Citation
« C’est une histoire de dingues », s’est exclamée maître Sophie Jonquet, l’avocate de l’ex-gendarme de l’Elysée Paul Barril, à l’issue d’une nuit rocambolesque qui a vu son client retranché, armé, « dans un état de délire » au sous-sol de sa villa du cap d’Antibes. Au départ, ce sont les pompiers qui sont intervenus, peu après quatre heures du matin, alertés par la femme et la belle-mère de Paul Barril, sujet à un petit malaise. Effrayés par la quantité d’armes découvertes, les pompiers auraient averti les gendarmes provoquant l’arrivée d’une quinzaine de membres du Groupe d’intervention de la police nationale (GIPN). C’est à ce moment-là que l’ex-gendarme reconverti dans la sécurité privée se serait barricadé dans le sous-sol. Après une heure et demie de négociation, les forces de l’ordre ont pu entrer dans la pièce où Barril gisait au sol, très affaibli. Il sera ensuite hospitalisé.
Fort Alamo
Souffrant depuis 2008 de la maladie de Parkinson, Paul Barril, 68 ans, a peut-être été juste victime d’une panique délirante. Son avocate évoque, elle, « un problème lié aux médicaments ». Reste que c’est la personnalité du héros de ce Fort Alamo nocturne au cap d’Antibes qui a attiré l’attention sur ce fait divers.
Sa légende, vite sulfureuse, démarre avec la création du GIGN (Groupement d’intervention de la gendarmerie nationale) qu’il cofonde en 1974 et dont il fut le numéro 2, avant d’en prendre la direction en 1982. C’est à cette époque que deux affaires vont ternir sa réputation : celle des « Irlandais de Vincennes », au cours de laquelle il sera accusé d’avoir déposé des armes chez de faux terroristes. Et celle des écoutes illégales de l’Elysée qui lui vaudra une condamnation de six mois avec sursis.
Après avoir été « mis en disponibilité » de la gendarmerie, Barril se reconvertit dans la sécurité privée, notamment à travers sa société Secrets, qui offrira ses services à de nombreux chefs d’Etats. Lui qui avait, en 1979, libéré la grande mosquée de La Mecque, occupée par des insurgés, se retrouve, une fois dans le privé, chargé de la protection rapprochée de l’émir du Qatar, pays dont il est resté très proche.
Mais l’affaire la plus explosive à laquelle il a été associé ces vingt dernières années se situe au Rwanda. A la fin des années 80, « sur ordre de François de Grossouvre » affirme-t-il, Barril offre ses services au président Juvénal Habyarimana, tout en tentant d’infiltrer la rébellion qui s’oppose au régime rwandais. Mais le 6 avril 1994, l’avion d’Habyarimana est abattu avant d’atterrir à Kigali, signal déclencheur du génocide des Tutsis. Barril, loin de se faire discret, joue les grands manitous manipulateurs en affirmant avoir été chargé d’une enquête par la veuve du Président et en prétendant, dès juin 1994, être en possession de la boîte noire de l’avion et des missiles qui l’ont abattu. Le faux « scoop » se dégonfle vite. Il visait surtout à dédouaner les extrémistes hutus proches du président rwandais de l’avoir tué pour éviter qu’il ne partage le pouvoir.
Deux passeports
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L’ombre de Barril ne quittera plus le Rwanda. Et le vent va tourner. L’accusateur qui conseillait le juge antiterroriste Jean-Louis Bruguière, lorsque ce dernier était en charge de l’enquête sur l’attentat, va se retrouver dans le collimateur de Marc Trévidic, le successeur du juge. Où était Barril le 6 avril 1994 ? « A New York », affirme aujourd’hui ce dernier, tout en reconnaissant qu’il avait bien deux passeports, dont l’un a mystérieusement disparu. Malheureusement pour lui, deux témoins l’ont vu à Kigali les 4 et 5 avril. L’un est mort dans l’attentat : c’est le pilote de l’avion qui en avait parlé à sa femme. L’autre est l’épouse d’un diplomate alors en poste au Rwanda, laquelle a affirmé à Libération « être certaine d’avoir vu Barril à l’aéroport le 4 avril 1994 ».
Bien plus, les perquisitions chez Barril ont permis de retrouver des contrats d’assistance militaire pour livraisons d’armes et d’hommes pendant le génocide. En mai 2013, les juges ouvrent une enquête judiciaire à Paris sur l’ancien gendarme reconverti en barbouze pour « complicité de génocide ». En mai, ils ont entendu Richard Mugenzi, un ancien membre des services rwandais qui a révélé avoir vu Barril et une trentaine de mercenaires en mai 1994 au Rwanda. Loin d’être effrayé par ces accusations, le supergendarme a écrit un livre proclamant sa « vérité ». Mais curieusement l’ouvrage bien qu’édité et prévu en librairie en avril, n’a jamais quitté l’imprimerie. Entre-temps, celui qui a déclaré « faire de la diplomatie parallèle » a aussi été impliqué depuis 2008 dans l’affaire du cercle de jeux parisiens Concorde. Absent de son procès, il a été relaxé en septembre et vivait entre Londres et Antibes, où ce barbouze multicarte, détenteur de lourds secrets, a connu son premier vrai moment de panique.
Maria Malagardis