocide. C’est exactement l’inverse qui s’est passé. Le génocide a précédé la
reprise de la guerre par le FPR.
Sans présenter autant d’agressivité vis-à-vis du FPR, Stéphane AudoinRouzeau et Hélène Dumas écrivent dans la revue Vingtième siècle : « La progression militaire du Front patriotique rwandais, qui a repris l’offensive le 7 avril,
met fin aux tueries en juillet ».18 Ce n’est pas exact. Cette assertion escamote
les discussions entre Paul Kagame et le général Dallaire le 7 après-midi et le 8
avril. En voici les preuves.

3

Le FPR passe à l’offensive parallèlement au
début des massacres ?

Dans son Que Sais-je publié en 2017, titré « Le génocide des Tutsi au Rwanda »,
Filip Reyntjens, considéré par les médias comme un des meilleurs spécialistes
du Rwanda, affirme que « parallèlement au début des massacres, le FPR entame
une offensive militaire qui débute tôt le matin du 7 avril à partir de la zone qu’il
contrôle dans le nord du pays ». Il ne fournit aucune preuve et pas la moindre
référence à un document ou une publication.19
15 Voir Jean-François Dupaquier, L’agenda du génocide. Le témoignage de Richard Mugenzi,
ex-espion rwandais [6].
16 L’Histoire, no 398, février 2014.
17 Valérie Hannin, Nous sommes tous des Tutsi, 24 janvier 2014. http://www.
francegenocidetutsi.org/NousSommesTousDesTutsiLhistoireJanvier2014.pdf
18 Stéphane Audoin-Rouzeau, Hélène Dumas, Le génocide des Tutsi rwandais vingt ans après
- Réflexions introductives, Vingtième siècle Revue d’histoire, no 122, avril-juin 2014, p. 4.
19 Filip Reyntjens [12, p. 48].

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OFFENSIVE PARALLÈLEMENT AU DÉBUT DES MASSACRES ?

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Dans son livre « Trois jours qui ont fait basculer l’histoire » publié en 1995,
Reyntjens avançait une thèse voisine, citant l’ex-capitaine Paul Barril et Jeune
Afrique, mais sans la prendre à son compte :
Il [Barril] affirme en outre disposer de photos satellite indiquant
que le F.P.R. aurait entamé une offensive sur la frontière ougandaise
dès le 6 avril, suggérant qu’il était au moins au courant du complot.
Jeune Afrique avait formulé une suggestion analogue. D’après cet
hebdomadaire proche du régime Habyarimana, « [l]e fait que les chefs
du Front aient déclenché une offensive sur Kigali, suivant trois axes
manifestement préétablis, dès l’annonce de l’explosion ; le fait que
leurs principaux cadres avaient, dit-on, quitté la capitale quelques
jours auparavant militeraient pour une programmation du coup par
le F.P.R. »20
Reyntjens critiquait plus loin ces affirmations. Personne, écrivait-il, n’a jamais vu ces photos satellite dont parle Barril.21 Il remarquait que « Contrairement à ce qui a été dit par Jeune Afrique, les principaux cadres du F.P.R.
n’avaient pas quitté la capitale quelques jours auparavant ; en effet des dirigeants
civils comme Seth Sendashonga, Jacques Bihozagara et Tito Rutaremera étaient
à Kigali et y risquaient leur peau ».22
Mais, quant à la date de l’offensive du FPR, Reyntjens a hésité. Dans le
preprint de ce livre de 1995, il concluait : « les affirmations du capitaine Barril
concernant une offensive entamée dès le 6 avril ne sont soutenues par aucun
indice sérieux. [...] Manifestement, le F.P.R. n’a pas utilisé l’effet de surprise ;
tout indique en fait qu’il ait été surpris lui-même. »23
Ces phrases ont été supprimées dans le livre imprimé où il ajoutait « plusieurs
témoins présents sur le terrain affirment que l’avancée du F.P.R. a débuté très
tôt le matin du 7 avril, notamment dans les zones de Kisaro, Rukomo, Katigumba
et Nyabishongweri ».24 Ces témoins restent inconnus et nous ne voyons pas de
trace dans les Situation report de la MINUAR d’avancée du FPR dans ces
localités à la date indiquée.
Quant à l’article de Jeune Afrique, François Soudan ne donne aucune preuve
de cette offensive sur Kigali suivant trois axes « dès l’annonce de l’explosion ».25
Il y a, semble-t-il, une confusion avec le 8 avril au soir.
Remarquons que Reyntjens utilise prudemment le conditionnel dans son livre
de 1995, alors qu’il est tout à fait affirmatif dans le Que sais-je ? de 2017. L’ajout
20 Filip Reyntjens [11, p. 39]. L’article de Jeune Afrique est paru dans le no 1736 du 14-20
avril 1994.
21 Ibidem, p. 48.
22 Ibidem, p. 43.
23 Filip Reyntjens, Rwanda Trois jours qui ont fait basculer l’histoire, Preprint envoyé au
juge Vandermersch, 2 août 1995, pp. 16-17.
http://www.francegenocidetutsi.org/Reyntjens3jours.pdf
24 Filip Reyntjens [11, p. 43].
25 François Soudan, Enquête sur la mort d’un président [avec Hamza Kaïdi],
Jeune Afrique, no 1736, 14 avril 1994, p. 14-15. http://www.francegenocidetutsi.org/
EnqueteMortPresidentJA14avril1994.pdf

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LE BATAILLON FPR À KIGALI EST BOMBARDÉ

8

de « parallèlement au début des massacres » traduit son intention de partager
fifty-fifty la responsabilité du génocide entre le FPR et le Hutu Power.
L’objet du présent article est de montrer à partir de la documentation disponible que l’offensive du FPR a été une réponse aux massacres et qu’elle est
intervenue le 8 avril au soir après que ni l’armée rwandaise ni les Casques bleus
ne s’y soient opposés.

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Le bataillon FPR à Kigali est bombardé

La signature des Accords d’Arusha le 4 août 1993 a mis fin à la guerre qui
opposait depuis octobre 1990 le gouvernement rwandais au FPR, un mouvement
politico-militaire formé d’exilés tutsi depuis les pogroms de 1959 et d’opposants
à la dictature du général Habyarimana. Le FPR occupe une zone au nord du
Rwanda, séparée du reste par une zone démilitarisée. Au terme de ces accords,
il a envoyé à Kigali un bataillon de 600 hommes pour assurer la sécurité de ses
représentants politiques qui attendent que cinq portefeuilles ministériels leur
soient attribués dans le nouveau gouvernement et la fusion des deux armées.
Les Nations Unies ont envoyé une force de maintien de la paix, la Mission
des Nations Unies pour l’assistance au Rwanda (MINUAR), commandée par
le général Dallaire. Il n’y a donc aucune raison de qualifier le FPR de rebelle
mais c’est pourtant ainsi qu’il a été désigné par les journalistes pendant toute
la durée du génocide et des études universitaires persistent à le qualifier comme
tel.
Le 6 avril, la MINUAR rapporte que la situation générale est calme tant à
Kigali qu’au nord du pays. Le Premier ministre informe le général Dallaire que
les Interahamwe s’apprêtent à attaquer des opposants politiques tutsi à Kigali.
Dans la zone démilitarisée (DMZ), un échange sporadique de coups de feu entre
FPR et FAR est signalé par une équipe de Casques bleus. Il n’y a pas de blessés.
Aucune indication concerne une offensive du FPR.26
L’avion du président Habyarimana est abattu le 6 avril 1994 vers 20 h 30
lors de son atterrissage. Les massacres des politiciens impliqués dans les accords
de paix et des Tutsi commencent dans la nuit du 6 au 7 avril. En particulier,
les Tutsi sont massacrés autour du camp militaire de Kanombe.27 C’est de ce
camp militaire ou de ses environs immédiats que les missiles auraient été tirés,
selon les experts commis par le juge Trévidic.28 Le commandant du bataillon
paras-commando, Aloys Ntabakuze, appelle ses hommes à la vengeance.29
26 Jacques-Roger Booh-Booh, Daily Sitrep 050600B Apr to 060600B Apr 94, April 6, 1994.
http://www.francegenocidetutsi.org/BoohBoohUnamirSitrep6avril1994.pdf
27 African Rights, Histoire du génocide dans le secteur Nyarugunga, février 2003. http:
//www.francegenocidetutsi.org/Nyarugunga.pdf
28 Claudine Oosterlinck, Daniel Van Schendel, Jean Huon, Jean Sompayrac, Rapport d’expertise. Destruction en vol du Falcon 50 Kigali (Rwanda), Tribunal de
Grande Instance de Paris, 5 janvier 2012. http://www.francegenocidetutsi.org/
rapport-balstique-attentat-contre-habyarimana-6-4-1994.pdf
29 Rapport Mutsinzi d’enquête sur l’attentat du 6 avril 1994, 20 avril 2009, p. 73. http:
//www.francegenocidetutsi.org/mutsinzi.pdf

4

LE BATAILLON FPR À KIGALI EST BOMBARDÉ

9

Le général Dallaire signale des tirs de la garde présidentielle contre le FPR
au CND au point 13 du télégramme décrivant la genèse de la crise qu’il écrit le 8
avril avec Jacques-Roger Booh-Booh, représentant spécial du Secrétaire général
des Nations Unies :
13. Inside the KWSA.30 The appearence of a very well planned, organized, deliberate and conducted campaign of terror initiated principally by the presidential guard since the morning after the
death of the head of state has completely reoriented the situation in
Kigali. Aggressive actions have been taken not only against the opposition leadership but against the RPF (by firing at the CND), against
particular ethnic groups (massacre of Tutsi in Remera), against the
general civilian population (banditry) and against UNAMIR (direct
and indirect fire on UN installations, vehicles, personal and afiliated
agencies (ie UNDP) which has resulted in fatal and non fatal casualties. The particulary barbarous of the 10 captured Belgian soldiers
emphasizes this situation. Is the mandate of UNAMIR still valid ?31
L’ordre d’opération Amaryllis, rédigé le 8 avril par l’état-major des armées
françaises, signale que le bataillon FPR a été attaqué par la garde présidentielle
et reconnaît implicitement qu’un génocide contre les Tutsi est en cours :
OBJ/OPÉRATION AMARYLLIS
TXT
PRIMO : SITUATION :
POUR VENGER LA MORT DU PRÉSIDENT HABYARIMANA,
DU CHEF ET DE L’ADJOINT DE LA SÉCURITÉ PRÉSIDENTIELLE TUÉS DANS L’ÉCRASEMENT DE L’APPAREIL SURVENU LE 06 AVRIL AU SOIR, LES MEMBRES DE LA GARDE
PRÉSIDENTIELLE ONT MENÉ DÈS LE 07 MATIN DES ACTIONS DE REPRÉSAILLES DANS LA VILLE DE KIGALI :
- ATTAQUE DU BATAILLON FPR,
30 KWSA : Kigali Weapons Secure Area (zone de consignation des armes établie dans la
ville de Kigali et les environs).
31 Code Cable From Booh-Booh UNAMIR to Annan/Goulding Unations, An Update on the
Current Situation in Rwanda and Military Aspects of the Mission, 8 avril 1994, TPIR, Case
No : ICTR-98-41-T, Exhibit No : P. 43 (a) Date admitted : 18-09-2002, p. 3. http://www.
francegenocidetutsi.org/BoohBoohAnnan8avril1994.pdf#page=4 Traduction de l’auteur :
13. À l’intérieur du KWSA. L’apparition d’une campagne de terreur bien planifiée, organisée,
délibérée et savamment orchestrée, menée principalement par la Garde présidentielle depuis le
matin qui a suivi la mort du chef de l’État a complètement modifié la situation à Kigali. Des
agressions ont été dirigées non seulement contre les leaders de l’opposition, mais aussi contre
le FPR (tirs prenant pour cible le CND) contre des groupes ethniques particuliers (massacre
de Tutsi à Remera), contre la population civile en général (banditisme) et contre la MINUAR
(tirs directs et indirects sur les installations, les véhicules, le personnel et les agences liées
aux Nations Unies (à savoir le PNUD), faisant plusieurs victimes dont certaines mortelles. Le
meurtre particulièrement barbare des 10 soldats belges capturés montre la gravité de cette
situation. Le mandat de la MINUAR est-il toujours valable ?

4

LE BATAILLON FPR À KIGALI EST BOMBARDÉ

10

- ARRESTATION ET ÉLIMINATION DES OPPOSANTS ET
DES TUTSI,
- ENCERCLEMENT DES EMPRISES DE LA MINUAR ET
LIMITATION DE SES DÉPLACEMENTS.32
L’attaque contre le bataillon FPR au CND est signalée dans une note DGSE
du 7 avril : « Des tirs à l’arme légère mais aussi au canon (des canons antiaériens utilisés en tir terrestre) ont été enregistrés à l’aube, en provenance du
camp militaire de Kacyru [sic], à trois kilomètres au nord-ouest de Kigali. Ces
tirs visaient les bâtiments du Conseil national de développement (CND), où stationnent toujours la délégation politique du Front patriotique Rwandais (FPR),
ainsi que son bataillon de protection. [...] Selon les militaires belges qui surveillaient le cantonnement du bataillon de protection du FPR, aucun tir n’aurait
été enregistré sur place, impliquant la responsabilité directe du FPR ».33
Cette attaque contre le bataillon FPR au CND est aussi relatée par le service
de renseignement belge (SGR) :
Il est confirmé que des tirs ont été observés, entre 0530 Hr et
0550 Hr. Ces tirs provenaient du camp mil de KACYRU (occupé
par des Tp des FAR, et situé à environ 3 Km au NORD-OUEST
du CND) et étaient dirigés vers le CND. Ils se répartissaient en tirs
d’armes légères, mais aussi d’armes lourdes (on nous cite des Canons
AA chinois, utilisés en tir terrestre, ainsi que des Mor).34
Ce déplacement de batteries antiaériennes (AA) avait été relevé précédemment par le service de renseignement belge : « Le 22 déc 93 vers 1700hr GMT,
deux Ca MERCEDES contenant chacun bitubes AA se dirigeaient vers le camp
gendarmerie de KACYIRU. Déplacement de pièces AA vers le camp de la G.
Prés. à KIMIHURURA déjà signalé (voir BI n° 77912 du 23 déc 93 même
source) ».35 La même note révèle : « choix emplacement d’installation du bn fpr
s’est porte sur le cnd (parlement) ». Des dispositions auraient été prises depuis
la fin décembre 1993 en vue d’attaquer ce bataillon FPR au CND.
Remarquons qu’il n’est pas tout à fait exact de parler d’attaque du bataillon
FPR au CND par la garde présidentielle. En effet, le major Charles Ntambazi,
commandant la compagnie transport au camp de Kanombe, a révélé que deux
compagnies (environ 300 hommes) du bataillon paras-commando ont été transférées début avril 1994 au camp de la garde présidentielle à Kimihurura, en face
du CND. Ceci s’est fait « au compte-gouttes » pour ne pas éveiller l’attention
de la MINUAR.36 Confirmant d’autres témoignages au procès au TPIR d’Aloys
32 Ordre d’opération Amaryllis, 8 avril 1994, déclassifié. Cf. Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994 [10, Tome II, Annexes, p. 344]. http://www.francegenocidetutsi.org/
OrdreOpAmaryllis.pdf
33 Note DGSE no 18487/N du 7 avril 1994. Fiche particulière Rwanda. Situation à Kigali.
34 Hock,
Rwanda - Burundi : Situation, SGR, 7 avril 1994. http://www.
francegenocidetutsi.org/HockSGR7avril1994.pdf
35 Note d’information Annexe au PV No 702, SGR, qualification B, 23 décembre 1993. http:
//www.francegenocidetutsi.org/SGR23decembre1993.pdf
36 Rwanda : Situation à Kigali le 6 et le 7 avril 1994, Ambassade de Belgique, Dar Es
Salaam, 9 août 1994. http://www.francegenocidetutsi.org/Ntambazi9aout1994.pdf

5

LE FPR NE BOUGE PAS AVANT LE 7 AVRIL À 16 H

11

Ntabakuze, commandant des paras-commando,37 ce transfert d’une partie du
bataillon paras-commando au camp de la garde présidentielle a été probablement ordonné en vue d’une attaque contre le FPR.

5

Le FPR ne bouge pas avant le 7 avril à 16 h

Les récits des témoins sur place rapportent que le bataillon FPR stationné au
CND n’a pas bougé jusqu’au 7 avril à 16 h quand il fit une sortie pour éloigner
les attaquants, puisqu’il était la cible de tirs.38
Philippe Gaillard, délégué du Comité International de la Croix rouge (CICR),
qui passa la nuit du 6 au 7 au CND, a été témoin des bombardements sur le
bâtiment et de la rage du FPR d’assister aux massacres sans que personne ne
s’y oppose :
À la veille de Pâques, le 4 avril 1994, toutes sortes de rumeurs
circulaient, y compris dans les milieux diplomatiques, comme quoi
quelque chose de grave allait se passer. Le nonce apostolique, Mgr
Giuseppe Bertelli [Bertello], me convoqua et m’en avisa, me conseillant
même de rester vigilant et prêt à agir. La chose grave se produisit
deux jours plus tard, le soir du 6 avril, vers 20 heures, lorsque l’avion
qui ramenait le président du Rwanda, Juvénal Habyarimana, et le
président du Burundi, fut abattu d’un tir de missile juste au-dessus
de l’aéroport de Kigali.
Je me trouvais à ce moment-là en réunion avec des dirigeants
du Front patriotique rwandais à l’intérieur du Parlement qui, depuis
le 28 décembre 1993 – le jour des Saints Innocents ! –, et suite aux
accords de paix d’Arusha, servait de siège aux rebelles en pleine ville
de Kigali.
Il y avait avec moi deux collègues de travail. Nous avons passé
la nuit dans un fond de salle inondé d’eau, entourés de sacs de sable
pour nous protéger des balles et des mortiers de l’armée gouvernementale, qui avait commencé à tirer sur le Parlement. Nous étions
au courant du drame, les radios rwandaises l’avaient annoncé une
heure à peine après la chute de l’avion présidentiel.
La folie meurtrière qui s’est emparée du peuple rwandais a été
instantanée. Nous l’avons constaté dès le matin du 7 avril, en observant les premiers massacres systématiques de populations civiles.
À l’intérieur du Parlement, les membres du Front patriotique rwandais bouillonnaient de rage et d’impatience, assistant comme nous,
37 Le Procureur c. Théoneste Bagosora, Gratien Kabiligi, Aloys Ntabakuze, Anatole Nsengiyumva. Jugement portant condamnation. Affaire no ICTR-98-41-T, 18 décembre 2008,
section 746, p. 266. http://www.francegenocidetutsi.org/BagosoraJudgment-fr.pdf#page=
266
38 Voir par exemple le témoignage du colonel Walter Balis, détaché à la MINUAR, devant la
Commission d’enquête parlementaire du Sénat belge, CRA 1-62, 29 mai 1997, p. 587. http:
//www.francegenocidetutsi.org/SenatBelgiqueAudition29mai1997DeLoeckerBalis.pdf

6

KAGAME SOMME LA MINUAR D’INTERVENIR

12

impuissants, aux premières évidences de l’hécatombe. Je les voyais
s’en prendre aux soldats de l’ONU, les suppliant d’intervenir ou de
les laisser intervenir, eux, les combattants du FPR. Mais les soldats
de l’ONU restaient inflexibles et ne bronchaient pas. Sans doute ne
comprenaient-ils pas ce qui se passait.39
Une note DGSE du 8 avril à 12 h constate que le FPR est resté neutre : « Le
fait que l’opposition soit systématiquement décapitée ne manquera pas de mettre
en relief la position ambiguë du Front Patriotique Rwandais (FPR) qui observe,
pour l’heure, une ostensible neutralité. Toutefois, d’éventuelles provocations supplémentaires, assorties de massacres de Tutsi, de la part de la GP notamment,
pourraient contraindre la direction du mouvement à sortir de sa réserve et à
invoquer le prétexte du désordre pour s’approcher du pouvoir, avec toutes les répercussions que cela comporterait tant au Rwanda qu’au Burundi. Politiquement
toutefois, il semble peu probable que le FPR agisse de la sorte, ne serait-ce qu’en
raison de la présence de la Mission d’Assistance des Nations Unies au Rwanda
(MINUAR) et des avantages obtenus par l’accord d’Arusha ».40
Toutefois, le FPR aurait riposté au moins une fois aux tirs qui le visaient :
AT 0530 THE SOUND OF SPORADIC MACHINE GUNS, ROCKET AND GRENADE FIRE WAS HEARD IN VARIOUS AREA
OF THE CITY. ON AT LEAST ON OCCASION THE RPF RETURNED FIRE AIMED AT THEM.41
Cette information pourrait justifier les affirmations de militaires français,
notamment celle du lieutenant-colonel Jean-Jacques Maurin citée plus haut.
Mais Dallaire dit ici que le FPR reste calme, donc n’est pas sorti du CND,42
et répète dans plusieurs télégrammes que c’est la garde présidentielle qui est à
l’origine des tirs.

6

Paul Kagame somme la MINUAR d’intervenir contre les massacres

Le 7 avril au matin, le commandant adjoint des opérations de la MINUAR,
Walter Balis, rapporte à Dallaire que le FPR reste calme mais insiste sur l’installation du gouvernement prévu par les Accords d’Arusha :
39 Philippe Gaillard, Rwanda 1994 : un témoignage : « On peut tuer autant de gens
qu’on veut, on ne peut pas tuer leur mémoire », 30 septembre 2004. http://www.
francegenocidetutsi.org/OnPeutTuerAutantDeGensQuonVeutPhilippeGaillard.pdf
40 DGSE, Note no 18491/N du 8 avril 1994. Fiche particulière Rwanda. Analyse de la situation à 12 heures.
41 Force Commander Dallaire to Baril, Significant Incident Report - Reported Death of President of Rwanda, 7 avril 1994, section 21, p. 4.
http://www.francegenocidetutsi.org/DallaireBaril7avril1994.pdf
Traduction de
l’auteur : À 5 h 30, le bruit de tirs sporadiques de mitrailleuse, roquettes et grenades a
été entendu en différents endroits de la ville. À au moins une occasion, le FPR a riposté aux
tirs dirigés contre lui.
42 Ibidem, sections 25, 30.

6

KAGAME SOMME LA MINUAR D’INTERVENIR

13

30. DCOO CONVEYED AT 1005 RPF CALM BUT INSISTING
ON INSTALLATION OF BBTG, PM AS HEAD OF GOVERNMENT, CONSTITUTION, END OF VIOLENCE.43
Paul Kagame informe le général Dallaire de son intention d’intervenir contre
les meurtriers : « Je viens d’apprendre, écrit-il, que des soldats de l’armée rwandaise entourent beaucoup de maisons de nos partisans. Leurs intentions sont
évidentes. Je dois vous informer que nos forces doivent réagir pour protéger
les nôtres. Je suis très sérieux et je veux vous informer ».44 Peu avant 13 h,
Dallaire reçoit un deuxième message de Kagame : « la MINUAR devait faire
diligence pour protéger tous les politiciens disparus ou arrêtés. Le plus tôt serait
le mieux ».45
À 13 h 15, Kagame fait une déclaration par radio :
AT 1315 HOURS MGEN KAGAME MADE A STATEMENT
BY RADIO THAT THE RPF UNDERSTOOD THAT MANY OF
THE ATTACKS IN KIGALI WERE AIMED AT THEIR SUPPORTERS AND THAT IF THIS CONTINUED HIS SOLDIERS
WOULD REACT TO DEFEND THEIR PEOPLE. REPORT TO
FC WHO DIRECTED DCOO WITH RPF AND CND AND RPF
SECTOR COMMANDER TO ATTEMPT TO CALM DOWN THE
RPF.46
Après 14 h, Dallaire prend connaissance d’un troisième message de Kagame
qu’il perçoit comme un « ultimatum catégorique » :
Les meurtres qui se produisaient en ville devaient cesser immédiatement ou bien il ferait intervenir ses troupes. Le message comportait
six lignes brèves :
A. Le FPR était prêt à assurer la sécurité de Kigali.
B. Le commandant de la force de l’ONU ne devait pas se fier à
son personnel belge.
C. La MINUAR devait retirer ses soldats de la zone démilitarisée
pour renforcer Kigali.
43 Force Commander Dallaire to Baril, Significant Incident Report - Reported Death of
President of Rwanda, 7 avril 1994, section 30, p. 5. http://www.francegenocidetutsi.org/
DallaireBaril7avril1994.pdf Traduction de l’auteur : 30. DCOO [Walter Balis] fait savoir
à 10 h 5 que le FPR est calme mais qu’il insistait pour mettre en place le gouvernement de
transition à base élargie, le Premier ministre à la tête du gouvernement, la Constitution et
l’arrêt de la violence.
44 Roméo Dallaire [4, p. 317].
45 Ibidem, p. 318.
46 Force Commander Dallaire to Baril, Significant Incident Report - Reported Death of
President of Rwanda, 7 avril 1994, section 35, p. 6. http://www.francegenocidetutsi.org/
DallaireBaril7avril1994.pdf Traduction de l’auteur : À 13 h 15, le major général Kagame
fit une déclaration par radio selon laquelle le FPR comprenait que de nombreuses attaques
à Kigali étaient dirigées contre ses partisans et que si cela continuait ses soldats réagiraient
pour les défendre. Rapport en a été fait au commandant de la force [Dallaire] qui a dépêché
DCOO [Balis] au CND et le commandant du secteur FPR pour calmer celui-ci.

6

KAGAME SOMME LA MINUAR D’INTERVENIR

14

D. Le FPR était prêt à assister la MINUAR.
E. Mais si le CND était attaqué, le FPR entrerait dans Kigali.
F. De plus si la situation n’était pas sécurisée avant la tombée
de la nuit, le 7 avril, le FPR passerait à l’attaque.47
Dallaire, qui se trouve alors au ministère de la Défense en compagnie du
colonel Bagosora, chef de cabinet du ministre de la Défense, et du général Ndindiliyimana, chef d’état-major de la gendarmerie, tente de leur proposer de causer
avec le FPR pour éviter que celui-ci n’avance vers le sud. Il reçoit alors un quatrième message de Kagame :
Il offrait son appui à l’AGR48 en envoyant deux bataillons pour
les aider à désarmer et contrôler les unités rebelles, tout spécialement
la garde présidentielle. Il voulait ma réponse sur-le-champ.49
Dallaire fait part de cette offre à Bagosora et à Ndindiliyimana qui la refusent. « Il devenait évident, observe Dallaire, qu’à Kigali aucune unité n’était
favorable aux modérés. Il en existait probablement au sud du Rwanda, mais ces
gens ne se joindraient certainement pas au FPR pour renverser les formations
sanguinaires de l’AGR. (Je savais cependant que les unités stationnées dans le
sud étaient infiltrées par des éléments extrémistes) ».50 Dallaire obtient de Bagosora et Ndindiliyimana qu’ils acceptent de discuter au téléphone avec Seth
Sendashonga, responsable politique du FPR, alors au CND.
Après avoir raccroché, Ndindiliyimana a annoncé qu’il n’y avait
rien à faire. Le FPR insistait pour que les membres de la garde présidentielle soient arrêtés et emprisonnés, et que les assassinats cessent
immédiatement. Ndindiliyimana avait répondu que tout était fait
pour reprendre la situation en mains, mais, vu la réaction négative
de Seth, il en concluait que le FPR attaquerait bientôt.51
Entre-temps, Dallaire avait dicté au téléphone sa réponse à Kagame :
« La MINUAR ne mènera aucune opération offensive, car son
mandat consiste uniquement à être présente pour des opérations
défensives de maintien de la paix. La MINUAR, la Gendarmerie
et des éléments de l’armée demeurés loyaux au Rwanda essayent
de stabiliser la situation. La MINUAR n’adopte pas une attitude
offensive, et si le FPR entreprend ce soir une action au CND ou
une offensive dans la zone démilitarisée, cela sera considéré comme
une violation sérieuse du cessez-le-feu. Le mandat de maintien de la
paix de la MINUAR sera intégralement violé. Je demande que vous
47 Roméo

Dallaire [4, p. 319].
: Armée gouvernementale rwandaise. C’est le terme qu’utilise le général Dallaire
pour désigner les Forces armées rwandaises (FAR).
49 Ibidem, p. 320.
50 Ibidem, p. 320.
51 Ibidem, p. 325.
48 AGR

7

LE BATAILLON FPR SORT DU CND LE 7 AVRIL À 16 H

15

reconsidériez ces actions compte tenu des forces restées loyales et
de la MINUAR, qui tentent de rétablir l’ordre et de contenir toute
agression à Kigali ».52
Cette description de la situation par Dallaire est en complète contradiction
avec son appréciation faite plus haut qu’« aucune unité n’était favorable aux
modérés. » La confusion que Dallaire fait dans son livre entre le colonel Léonidas Rusatira, commandant de l’École supérieure militaire, et le colonel Marcel
Gatsinzi, promu chef d’état major des FAR par intérim dans la nuit du 6 au
7 avril, fait douter de ses contacts avec les « modérés ».53 Cette réponse de
Dallaire à Kagame paraît avoir été envoyée avant la sortie du bataillon FPR du
CND.
Le colonel Balis, en poste au CND, évoque un échange entre Dallaire et
Kagame dans la nuit du 7 au 8 :
Vers la nuit du 7 au 8, ou vers 2 heures du matin, le général
Dallaire m’appelle, me donne un message destiné au général Kagame.
En résumé, le contenu était ceci : « J’espère que tout pourra rentrer
dans l’ordre, je vous prie de ne rien entreprendre entre temps ». Je
l’ai passé en bas, au centre de transmission via Seth Sendashonga
cette fois là, je crois, et disons qu’une petite heure après, la réponse
du général Kagame m’est parvenue. Lui disait : « je vous promets que
je n’entreprendrai rien sans vous tenir au courant, mais ma première
démarche sera d’envoyer un bataillon supplémentaire à Kigali ».54
Une interprétation biaisée voudrait conclure que, refusant d’obéir aux admonestations de la MINUAR, c’est le FPR qui a rompu le cessez-le-feu. C’est
vouloir ignorer que la garde présidentielle et certaines unités des FAR, dont le
bataillon paras-commando et le bataillon de reconnaissance, ont violé le réglement de la KWSA en reprenant leurs armes mises sous scellés, établissant des
barrages et ont tiraillé et massacré en tout sens.

7

Le bataillon FPR sort du CND le 7 avril à
16 h

Le colonel Walter Balis de la MINUAR a rejoint le CND le 6 avril vers 21 h 30
en tant qu’officier de liaison avec le FPR. Il atteste que le bataillon FPR n’a
pas bougé avant le 7 avril à 16 h :
Vers 21 heures, je me suis préparé à aller chercher à l’aéroport
des camarades rentrant de vacances. Au rond-point devant l’hôtel
52 Ibidem, p. 323 ; UNAMIR Response to RPA 6 Point Message, April 7, 1994. http://www.
francegenocidetutsi.org/DallaireToKagame7April1994.pdf
53 Roméo Dallaire [4, pp. 657, 670]. Cette erreur ne figure pas dans la version anglaise de
2004 [5, pp. 251-254, 529].
54 Déposition du colonel Walter Balis, 23 avril 2007. Cf. Rapport Mucyo [3, Annexes, p. 23].
http://www.francegenocidetutsi.org/AnnexesRapportMucyo071115.pdf#page=23

7

LE BATAILLON FPR SORT DU CND LE 7 AVRIL À 16 H

16

[Méridien], j’ai été retenu par des soldats rwandais hystériques. Je
suis alors retourné à l’hôtel. [...] J’ai remis mon uniforme et je suis
allé au CND. Vers minuit, le général Dallaire m’a téléphoné et m’a
donné l’ordre de rester sur place afin d’empêcher le FPR de sortir.
Je suis resté là pendant cinq jours et cinq nuits d’affilée.
Le 7 avril, vers 9 h 30 m et 11 h 30 m, j’ai pu convaincre le
FPR de rester dans son cantonnement, mais une colonne du FPR
est malgré tout sortie vers 16 h 30 m. Ils ont alors créé une zone de
sécurité.55
Il précise en 2007 : « Dans la nuit du 6 au 7 avril, je n’ai constaté aucun mouvement de troupes. Dans le courant de l’après-midi du 7, quelque 120 hommes
sont sortis, pour occuper des positions défensives à l’extérieur et tenir à l’œil la
garde présidentielle ».56
Le colonel Balis décrit devant la commission Mucyo la sortie du FPR du
CND le 7 avril :
Donc le 7 vers 13 heures [au CND], le message concernant la
mort des casques bleus arrive, tout reste calme jusque vers 16 heures.
J’avais déjà dit au commandant du bataillon, d’abord à l’officier de
liaison Kamanzi, je lui ai dit : « Le général Dallaire ne veut pas que
vous sortiez du CND ». Je l’ai répété au commandant du bataillon
Kayonga, et puis, pendant que j’étais occupé à le dire à Jacques
Bihozagara, il sourit, je me retournes et je vois une colonne d’une
cent vingtaines d’hommes alignés, chargés avec armes et munitions,
prêts à sortir du CND. Alors Bihozagara m’a dit « j’espère mon
Colonel que vous n’allez pas mettre votre jeep devant parce que ça
n’arrangerait rien », moi j’ai dis « Okay ! J’ai fait mon devoir je vous
re-signale que le Général Dallaire ne veut pas que vous sortiez du
CND », et puis l’incident était clos.
Donc ils sont sortis. Au fond, c’était étonnant, puisqu’on tiraillait
de tous les côtés. C’était un peu étonnant qu’on ne l’ai pas fait plus
tôt, parce que, comme militaire dans cette souricière qui était le
CND, on n’était pas du tout à son aise et la compagnie qui est sortie tout à faire [sic] logiquement occupé des points autour du CND
pour contrôler les accès, afin d’avoir de l’espace pour manœuvrer et
également pour tenir la garde présidentielle à l’œil, parce qu’ils se
méfiaient très fort de cette unité. Ils ont occupé un périmètre qui allait pratiquement de l’hôtel Méridien vers le rond point, l’hôpital Roi
Fayçal jusqu’au stade Amahoro. C’était plus ou moins le périmètre
qu’ils ont occupé vers 16 heures de l’après midi, avec des postes
55 Colonel Balis, Audition de la Commission d’enquête parlementaire du Sénat
belge [13, CRA 1-62, 29 mai 1997, p. 587]. http://www.francegenocidetutsi.org/
SenatBelgiqueAudition29mai1997DeLoeckerBalis.pdf
56 Colette
Braeckman, Les heures poignantes du colonel Ballis [sic] au parlement rwandais, Le Soir, 5 avril 2007. http://www.francegenocidetutsi.org/
HeuresPoignantesBalisLeSoir5avril2007.pdf

7

LE BATAILLON FPR SORT DU CND LE 7 AVRIL À 16 H

17

d’observations, non pas des positions de combat, mais juste pour
contrôler et pouvoir réagir à temps. Entre temps, je n’ai entendu
aucun signal à la Radio, ouverte jour et nuit, je ne la fermais jamais, aucun mouvement n’a été signalé ni par le bataillon ghanéen,
ni par les observateurs militaires se trouvant en Ouganda. Aucun
mouvement majeur de troupe n’a été signalé jusqu’à ce moment.57
Dans la nuit du 7 au 8, Dallaire fait son compte rendu à Kofi Annan à
New York. Il lui fait part des offres de Kagame. Il lui propose de former avec
les modérés une force militaire commune, mais s’entend répondre qu’il ne doit
pas « offrir le soutien de la MINUAR comme force de protection à l’une des
factions ».58

7.1

Le bataillon FPR contrôle la zone du stade Amahoro
le soir du 7 avril

La description de l’action engagée par le bataillon FPR le 7 avril reste à faire. Le
colonel Balis a rapporté (voir plus haut) que les soldats du FPR ont rapidement
gagné le quartier de Remera et investi le secteur où se trouvait le stade Amahoro,
gardé par le bataillon de Casques bleus du Bangladesh et le QG de la MINUAR.
Le stade Amahoro, où nombre de gens sont venus se mettre sous la protection de
la MINUAR, et le QG de celle-ci se sont trouvés de fait placés sous la protection
du FPR.
3. A company size of RPF military personnel left the CND complex on 7 April at 16 hours local time and moved into areas where
Presidential Guards are located and engaged the Guards in a fierce
exchange of fire. UNAMIR observed several armed foot-patrols in
areas dominated by gouvernment supporters adjacent to UNAMIR
headquarters and the Bangladesh bataillon.59
Le général Dallaire rapporte que le 7 avril, le bataillon bangladais refuse
d’exécuter ses ordres et a même saboté ses véhicules blindés pour ne pas avoir à
sortir du stade Amahoro où il s’est enfermé. Ce stade est assiégé par une foule
belliqueuse.60 Dans l’après-midi, des Casques bleus belges menacés par cette
foule devront ouvrir le feu et escalader les grilles du stade pour se protéger.61 Le
57 Déposition

du colonel Walter Balis, 23 avril 2007. Cf. Rapport Mucyo [3, Annexes, p. 23].
Dallaire [4, p. 335].
59 Code Cable From Booh-Booh UNAMIR to Annan/Goulding Unations, An Update on the
Current Situation in Rwanda and Military Aspects of the Mission, 8 avril 1994, section 3,
p. 1. http://www.francegenocidetutsi.org/BoohBoohAnnan8avril1994.pdf Traduction de
l’auteur : Un effectif d’une compagnie du FPR quitta le complexe du CND le 7 avril à 16
heures locales et se dirigea vers des zones tenues par la garde présidentielle et engagea le
combat avec celle-ci par de violents échanges de tirs. La MINUAR vit des patrouilles armées
se diriger à pied dans des zones tenues par les forces gouvernementales qui jouxtent le quartier
général de la MINUAR et le bataillon bangladais.
60 Roméo Dallaire [4, pp. 315-316, 347, 350-351].
61 Joseph Dewez, KIBAT Chronique 06 Avr. - 19 Avr. 1994, Flawinne, 20 septembre 1995,
pp. 19-20. http://www.francegenocidetutsi.org/KibatChronique6AvrilAu19Avril.pdf
58 Roméo

8

KAGAME ENVOIE DES TROUPES LE 7

18

Premier ministre pressenti, Faustin Twagiramungu, a été évacué par un blindé
de la MINUAR conduit par des bangladais.62 Il aurait été amené au stade
Amahoro et n’aurait échappé aux Interahamwe que grâce à l’intervention de
soldats du FPR qui ont mis ceux-ci en fuite.63 Cet épisode n’est pas corroboré
par d’autres sources, mais il est plausible. En effet, le 9 avril, Jacques-Roger
Booh-Booh écrit dans son rapport :
RPA HAS THE VICINITY OF THEIR COMPLEX OF THE
CND UNDER CONTROL AND THEY ARE HELPING CIVILIANS
FIND SHELTER WITH UNAMIR FORCES PRIMARILY AT THE
STADIUM AMOHORO. APPROXIMATELY 1000 PERSONS ARE
UNDER OUR CARE.64
Une autre note de situation précise que 3 000 civils ont trouvé refuge au
stade Amahoro et que le FPR est en position autour.65 Faustin Twagiramungu
a pu gagner le quartier général de la MINUAR à côté du stade qui se trouve
protégé par le FPR. Il sera évacué par les Belges le 21 avril.
Les soldats du FPR ont également investi l’hôtel Méridien où résidait beaucoup d’officiers de la MINUAR et où le PC BN de KIBAT a déménagé le 7 en
fin de journée.

8

Paul Kagame envoie des troupes vers Kigali
le soir du 7 pour mettre fin aux massacres

Les événements qui suivent, en particulier le témoignage du colonel Balis que
l’on lira plus loin, induisent à penser qu’à la réception du message de Dallaire
impliquant que la MINUAR ne ferait rien contre les massacres et lui enjoignant
de ne pas bouger, Paul Kagame, réputé pour faire ce qu’il dit, aurait mis en
marche le 7 avril au soir plusieurs bataillons vers Kigali. L’objectif aurait été
double : secourir son bataillon attaqué à Kigali et concrétiser sa proposition de
collaborer avec les FAR pour « désarmer et contrôler les unités rebelles ». C’est
effectivement ce qui s’est passé. Un Situation Report de la MINUAR, transmis
le 8 avril par Jacques-Roger Booh-Booh à New York, relate :
62 Audition de M. Faustin Twagiramungu par la Commission d’enquête parlementaire du
Sénat belge [13, CRA 1-64, 30 mai 1997, p. 608]. http://www.francegenocidetutsi.org/
SenatBelgiqueAudition30mai1997Twagiramungu.pdf#page=18 .
63 Privat Rutazibwa, Souvenirs de mon séjour à Kigali au temps du génocide, 2004. http:
//www.francegenocidetutsi.org/RutazibwaPrivat2004.pdf
64 Jacques-Roger Booh-Booh, To Annan. Subject : Current situation in Rwanda, MIR-727,
9 avril 1994, section 2, p. 1.
http://www.francegenocidetutsi.org/BoohBoohAnnan9avril1994.pdf Traduction de l’auteur : L’APR [l’armée du FPR] a les alentours du complexe du CND sous son contrôle et ils
aident les civils à trouver refuge auprès de la MINUAR principalement au stade Amahoro.
Environ 1 000 personnes sont sous notre protection.
65 Jacques-Roger Booh-Booh, Daily Sitrep Period 081900B To 091200B APR 94, April 9,
1994, p. 4. http://www.francegenocidetutsi.org/SitRep8-9avril1994BoohBooh.pdf

8

KAGAME ENVOIE DES TROUPES LE 7

19

B. RPF. ON 071600 APR 94 ONE RPF COMPANY (THREE
PLATOONS) WENT OUT OF CND COMPOUND AT KIGALI
AND ENGAGED THE QUARTER OF THE PRESIDENTIAL GUARD
BATTALION. AT 1600 HRS RPF COMD, MAJ GEN KAGAME,
FORWARDED A MESSAGE THAT HIS TROOPS WOULD LEAVE
MULINDI TOWARDS KIGALI ON 071800 (LAST LIGHT) IN ORDER TO ASSIST THE LOYAL TROOPS AND TO STOP THE
KILLING OF INNOCENT PEOPLE. ON 081200 APR 94 WE RECEIVED THE MESSAGE FROM RPF THAT ONE RPF BATTALION IS MOVING TOWARDS KIGALI AND THAT THEY WILL
NOT ALLOW ANY AIRCRAFT TO LAND AT KIGALI INTERNATIONAL AIRPORT. THE PURPOSE OF THE BATTALION
WILL BE TO ASSIST GOVERNMENT FORCES IN KEEPING
RENEGADE FORCES FROM KILLING INNOCENT PEOPLE.
THE RPF FURTHER CAUTIONNED THE CRISIS COMMITEE
TO ENSURE THE ADVANCING BATTALION IS NOT FIRED
UPON DURING THE ADVANCE. UNAMIR ADVISED AGAINST
INTRODUCTION OF AN RPF BATTALION INTO KIGALI BUT
WELCOME GEN KAGAME’S WILLINGNESS TO ATTEND MEETING IN KIGALI.66
Si Paul Kagame utilise le conditionnel pour annoncer la mise en marche de
ses troupes depuis Mulindi le 7 avril à 18 h, le message du FPR du 8 avril à 12 h
ne laisse pas planer le doute. Il annonce qu’un bataillon FPR est en marche pour
Kigali et demande au Comité de crise de faire en sorte qu’il ne soit pas attaqué.
Ce bataillon a sans doute pris soin de controurner les positions des FAR et ce
serait lui qui serait arrivé au CND dans la nuit du 8 au 9 avril, comme le signale
plus loin le colonel Balis.
66 Jacques-Roger Booh-Booh, Daily Sitrep 070600B Apr to 080600B Apr 94, UNAMIR,
MIR-723, April 8, 1994.
http://www.francegenocidetutsi.org/UnamirSitrep7AprTo8Apr1994.pdf
Traduction de l’auteur : B. FPR. Le 7 avril à 16 h, une compagnie FPR (trois pelotons)
est sortie du complexe du CND à Kigali et s’est avancée dans la zone du bataillon de la garde
présidentielle. À 16 h, le commandant du FPR, le général Kagame, a transmis un message
selon lequel ses troupes quitteraient Mulindi vers Kigali le 7 avril à 18 h (à la tombée de la nuit)
afin de soutenir les troupes loyalistes et de stopper le massacre de personnes innocentes. Le 8
avril à 12 h, nous avons reçu un message du FPR disant qu’un bataillon FPR est en marche
vers Kigali et qu’ils n’autoriseront aucun atterrissage d’avion sur l’aéroport international de
Kigali. L’objectif de ce bataillon sera d’assister les forces gouvernementales pour empêcher les
troupes mutinées de tuer des personnes innocentes. En outre, le FPR met en garde le comité
de crise afin qu’il garantisse que le bataillon ne soit pas attaqué au cours de son avance. La
MINUAR a déconseillé l’introduction d’un bataillon FPR dans Kigali mais a bien accueilli
l’intention de Kagame de participer à une réunion à Kigali.

9

UNE FORCE COMMUNE

9

20

Paul Kagame propose de former une force commune pour arrêter les massacres

Jean-Marie Milleliri, médecin militaire français occupant un poste de coopérant
civil à Kigali, note pour le 8 avril :
Les tirs sont plus nourris en ce début de matinée. Le CND serait la cible des Forces Armées Rwandaises (FAR), qui mettent
sur le compte du Front Patriotique Rwandais (FPR) l’attentat de
l’avion présidentiel. Six cent soldats du FPR stationnés au niveau
du Parlement offrent là un objectif parfait pour les FAR. Mais un
grand nombre des forces du FPR aurait déjà quitté l’endroit où ils
se trouvent, dans l’enceinte parlementaire. On annonce que face à
l’agression des FAR contre eux, et compte tenu des massacres qui
ont lieu contre des Tutsis, les forces « rebelles » du nord du pays
auraient commencé à faire mouvement vers la capitale.67
Le 8 avril à 10 h, le rapport des observateurs militaires des Nations Unies
dans la zone FPR fait état d’une situation calme mais d’une préparation active
de la guerre. Il parle d’un départ de troupes imminent pour Kigali mais ne relate
pas de départ le 7 au soir ou dans la nuit.68
Le 8 avril au matin, Dallaire se rend au CND pour convaincre les chefs politiques du FPR que s’ils « s’engageaient de nouveau dans des hostilités militaires,
les modérés ne pourraient pas rallier les éléments de l’armée et de la gendarmerie à leur cause ». Ce à quoi Seth Sendashonga répond « Quels modérés ? ».69
Le FPR serait d’accord pour rencontrer le comité de crise. Seth Sendashonga
énumère sept conditions préalables à une négociation pour un cessez-le-feu :
1. le massacre de civils innocents devait cesser ;
2. les tirs de l’AGR contre le CND devaient arrêter ;
3. la Garde présidentielle devait être désarmée, renvoyée dans ses
quartiers et mise en état d’arrestation ;
4. le Comité de crise devait condamner les actions des extrémistes, et particulièrement celles de la Garde présidentielle ;
5. le réseau téléphonique devait être rétabli ;
6. le Comité de crise devait désigner clairement son chef ;
7. le Comité de crise devait produire un communiqué conjoint
avec le FPR au sujet du véritable état de la situation et le diffuser
à la nation ;
8. le Comité de crise devait expliquer la mort et la disparition de
tous les notables.70
67 Jean-Marie

Milleliri [9, pp. 34-35].
Iliya, To FHQ. Subject : Special SITREP from FPR Sector HQ Mulindi, 8 avril
1994. http://www.francegenocidetutsi.org/SitRepMilobRpfSector8april1994.pdf
69 Roméo Dallaire [4, p. 342].
70 Ibidem, p. 343.
68 Somalia

10

KAGAME DÉCLENCHE L’OFFENSIVE LE 8 AVRIL AU SOIR

21

Le 8 avril à 12 h, Kagame envoie un message en quatre points à la MINUAR
à transmettre au « Comité de crise » [formé d’officiers des FAR]. Il se déclare
prêt à venir à Kigali participer à une réunion pour rétablir le processus de paix :
« he was ready to attend a meeting in Kigali to further the peace process ».
Il va envoyer un bataillon à Kigali pour aider les forces gouvernementales à
« empêcher les forces renégates de tuer des innocents » (« he was dispatching
a battalion to Kigali to assist governmental forces in keeping renegade forces
from killing innocent people »). Le « Comité de crise » pourrait démontrer son
honnêteté en ne tirant pas sur ce bataillon FPR. Enfin, il déclare que le FPR
est opposé à tout atterrissage d’avion sur l’aéroport de Kigali.71
Booh-Booh lui répond qu’il lui interdit d’envoyer de nouvelles troupes à
Kigali. Il transmet son message au Comité de crise et apprécie son intention de
participer à une réunion pour rétablir le processus de paix.72
Ceci est rapporté par le général Anyidoho, commandant en second de la MINUAR : « The horrendous atrocities which had been going on elicited a response
from Major General Paul Kagama of the RPF. On 8 April 1994, at 1600 hours,
he relayed a message to me indicating his intention to despatch a battalion to
Kigali to assist government forces in preventing further bloodbath by renegade
forces. Meanwhile he had communicated to us his acceptance of an invitation to
attend a meeting of the “Crisis Comittee” in Kigali ».73
Son offre étant rejetée, le FPR va reprendre les armes. Mais il reste encore
ouvert à des négociations et à la formation d’une force commune pour stopper les
massacres. Citons pour preuve le projet de trêve qu’il soumet à la MINUAR le 11
avril pour permettre le départ des ressortissants étrangers. On y lit notamment :
Les forces de l’ordre s’engagent à arrêter ou à faire arrêter ou
à faire arrêter de manière résolue les massacres et persécutions des
populations en cours dans le pays.74

10

Paul Kagame déclenche l’offensive le 8 avril
au soir

Le rejet de son offre par les responsables de la MINUAR va déterminer Paul
Kagame à déclencher l’offensive de ses troupes. L’annonce le 8 avril au soir de la
formation d’un nouveau gouvernement dont le FPR est exclu, en violation des
71 Code Cable From Booh-Booh UNAMIR to Annan/Goulding Unations, An Update on
the Current Situation in Rwanda and Military Aspects of the Mission, 8 avril 1994, p. 2.
http://www.francegenocidetutsi.org/BoohBoohAnnan8avril1994.pdf#page=3
72 Ibidem.
73 H. Anyidoho [1, p. 30]. Traduction de l’auteur : Les atrocités horribles qui se déroulaient
ont provoqué un réponse du général Paul Kagame du FPR. Le 8 avril à 16 h, il m’a envoyé
un message indiquant son intention d’envoyer un bataillon à Kigali pour soutenir les forces
gouvernementales afin d’empêcher de nouveaux massacres par les forces mutinées. En même
temps il envoyait son accord pour participer à une réunion du “Comité de crise” à Kigali.
74 Jacques-Roger
Booh-Booh,
Agreement
to
facilitate
evacuation
of
expatriates, MINUAR, 11 avril 1994, p. 2. http://www.francegenocidetutsi.org/
BoohBoohAnnanMir735Evacuation11april1994.pdf

10

KAGAME DÉCLENCHE L’OFFENSIVE LE 8 AVRIL AU SOIR

22

Accords d’Arusha, va renforcer sa détermination. À Dallaire qui le rencontre au
CND le 9 au matin, Seth Sendashonga déclare qu’il s’agit d’un coup d’État :
En plus de l’atterrissage des Français à l’aéroport, la radio du
gouvernement avait annoncé le rappel par l’AGR des soldats de réserve et la nomination du nouveau gouvernement. D’ailleurs, la liste
des noms des futurs ministres avait été communiquée. Aux yeux du
FPR, ces actions se révélaient être une déclaration de guerre en règle.
Seth a déclaré de façon catégorique qu’il était hors de question de
reconnaître quoi que ce soit provenant de ce gouvernement illégitime
et extrémiste : cette crise ne constituait pas une réaction exagérée à
la mort du président mais un coup d’État.75
Vendredi 8 avril au soir, dans une déclaration à l’agence Reuters, Paul Kagame prévient que si ses troupes marchent sur Kigali, c’est pour y rétablir
l’ordre :
“There is absolute anarchy. No government, no authority. We
have to move to restore order if this continues,” Kagame said.
“We will have to intervene, swiftly move troops to Kigali, pin
down the elements opposed to peace and negotiations and implement
a peace accord we reached last year,” he told Reuters at a rebel
outpost 70 km (50 miles) northeast of the capital.76
Une note du Départment d’Etat américain décrivant la situation le 8 avril à
16 h (22 h à Kigali) indique :
The RPF is attacking south through the DMZ. They expect to
be in Kigali tomorrow. The RPF justified the move because the
ceasefire has been violated. Its Kigali contingent had been attacked.
The Rwanda Army is killing officials and Tutsis and the UN is unable
to control the situation.77
Samedi 9, la radio du FPR annonce qu’il est passé à l’offensive :
75 Roméo

Dallaire [4, pp. 355-356].
Mseteka, Rwandan rebels may march on Kigali, Reuters, Mulindi, April 8,
1994. http://www.francegenocidetutsi.org/RebelsMayMarchOnKigaliReuters8April1994.
pdf Traduction de l’auteur : « C’est l’anarchie absolue. Pas de gouvernement, pas d’autorité. Nous devons bouger pour rétablir l’ordre si ça continue », a déclaré Kagame. « Nous
devons intervenir, envoyer rapidement nos troupes à Kigali, coincer les éléments opposés à la
paix et aux négociations et implémenter l’accord de paix que nous avons signé l’an dernier »,
a-t-il dit à Reuters, dans un avant-poste rebelle à 70 km au nord-est de la capitale.
77 Warren Christopher, Situation Report as of 1600 EDT, 04/08/94, EDT, US DOS, April
8, 1994. http://www.francegenocidetutsi.org/NSAEBB119Rw12.pdf Traduction de l’auteur :
Le FPR est passé à l’attaque au sud en traversant la zone démilitarisée. Il prévoit d’arriver
demain à Kigali. Il justifie cette offensive par la violation du cessez-le-feu. Son bataillon à
Kigali a été attaqué. L’armée rwandaise assassine des dirigeants politiques et des Tutsi alors
que l’ONU est incapable de contrôler la situation.
76 Buchizya

10

KAGAME DÉCLENCHE L’OFFENSIVE LE 8 AVRIL AU SOIR

23

A Rwandan guerrilla force said early on Saturday it had decided
to fight government troops rampaging in the capital Kigali to restore
order because of “murderous acts” committed there this week.
“The Rwandan Patriotic Front (RPF) is going to protect innocent Banyarwanda (Rwandan people). Anyone standing in its way
will be considered an accomplice and dealt with accordingly,” a statement broadcast on RPF radio by the commander in chief, MajorGeneral Paul Kagame, said.
The statement appealed to all Rwandan people to help fight what
it described as a clique which included the presidential guard, the
former president’s ruling party and other hardline political forces
from the Hutu people.
He also appealed for government soldiers “who may want to join
us” to fight alongside the RPF.
Although chaos reigned in Kigali, no fighting was reported along
the front lines between the RPF and government soldiers, said guerrillas at Gatuna, which is just inside Rwanda near the border with
Uganda and about 80 km (50 miles) north of Kigali.78
Des tirs sont signalés le matin du 9 avril au nord du pays :
Rwandan Patriotic Front (RPF) rebels north of Kigali, meanwhile, launched an offensive, vowing to capture the Rwandan capital and end bloodshed in which relief workers say several thousand
people may already have died.
Reuters reporters with the RPF reported heavy fighting along a
frontline which snakes through the north and northeast of the remote
central African state, where the majority Hutu and minority Tutsi
tribes have a history of bloody rivalry.
“Heavy shelling started early this morning, the rebels are now
advancing on three fronts,” correspondent Buchizya Mseteka told
Reuters in Nairobi by satellite telephone from rebel headquarters in
Mulindi.79
78 Rwandan rebels plan fight in Kigali, Reuters, Gatuna, April 9, 1994. http://www.
francegenocidetutsi.org/RebelsPlanFightInKigaliReuters9April1994.pdf Traduction de
l’auteur : Une force de guérilla rwandaise a déclaré tôt samedi qu’elle a décidé de combattre
les troupes gouvernementales qui se déchaînent dans la capitale Kigali pour y rétablir l’ordre
en raison des actes criminels commis cette semaine. « Le Front patriotique rwandais (FPR)
va protéger les Rwandais innocents. Quiconque se dresserait sur son chemin sera considéré
comme complice et traité comme tel », a dit le commandant en chef Paul Kagame dans une
déclaration diffusée par la radio du FPR. Il a appelé le peuple rwandais à aider à combattre
ce qu’il a qualifié de clique constituée de la garde présidentielle, de l’ancien parti unique et
d’autres forces politiques extrémistes du peuple hutu. Il a aussi appelé les soldats gouvernementaux « qui peuvent vouloir se joindre à nous », à combattre aux côtés du FPR. Bien que
le chaos règne à Kigali, aucun combat n’est signalé sur la ligne de front séparant le FPR et
les soldats gouvernementaux, ont déclaré les membres de la guérilla à Gatuna, qui se trouve
au Rwanda près de la frontière avec l’Ouganda à environ 80 km au nord de Kigali.
79 Thaddee
Nsengiyaremye,
French
troops
move
into
Kigali,
rebels
advance,
Reuters,
April
9,
1994.
http://www.francegenocidetutsi.org/

10

KAGAME DÉCLENCHE L’OFFENSIVE LE 8 AVRIL AU SOIR

24

La tactique du FPR est de bombarder les positions des Forces armées rwandaises pendant que d’autres troupes se faufilent vers Kigali, puis de s’occuper
plus tard des positions ennemies laissées en arrière :
Rwandan guerrillas and government forces pounded each other
with mortars from hilltop trenches on Saturday but rebels said their
units were sneaking towards the capital Kigali at the same time.
“There are ways of going around defences to get to a place and
leave the battlefront behind,” Rwanda Patriotic Front (RPF) Colonel Frank Mugambage said from the battlefront at Mukarange, some
70 km (40 miles) north of the capital Kigali.
“The idea is to get to Kigali... We can take care of the enemy
left behind later.”80
Le général Anyidoho, second du général Dallaire, confirme dans son livre :
« General Kagame’s reinforcement indeed set off from Mulindi on 8 April 1994
in their advance on the city of Kigali ».81 Il explique que le FPR avance sur trois
axes, à l’est vers la Tanzanie, au centre sur Byumba et à l’ouest par Ruhengeri.
Anyidoho situe cette décision le 8 avril après 16 h.
Dallaire note le soir du 8 : « Kagame avait lancé son offensive et pénétré
dans la zone démilitarisée presque vingt-quatre heures après son avertissement.
À l’intérieur de cette zone, presque tous nos soldats en fonction dans des postes
isolés avaient pu se réfugier dans nos camps protégés et se trouvaient en sécurité. Des combats avaient eu lieu près de Ruhengeri, au nord-ouest, à Byumba,
au centre, et à Gabiro, à l’est. Nos observateurs militaires avaient fait état d’une
attaque sur trois fronts : il était évident que Kagame voulait que son ennemi se
demande le plus longtemps possible d’où viendrait l’attaque la plus importante.
Il avait massé ses troupes en préparation d’un assaut direct contre Kigali, pendant qu’il fixait un grand nombre de ses opposants sur les flancs, à Ruhengeri
FrenchTroopsInKigaliRebelsAdvanceReuters9April1994.pdf
Traduction de l’auteur :
Pendant ce temps, les rebelles du Front patriotique rwandais (FPR) ont lancé une offensive,
promettant de conquérir la capitale du Rwanda et de mettre un terme au bain de sang qui a
pu coûter la vie de plusieurs milliers de personnes selon les organisations humanitaires. Les
reporters de l’agence Reuters auprès du FPR signalent d’âpres combats le long la ligne de
front qui serpente à travers le nord et le nord-est de ce pays enclavé d’Afrique centrale, où
la majorité hutu et la minorité tutsi partagent une histoire faite de rivalité sanglante. « Des
tirs d’artillerie lourde ont commencé tôt ce matin, les rebelles avancent maintenant sur trois
fronts », a déclaré Buchizya Mseteka par téléphone satellite à l’agence Reuters de Nairobi
depuis le quartier général rebelle à Mulindi.
80 Aidan Hartley, Rebels, Rwandan forces fight in hilltop trenches, Reuters, April 9, 1994.
http://www.francegenocidetutsi.org/RebelsRwandanForcesFightReuters9April1994.
pdf Traduction de l’auteur : La guérilla rwandaise et les forces gouvernementales se pilonnent
mutuellement à coup de mortier depuis leurs tranchées au sommet des collines ce samedi mais
les rebelles déclarent que leurs unités sont en train de se faufiler vers Kigali dans le même
temps. « Il y a moyen de contourner les défenses pour se rendre à une place et de laisser la
ligne de front en arrière », déclare le colonel FPR Frank Mugambage sur la ligne de front à
Mukarange, à quelques 70 km au nord de la capitale Kigali. « L’idée est d’aller à Kigali...
Nous pourrons nous occuper plus tard de l’ennemi laissé en arrière ».
81 Henry Anyidoho [1, p. 30]. Traduction de l’auteur : Les renforts décidés par le général
Kagame démarrent en effet le 8 avril de Mulindi pour la ville de Kigali.

10

KAGAME DÉCLENCHE L’OFFENSIVE LE 8 AVRIL AU SOIR

25

et Gabiro ».82 Il note encore le même soir : « la situation avait empiré. Kagame
avait quitté Mulindi avec un Q.G. tactique, et le commandant des observateurs
militaires du secteur l’accompagnait. Les soldats du FPR sortaient de leurs campements, prêts à la guerre, bien disciplinés et affichant un excellent moral. Ils
donnaient l’impression de partir pour un exercice bien planifié et répété. Aucune
violence n’était rapportée dans le secteur contrôlé par le FPR ».83
Une note de situation de la MINUAR annonce l’offensive du FPR le 9 au
matin :
RPF. ON 090940 APR 94 IT WAS REPORTED FROM THE
DMZ SECTOR THAT RPF IS ADVANCING FROM MULINDI IN
THREE AXES :
(1) ROAD MIYOVE-KIGALI
(2) ROAD MUVUMBA-KIGALI
(3) ROAD NKUMBA-RUHENGERI84
Une autre note du 9 avril de Jacques-Roger Booh-Booh à Kofi Annan atteste
des négociations entre le FPR et le général Dallaire d’une part, entre le FPR
et le Comité militaire de crise par l’intermédiaire de Dallaire d’autre part. Elle
constate le début de l’offensive du FPR le 9 avril à 6 h du matin :
13. RPF ARE NOT SATISFIED WITH THE RESPONSE OF
THE MILITARY CRISIS COMITTEE AND CONSIDERED THEMSELVES (IN STATEMENTS TO FC UNAMIR) TO BE IN A STATE
OF WAR WITH GOVERNMENT FORCES. DMZ SECTOR REPORTS MOVEMENT OF RPF TROOPS IN THE NORTH EASTERN SECTOR AND THEIR APPEAR TO BE PREPARING
FOR OFFENSIVE ACTION. RPF HAS STATED THEY ARE FED
UP WITH THE KILLINGS AND CONSTANT MANIPULATIONS
OF THE PAST.
14. IN NEGOCIATIONS WITH FC UNAMIR THE RPF HAVE
REJECTED A DEAL WITH THE MILITARY CRISIS COMMITTEE, GOVERNMENT FORCES OR WITH A NEW TRANSITIONAL GOVERNMENT. THE RPF IS EXPECTED TO LAUNCH A
MAJOR MILITARY OFFENSIVE TOWARDS KIGALI WITHIN
HOURS. [...]
17. AT 0400 HOURS IT WAS REPORTED BY UNAMIR FORCES
AT THE AIRPORT THAT FRENCH TROOPS HAD LANDED AT
THE AIRPORT. [...]
18. AT 0600 HOURS DMZ SECTOR REPORTED HEAVY MG
AND MORTAR FIRING IN AREA OF EAST DMZ AIMED AT
82 Roméo

Dallaire, op. cit., pp. 346-347.
p. 349.
84 Jacques-Roger Booh-Booh, Daily Sitrep Period 081900B To 091200B APR 94, April 9,
1994. http://www.francegenocidetutsi.org/SitRep8-9avril1994BoohBooh.pdf Traduction
de l’auteur : FPR. Le 9 avril à 9 h 40, le secteur de la zone démilitarisée fait savoir que
le FPR avance depuis Mulindi suivant trois axes : (1) la route Miyove-Kigali (2) la route
Muvumba-Kigali (3) la route Nkumba-Ruhengeri.
83 Ibidem,

10

KAGAME DÉCLENCHE L’OFFENSIVE LE 8 AVRIL AU SOIR

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AKAGERA HIGHWAY. RPF SECTOR CONFIRMED RPF SOLDIERS IN THIS AREA WERE ON THE MOVE AND COULD NO
LONGER GUARANTEE SECURITY OF UNMOs, [...] AT 0730
REPORT RECEIVED FROM DMZ STATED HEAVY FIRING IN
BYUMBA AREA AND WEST OF BYUMBA. THIS CONFIRM
UNAMIR ASSESSEMENT THAT AXIS OF BYUMBA TO KIGALI AND WEST OF BYUMBA TO BASE TO KIGALI. AT 0745
DMZ REPORTED RPF TROOPS IN LAST TWO MENTIONED
AXIS WERE ON THE MOVE.85
Une note confidentielle du service de renseignement belge datée du 9 avril
informe que le général Kagame refuse de reconnaître le nouveau gouvernement
et déclenche l’offensive de ses troupes :
Le Gen Kagame a refusé de reconnaître les nouvelles autorités
intérimaires légales déclarées du Rwanda, les accusant d’être “partie responsable du massacre en cours dans la ville de KIGALI”. Il a
affirmé que les conditions actuelles ne rendaient plus possible l’application de l’accord de paix d’Arusha.
Le FPR a indiqué qu’il faisait rejoindre son Bn à KIGALI par
des Rft (une Force d’environ 4.000 Sdt, qui progresserait en deux
ou trois colonnes) pour “rétablir l’ordre” et empêcher les Tp gouvernementales mutinées de tuer et détruire. Les premiers éléments du
FPR ont été signalés à hauteur de la limite Sud de la DMZ.86
Le colonel Balis explique que le FPR ne voulait pas la guerre : « Le FPR insistait sans cesse sur la nécessité de mettre fin aux tueries. Ils étaient convaincus
qu’ils étaient capables de gagner la guerre, mais ils ne voulaient pas la guerre.
85 Jacques-Roger Booh-Booh, To Annan. Subject : Current situation in Rwanda, MIR-727,
April 9, 1994. http://www.francegenocidetutsi.org/BoohBoohAnnan9avril1994.pdf Traduction de l’auteur : 13. Le FPR n’est pas satisfait par la réponse du Comité militaire de crise
et se considère (dans des déclarations au commandant de la MINUAR [le général Dallaire])
être en état de guerre contre les forces gouvernementales. Le secteur de la zone démilitarisée
[DMZ] signale des mouvements de troupes FPR dans le nord-est du secteur qui paraissent
préparer une action offensive. Le FPR a déclaré qu’il ne supportait plus les massacres et les
manipulations constantes du passé. 14. Lors de négociations avec le commandant de la MINUAR, le FPR a rejeté un accord avec le comité militaire de crise, les forces gouvernementales
ou avec le nouveau gouvernement de transition. On s’attend à ce qu’il lance une offensive majeure en direction de Kigali dans les heures qui viennent. [...] 17. À 4 h [le 9 avril], les éléments
de la MINUAR à l’aéroport ont signalé l’atterrissage de troupes françaises. [...] 18. À 6 h le
secteur de la zone démilitarisée a signalé des tirs nourris de mitrailleuses (MG) et de mortiers
à l’est de la zone dirigés vers la route de l’Akagera. Le secteur FPR a confirmé que des soldats
FPR se déplaçaient dans cette zone et qu’ils ne pouvaient plus assurer la sécurité des observateurs militaires des Nations Unies [UNMOs], [...] À 7 h 30, des rapports reçus de la zone
démilitarisée font état de tirs intenses dans la région de Byumba et à l’ouest de Byumba. Ceci
confirme l’évaluation de la MINUAR qu’il y aurait un axe de Byumba à Kigali et de l’ouest
de Byumba vers la base à Kigali. À 7 h 45, la zone démilitarisée signale que des troupes du
FPR sont en mouvement sur ces deux axes.
86 Rwanda - Eléments de situation, SGR, 9 avril 1994. http://www.francegenocidetutsi.
org/SGR9avril1994.pdf

11

L’ARRIVÉE DES RENFORTS FPR À KIGALI

27

Ils voulaient exécuter les accords d’Arusha. La guerre leur a été imposée. Les
gens ont été tout d’abord tués dans la vallée confinant au CND, puis l’armée
rwandaise a décrété la mobilisation générale dans la nuit du 7 au 8 avril. Le
major Podevin [Podevijn] m’a dit, à ce moment-là, que c’était impossible parce
qu’il n’y avait pas suffisamment d’uniformes et d’encadrement. A la suite de
cela, le FPR a lui-même déclaré la guerre. Ils étaient fermement convaincus
qu’ils ne rencontreraient aucun obstacle ».87

11

L’arrivée des renforts FPR à Kigali

Dimanche 10 avril, le FPR déclare qu’il a mis des troupes en marche vers Kigali
pour renforcer son bataillon et s’opposer aux massacres menés par les Forces
armées rwandaises. Ses troupes pourraient être arrivées dès l’aube de ce dimanche :
KIGALI, April 10 (Reuter) - Rwandan rebels advanced towards
the central African state’s capital, Kigali, on Sunday as Western
forces scrambled to rescue foreigners caught up in renewed civil war
and tribal score-settling. [...]
“They (troops) may arrive as early as before dawn on Sunday.
But they met strong resistance along the way, so this is not certain,”
said an RPF official who asked not to be named.
He said the rebel force would reinforce a 600-strong battalion
already in Kigali and would engage government troops who have
gone on a rampage in the city.88
Aidan Hartley rapporte ce 10 avril depuis le quartier général du FPR à
Mulindi que les soldats du FPR crapahutent par monts et par vaux pour éviter
les forces armées rwandaises qui contrôlent les routes :
A relief force of 4,000 Rwanda Patriotic Front (RPF) rebels is
trekking towards the capital to reinforce a 600-strong battalion pinned down by government troops, said an RPF official who asked not
to be named. [...]
87 Audition du colonel Balis devant la Commission d’enquête parlementaire du Sénat belge
[13, CRA 1-62, 29 mai 1997, p. 587]
http://www.francegenocidetutsi.org/SenatBelgiqueAudition29mai1997DeLoeckerBalis.
pdf#page=20 .
88 Peter Smerdon, Rwandan rebels advance towards capital, Reuters, April 10, 1994.
http://www.francegenocidetutsi.org/RebelsAdvanceTowardsCapitalReuters10April1994.
pdf Traduction de l’auteur : Dimanche, les rebelles rwandais avançaient vers Kigali, la
capitale de cet État d’Afrique centrale, alors que des troupes occidentales se bousculent pour
porter secours aux étrangers pris au piège de cette nouvelle guerre civile ou conflit tribal
[...] « Ces troupes peuvent arriver dès l’aube de ce dimanche. Mais elles rencontrent de la
résistance sur leur chemin, ce n’est donc pas certain », déclare un officier FPR qui veut rester
anonyme. Il dit que les forces rebelles devraient renforcer le bataillon de 600 hommes à Kigali
et engageraient le combat contre les forces gouvernementales qui se sont déchaînées dans la
ville.

11

L’ARRIVÉE DES RENFORTS FPR À KIGALI

28

Setting off on a quick march on Friday, the relief force encountered heavy resistance from government troops around Buyoga, a
village about 30 km (20 miles) north of Kigali, rebels said.
“The terrain is more of an obstacle than the fighting,” said the
rebel official.
“The country is full of steep hills and swampy valleys and these
boys are trying to avoid the roads where government forces have
their position.”
The guerrillas are carrying light weapons as well as heavier arms
such as 81mm mortars which could cause devastating damage if used
in the city, they said.89
Une dépêche AFP confirme des accrochages à Buyoga où des éléments du
FPR auraient été « dispersés par la population ».90
Rencontré dimanche 10 avril à Miyove [sud-ouest de Byumba], Paul Kagame
déclare que deux bataillons de 600 hommes chacun se battent en direction de
Kigali pour renforcer le bataillon qui s’y trouve. Le FPR a déjà eu huit morts
et 20 blessés dans les combats avec l’armée gouvernementale.91
Le 10 avril à 12 h, France 3 diffuse des images prises au quartier général
du FPR à Mulindi qui sont commentées ainsi par Jean-Paul Gérouard : « Bulundi [Mulindi], siège du Front patriotique rwandais [les images montrent des
soldats du FPR]. C’est d’ici au nord du pays que sont partis les 4.000 hommes
qui marchent en ce moment vers Kigali. De l’ethnie tutsi [ ?] pour la plupart, ils
vont affronter la garde présidentielle et l’armée régulière dominée par les Hutu.
Objectif, reprendre le contrôle de la capitale où les massacres se poursuivent
depuis la mort du président Habyarimana. Selon le chef du Front patriotique
rwandais [vue sur un homme qui ne ressemble pas à Alexis Kanyarengwe], il
s’agit de mettre fin aux massacres perpétrés par la garde présidentielle qui aurait enclenché la flambée de violence. Les combats auraient déjà fait plusieurs
dizaines de milliers de morts, les cadavres jonchent les rues et les maisons de
89 Aidan Hartley, Rebels aim for Rwandan capital, northern front, Reuters, Mulindi, April
10, 1994.
http://www.francegenocidetutsi.org/RebelsAimForCapitalReuters10April1994.pdf
Traduction de l’auteur : Une force de secours de 4.000 hommes des rebelles du FPR est
en marche vers la capitale pour renforcer le bataillon de 600 hommes assiégé par les forces
gouvernementales, a déclaré un responsable du FPR qui veut rester anonyme [...] Partie pour
un raid éclair vendredi [le 8 avril], cette force a rencontré une forte résistance des forces
gouvernementales autour de Buyoga, un village à environ 30 km au nord de Kigali [à l’ouest
de la route Byumba-Kigali], ont dit les rebelles. « Le terrain est plus un obstacle que les
combats », a dit ce responsable rebelle. « Le pays est plein de montagnes abruptes et de
vallées marécageuses et nos garçons essaient d’éviter d’emprunter les routes où les forces
gouvernementales sont en position. » Ils transportent aussi bien des armes légères que des
armes lourdes comme des mortiers de 81 mm qui peuvent causer d’importants dommages s’ils
sont utilisés en ville, déclarent-ils.
90 L’avancée des troupes rebelles contenue par les forces gouvernementales, selon une
source diplomatique rwandaise, AFP, 10 avril 1994. http://www.francegenocidetutsi.org/
AvanceeRebellesContenueAFP10avril1994.pdf
91 Aidan Hartley, Rwandan rebels say they are advancing on capital, Reuters, April 11, 1994.
http://www.francegenocidetutsi.org/RebelsAdvancingOnCapitalReuters11April1994.pdf

11

L’ARRIVÉE DES RENFORTS FPR À KIGALI

29

Kigali ».92
Jusqu’au 10 avril, les autorités militaires françaises démentent les rumeurs
d’offensive du FPR, comme le souligne le rapport de la Mission d’information
parlementaire :
« L’ordre de conduite no 2 (10 avril 1994-21 heures 22) ne change pas la
Mission ni les règles de comportement. Il signale le démarrage effectif de l’offensive du FPR, qu’il situe le 10 avril dans l’après-midi, et non pas le 6, comme
certains l’ont parfois hâtivement affirmé ».93
Le rapport dit encore :
Un message de l’attaché de défense du 10 avril indique “Le 10, en
province, le FPR a mis à exécution sa menace et a fait progresser,
dans l’après-midi, l’équivalent de deux bataillons jusqu’à 10 et 15
km au nord de Kigali, tout en tentant de couper l’axe descendant
de Kagitumba vers le sud”.
Cette information donnée par les militaires français et confirmée
à Kigali par les autorités rwandaises lors de la visite des rapporteurs, écarte définitivement l’argument selon lequel le FPR aurait
procédé dès le 6 avril au matin à des mouvements de troupe pour
être dans Kigali dès le 6 au soir, ce qui aurait pu donner à penser
qu’il connaissait le projet d’attentat contre l’avion présidentiel.94
Pourtant, l’amiral Lanxade annonce le 9 avril l’offensive du FPR.95
Le 10 avril, le capitaine français Eric Millet96 déclare à propos des renforts
du FPR : « on ne sait pas quel front ils ont atteint ».97
Le 11 avril, un officier français déclare que des unités FPR sont arrivées à
2,5 km de l’école française :
“The first RPF (Rwanda Patriotic Front) frontline unit is 2.5
kms away from the French school in downtown Kigali,” a French
military commander who declined to be named told Reuters.
Earlier in the day, RPF commanders said their guerrilla force
was closing from three sides to rescue a 600-strong rebel contingent
battling government soldiers in the chaotic city.98
92 Richard

Tripault, France 3, 10 avril 1994, 12 h, archives INA.
Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994 [10, Rapport, p. 254] http://www.
francegenocidetutsi.org/RapportMIP.pdf#page=267
http://www.assemblee-nationale.
fr/dossiers/rwanda/r1271.asp
94 Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994 [10, Rapport].
95 Le
FPR « ferait » mouvement vers Kigali, selon le chef d’étatmajor
français,
AFP,
9
avril
1994.
http://www.francegenocidetutsi.org/
LanxadeFPRferaitMouvementVersKigaliAFP9avril1994.pdf
96 Le capitaine Eric Millet fait partie du 3e RPIMa.
97 Annie Thomas, Kigali, la mort et la fuite, AFP, 10 avril 1994. http://www.
francegenocidetutsi.org/AnnieThomasKigaliMortFuiteAFP10avril1994.pdf
98 Peter Smerdon, Rebels reported on the edge of Rwandan capital, Reuters, April 11, 1994.
http://www.francegenocidetutsi.org/RebelsOnTheEdgeOfKigaliReuters11April1994.
pdf Traduction de l’auteur : « La première unité FPR venant de la ligne de front se trouve à
93 MIP,

11

L’ARRIVÉE DES RENFORTS FPR À KIGALI

30

Une note DGSE décrivant la situation à Kigali le 11 avril à 14 h signale que
des troupes du FPR « sont déjà dans le quartier de l’hôpital et s’approchent du
palais du gouvernement situé près de l’Ambassade de France ».99
Depuis Kampala, le FPR affirme lundi 11 avril que « ses renforts de troupes
avaient atteint les faubourg de Kigali, et étaient prêts à lancer l’assaut sur la
capitale ».100
Cependant, des membres de la MINUAR assurent que des renforts du FPR
sont arrivés avant le 11. Lors de son audition par la commission d’enquête du
Sénat belge, le colonel Walter Balis de la MINUAR affirme qu’un bataillon FPR
de renfort est arrivé à Kigali dans la nuit du 8 au 9 avril :
Dans la nuit du 7 au 8 avril, le général Dallaire a fait savoir que le
comité de crise était prêt à chercher une solution. Kagamé a répondu
qu’il ne faisait pas confiance au comité de crise et qu’il allait faire
venir un bataillon supplémentaire à Kigali. Ce bataillon est arrivé la
nuit suivante. La frontière sud de la zone démilitarisée n’est séparée
de Kigali que par 26 km.101
Le colonel Balis réitère son témoignage devant la commission Mucyo. Ayant
évoqué le message de Paul Kagame à Dallaire dans la nuit du 7 au 8 avril,
disant que « ma première démarche sera d’envoyer un bataillon supplémentaire
à Kigali », Balis poursuit :
C’est sans doute le bataillon que j’ai vu arriver au CND la nuit
d’après, la nuit du 8 au 9. Quand ils sont arrivés, il faisait noir, je
n’ai pas pu les compter, mais c’était quand même pas mal de gens.
Ordre de grandeur : un bataillon, qui est resté quelques heures au
CND et qui est reparti dans la même nuit. J’ai demandé ce qu’ils
allaient faire, mais on n’a pas voulu me le dire. Je suppose qu’ils
sont allés à Kigali pour, selon Colette Braeckman, sauver ceux qui
pouvaient encore l’être.102
Pour arriver à Kigali dans la nuit du 8 au 9 avril, il fallait partir au minimum
le 8 au matin, mais le chef des observateurs militaires, cité plus haut, n’a rien
remarqué. Luc Marchal corrobore le témoignage de Balis : « Il est vrai que le
2.5 km de l’école française dans le centre de Kigali », a déclaré à l’agence Reuters un officier
français qui a voulu conserver l’anonymat. Plus tôt dans la journée, des officiers du FPR ont
dit que les forces de la guérilla approchaient par trois côtés pour porter secours au bataillon
de 600 hommes qui se bat contre les soldats gouvernementaux dans la ville en proie au chaos.
99 Fiche particulière Rwanda - Situation à Kigali à 14 heures, DGSE, no 18508/N, 11 avril
1994.
100 Le FPR affirme que ses combattants sont prêts à lancer l’assaut sur Kigali,
AFP,
Kampala,
11
avril
1994.
http://www.francegenocidetutsi.org/
FPRlanceAssautKigaliAFP11avril1994.pdf
101 Audition du colonel Balis, Commission d’enquête parlementaire du Sénat belge [13, CRA
1-62, 29 mai 1997, p. 587].
http://www.francegenocidetutsi.org/SenatBelgiqueAudition29mai1997DeLoeckerBalis.
pdf#page=19
102 Déposition du colonel Walter Balis, 23 avril 2007. Cf. Rapport Mucyo [3, Annexes, p. 24].

11

L’ARRIVÉE DES RENFORTS FPR À KIGALI

31

bataillon de Charles Kayonga n’est plus esseulé. Dans la nuit du 8 au 9 avril, il
a déjà reçu le renfort d’un bataillon qui s’est infiltré à travers les positions des
FAR ».103
Colette Braeckman reprend le témoignage de Balis : « Dans la nuit du 8 au
9, Ballis [Balis] voit arriver des hommes qui, à marche forcée, sont arrivés à
pied depuis Mulindi, à plus de 100 kilomètres. Après un bref repos, ils repartent
immédiatement et se dispersent dans la ville pour tenter de sauver ceux qui
peuvent encore l’être ».104
Le rapport du Sénat belge signale dans sa chronologie « Vendredi 8 avril 1994
12 h 30 - 14 h 15 : Arrivée des troupes FPR dans Kigali (elles se trouvaient à
25 km). »105 La source de l’information n’est pas indiquée. Aucune source ne
confirme l’arrivée de renforts FPR le 8 avril à Kigali à la mi-journée hormis
celles qui affirment que le FPR est passé à l’offensive le soir-même de l’attentat.
Une note de situation de l’armée belge du 8 avril à 19 h laisse entendre qu’un
bataillon FPR serait en route pour Kigali :
FPR DEMANDE L’ARRIVÉE D’UN DEUXIÈME BN À KIGALI POUR RÉTABLIR L’ORDRE / NE VEUT PAS D’ÉVACUTION PAR L’AÉROPORT.
FPR SERAIT EN ROUTE DE MULINDI VERS KIGALI ( ?)
[sic]106
Le général ghanéen Anyidoho affirme que les renforts FPR arrivent à Kigali
le 12 avril : « The advance by the east flank progressed extremely fast, with
only minor opposition en route. It was therefore possible for the first battalion
group from the brigade on the eastern front to enter Kigali on the 12 April,
only four days after the commencement of the advance over a space of about 75
kilometres. »107
Selon le général Dallaire, ils arrivent le matin du 10. Il note pour le 10 au
soir ce que lui rapporte son officier de renseignement Amadou Deme : « L’étau
du FPR autour de Byumba se resserrait et menaçait de cinq à sept bataillons de
l’AGR. [...] Selon le rapport de Deme, le FPR semblait s’être retiré de Ruhengeri
et mettait toute son énergie à étrangler Byumba et à ouvrir un lien terrestre
vers Kigali. Une colonne du FPR, qui avait quitté Mulindi à pied le 8 avril, était
arrivée ce matin en chantant à la garnison du FPR, au complexe du CND, après
103 Luc

Marchal [8, pp. 254-255].
Braeckman, Les heures poignantes du colonel Ballis [sic] au parlement rwandais, Le Soir, 5 avril 2007. http://www.francegenocidetutsi.org/
HeuresPoignantesBalisLeSoir5avril2007.pdf
105 Commission d’enquête parlementaire du Sénat belge [13, 1-611/7, section 3.8.2, p. 519].
http://www.francegenocidetutsi.org/SenatBelgique-r1-611-7.pdf#page=519
106 Adaptation Situation 00 NO 1 du 081900B APR 94, 8 avril 1994. http://www.
francegenocidetutsi.org/ArmeeBelgeSituation8avril1994.pdf
107 Henry Anyidoho [1, p. 32]. Traduction de l’auteur : L’avance sur le flanc est a progressé
très rapidement, rencontrant en route très peu d’opposition. Il a donc été possible au premier
bataillon de la brigade du front est de rentrer à Kigali le 12 avril, quatre jours seulement après
le début de l’offensive sur un espace d’environ 75 km.
104 Colette

11

L’ARRIVÉE DES RENFORTS FPR À KIGALI

32

deux jours et soixante kilomètres de marche en territoire ennemi à transporter
de lourds bagages et des armes ».108
Le Situation Report du 8 avril, déjà cité,109 rend tout à fait plausible les
affirmations des colonels Balis et Marchal selon lesquelles un bataillon FPR de
renfort est parvenu au CND dans la nuit du 8 au 9 avril. Le colonel Walter Balis
est d’autant plus crédible qu’il était sur place.
Selon Faustin Kagame, journaliste,110 et Privat Rutazibwa,111 qui accompagnaient le FPR au CND, un bataillon FPR est arrivé à Kigali le 11 avril à 16 h
pour porter secours au bataillon FPR assiégé. Le volume de cette troupe n’est
pas connu précisément. Ils seraient de l’ordre de trois bataillons selon Faustin
Kagame.112
Un rapport de situation des observateurs militaires des Nations Unies note :
1. ON 11 APRIL 94, ABOUT 300 RPF LIAISED WITH THEIR
FRINEDLY TROOPS AT CND AROUND 1600B. 02 OTHER BATTAILIONS (900) WERE FOLLOWING.
2. RPF INFILTRATED IN KICUKIRO, GIKONDO AND REBERO AND MADE CONTACT WITH GOVERNMENTAL FORCES.113
Ces renforts réussiront à s’emparer le 11 avril du mont Rebero, au sud de
Kigali et porteront secours le lendemain matin aux survivants du massacre des
réfugiés de l’ETO sur la colline de Nyanza.114
Ce bataillon est arrivé au CND le 11 avril en marchant à pied depuis Mulindi à une distance d’environ 42 km à vol d’oiseau de Kigali (mesuré par GoogleEarth) en évitant d’emprunter la route bitumée et en contournant les défenses des Forces armées rwandaises (FAR). À entendre certains témoignages,
il se serait mis en marche avant le 9 avril. Ainsi, Privat Rutazibwa, qui était au
CND à Kigali, se souvient en 2004 : « Au cinquième jour, un autre bataillon de
l’APR atteignit Kigali en provenance de Byumba. Les soldats de Alpha bataillon
avançaient en file indienne dans la vallée de Nyarutarama sous nos regards
éblouis. Ils avaient marché durant quatre jours pour porter secours au bataillon
du CND ».115 Suivant son comptage, ce bataillon aurait mis quatre jours. Il
serait donc parti le 7 avril.
108 Roméo

Dallaire [4, pp. 368-369].
Booh-Booh, Daily Sitrep 070600B Apr to 080600B Apr
94, UNAMIR, MIR-723, April 8, 1994. http://www.francegenocidetutsi.org/
UnamirSitrep7AprTo8Apr1994.pdf
110 Faustin
Kagame, Je n’ai pas vu le même film d’horreur que vous,
L’Hebdo,
19
mai
1994,
p.
13.
http://www.francegenocidetutsi.org/
Hebdo19940519FaustinKagameJeNaiPasVuLeMemeFilmDhorreurQueVous.pdf#page=5
111 Privat
Rutazibwa,
Kigali,
nuit
du
6
au
7
avril
1994,
L’Humanité,
7
avril
2004.
http://www.francegenocidetutsi.org/
PrivatRutazibwaKigaliNuitDu6au7avril1994Humanite7avril2004.pdf
112 Ibidem.
113 UNAMIR MIO, To FC. Subject : Complementary information, 12 April 1994. http:
//www.francegenocidetutsi.org/UnamirMio12April1994.pdf
114 Témoignage de Jeanne Uwimbabazi in Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994 [10,
Tome II, Annexes, p. 367]. http://www.francegenocidetutsi.org/JeanneUwimbabazi.pdf
115 Privat Rutazibwa, op. cit.
109 Jacques-Roger

12

LE 13 AVRIL, LE FPR DÉNONCE LE GÉNOCIDE

33

Des troupes de renfort du FPR sont donc arrivées à Kigali :
- dans la nuit du 8 au 9, un bataillon serait ainsi parti la veille de la zone
démilitarisée (colonels Walter Balis et Luc Marchal) ;
- le 10 au matin, mais on peut avoir des réserves sur la fiabilité des informations du capitaine sénégalais Amadou Deme rapportées par le général
Dallaire ;116
- le 11 avril.

12

Le 13 avril, le FPR dénonce le génocide

Le 13 avril, le représentant du FPR auprès des Nations Unies, Claude Dusaïdi,
dans une lettre au président du Conseil de sécurité, dénonce le génocide en
cours au Rwanda auquel la force des Nations Unies ne fait qu’assister : « a
crime of genocide has been committed against the Rwandese people in the presence of a United nations International force, and the International community
has stood by and only watched ». En l’absence d’action internationale pour sauver le peuple rwandais innocent (« in the absence of International action to save
innocent Rwandan people »), poursuit-il, le Front patriotique rwandais a l’obligation morale d’intervenir (« the Rwandese Patriotic Front is obliged and has
the moral responsability to protect Rwandese people from barbaric and savage
criminals »). Il a l’intention de neutraliser les éléments de l’armée rwandaise
qui sont responsables de ces massacres (« it is the intention of the Rwandese
Patriotic Front to neutralize elements of the Rwandese army that are responsible
for this massacres »). Il veut faire cesser ces massacres de Rwandais innocents,
de politiciens opposants et de Casques bleus (« bring an end to the senseless
killing of innocent Rwandans, opposition politicians as well as UN peacekeepers »). Il veut rétablir la loi et l’ordre (« and restore law and order »). Enfin,
il demande la formation immédiate d’un tribunal des Nations Unies pour les
crimes de guerre, l’arrestation de ceux qui ont commis des crimes contre l’humanité et leur traduction en justice. Il ajoute que les auteurs de ces atrocités
sont connus et peuvent être déférer en justice avec l’assistance de l’ONU.117
Le Front patriotique rwandais n’a fait en la circonstance que se conformer
à la Convention des Nations Unies pour la prévention et la répression du crime
de génocide. Il a été le seul. C’est lui qui a mis les tueurs en déroute.
116 Amadou Deme se révélera très proches des Interahamwe et, avec Michael Hourigan, il
accusera Paul Kagame d’avoir fait abattre l’avion d’Habyarimana. Cf. Amadou Deme, Rwanda
1994 et l’échec des Nations Unies : Toute la Vérité, 2014. http://www.francegenocidetutsi.
org/AmadouDemeDoc25.pdf .
117 Claude Dusaïdi à Colin Keating, New York, 13 avril 1994. Cf. From Annan to BoohBooh/Dallaire, 13 April 1994, TPIR, Case No : ICTR 98-41-T Exhibit No : DNT 107 Date
admitted : 13-5-2005 Tendered by : Defence Name of witness : H. Strizek.
http://www.francegenocidetutsi.org/DusaidiKeating13avril1994Genocide.pdf

13

13

LE FPR INTERVIENT POUR FAIRE CESSER LES MASSACRES

34

Le FPR intervient pour faire cesser les massacres

Ces brefs rappels montrent que le FPR est intervenu pour faire cesser les massacres parce que les Casques bleus de la MINUAR y assistaient sans s’y opposer.
Il est faux d’affirmer que le FPR est passé à l’offensive le 7 avril. Ce jour-là, Paul
Kagame discutait avec le général Dallaire des moyens d’arrêter les massacres.
Celui-ci a décidé de ne pas s’y opposer et a sommé le FPR de ne pas rompre le
cessez-le-feu. Alors qu’il était bombardé, le bataillon FPR est sorti du CND le
7 avril à 16 h pour assurer sa défense. Un bataillon a été mis en marche depuis
Mulindi le 7 avril au soir pour aider d’éventuels éléments modérés des FAR à
stopper les massacres. Il est arrivé dans la nuit du 8 au 9 avril à Kigali.
Il est assez mesquin d’insinuer que le FPR a profité de la vacance du pouvoir
pour passer à l’offensive. C’est exactement l’inverse. Ce sont les extrémistes du
Hutu Power qui, appuyés par les troupes d’élite des FAR et par l’ambassade de
France, ont profité de la vacance du pouvoir pour installer leur gouvernement dit
des Abatabazi [des sauveurs], qui n’était en fait qu’un gouvernement de tueurs.
Jean Chatain, envoyé spécial de L’Humanité au Rwanda en 1994, avait déjà
dénoncé cette inversion de l’ordre des événements : « Certains commentateurs
français, écrivait-il, parlent de “massacres interethniques sur fond de guerre civile.” Il y a là un double mensonge par omission. La première partie de la phrase
rend responsables des atrocités les deux camps en présence. Or les massacres ont
exclusivement visé les adversaires politiques de l’ex-parti unique MRND et son
allié CDR, puis la minorité tutsie promue par la dictature au rôle de victime
expiatoire. La seconde partie de cette même assertion inverse l’ordre des événements. Ce n’est pas la reprise de la guerre civile qui a provoqué le génocide,
ce sont les massacres qui ont précédé et entraîné la reprise des affrontements
militaires entre les forces du FPR et celles de la dictature ».118

14

Pourquoi le récit des événements est-il falsifié ?

Quel est l’intérêt à faire porter sur le FPR l’accusation d’avoir rompu le cessez-lefeu en passant à l’attaque après l’attentat contre l’avion du président rwandais ?
Cela permet de lui attribuer la responsabilité de cet attentat alors que les
éléments matériels l’incriminant sont absents et les témoignages sont faux. Cela
permet aussi de lui attribuer la responsabilité du génocide en affirmant qu’il
est passé à l’attaque pour prendre le pouvoir car il ne pouvait sortir vainqueur
des élections prévues par les Accords d’Arusha. C’est la thèse distillée par le
journal Le Monde le 8 avril 1994 : « Les observateurs estiment qu’à court terme,
118 Jean Chatain, De Nyamirambo à la colline des Tutsis, récit d’un génocide, L’Humanité,
2 juin 1994.
http://www.francegenocidetutsi.org/DeNyamiramboAlaCollineDesTutsiHumanite2juin1994.
pdf

15

BOUTROS-GHALI INVERSE L’ORDRE DES ÉVÉNEMENTS

35

le FPR sortait gagnant des accords d’Arusha, avec un nombre de portefeuilles
ministériels et une présence dans la future armée nationale sans rapport avec
sa représentativité dans la population puisque celle-ci compte moins de 15%
de Tutsis. Ces mêmes observateurs font valoir qu’une fois passée la période de
transition, le FPR “n’avait aucune chance de conserver les acquis d’Arusha”.
Ce qui expliquerait, à leurs yeux, une éventuelle stratégie visant à s’imposer par
les armes ».119
Il s’agit d’ériger le FPR comme cause du génocide, ainsi que prétend le
démontrer le juge Bruguière : « Le général Paul Kagame, affirme-t-il, avait délibérément opté pour un modus operandi qui, dans le contexte particulièrement
tendu régnant tant au Rwanda qu’au Burundi entre les communautés Hutu et
Tutsi, ne pouvait qu’entraîner en réaction des représailles sanglantes envers la
communauté Tutsi qui lui offriraient le motif légitime pour reprendre les hostilités et s’emparer du pouvoir avec le soutien de l’opinion internationale ».120
C’est aussi la thèse selon laquelle les Tutsi voulaient reprendre le pouvoir
perdu en 1959, thèse répétée par les médias à la solde des organisateurs du
génocide comme la radio Mille Collines.
Cette thèse du FPR attaquant en premier permet aussi de considérer le
génocide comme une lutte interethnique ou comme une guerre civile. Les troupes
du FPR ont été qualifiées de « rebelles » par tous les journalistes et sont encore
considérées comme telles dans les études universitaires. Répétons-le encore une
fois : depuis le 4 juillet 1993, le FPR était partie prenante des accords de paix,
il n’était plus rebelle.
Cette thèse a permis de ne voir dans les massacres qu’une guerre et de
justifier le point de vue français, largement partagé par le Conseil de sécurité
de l’ONU : il fallait obtenir un cessez-le-feu et ramener les parties à la table de
négociation.
Enfin, affirmer que le FPR a rompu le cessez-le-feu et le traiter de « rebelle »
est une manière pour les Français qui disent défendre les Droits de l’homme de
passer sous silence le fait que c’est le FPR qui s’est dressé seul contre le génocide
et qui y a mis fin au prix de la mort de nombreux de ses jeunes soldats.

15

Boutros-Ghali inverse l’ordre des événements

Un exemple capital de falsification du récit des événements a été fourni par le
Secrétaire général des Nations Unies, Boutros Boutros-Ghali, dans sa lettre du
20 avril 1994.121 Il y écrit notamment :
2. Cet incident tragique [l’attentat du 6 avril] a déclenché une tuerie généralisée, principalement à Kigali, mais également dans d’autres
119 Jean Hélène, De violents combats ont éclaté dans la capitale rwandaise, Le Monde, 8 avril
1994, p. 3.
120 Jean-Louis Bruguière, Ordonnance [2, p. 61]. http://www.francegenocidetutsi.org/
OrdonnanceBruguiere.pdf
121 ONU, S/1994/470. http://www.francegenocidetutsi.org/sg-1994-470fr.pdf

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BOUTROS-GHALI INVERSE L’ORDRE DES ÉVÉNEMENTS

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régions du pays. La violence semble avoir une dimension tant politique qu’ethnique. On n’a pas encore pu évaluer avec certitude le
nombre des victimes, mais il pourrait être de l’ordre de dizaines de
milliers.
3. Des rapports dignes de foi indiquent clairement que des éléments insubordonnés de la Garde présidentielle ont été à l’origine
du massacre et que la violence s’est rapidement propagée à toute
la ville. En dépit de tous les efforts déployés par la Mission des Nations Unies pour l’assistance au Rwanda (MINUAR), le bataillon des
forces de sécurité du Front patriotique rwandais (FPR) cantonné à
l’intérieur du complexe du Conseil national de développement a fait
une sortie et entrepris d’attaquer des troupes gouvernementales, notamment des éléments de la Garde. Des unités du FPR venant de la
zone démilitarisée ont également gagné Kigali où elles sont venues
grossir les rangs des combattants. Le pouvoir s’est effondré et on a
assisté à la désintégration du gouvernement provisoire dont quelques
membres ont été tués. Un gouvernement intérimaire a été proclamé
le 8 avril 1994, mais s’est révélé incapable d’asseoir son autorité et
le 12 avril il a quitté la capitale à la suite de l’intensification des
combats entre forces armées et FPR. Depuis, il semble que, du côté
du gouvernement, les seuls interlocuteurs soient le Ministre de la défense et le haut commandement des forces gouvernementales, dont
la direction a récemment changé. La violence a eu pour conséquence
particulièrement tragique l’assassinat sauvage par des éléments insubordonnés des forces gouvernementales d’Agathe Uwilingiyimana,
premier ministre, d’autres membres du gouvernement et de 10 soldats du contingent belge de la MINUAR.122
Ce texte falsifie les faits et leur succession historique, alors que l’ONU dispose
sur place, à Kigali, de plus de 2 500 personnes dont les responsables peuvent
communiquer avec New York. Ce qui frappe le plus, c’est cette inversion chronologique. L’assassinat du Premier ministre est rejeté à la fin et, au début, c’est le
FPR qui passe à l’attaque. Le texte fait croire qu’en conséquence, « le pouvoir
s’est effondré ». Le but est clair : il s’agit de renverser les causalités. Boutros
Boutros-Ghali voudrait-il insinuer que d’abord le FPR a attaqué et que les massacres s’en s’ont suivis ? Il s’inspire de la relation des faits très ambiguë faite par
Jacques-Roger Booh-Booh aux points 1 à 10 de son télégramme du 8 avril.123
Pour faire croire que le FPR est l’agresseur, il passe sous silence les offres
du FPR d’intervention avec les FAR pour arrêter les massacres (point 7) et
dans la partie rédigée par le général Dallaire, les tirs de la garde présidentielle
122 Rapport spécial du Secrétaire général sur la Mission des Nations Unies pour l’assistance au Rwanda, 20 avril 1994, ONU, S/1994/470. http://www.francegenocidetutsi.org/
sg-1994-470fr.pdf
123 Code Cable From Booh-Booh UNAMIR to Annan/Goulding Unations, An Update on
the Current Situation in Rwanda and Military Aspects of the Mission, 8 avril 1994. http:
//www.francegenocidetutsi.org/BoohBoohAnnan8avril1994.pdf

RÉFÉRENCES

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sur le FPR (point 13), les affrontements entre cette garde présidentielle et des
éléments des FAR (point 17).
Critiquant ce rapport du 20 avril de Boutros Boutros-Ghali, qui estime que la
priorité est d’obtenir un cessez-le-feu, le rapporteur de la Mission d’information
parlementaire reconnaît que les massacres ont précédé la reprise des combats :
« Le Secrétaire général estime à l’évidence que les massacres ne sont que la
conséquence de la reprise des combats alors même qu’ils les ont précédés et
qu’ils obéissent à leur propre logique, celle d’un génocide ».124
Donnons acte au rapporteur de ce constat lucide mais tardif et conseillons
aux faussaires qui se font passer pour des spécialistes du « génocide rwandais »
de méditer cette phrase.

Références
[1] Henry Kwami Anyidoho : Guns over Kigali. Woeli Publishing services,
1997. The rwandese civil war–1994 (a personal account), Accra.
[2] Jean-Louis Bruguière : Délivrance de mandats d’arrêts internationaux Ordonnance de soit-communiqué. 17 novembre 2006.
[3] Commission Nationale Indépendante chargée de rassembler les
preuves montrant l’implication de l’État Francais dans le génocide perpétré au Rwanda en 1994 : Rapport. République du
Rwanda, 15 novembre 2007.
[4] Roméo Dallaire : J’ai serré la main du diable - La faillite de l’humanité
au Rwanda. Libre expression, 2003. Traduction de : Shake Hands with the
Devil.
[5] Roméo Dallaire : Shake Hands with the Devil - The Failure of Humanity
in Rwanda. Arrow Books, 2004.
[6] Jean-François Dupaquier : L’agenda du génocide. Le témoignage de Richard Mugenzi, ex-espion rwandais. Karthala, septembre 2010.
[7] André Guichaoua : De la guerre au génocide. Les politiques criminelles
au Rwanda (1990-1994). La Découverte, 2010.
[8] Colonel Luc Marchal : Rwanda : la descente aux enfers. Labor, Bruxelles,
2001.
[9] Jean-Marie Milleliri : Un souvenir du Rwanda. L’Harmattan, 1997.
[10] Paul Quilès : Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994. Assemblée nationale, rapport no 1271, http://www.assemblee-nationale.fr/
dossiers/rwanda.asp, 15 décembre 1998. Mission d’information de la
124 Rapport MIP, op. cit., p. 284. http://www.francegenocidetutsi.org/RapportMIP.pdf#
page=300

RÉFÉRENCES

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commission de la Défense nationale et des Forces armées et de la commission des Affaires étrangères, sur les opérations militaires menées par la
France, d’autres pays et l’ONU au Rwanda entre 1990 et 1994.
[11] Filip Reyntjens : Rwanda, trois jours qui ont fait basculer l’histoire.
Cahiers africains - L’Harmattan, Vol. 16, 1995. Dépôt légal : février 1996.
[12] Filip Reyntjens : Le génocide des Tutsi au Rwanda. Que sais-je ?, PUF,
avril 2017.
[13] Sénat de Belgique - Commission des Affaires étrangères : Commission d’enquête parlementaire concernant les événements du Rwanda 1611/(7-15) 1997/1998. Sénat belge, 6 décembre 1997.

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