Fiche du document numéro 18891

Num
18891
Date
Dimanche 26 juin 1994
Amj
Taille
25461
Titre
Ségolène Royal : « Les pressions faites par la France n'ont pas abouti puisque les extrémistes des deux côtés ont refusé cet équilibre des pouvoirs »
Sous titre
Transcription partielle de l'émission « L'Heure de vérité » diffusée sur France 2 le 26 juin 1994.
Nom cité
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Mot-clé
Résumé
Ségolène Royal: "African politics is always caught in a contradiction. That is to say, either we reinforce the powers in place because we say to ourselves at least it is stability, we avoid ethnic wars or wars Either we push for democratization, we organize elections, which often lead to extremely violent conflicts. […] I believe that we must remain faithful to the principles of the discourse of La Baule, where we submitted the aid of France has new principles of democracy. […] There are three things in democracy: there are elections, there is the rule of law and there are human rights. Elections are always easy to organise. Only if there is not, and that takes much longer to put in place, the rule of law and the human rights that accompany it, at that point democracy switches to the tribal struggles. So perhaps instead of forming armies, we should train, for example, gendarmeries. Because that's what was lacking in Rwanda. I believe that it is an inter-ethnic, well-trained gendarmerie, which has learned what human rights are and what the rule of law is. But that is much slower than organizing elections. […] French aid must be subject to changes in the democratic process. This is what was done in Rwanda thanks to France, since there were the Arusha Accords in 1993 which made it possible for the minority of this country to participate in the government. So it was done, the pressure was put on by France! They did not succeed because the extremists on both sides refused this balance of power. Because the rule of law is always much slower to put in place. France must hold firm. And besides, it must also hold firm everywhere! And I think there have been some setbacks. Everyone knows that, on Rwanda, there was a very strong conflict within the Balladur government, between Mr. Juppé and Mr. Roussin who precisely wanted to go back on these principles put in place and on this conditioning of democracy on French aid . So let's be careful not to go back and have a good conception of human rights".
Source
Fonds d'archives
INA
Type
Langue
FR
Citation
[…]

Albert du Roy : Alors deuxième, euh, question d'actualité : le Rwanda. Le Rwanda. À votre avis, qu'est-ce qui, euh, a pesé le plus dans la décision française d'intervenir, euh, sur le terrain ? Est-ce que c'est la raison morale -- il faut, euh, voler au secours de gens qui se font massacrer. Ou est-ce que c'est la raison politique -- il faut, euh, jouer…, ne…, continuer à jouer notre rôle dans notre zone d’influence ?

Ségolène Royal : J'crois qu'c'est un peu les deux. Mais en même temps, euh, il faut quand même rappeler que la politique africaine est toujours prise dans une contradiction.

Albert du Roy : Oui.

Ségolène Royal : C'est-à-dire soit on conforte, euh, les pouvoirs en place parce qu'on se dit au moins c'est la stabilité, on évite les guerres ethniques ou les guerres tribales. Soit on pousse, euh, à la démocratisation, on organise des élections, et qui débouchent souvent sur, euh…, euh, des conflits extrêmement violents.

Albert du Roy : Alors qu'est-ce qu’un gouvernement de gauche devrait faire ?

François-Henri de Virieu : Qu'est-ce que nous devrions faire ?

Ségolène Royal : Le gouvernement de gauche, il a…, il a défini sa doctrine en matière de politique africaine dans le discours …, dans le…

Albert du Roy : Oui mais qui n'a pas échappé à cette ambiguïté que vous décrivez très bien.

Ségolène Royal : Qui n'a pas échappé à cette ambiguïté parce qu'il y a beaucoup de pesanteurs. Mais qui en même temps…

Albert du Roy : Alors il faut ne pas y…, il faut…, il faut renoncer à y échapper ?

Ségolène Royal : Non, j'crois qu'il faut rester fidèle aux principes du discours de La Baule, c’est-à-dire…, qui pour la première fois…, où on a soumis l’aide de la France à de nouveaux principes de démocratie.

Albert du Roy : Est-ce qu'on est resté fidèle depuis le discours de La Baule -- qui prônait la démocratisation --, est-ce qu'on est resté fidèle à ces principes ?

François-Henri de Virieu : Le discours de Monsieur Mitterrand, il faut le rappeler.

Ségolène Royal : On a…, on a essayé de rester fidèle.

Albert du Roy : Mais on n'y est pas parvenu ?

Ségolène Royal : Mais la…, la difficulté, c'est que…, dans la démocratie, il y a trois choses dans la démocratie, hein : y'a les élections, y'a l'État de droit et y'a les droits de l'Homme. Les élections, c’est toujours facile à organiser. Seulement si il y a pas -- et ça c'est beaucoup plus long à mettre en place -- l'État de droit et les droits de l'Homme qui l'accompagnent, à ce moment-là la démocratie bascule vers les…, les luttes tribales [gros plan sur Martine Aubry qui est assise dans le public]. Alors peut-être qu'au lieu de former, euh, des armées, euh, il faudrait former par exemple, euh, des gendarmeries. Car c'est ça qui a manqué au Rwanda. Je crois que c'est une gendarmerie interethnique, bien formée, qui a appris ce qu'était les droits de l'Homme et ce qu'était l'État de droit. Mais ça c'est beaucoup plus lent que d'organiser les élections.

Albert du Roy : En un mot Madame Royal, si, dans un État africain -- parce que ça se pose comme ça le plus souvent --, si le prix à payer pour la paix civile, euh, c'est de soutenir un régime, euh, autoritaire, non démocratique, corrompu, est-ce qu'il faut payer ce prix ?

Ségolène Royal : Non, je ne crois pas, d'ailleurs ce n'est pas le sens du…, du discours de La Baule. Mais en même temps…

Albert du Roy : Non c'est pas le sens ! Mais c'est ce qui s'est fait souvent.

Ségolène Royal : Il faut faire pression ! Il faut faire pression, c'est-à-dire il faut à la fois soumettre l'aide française à une évolution du processus démocratique. C'est ce qui a été fait au Rwanda grâce à la France, puisqu'il y a eu les accords d'Arusha en 93 qui ont permis de faire participer au gouvernement la minorité de ce pays. Donc ça a été fait, les pressions ont été faites par la France ! Elles ont, euh…, elles n'ont pas abouti puisque les extrémistes de…, des deux côtés ont refusé cet équilibre des pouvoirs. Parce que comme je le disais tout à l'heure l'État de droit est toujours beaucoup plus lent à mettre en place. Il faut que la France tienne bon. Et d'ailleurs il faut qu'elle tienne bon aussi partout ! Et je crois qu'il y a eu certains reculs. Chacun sait que, sur le Rwanda, y'a eu un conflit très fort au sein du gouvernement Balladur, hein, entre Monsieur Juppé et Monsieur Roussin qui justement voulaient revenir sur ces principes, euh, mis en place et sur ces…, ce conditionnement de la démocratie à l'aide française. Donc faisons attention justement de ne pas revenir en arrière et d'avoir une bonne conception des droits de l'Homme. Je l'dis aussi pour la Turquie.

François-Henri de Virieu : Merci Albert du Roy. Et… merci Madame.

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