Author-card of document number 19071

Num
19071
Date
Lundi 5 décembre 1994
Ymd
Size
139579
Uptitle
Le vice-président met la communauté internationale face à ses responsabilités
Title
Les vérités de Paul Kagame, « l'homme fort » de Kigali
Subtitle
Le génocide. Les droits de l'homme. Les rapports avec la France. Entretien sur quelques sujets brûlants.
Quoted name
Source
Type
Article de journal
Language
FR
Citation
La première question qui se pose à Paul Kagame, vice-président du Rwanda est celle du respect des droits de l'homme à l'intérieur du pays, qui conditionne le retour des réfugiés.

- En fait, je m'attendais à ce que la situation soit pire encore qu'elle ne l'a été. Dans les semaines qui ont suivi le génocide, le pays aurait pu glisser dans le chaos total, mais nos soldats ont su faire preuve de retenue. On devrait plutôt le reconnaître. Certes, il y a eu des cas individuels, où les gens ont fait justice eux-mêmes, mais ce n'était pas le fait d'une volonté planifiée dans le chef du gouvernement: des soldats sont, littéralement, devenus fous en découvrant les squelettes de tous leurs membres de leurs familles. Je sais qu'à Butare notamment cela s'est passé mais les responsables ont été punis.

Souhaitez-vous réellement le retour des réfugiés, qui est l'une des conditions de la reprise de l'aide internationale?

- Certainement, nous souhaitons ce retour, mais pas à n'importe quel prix. Pas au prix de l'amnistie, comme on semble le suggérer: nous avons l'obligation morale de faire la justice. Par rapport aux victimes, qui ne pourraient admettre le contraire, mais aussi pour qu'une telle situation ne se reproduise plus jamais. Par ailleurs, la communauté internationale est également responsable du problème que représentent les réfugiés: davantage d'argent est donné à l'extérieur du pays qu'aux cinq millions de Rwandais qui vivent ensemble, pacifiquement à l'intérieur. Nos soldats ne sont toujours pas payés, nous n'avons pas les moyens de mettre en place un système judiciaire efficace. A l'extérieur, il y a beaucoup de gens qui ont du sang sur les mains, et qui vivent mieux qu'auparavant, ils reçoivent médicaments, couvertures, nourriture...

Un droit de poursuite au Zaïre si nécessaire



Redoutez-vous la menace militaire des forces de l'ancien régime. Comment réagiriez-vous en cas d'offensive depuis le Zaïre?

- Nous savons que la communauté internationale n'a pas réussi à séparer soldats et miliciens de la population civile, que les militaires ont toujours accès à leurs armes, que des menaces existent. Si une offensive devait se déclarer, si nous avions la certitude d'une implication des autorités zaïroises, nous pourrions alors exercer le droit de poursuite. Cela pourrait mener à un embrasement régional.

Comment expliquez-vous sinon l'hostilité, du moins la non-assistance de la communauté à votre égard?

- Notre victoire a suscité de l'amertume parmi ceux qui ont longtemps soutenu la dictature, et qui ne veulent pas reconnaître leurs erreurs... Tout se passe comme s'ils voulaient nous faire échouer. Ce qu'ils nous reprochent, c'est de ne pas avoir dépendu d'eux pour arriver au pouvoir, les forces étrangères n'ont donc aucun contrôle sur nous. Nous essayons de créer un pays qui sera une patrie pour tous les Rwandais, où la distinction Hutu-Tutsi sera affaire personnelle, qui sera un état de droit. On nous parle de l'oppression des Tutsis autrefois: cette situation est à rejeter parce que toute oppression est condamnable. L'oppression du régime Habyarimana l'était également.

Pourquoi, alors que vous aviez capturé 18 militaires français dans la région de Kibuye à la veille de l'Opération Turquoise avez-vous refusé d'en faire état?

- Nous avions conclu un gentlemen's agreement, afin que personne ne perde la face. Et aujourd'hui encore je préfère ne pas en parler...

Juger les coupables au Rwanda



Pourquoi le Rwanda s'est-il prononcé contre le tribunal international, alors qu'il avait été le premier à le réclamer?

- Parce que les coupables seront jugés en dehors du pays, détenus dans des prisons étrangères. Parce que la peine de mort, prévue dans le droit rwandais, ne pourra leur être appliquée, alors qu'ils sont responsables de la mort de centaines de milliers de personnes. Parce que la pérIode incriminée commence le 1er janvier 1994, alors qu'à cette date tout était déjà préparé... Toutes ces dispositions nous semblent assez cyniques...

Avez-vous été surpris par le génocide?

- Non, nous en connaissions les préparatifs, c'est pour cela que nous insistions sur la sécurité de notre bataillon dans Kigali. En outre, nous connaissions toutes les réticences à appliquer les accords d'Arusha, nous savions que les Tutsis, les opposants, étaient en quelque sorte pris en otages. La guerre a permis au régime d'agir plus ouvertement, des listes existaient déjà alors.

Les accords d'Arusha sont-ils caducs?

- Pas du tout; nous estimons que nous en avons respecté l'esprit en participant à un gouvernement de coalition, avec tous les partis modérés. S'il reste quelque chose de l'esprit d'Arusha, c'est bien grâce à nous. Les autres ont brisé l'accord.

Propos recueillis par

COLETTE BRAECKMAN

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