Fiche du document numéro 17975

Num
17975
Date
Samedi 28 janvier 2017
Amj
Taille
477229
Titre
Le général Jeannou Lacaze, conseiller de Mobutu puis de Joseph-Désiré Kabila
Nom cité
Type
Note
Langue
FR
Citation
Le général Jeannou Lacaze, conseiller de Mobutu
puis de Joseph-Désiré Kabila
Jacques Morel
28 janvier 2017, v0.3
Résumé
Comment un vétéran des guerres coloniales, ancien directeur du renseignement au SDECE, a-t-il pu être nommé chef d’état-major des armées
par un président de droite, Valéry Giscard d’Estaing, et maintenu à ce
poste par un président de gauche, François Mitterrand ? La carrière de
Jeannou Lacaze vient montrer que l’opposition droite-gauche n’a aucune
réalité quant à la conduite des opérations militaires et clandestines visant à maintenir de nombreux pays africains indépendants sous l’emprise
française. Toujours actif après sa retraite, Lacaze a contribué sous le président Chirac à retourner Laurent-Désiré Kabila, le tombeur de Mobutu,
et à devenir son conseiller. Ainsi la France reste un acteur incontournable
en Afrique au prix d’innombrables champs de cadavres.

1

Parcours militaire

Fils d’un fonctionnaire colonial et d’une femme d’origine chinoise, Jeannou
Lacaze est né en Indochine le 11 février 1924. À 20 ans, il rejoint les Forces
françaises libres (FFI) en 1944. Sorti de Saint-Cyr, il sert comme officier de la
Légion étrangère durant la guerre d’Indochine. Lors des opérations de maintien
de l’ordre en Algérie, il coordonne les services de renseignement. 1 Il fut très vite
surnommé « le Sorcier » pour sa science des « coups tordus », une spécialité
où excellent les Services français. 2 « Le Sorcier était un officier parachutiste à
la belle tête de soldat rendu mystérieux par ses origines asiatiques. Il s’appelait
Jeannou Lacaze. » 3 Il aurait été « patron du 11e Choc ». 4 Réputé grand spécialiste des explosifs, « le Sorcier aztèque » est invité à Cercottes pour former les
hommes du service Action du SDECE, 5 afin d’éliminer les approvisionnements
en armes du FLN algérien. 6 Puis, en tant que commandant du 2e Régiment
1. François-Xavier Verschave, Laure Coret, L’horreur qui nous prend au visage [5, p. 458].
2. Ibidem.
3. Constantin Melnik, Un espion dans le siècle, Plon, 1994.
4. Stephen Smith, Antoine Glaser [12, p. 102].
5. Le Service de documentation extérieur et de contre-espionnage (SDECE) devient à partir
d’avril 1982 la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE).
6. Roger Faligot, Pascal Krop [6, p. 212].

1

1

PARCOURS MILITAIRE

2

Étranger de Parachutistes (2e REP), il intervient au Tchad de 1969 à 1972 puis
au Togo et en Côte d’Ivoire.

1.1

Directeur du renseignement au SDECE

Il devient directeur du renseignement du SDECE de 1971 à 1976. 7 Il y est
le bras droit d’Alexandre de Marenches, directeur du SDECE, obsédé par la
lutte anti-communiste. Cette promotion d’un militaire au sommet du SDECE
est assez exceptionnelle. « Le renseignement au sein de l’armée française, écrit le
général Paris, pour cause de dérives multiples, y compris le souvenir de l’affaire
Dreyfus, n’est pas très prisé. Pour obtenir de l’avancement, il est conseillé de ne
pas s’y fourvoyer. » 8 Là, avec le colonel Alain Gaigneron de Marolles, directeur
du service Action (SA ou R1), forts de leur expérience en Indochine et en Algérie,
ils forment « une véritable force d’intervention rapide » réunissant les moyens
clandestins du SDECE et les forces spéciales de l’armée sous une même direction
et pratiquant une « défense offensive » du « pré-carré ». 9 Certains auteurs tel
François-Xavier Verschave, 10 disent que Lacaze a été responsable du service
Action du SDECE. 11 Selon Jean-Pierre Bat, responsable des archives de Jacques
Foccart, c’est inexact. Mais la proximité entre Lacaze et de Marolles induit
cette erreur. Le 1er RPIMa est le réservoir fournissant les hommes du service
Action mais le 13e Régiment de Dragons Parachutistes (13e RDP) devient le
« bras armé du service ». 12 Ces deux unités interviennent au Rwanda de 1990 à
1994. Succédant à Maurice Robert, il est l’officier traitant de Bob Denard après
1973. 13 Il le mobilise une première fois sur la question kurde. 14 Il l’envoie en
1976 en Angola en soutien à l’UNITA et dans l’enclave de Cabinda en soutien au
FLEC. L’opération en Angola finit en fiasco. 15 Il charge Denard d’une tentative
de renversement de Mathieu Kérékou au Bénin qui échoue lamentablement le
16 janvier 1977. 16 Il témoignera en faveur de Denard à son procès en 1999. 17
Au SDECE, il croise le directeur de cabinet du comte de Marenches, Michel
Roussin, qui sera ministre de la Coopération de 1993 à 1994.

1.2

Commandant de la 11e DP

Il est ensuite nommé général commandant de la 11e Division Parachutiste
(11 DP). C’est sous ses ordres qu’en 1978 le 2e REP commandé par le colonel
Philippe Erulin, ancien officier de renseignement en Algérie, saute sur Kolwezi
e

7. Jean-Pierre Bat [2, p. 389].
8. Général Henri Paris, Mercenariat et tradition française in Le boom du mercenariat :
défi ou fatalité ?, Actes du colloque du 30 novembre 2000, Survie-CRDPC, p. 46.
9. Jean-Pierre Bat, op. cit., pp. 389-390, 423.
10. François-Xavier Verschave [14, p. 289].
11. Voir plus haut Smith et Glaser qui affirment qu’il était patron du 11e Choc en Algérie.
12. Jean-Pierre Bat, op. cit., p. 390.
13. Ibidem, pp. 160, 396, 548.
14. Ibidem, p. 780.
15. Ibidem, p. 399.
16. Ibidem, pp. 399-401.
17. François-Xavier Verschave [14, p. 140].

1

PARCOURS MILITAIRE

3

au Zaïre pour secourir le régime de Mobutu menacé par d’anciens gendarmes
katangais qui, selon une enquête du 13e RDP, seraient soutenus depuis l’Angola
par des Cubains et des Allemands de l’Est. 18 Cette expédition pensée par le
colonel Gras, autre vétéran des guerres coloniales et chef de la mission militaire
française à Kinshasa, marque le retour de la France au Zaïre de Mobutu, alors
qu’auparavant elle faisait profil bas, suite à la déroute en novembre 1967 des
mercenaires de Schramme et Denard devant l’armée de Mobutu soutenue par
les États-Unis. 19 Le 21 septembre 1979, le président Giscard d’Estaing fomente
un coup d’État en Centrafrique et remplace l’empereur Jean-Bedel Bokassa par
David Dacko. L’opération « Barracuda » est menée par un détachement du 1er
RPIMa sous la direction du colonel Degenne qui dépend du général Jeannou
Lacaze. 20 Jacques Rosier et Didier Tauzin, qui interviennent au Rwanda entre
1990 et 1994, en ont fait partie.

1.3

Chef d’état-major des armées

En 1980, le président Giscard d’Estaing nomme Lacaze gouverneur militaire de Paris puis chef d’état-major des armées en 1981. François Mitterrand le
maintient à ce poste jusqu’à son départ à la retraite en 1985. Pourtant en 1981,
Georges Grillot, successeur de Marolles à la tête du service Action du SDECE,
avait dénoncé avec l’accord du général Lacaze les menaces que faisait peser sur
le service l’arrivée des socialistes au pouvoir. 21 Mais Charles Hernu, nouveau
ministre de la Défense, sut rassurer les militaires. Les liens tissés entre François
Mitterrand et les militaires, quand, ministre de la Justice en 1956-1957, il remit
les pouvoirs de police et de justice aux unités parachutistes durant la Bataille
d’Alger, 22 peuvent expliquer que ces contradictions entre l’armée et le gouvernement socialiste n’étaient qu’apparentes. En 1983, le général Lacaze dirige en
tant que chef d’état-major des armées l’opération Manta au Tchad. 23 C’est à
partir de ce moment-là que Mitterrand abandonne toute velléité de réformer la
politique africaine de la France. Il revient aux canons gaullistes de la protection
du « pré-carré », condition de l’indépendance de la France sur la scène internationale. En effet, les nombreux pays africains maintenus dans cette dépendance
assurent à la France une influence notoire aux Nations Unies, tant lors des votes
de l’Assemblée générale qu’au Conseil de sécurité.

1.4

Conseiller de présidents africains

En 1985, alors que Lacaze doit prendre sa retraite, Charles Hernu, qui l’apprécie grandement, crée pour lui le poste de conseiller spécial pour les Affaires
18. Jean-Pierre Bat, op. cit., pp. 405-409.
19. Jean Schramme [11].
20. Roger Faligot, Pascal Krop, op. cit., pp. 344-345.
21. Roger Faligot, Pascal Krop, ibidem, p. 349.
22. Jean-Luc
Einaudi,
Maurice
Audin,
les
Pouvoirs
Spéciaux,
Francois
Mitterrand,
22
juin
2012.
http://www.francegenocidetutsi.org/
AudinPouvoirsSpeciauxMitterrandEinaudi22juin2012.pdf
23. Jean-Pierre Bat, op. cit., p. 491.

2

CONSEILLER DE MOBUTU

4

africaines et malgaches. En conséquence, Lacaze devient conseiller militaire de
plusieurs présidents africains, Mobutu Sese Seko, Gnassingbé Eyadema, Denis
Sassou-Nguesso, Idriss Déby et Félix Houphouët-Boigny. 24 Il se fait seconder par
un colonel en retraite, Jean-Louis Dufour, avec qui il crée l’Association pour la
promotion des relations entre l’Europe et le tiers monde. 25 Il vend des armes
à Saddam Hussein avant l’invasion du Koweit en 1990. 26 Parallèlement, il se
lance dans la politique et devient député européen sur la liste UDF de 1989 à
1994. Puis il crée son propre parti, l’Union des Indépendants (UDI) « à gauche
du Front national et à droite du RPR ». Il est surnommé « le Sphinx » pour
son attitude taciturne et secrète. Il décède le 1er août 2005. 27

2

Conseiller de Mobutu

Le général Lacaze est nommé conseiller militaire du président Mobutu en
mars 1988. Il fut rappelé à Kinshasa comme conseiller « privé » lorsque l’implication de l’armée zaïroise dans les gigantesques pillages de septembre 1991
contraignirent la France de suspendre officiellement sa coopération militaire. 28
Avec son collègue de la DGSE, le colonel Jean-Claude Mantion en Centrafrique,
il promeut une stratégie d’alliance avec le régime de Khartoum afin de prendre
en tenaille l’ennemi Ouganda-FPR en se basant sur le Zaïre et la Centrafrique. 29
Il continue à conseiller le maréchal Mobutu pendant le « boycott » officiel. 30
L’ex-capitaine Paul Barril le remplace fin 1994. 31 Mais le 18 avril 1997, Jeannou
Lacaze est encore conseiller de Mobutu. 32

3

Rôle du général Lacaze pendant le génocide
des Tutsi en 1994

Pendant le génocide des Tutsi au Rwanda, on a souvent vu le général Lacaze
au ministère de la Coopération :
« Lors d’une réunion qui s’est tenue jeudi dernier [7 avril 1994] au
ministère de la Coopération sur l’assistance technique aux douanes
en Afrique, les “militaires” ont demandé aux “civils” qui participaient à la réunion, de sortir. [...] À peine sortis dans la cour du
24. François-Xavier Verschave, Laure Coret, op. cit., p. 458.
25. Stephen Smith, Antoine Glaser, op. cit., pp. 102-103.
26. https://fr.wikipedia.org/wiki/Jeannou_Lacaze, consulté le 26 janvier 2017.
27. Le général Lacaze, un “Sphinx” énigmatique, Le Nouvel Observateur, 4 août 2005.
http://tempsreel.nouvelobs.com/societe/20050804.OBS5440/
le-general-lacaze-un-sphinx-enigmatique.html
28. François-Xavier Verschave, Laure Coret, op. cit., pp. 458-459.
29. Ibidem.
30. Ibidem, p. 79.
31. Ibidem, p. 142.
32. Frédéric Fritscher, Le président Mobutu et Laurent-Désiré Kabila devraient se rencontrer
prochainement, Le Monde, 18 avril 1997.

3

RÔLE DU GÉNÉRAL LACAZE PENDANT LE GÉNOCIDE DES TUTSI EN 19945

ministère, ces sans-grades se sont trouvés face à face – une fois de
plus en quelques jours – avec le général Jeannou Lacaze. » 33
Verschave précise que Lacaze était auprès de Huchon « le 7 avril et dans
les jours qui précédaient ». 34 Il n’indique pas ses sources. Le général Huchon
était chef de la Mission militaire de coopération. Cette coopération avec l’armée
rwandaise (FAR) s’est poursuivie pendant le génocide :
« Paris redoute l’extension de l’influence régionale de l’Ouganda
derrière laquelle se dissimulerait une volonté déstabilisatrice anglosaxonne. Pour surréaliste qu’elle paraisse, cette “thèse” n’en est pas
moins sérieusement défendue par les principaux responsables du dossier rwandais : les généraux Jean-Pierre Huchon et Jeannou Lacaze, installés à la Mission militaire du ministère de la Coopération
[...]. Pour ces deux militaires, comme d’ailleurs pour les conseillers
Afrique de la présidence (Bruno Delaye et l’ex-premier conseiller de
l’ambassade de France à Kinshasa, Dominique Pin), l’Ouganda n’est
qu’un pion de l’impérialisme anglo-saxon et le FPR une simple marionnette de Kampala. » 35
Les rapports des colonels Ephrem Rwabalinda, 36 Cyprien Kayumba, 37 la
lettre de l’attaché militaire rwandais Sébastien Ntahobari à Paul Quilès 38 montrent que la coopération militaire s’est poursuivie avec le Rwanda pendant le
génocide par l’intermédiaire de la Mission militaire de coopération dirigée par le
général Jean-Pierre Huchon et le colonel Dominique Delort. Philippe Jehanne,
membre du cabinet de Michel Roussin, ministre de la Coopération, s’occupait
de fournitures d’armes qui transitaient par Goma. 39
Nous n’avons pas d’information sur ce qu’a fait précisément le général Lacaze. On peut raisonnablement penser qu’il a servi de conseil pour des actions
secrètes. La présence au Rwanda de mercenaires tel Jean-Marie Dessales, attestée par l’ordonnance du juge Bruguière, 40 peut être mise en lien avec le général
Lacaze qui fut officier traitant de Bob Denard au SDECE. Avec ce dernier,
33. La Lettre du Continent, 14 avril 1994 in François-Xavier Verschave, Laure Coret, op.
cit., p. 459.
34. Ibidem, p. 460.
35. La Lettre de l’Océan Indien, 14 mai 1994. Cf. Ibidem.
36. Lettre du lieutenant-colonel Ephrem Rwabalinda au ministre de la Défense, au chef
d’état-major de l’armée rwandaise, Gitarama, le 16 mai 1994. Objet : Rapport de visite fait
auprès de la Maison militaire de Coopération à Paris. Cette lettre a été ramenée de Kigali
durant l’été 1994 par la journaliste belge Colette Braeckman. Cf. L’Afrique à Biarritz [1,
p. 129]. http://www.francegenocidetutsi.org/RapportRwabalinda16mai1994.pdf
37. Lettre du lieutenant-colonel Cyprien Kayumba au ministre de la Défense à Bukavu,
26 décembre 1994. Cf. Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994 [10, Tome II, Annexes,
p. 566]. http://www.francegenocidetutsi.org/Kayumba26dec1994.pdf
38. Lettre de Sébastien Ntahobari à Paul Quilès, 20 novembre 1998, Enquête sur la tragédie
rwandaise 1990-1994 [10, Tome II, Annexes, p. 570]. http://www.francegenocidetutsi.org/
NtahobariQuiles20nov1998.pdf
39. Gérard Prunier [8, p. 332].
40. J.-L. Bruguière, Ordonnance [4, p. 44]. http://www.francegenocidetutsi.org/
OrdonnanceBruguiere.pdf#page=44

4

COMMENT LE GÉNÉRAL LACAZE DEVIENT CONSEILLER DE KABILA6

Dessales renversa le président comorien Saïd Djohar le 27 septembre 1995. 41

4

Comment le général Lacaze devient conseiller
de Kabila

Après la victoire du FPR au Rwanda, le 18 juillet 1994, et la fuite des auteurs
du génocide protégés par les militaires français de l’opération Turquoise, l’ancienne armée rwandaise renforcée par les miliciens s’est réarmée et a multiplié les
attaques tant au Rwanda que vis-à-vis des Banyamulenge dans la région du Kivu
au Zaïre. Ceci provoqua une réaction rwandaise qui, après avoir vainement demandé aux Nations Unies de séparer les génocidaires des réfugiés dans les camps
du Zaïre, soutint en sous-main l’Alliance des forces démocratiques pour la libération (AFDL), un regroupement d’opposants à Mobutu dont Laurent-Désiré
Kabila était le porte-parole. 42 Les troupes de l’AFDL, formées principalement
de Banyamulenge, de Rwandais et d’Ougandais, vidèrent les camps de réfugiés
rwandais les obligeant à rentrer au pays et poursuivirent les autres à l’intérieur
du Zaïre. Elles marchèrent sur Kisangani puis Kinshasa, en dépit de l’envoi par
la France de mercenaires pour secourir Mobutu.
Les contacts de Kabila avec Paris sont établis dès avril 1997, donc avant
la chute de Mobutu, par l’intermédiaire du général Lacaze et d’un certain Andrieux :
« Le 26 avril, le secrétaire général des Nations Unies, Kofi Annan,
a accusé le mouvement de Laurent Kabila, militairement soutenu par
le Rwanda, de viser la “lente extermination” des réfugiés. Cherchant
à se disculper, le chef rebelle a alors confié, le 7 mai, une “mission
pour faciliter le retour des réfugiés” à Jean-Jacques Andrieux, le directeur de l’Association française pour la sauvegarde de l’enfance
et de l’adolescence (AFSEA). Ce dernier était venu voir le chef rebelle à Lubumbashi en compagnie du général Jeannou Lacaze, ancien chef d’état-major de l’armée française et ex-conseiller militaire
du président Mobutu. Tout en admettant qu’il y a “une grande partie diplomatique dans cette affaire” et que Laurent Kabila cherche à
“renouer le dialogue” avec Paris, très en flèche dans la dénonciation
des massacres commis, Jean-Jacques Andrieux s’indigne à l’idée qu’il
ait été choisi pour sa proximité du pouvoir – il est premier adjoint de
Jacques Toubon à la mairie du XIIIe arrondissement de Paris. » 43
Cet Andrieux, compromis dans une affaire de fausses factures, est-il allé se
41. Pierre-Antoine Souchard, Bob Denard condamné à cinq ans avec sursis pour un coup
d’État avorté aux Comores, AP, 20 juin 2006.
42. Kabila prend le pouvoir [3, p. 70].
43. Stephen Smith, Un rapport de MSF dénonce les massacres de Hutus. Des morts
sans nombre dans l’ombre de Kabila. 190.000 personnes sont portées disparues, estime
Médecins sans frontières, Libération, 20 mai 1997. http://www.francegenocidetutsi.org/
RapportMsfDenonceMassacresDeHutu20mai1997.pdf

4

COMMENT LE GÉNÉRAL LACAZE DEVIENT CONSEILLER DE KABILA7

racheter une virginité en Afrique ? 44
Lacaze est de nouveau envoyé auprès de Kabila à Kisangani : « Le gouvernement français, qui “n’exclut aucun contact avec les parties zaïroises”, assure
que le général en retraite Jeannou Lacaze, qui s’est rendu discrètement mercredi
à Kisangani pour rencontrer Kabila, l’a fait “à titre personnel” ». 45
Le 16 mai, Lacaze prévoit qu’une « bataille rangée » se prépare à Kinshasa entre troupes loyalistes et forces rebelles. « Il va y avoir certainement une
bataille rangée pour la possession de Kinshasa. C’est possible, car, au fur et à
mesure que les forces zaïroises se resserrent, elles acquièrent de la consistance. »
Selon lui, « les forces de Kabila, qui faisaient de l’infiltration, vont désormais
se heurter à une résistance plus sérieuse, qui est organisée autour des Angolais
de Savimbi. » 46 Savimbi démentira. Mais l’UNITA, 47 qui disposait de bases arrières au Zaïre, est intervenue dans de nombreuses batailles à Bunia, à Kenge, 48
puis elle s’est retirée après avoir subi de lourdes pertes. 49
Le 17 mai 1997, les troupes de l’AFDL, dont des éléments de l’armée rwandaise forment le noyau dur, entrent dans Kinshasa. Laurent-Désiré Kabila s’attribue pratiquement tous les pouvoirs et baptise le Zaïre, République démocratique du Congo (RDC).

4.1

Le renversement d’alliance de Kabila en 1998

Rappelons quelques faits :
- Le 11 juillet 1998, Laurent-Désiré Kabila remplace James Kabarebe, chef
d’état-major de l’armée congolaise, par un ancien gendarme katangais, le général
Célestin Kifwa. 50
- Le 27 juillet 1998, au retour d’une visite à Cuba où Fidel Catro l’avertit
de l’imminence d’un coup d’État, Kabila fait annoncer la fin de la coopération
militaire avec le Rwanda et le départ des troupes rwandaises. Le général James
Kabarebe et 800 soldats rwandais sont amenés « manu militari » à l’aéroport
de N’djili pour embarquement immédiat à destination de Kigali. 51
- Le 2 août 1998, des foyers de rébellion éclatent au Kivu. 16.000 soldats
banyamulenge se mutinent à Kisangani.
- Le 4 août 1998, James Kabarebe débarque sur l’aéroport de Kitona à l’ouest
avec des troupes banyamulenge, rwandaises et ougandaises. Il convinc d’anciens
militaires de Mobutu en rééducation dans ce camp de le suivre et prend Matadi.
- En août 1998, Kabila lance une campagne raciste anti-tutsi et appelle
à l’aide des États voisins. L’Angola, le Zimbabwe et la Namibie volent à son
44. Armelle Thoraval, Des fausses factures à l’Udaf de Paris. Une enquête préliminaire vise
l’Union des associations familiales et un élu du XIIIe, Libération, 8 novembre 1995.
45. La diplomatie en quête d’un dénouement “soft”, Reuters, 7 mai 1997.
46. Le général Lacaze : une bataille rangée se prépare à Kinshasa, L’Humanité, 16 mai 1997.
47. En Angola, l’UNITA, dirigée par Jonas Savimbi et soutenue par les États-Unis et la
France, s’opposait au MPLA de José Eduardo Dos Santos, soutenu par l’URSS et les Cubains.
48. G. Prunier [9, p. 136].
49. Georges Berghezan, Une guerre cosmopolite [3, p. 94].
50. O. Lanotte [7, p. 95].
51. O. Lanotte, ibidem, pp. 97-98.

4

COMMENT LE GÉNÉRAL LACAZE DEVIENT CONSEILLER DE KABILA8

secours.
- Le 13 août 1998, les rebelles dirigés par James Kabarebe s’emparent du
barrage d’Inga qui alimente Kinshasa en électricité. 52
- Le 22 août 1998, l’Angola se range au côté des forces gouvernementales de
Laurent-Désiré Kabila. 53
- Le 26 août 1998, les troupes de Kabarebe arrivent à Kinshasa et tentent de
prendre l’aéroport de N’Djili défendu par des troupes du Zimbabwe disposant
d’avions. Mais les troupes angolaises prennent la base de Kitona.
- Fin août des avions libyens débarquent 1.500 soldats tchadiens à Kinshasa
pendant que l’armée angolaise marche sur Kitona. François-Xavier Verschave
commente : « Idriss Déby accueille des généraux mobutistes à l’instigation de
son mentor le général Jeannou Lacaze. Cela ne l’empêche pas d’envoyer un
millier de soldats pour soutenir le tombeur de Mobutu en septembre 1998 ». 54
- Mi-septembre, les troupes de James Kabarebe sont contraintes par l’armée
du Zimbabwe de se réfugier sur un petit aéroport tenu par l’UNITA au nord de
l’Angola et de rembarquer en avion. Mais l’est et une partie du sud sont tenus
par les rebelles anti-Kabila. 55
- Le 3 octobre 1998 : Michel Dupuch, conseiller Afrique de Jacques Chirac,
rencontre Laurent-Désiré Kabila. 56
- Le 12 octobre 1998 : les rebelles prennent Kindu. 57
- Le 1er novembre 1998, Laurent-Désiré Kabila assiste au sommet francoafricain du Louvre. 58
En 1999, la France a repris pied dans le Congo de Kabila. Une partie de
l’armement pour les troupes de Kabila vient du Tchad, notamment de la base
française d’Abéché. Des anciens soldats français des CRAP et du 2e REP instruisent des troupes de Kabila. 59
« Auparavant le contrôleur général des armées Raymond Germanos avait
rencontré à Libreville Victor Mpoyo, ministre d’État très proche de Kabila,
pour discuter du retour d’officiers de la DGSE au Congo-Kinshasa. Début décembre, le général Jeannou Lacaze, conseiller militaire de Mobutu et de presque
tous les généraux-présidents françafricains, vient rempiler à Kinshasa auprès de
Kabila... » (Jeannou Lacaze in Lettre du Continent du 9 décembre 1999) 60
52. O. Lanotte, ibidem, p. 101.
53. Gauthier de Villers, Jean Omasombo Tshonda, La bataille de Kinshasa, Politique africaine, no 84, 2001.
54. François-Xavier Verschave [14, p. 337].
55. Tom Cooper, Zaire/DR Congo 1980 - 2001, 29 octobre 2010. http://www.acig.info/
CMS/index.php?option=com_content&task=view&id=246&Itemid=1
56. François-Xavier Verschave [14, p. 124].
57. O. Lanotte, op. cit., p. 108.
58. O. Lanotte, ibidem, p. 217.
59. François-Xavier Verschave[14, p. 129].
60. Ibidem, p. 130.

5

5

CONCLUSION

9

Conclusion

Le rôle peu connu du général Lacaze dans le retournement spectaculaire de
Laurent-Désiré Kabila, le tombeur de Mobutu, attire l’attention sur ce mystérieux mais très officiciel personnage. Il reste beaucoup de zones d’ombre à
éclairer sur le parcours de ce militaire haut gradé, spécialiste d’actions clandestines. Quel fut son rôle dans le soutien militaire aux ex-FAR, dans le soutien à
Mobutu lors de l’attaque de l’AFDL en 1996 et dans l’envoi de mercenaires en
1997 ?
On observe que sous la présidence de Giscard d’Estaing, les interventions de
l’armée française en Afrique prennent le pas sur les actions clandestines exécutées par les services ou par l’intermédiaire de mercenaires, méthodes privilégiées
par Jacques Foccart, le monsieur Afrique du général De Gaulle. Le général Lacaze est un spécialiste des deux modes d’intervention. Il est aux commandes lors
de l’opération sur Kolwezi en 1978 et lors du renversement de Bokassa en 1979.
Giscard le nomme chef d’état-major des armées et il le reste sous Mitterrand. L’apogée de sa carrière témoigne de la bonne entente entre un président
réputé de gauche et un militaire acquis aux idées d’extrême droite et désireux
de proroger l’emprise de la France sur les ex-pays colonisés.
À sa retraite, il devient conseiller de plusieurs présidents africains avec la recommandation du président de la République, François Mitterrand. Il est toujours actif en 1994. Quel fut son rôle lors du génocide des Tutsi en 1994 au
Rwanda ? Sa présence auprès du général Jean-Pierre Huchon à la Mission militaire de coopération est avérée. Comme il était conseiller de Mobutu et que le
soutien aux FAR en armes et munitions a transité par le Zaïre, on peut suspecter qu’il a joué un rôle dans la stratégie indirecte de soutien à l’armée rwandaise
promue par le général Quesnot, conseiller du président Mitterrand.
On peut même se demander, au vu de son expérience passée, si le général
Lacaze n’a pas joué un certain rôle dans l’élimination du président Habyarimana. Celle-ci était implicitemnt souhaitée par les dirigeants français comme le
montre ce télégramme de l’ambassadeur Martres. 61 Il n’y a aucune preuve que
Lacaze y soit mêlé. Cependant, l’opération Barracuda à Bangui, qu’il a mené
avec succès en 1979, a pu fournir un modèle. 62 L’attentat à Kigali devait être
suivi d’un débarquement de forces spéciales françaises. Le colonel Didier Tauzin, alors commandant du 1er RPIMa, a regretté que l’ordre ne lui en ait pas
été donné, alors qu’il avait mis son régiment en alerte, dès 20 h 30, quand il
apprit que le président Habyarimana avait été assassiné. 63 Certains voudraient
faire porter la responsabilité de l’organisation de l’attentat contre Habyarimana
à l’ex-capitaine Barril. Ce dernier semble plutôt être la marionnette que l’on
montre au public. Il est douteux que Barril soit apparu dans les médias avec sa
61. Georges Martres, TD Kigali, 11 mars 1993, Enquête sur la tragédie rwandaise
1990-1994 [10, Tome II, Annexes, pp. 217-218]. http://www.francegenocidetutsi.org/
Martres11mars1993CDRruptureHabyarimana.pdf
62. Jean-Pierre Bat, op. cit., pp. 377-380.
63. Didier Tauzin [13, p. 90-92] ; Armel Joubert des Ouches, Général Didier Tauzin
Rwanda officiers français mis en cause, 1er janvier 2017. https://nos-medias.fr/video/
general-didier-tauzin-rwanda-officiers-francais-mis-en-cause

RÉFÉRENCES

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fausse boîte noire le 27 juin 1994 de sa propre initiative. C’était sur l’ordre de
personnes haut placées qui sont restées dans l’ombre. Le général Lacaze pourrait
être une de celles-là. Il a une vision géopolitique autrement plus structurée que
Paul Barril. Cette vision a pour axe principal la pérennité de l’empire français
sur les pays africains du « pré-carré » quel qu’en soit le prix en vies humaines.
Elle requiert une grande plasticité dans les relations avec les acteurs africains.
Il peut être nécessaire de se séparer du grand ami d’hier, et l’ennemi d’hier
peut devenir le collaborateur privilégié d’aujourd’hui. Le changement de cheval
au Congo, de Tshombe à Mobutu puis Kabila, en est un bon exemple. Aussi
typique est le changement de monture au Tchad : de Tombalbaye à Malloum
puis Goukouni Oueddei, d’Hissène Habré à Idriss Déby. La France a toujours
été intimement mêlé à ces coups d’État en Afrique.

Références
[1] Agir Ici et Survie : L’Afrique à Biarritz - Mise en examen de la politique
française. Karthala, janvier 1995. Contre-sommet de Biarritz, 9 novembre
1994.
[2] Jean-Pierre Bat : Le syndrome Foccart. La politique française en Afrique,
de 1959 à nos jours. Gallimard Folio Histoire, 2012.
[3] Colette Braeckman, Marie-France Cros et al. : Kabila prend le pouvoir.
GRIP - Éditions Complexe, avril 1998.
[4] Jean-Louis Bruguière : Délivrance de mandats d’arrêts internationaux Ordonnance de soit-communiqué. 17 novembre 2006.
[5] Laure Coret et François-Xavier Verschave : L’horreur qui nous prend
au visage - L’État français et le génocide au Rwanda. Karthala, janvier
2005. Rapport de la Commission d’enquête citoyenne, 22-26 mars 2004.
[6] Roger Faligot et Pascal Krop : La piscine. Les services secrets français,
1944-1984. Seuil, mai 1985.
[7] Olivier Lanotte : Guerre sans frontière en République démocratique du
Congo. GRIP-Éditions Complexe, 2003.
[8] Gérard Prunier : Rwanda : le génocide. Dagorno, 1997. Traduction de
The Rwandan Crisis, History of a Genocide, Hurst and Co, Londres, 1995.
[9] Gérard Prunier : From Genocide to Continental War. The ‘Congolese’
Conflict and the Crisis of Contemporary Africa. Hurst & Company, London, 2009.
[10] Paul Quilès : Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994. Assemblée nationale, rapport no 1271, http://www.assemblee-nationale.fr/
dossiers/rwanda.asp, 15 décembre 1998. Mission d’information de la
commission de la Défense nationale et des Forces armées et de la commission des Affaires étrangères, sur les opérations militaires menées par la
France, d’autres pays et l’ONU au Rwanda entre 1990 et 1994.

RÉFÉRENCES

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[11] Jean Schramme : Le bataillon Léopard (Souvenirs d’un Africain blanc).
J’ai lu. Robert Laffont, 1969.
[12] Stephen Smith et Antoine Glaser : Ces Messieurs Afrique. Le ParisVillage du continent noir. Calmann-Lévy, 1992.
[13] Didier Tauzin : Rwanda : je demande justice pour la France et ses soldats !
Le chef de l’opération Chimère témoigne. Ed. Jacob-Duvernet, 4 avril 2011.
[14] François-Xavier Verschave : Noir Silence. Qui arrêtera la Françafrique ?
Les Arènes, 2000.

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