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L'HISTOIRE du Rwanda donne le vertige. Dans moins d'un mois, pour la
dixième fois, le monde commémorera le « premier génocide en terre
africaine », les cent jours d'un massacre planifié et organisé que la
communauté internationale ne sut arrêter et qui coûta la vie à plus
d'un demi-million, peut-être un million, de Tutsis et de Hutus. Les
premiers furent victimes du « crime des crimes », celui consistant à
vouloir anéantir des hommes pour ce qu'ils sont ; les seconds,
opposants à la dictature ethnique, furent mis à mort comme « traîtres »,
parce qu'ils refusèrent de lever la machette sur leurs voisins.
Le génocide au Rwanda n'aurait sans doute pas commencé le 7 avril 1994
si, la veille au soir, l'avion du président - hutu - Juvénal
Habyarimana n'avait pas été abattu d'un tir de missile. Mais l'oeuvre
exterminatrice était préparée, pensée et acceptée par ceux qui
traitaient de « cancrelats » - inyenzi - les Tutsis, minoritaires dans
le pays. La chasse à l'homme pouvait commencer à tout moment. Dans ce
contexte, l'attentat contre le Falcon présidentiel ne pouvait que
déboucher sur un bain de sang.
Selon l'enquête du juge français Jean-Louis Bruguière, cette lourde
responsabilité a été prise par le Front patriotique rwandais (FPR), le
mouvement rebelle issu de la diaspora tutsie, tout aussi prompt que
les extrémistes de l'autre bord à considérer comme des « traîtres » ceux
qui n'avaient pas fui le pays depuis 1959 et l'émergence d'un « pouvoir
hutu » dans l'ancienne colonie belge.
Il n'y a pas de métrique pour l'horreur. Mais on doit aux victimes de
ne pas tout confondre : l'acte terroriste que fut l'attentat du 6
avril 1994, ses conséquences cyniquement assumées par le FPR, le
génocide des Tutsis par les partisans de l'ancien régime... Il n'est
pas aisé de départager le bien et le mal au « pays des Mille
collines ». Au plus tard depuis que le FPR, d'octobre 1996 à mai 1997,
a persécuté sur 1 500 km à travers l'ex-Zaïre quelque 400 000 Hutus,
dont la moitié y périrent, le nouveau pouvoir à Kigali a perdu toute
légitimité de se réclamer des victimes d'une histoire émaillée de
massacres réciproques, mue par le chantage à la mort qu'il faudrait
donner pour ne pas la recevoir en premier. Or le sang ne lave pas le
sang. Autrement, le Rwanda se serait racheté depuis longtemps.
Rendre justice, établir les faits et dire la vérité, voilà la mission
de la communauté internationale, qui, pour la seconde fois en une
décennie, a failli au Rwanda, après sa non-assistance à population en
danger d'extermination, en 1994, l'an du génocide. Dire le crime, à
défaut d'avoir pu le prévenir, et créer les conditions d'une
réconciliation dans l'équité, cela devait être l'objectif du Tribunal
pénal international pour le Rwanda (TPIR), en particulier, et des
Nations unies, en général. Mais l'ONU n'a pas voulu savoir ce qui
s'est passé le 6 avril 1994, au risque de se disqualifier pour juger
les cent jours de tueries qui l'ont suivi. La justice française fait
son travail et doit le poursuivre, au nom de toutes les victimes.