Fiche du document numéro 17220

Num
17220
Date
Samedi 12 novembre 2016
Amj
Taille
226108
Titre
Rwanda : un pas de plus vers la rupture des relations diplomatiques avec Paris
Sous titre
La ministre des Affaires étrangères rwandaise Louise Mushikiwabo exprime l’exaspération de Kigali après la réouverture de l’enquête sur l’attentat du 6 avril 1994 qui avait servi de signal au génocide des Tutsi
Source
Type
Blog
Langue
FR
Citation
En 2012 était publiée à Paris l’expertise balistique qui lavait la rébellion du Front patriotique de l’accusation d’avoir abattu l’avion du président Juvénal Habyarimana. Cet attentat avait donné le signal du massacre politique de l’élite hutu démocrate. Et dans les heures qui ont suivi, profitant de la vacance du pouvoir, de l’extermination de la masse des Tutsi du Rwanda sous la conduite d’un état major clandestin.

Des tirs de missiles pratiquement sous les yeux de la Garde présidentielle



Il est à présent évident aux experts qui ont analysé les restes de l’avion et qui ont croisé les récits de témoins directs, que les tireurs des missiles ont opéré depuis le camp Kanombe, qui était tenu par la Garde présidentielle et d’autres unités d’élite de l’armée rwandaise.

Les experts ont étendu la zone possible des tirs à la proximité immédiate du camp : une bande de terre d’environ cinq cents mètres située entre le camp lui-même et la résidence de la famille Habyarimana, également protégée par la Garde présidentielle. Ce secteur était alors déboisé et à peu pris vide d’habitations, pour des raisons de sécurité. Il est difficile d’imaginer que le Front patriotique rwandais (FPR) aurait choisi d’y infiltrer un commando pour abattre l’avion, et encore plus difficile de croire qu’il aurait pu exfiltrer discrètement les tireurs et leurs accompagnateurs.

L’attentat, premier volet d’un coup d’Etat



C’était pourtant la thèse de l’enquête menée en France de 1998 à 2006 par le juge Jean-Louis Bruguière, s’appuyant sur de faux témoins et de fausses preuves et même sur un « interprète assermenté » qui se révélera un parent de la famille Habyarimana.

Cette thèse a volé en pièces lorsque le successeur de Bruguière, le juge Marc Trévidic a repris le dossier et enfin ordonné une expertise balistique et s’est rendu sur le terrain, ce que Jean-Louis Bruguière avait refusé de faire.

L’ensemble des investigations tend à démontrer que l’attentat était le premier volet d’un coup d’Etat organisé par le colonel Théoneste Bagosora, surnommé depuis « l’architecte du génocide ». Dans les heures qui ont suivi la mort du président Habyarimana et de tous les passagers de l’avion (dont l’équipage français) Bagosora a fait le tour des ambassadeurs occidentaux à Kigali pour se faire reconnaître comme le nouvel homme fort du Rwanda. N’y parvenant pas, le lendemain matin 7 avril, il a vainement tenté de se faire désigner comme chef d’état major des forces armées rwandaises par les hauts gradés.

L’attentat, équivalent de l’incendie du Reichstag



Si le coup d’Etat a échoué dans ce premier développement, il a cependant réussi dans ses aspects génocidaires : Les miliciens Interhamwe, les forces de « défense civile » armées à l’initiative de Bagosora depuis deux ans et l’état-major secret ont pu conduire en trois mois la destruction d’environ 75% des Tutsi. Les rescapés doivent leur survie aux avancées du Front patriotique puis à sa victoire militaire définitive, début juillet 1994.

Forme de « nazisme tropical », selon l’expression de l’historien Jean-Pierre Chrétien, le plan des « génocidaires » a bien été construit par une propagande et des massacres programmés inspirées par le nazisme. A cet égard, l’action criminelle, cynique et lâche contre l’avion civil du président Habyarimana, en temps de paix, a été leur « incendie du Reichstag » : un moyen de se présenter comme des victimes d’ennemis sournois qu’il était légitime de vouloir éliminer.

Un non-lieu que certains cherchent toujours à différer



Quoique malmenée par l’instruction et notamment par l’expertise balistique, cette thèse reste défendue en France par quelques adversaires acharnés du FPR, aussi bien Français que Rwandais. Il leur faut à tout prix empêcher les juges d’instruction de rendre le non-lieu attendu par Kigali contre les collaborateurs du président Kagame, qui restent poursuivis en France depuis l’ordonnance du juge Bruguière de 2006 pour leur implication alléguée dans l’attentat.

Alors que le non-lieu semblait inévitable, ils ont sorti d’un chapeau de prestidigitateur l’ex-général Kayumba Nyamwasa, qui affirme détenir des informations nouvelles sur l’attentat, informations qui contrediraient l’expertise balistique et les témoins directs. La décision des juges de l’entendre diffère une nouvelle fois la clôture du dossier.

Depuis 2012, l’Etat rwandais ne cachait pas son impatience de voir prononcé le non-lieu, au point d’avoir refusé de recevoir les lettres de créance du dernier ambassadeur nommé à Kigali. Sauf revirement judiciaire peu probable, on s’achemine chaque jour un peu plus vers une nouvelle rupture des relations diplomatiques, comme le montre l’intervention de la ministre des Affaires étrangères et porte-parole du gouvernement Louise Mushikiwabe dans un article du journal rwandais New Times, dont AFRIKARABIA publie ci-dessous la traduction en français

Jean-François DUPAQUIER

Plus de Français impliqués dans le génocide seront cités

Par: Nasra Bishumba Publié: 11 novembre 2016 (1)

Une nouvelle liste de hauts responsables français qui ont été complices du génocide de 1994 contre les Tutsi sera bientôt publiée, a déclaré la ministre des Affaires étrangères, Louise Mushikiwabo.

Cet épisode survient à peine un mois après que la Commission nationale pour la lutte contre le génocide (CNLG) a publié une liste de 22 officiers supérieurs de l’armée française qui ont sciemment aidé à la planification et l’exécution du génocide dans lequel plus d’un million de personnes ont été tuées.

S’adressant aux journalistes de Kigali, Mushikiwabo, également porte-parole du gouvernement, a déclaré qu’il était temps de diffuser des informations qui indiquaient clairement le rôle de certains politiciens, du renseignement et du rôle de l’armée, ajoutant que le Rwanda en avait assez de ce qu’elle a qualifié d'«intimidation judiciaire française».

«En tant que pays souverain, nous sommes arrivés à un point où nous devons dire que les activités, le manque de repentance, l’attitude belliqueuse et les actions de la France ne sont plus acceptables.

«Dans un très proche avenir et pour toutes les années à venir, nous, en tant que Nation, pensons que nous devons largement diffuser toutes les informations importantes, en montrant clairement l’implication de divers responsables français militaires, politiques, du Renseignement et de tous les individus qui ont joué un rôle dans le génocide », a-t-elle déclaré.

Louise Mushikiwabo a déclaré aux journalistes que, malgré l’engagement du gouvernement à corriger cette relation tendue, le gouvernement français semblait ne pas être intéressé.

«Nous savions qu’il ne serait pas facile d’avoir des relations bilatérales normales avec la France. Nous avons décidé que nous devrions essayer de réparer cette relation, et progressivement à parvenir à une collaboration normale.

« Vingt-deux ans après le génocide Nous sommes arrivés à un point où nous nous rendons compte que la France n’est pas intéressée par une bonne relation avec le Rwanda », a-t-elle déclaré.

Louise Mushikiwabo a ajouté que les liens entre les deux pays continuaient à s’aggraver en raison tant des actions de la France en tant qu’État que d’individus agissant [ndt : sournoisement] dans l’establishment français, aussi bien des militaires que des politiques.

« Officiellement, la France dit une chose mais un à autre niveau d’activité dans différentes institutions fait le contraire. Il y a eu un certain nombre d’activités négatives envers le Rwanda dans différents milieux, dans le monde multilatéral, parfois dans notre voisinage, parfois à travers différents conflits et bien sûr dans ce qu’ils appellent un processus judiciaire, mais c’est la politique jouée [ndt : instrumentalisée] par un système judiciaire » dit-elle encore.

« Nous, le Rwanda en tant que pays, avons atteint un point où nous devons dire que les activités et l’attitude impitoyablement belliqueuse de la France ne sont plus acceptables. »

Le mois dernier, le CNLG a désigné 22 officiers supérieurs français qui opéraient au Rwanda au moment du génocide et auraient joué un rôle significatif dans les massacres qui ont vu plus d’un million de personnes perdre leur vie.

La France a annoncé récemment qu’elle envisageait de rouvrir les enquêtes sur l’attentat contre l’avion qui transportait l’ancien président Juvenal Habyarimana.

Cet épisode est largement considéré [à Kigali] comme un effort politique d’instrumentaliser la magistrature – une des multiples tentatives et stratégies de la France pour saper le Rwanda et détourner la responsabilité de leur rôle [ndt : du rôle de la France] dans le génocide.

«Permettez-moi de dire deux choses au sujet de ce crash d’avion que la France agite [ndt : « agite comme un épouvantail »] au-dessus de nos têtes. Premièrement, le génocide n’a pas été causé par l’attentat contre l’avion. C’est un fait. Il était prémédité de longue date et cherchait juste un signal pour commencer.

« Deuxièmement, s’il y a un pays au-delà du Rwanda qui était conscient et qui était actif dans la préparation du génocide dans les années 1990, c’est la France. La France avait des conseillers politiques au gouvernement du génocide, la France avait des conseillers militaires et des formateurs pour l’armée et les milices qui ont participé au génocide. La France avait des officiers de renseignements détachés auprès du gouvernement du génocide. Il y a des noms, des visages. Ce n’est pas quelque chose qui est fabriqué; C’est l’information qui est là-bas », a déclaré Mushikiwabo.

(Suit une liste des officiers français liés au génocide, selon Kigali)

(1) Traduction AFRIKARABIA

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