Fiche du document numéro 18192

Num
18192
Date
Lundi 18 mars 2013
Amj
Auteur
Taille
169653
Titre
Robert Bourgi, le généreux « ami » de François Fillon
Sous titre
Ce vétéran de la « Françafrique », formé par Jacques Foccart, a reconnu avoir payé deux costumes au candidat de la droite.
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
« Maison Arnys, bonjour. » Au téléphone, Robert Bourgi ne peut pas s’empêcher de blaguer. « Selon mes informations, c’est le pape François qui a acheté les costumes à Fillon », dit-il avant de s’esclaffer. En cette soirée de vendredi 17 mars, son nom fait les gros titres. Il vient de reconnaître que c’est bien lui, le généreux ami du candidat LR à la présidentielle, qui a réglé la facture du tailleur. « Bob » savoure un plat typique du Sénégal où il est né il y a bientôt 72 ans. Quelques heures plus tôt, le président de ce pays d’Afrique de l’Ouest, Macky Sall, l’a appelé : « Il m’a dit : “Même Fillon ! Robert, on n’a jamais autant parlé d’un Sénégalais.” » Et il rit à nouveau.

Sur l’échiquier politique français, le spectre de ce fou des intrigues et des manigances plane toujours sur la droite où il aime à faire et défaire ceux qui se piquent de devenir le roi. Il connaît de longue date François Fillon qu’il a feint de soutenir lors de la primaire de la droite. « Je n’ai jamais été associé de près ou de loin à ses déplacements au Sénégal, en Côte d’Ivoire et au Liban », jure-t-il. François Fillon est sans doute tombé dans le piège, sous le charme de ce vétéran de la Françafrique pourtant décrit comme sulfureux, voire tricard, mais qui n’a pas son pareil pour faire croire qu’il est incontournable. Voilà le candidat à la présidentielle humilié. Le « vieux Bourgi », comme il dit de lui-même, savoure son dernier scandale.

« Seule la déconne me guide aujourd’hui. La scène politique française m’amuse », dit-il avec détachement. Entre François Fillon et Nicolas Sarkozy, il n’hésite pas un instant. « On s’amuse mieux entre bandits, lâche-t-il, toujours en se marrant. Nicolas est un vrai copain, un ami. » Au point que certains se demandent aujourd’hui si la main de l’ancien président de la République n’est pas derrière le dernier rebondissement des affaires Fillon.

L’homme des secrets de la Françafrique



L’intermédiaire a servi des années durant Jacques Chirac puis Dominique de Villepin. Avec fidélité, avant d’être remercié, écarté et impliqué dans les batailles de clan et les règlements de comptes. « Il n’est pas calculateur mais calculé et, ces dernières années, il a été utilisé pour servir des agendas et régler des comptes, veut croire un ancien chef de la diplomatie français. Il était vraiment à sa place dans l’ombre, en tant qu’intermédiaire soucieux d’entretenir des relations complexes entre la France et l’Afrique francophone. »

L’homme des secrets de la Françafrique s’est alors mis à parler dans la presse, friande de ses révélations qu’il lâche avec une gravité surjouée. D’autant plus lorsqu’il affirme avoir transporté entre 1995 et 2005 près de 20 millions d’euros de cash dans des mallettes au profit de l’ancien président et de l’ancien premier ministre.

Volubile et charmeur, Robert Bourgi peut parler des heures sans rien dire, peu avare de confidences invérifiables, et toujours fidèle à l’une de ses maximes préférées : « Secret de deux, secret de toujours ; secret de trois, secret de tous ». Fils d’un grand commerçant libanais et gaulliste de Dakar, il s’est formé à la politique et aux manœuvres de l’ombre auprès de Jacques Foccart, le tout-puissant M. Afrique du général de Gaulle et de Pompidou. En 2007, alors qu’il lui remettait la Légion d’honneur, Nicolas Sarkozy aura ces mots : « Je sais que, sur ce terrain de l’efficacité et de la discrétion, tu as eu le meilleur des professeurs et que tu n’es pas homme à oublier les conseils de celui qui te conseillait jadis de rester à l’ombre pour ne pas attraper de coup de soleil. »

« Il est du passé et n’a plus sa place en Afrique »



Rapidement, Robert Bourgi se fait une place dans le milieu des intermédiaires entre la France et ses anciennes colonies. Son autre maître dont il tirera son influence et sa fortune se nomme Omar Bongo, indéboulonnable président du Gabon de 1967 jusqu’à sa mort, en juin 2009. Cet Etat pétrolier d’Afrique centrale était le centre des opérations clandestines d’ordre militaire ou financier, en cash. Encore aujourd’hui, Robert Bourgi aime à citer les adages de celui qu’il appelait « papa ». Avec une pointe de nostalgie de cette époque où il influençait le choix de l’ambassadeur de France au Gabon, faisait limoger un ministre de la coopération, orientait les soutiens financiers aux candidats à la présidentielle française.

A Paris, il navigue dans les réseaux du RPR, conseille officiellement Jacques Chirac et anime et surtout finance le Club 89, cercle de réflexion politique proche du RPR, qui bénéficiera des largesses d’Omar Bongo. En même temps, il séduit, conseille ou baratine des présidents comme Mobutu Sese Seko au Zaïre, Denis Sassou-Nguesso au Congo-Brazzaville, Abdoulaye Wade au Sénégal… Ceux qui sont encore vivants tiennent à distance cet intermédiaire flamboyant qui se vante d’être « plus africain que français ». Son numéro de charme passe moins bien.

« Il est de cette génération d’intermédiaires français qui ne respectent pas les Africains. Il a profité de certains chefs d’Etat mais il est du passé et n’a plus sa place en Afrique », dit Ibrahima Diawadoh N’Jim qui a conseillé Manuel Valls sur les questions africaines et religieuses. Même son de cloche du côté de Salif Diallo, ancienne éminence grise du président du Burkina Faso, Blaise Compaoré, qui avait été accusé par M. Bourgi d’avoir financé des partis politiques français avec de l’argent dissimulé dans des djembés. « C’est un menteur, un vulgaire porteur de mallettes qui nuit à l’Afrique et à la France. Il ne sert à rien aux Africains », lâche M. Diallo, aujourd’hui président de l’Assemblée nationale du Burkina Faso.

Instinct de survie



Malin, habile, il a pourtant su séduire et déjouer les guets-apens durant des décennies. Lorsqu’un intermédiaire libanais de haut vol impliqué dans les affaires de l’ancien groupe pétrolier Elf le convie, en présence de Loïk Le Floch-Prigent, ex-PDG de la société, à les rejoindre dans un grand hôtel de Londres, il sent le piège et vient en famille, empêchant ses interlocuteurs d’évoquer leur sujet initial. Ou encore, lorsqu’au début des années 1990, des tenants de la Corse-Afrique, mélange de politique africaine et de monde des affaires, parmi lesquels se trouvent Robert Feliciaggi et Michel Tomi, de passage à Paris, débarquent à l’improviste à son cabinet parisien, il les congédie sans ménagement. Il sait que ces personnalités font sûrement l’objet de surveillances policières et ne souhaite pas être associé à leurs affaires.

Fidèle au conseil de son mentor, Jacques Foccart, il a évité un autre piège de l’intermédiaire en Afrique, la dispersion. « Ne jamais travailler dans les matières premières ou dans les jeux », aime-t-il à rappeler à ses visiteurs qui l’interrogent sur les raisons de sa longévité.

Il n’a jamais succombé à la frustration de l’intermédiaire fâché de ne pas apparaître à la lumière et de ne pas être reconnu à sa juste valeur. Combien de porteurs de valises d’espèces servant à financer les partis politiques dans les années 1980 et 1990 ont été emportés dans les bourrasques judiciaires faute d’avoir su rester à leur place ? L’instinct de survie et l’intuition de Robert Bourgi l’ont toujours préservé, à ce jour.

Assurance-vie



« A la mort d’Omar Bongo, il a perdu de son influence en Afrique francophone mais aussi en France, souligne le journaliste et écrivain Antoine Glaser. Il a réussi comme intermédiaire en Afrique du temps de la guerre froide mais l’Afrique mondialisée d’aujourd’hui, il ne la comprend plus. Robert Bourgi, ce n’est plus possible aujourd’hui. »

L’avocat qui n’a jamais plaidé de sa vie continue toutefois de recevoir quelques conseillers de chefs d’Etat africains et des opposants dans son cabinet du 16e arrondissement. Le visiteur est scruté par le regard d’Omar Bongo dont les photos ornent les murs. Son terrain de jeu s’est rétréci. L’héritier autoproclamé de Foccart se contente du champ de bataille de la droite française. Il s’amuse comme il peut. Il a fait rédiger ses Mémoires par un journaliste à qui il a consacré plus de cent heures d’entretien.

L’ouvrage est achevé. Nicolas Sarkozy l’a lu et l’a convaincu de racheter les droits d’auteur et d’annuler la sortie du livre. « Robert, si ce livre sort, il n’y a plus de classe politique dans ce pays », lui aurait dit l’ancien chef d’Etat. Robert Bourgi s’en amuse. Ses secrets, veut-il croire, constituent son trésor et son assurance-vie. Ce qui le fait rire aux éclats.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024