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Avec 27 de ses « affreux », il doit comparaître en correctionnelle à Paris à partir de lundi, pour le putsch de 1995 aux Comores. Atteint de la maladie d'Alzheimer, le célèbre mercenaire sera absent. La vérité aussi, sans doute.
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Ce fut un coup longuement préparé et rondement exécuté. Du travail de pros. Tout commence début 1995 à Bergen, en Norvège. Un sexagénaire répondant au nom de Bernard Martin (qui n'est autre que Bob Denard) y achète un câblier baptisé Le Vulcain et immatriculé au Panama. Acheminé à Rotterdam, le bateau subit quelques transformations. En juillet 1995, destination Tenerife, aux Canaries, où une trentaine de mercenaires montent à bord. « Nous allons là où vous savez que nous allons », lâche le « Vieux » (surnom que lui donnent ses pairs). En clair : cap sur les Comores, son fief. Le 28 septembre 1995, les flibustiers débarquent sur la Grande Comore et s'emparent de la capitale : Moroni. Le président Djohar est destitué. Les prisonniers politiques sont libérés. A Paris, le Premier ministre Alain Juppé annonce que la France n'interviendra pas. Le 4 octobre, l'armée française lance pourtant l'opération Azalée (1 000 hommes pour chasser les mercenaires). Le 5 octobre, Bob Denard ordonne la reddition. Pendant huit jours, les chiens de guerre sont détenus et « débriefés » par les militaires. Le 13 octobre, un avion les ramène au Bourget, menottés à leur siège. Voici les faits pour lesquels Robert Denard et vingt-sept de ses comparses (deux sont morts depuis) seront jugés du 20 février au 15 mars par le tribunal correctionnel de Paris. Chef d'inculpation : association de malfaiteurs. Sauf que le principal accusé ne participera pas aux audiences. Agé de 77 ans, le centurion retraité souffre de la maladie d'Alzheimer. A la requête de son avocat, Me Elie Hatem (commis d'office car son client ne touche qu'une retraite de 250 euros par mois, due à ses états de service pendant la guerre d'Indochine !), une expertise médicale l'a déclaré « inapte à comparaître ». Explication de Me Hatem : « Ses facultés intellectuelles sont altérées et, même s'il jouit encore d'instants de lucidité, il lui serait impossible de répondre à des questions précises. Peut-être se rendra-t-il à la première audience, mais c'est tout. » Triste destin pour cet homme qui fit rêver des générations d'aventuriers.
Faut-il encore le présenter ? Après un passage dans la Marine (l'épisode indochinois), il sert dans la police du Maroc au début des années 50. L'expérience se termine... en prison, pour un pseudo-complot contre Pierre Mendès France. Echaudé, il se fait VRP en électroménager. Erreur de casting. La bougeotte le reprend vite. En 1960, il lit un article de L'Aurore citant les exploits des mercenaires au Katanga (dans l'ex-Congo belge). Il achète un billet d'avion et file les rejoindre.
Sa vie est un roman
Bob Denard a toutes les qualités requises pour s'imposer : sens du commandement, génie de l'embrouille et courage physique (il sera blessé plusieurs fois). Dès lors, on le verra sous toutes les latitudes, son histoire se confondant avec celles d'une décolonisation tumultueuse : Yémen, Congo, Biafra, Bénin, Angola. Son coup de maître et son coup de coeur seront néanmoins pour les Comores. De 1978 à 1989, il en fut le vice-roi. Avec l'assentiment de la France, jusqu'à ce que le gouvernement socialiste décide d'en finir avec les « affreux », en 1989. Premier accroc dans une relation jadis fusionnelle. « En effet, commente Me Hatem, le parcours de Bob Denard est indissociable du jeu de dominos propre à la guerre froide. Toutes ses interventions ont servi les intérêts français, en particulier, et ceux du monde libre, en général. Elles se sont faites avec le ``feu vert'' (soutien officieux) ou le ``feu orange'' (couverture en cas de réussite mais désaveu en cas d'échec) des services français. L'affaire qui nous intéresse n'échappe pas à cette règle. En 1995, le président Djohar avait plongé l'archipel dans la corruption et la tyrannie. Il aurait commencé à inquiéter la France, et son départ serait devenu souhaitable. D'ailleurs, Paris s'est bien gardé de le remettre en place après l'opération. » Thèse confirmée par l'un des lieutenants de Bob Denard : « Six mois à préparer le coup, ça n'a pas pu passer inaperçu auprès des services ! Tout le monde savait où nous allions. Et puis, je connais le Vieux : lorsqu'il a appris que Paris déclarait les hostilités, il ne comprenait plus rien. C'est un coup de billard à plusieurs bandes. Dans un premier temps, on écarte un Djohar devenu encombrant. Ensuite, on éjecte ceux qui ont fait le sale boulot. » Manipulation au nom de la realpolitik ? Ou bien cafouillage au sommet de l'Etat ? Seule certitude : en pleine crise des essais nucléaires (automne 1995), l'opération antimercenaires a incontestablement redoré le blason de la France vis-à-vis de la communauté internationale. Et puis, Bob Denard faisait mauvais genre. Tout comme ses hommes, lansquenets égarés dans la modernité. Historiquement et politiquement incorrects. La France souhaitait tourner la page. Le vieux condottiere appartient désormais au passé. « Vous serez riches... en souvenirs ! » avait-il coutume de dire à ses reîtres. Vu sous cet angle, et même s'il vit dans un pavillon de banlieue et qu'il a perdu la mémoire, Bob Denard paraît multimilliardaire.
PAR JEAN-LOUIS TREMBLAIS