Résumé
Referring to the practical provisions of Operation Turquoise, President Mitterrand declares himself in favor of a brief intervention, in the style of a "punch", which must be both symbolic and real. And the President added: "Our intervention does not seem desired by anyone, even by those we want to save. No doubt they prefer that there are no witnesses to their victory".
Commentaire
This Restricted Council is held on the eve of the entry of the soldiers of Operation Turquoise into Rwanda. François Mitterrand would like a "brief ‘punch-style’" intervention. It is therefore a military operation in force and he asks if the RPF is "able to oppose it militarily". He has this terrible phrase: "Our intervention does not seem desired by anyone, even by those whom we want to save. No doubt they prefer that there are no witnesses to their victory. Thus he recognizes that this operation intended to save Tutsi could also contest the victory of the RPF. Admiral Lanxade, Chief of Staff, says: "We have very little information on the part taken by the RPF. The vacuum was made by the Tutsis". Also identifying the Tutsi with the enemy RPF, Mitterrand continues: "The Tutsis are going to establish a military dictatorship to impose themselves durably". And he concludes: "A dictatorship based on ten percent of the population will rule with new massacres". Lanxade exposes the connivance with the perpetrators of the genocide saying: "One of the problems is establishing technical contact with the F.A.R. maintaining reduced visibility". François Léotard, Minister of Defence, affirms that "the RPF is trying to completely take over Kigali and is making an effort on Butare and Kibuye. This announcement of an RPF offensive on Kibuye will prove to be false. It takes up the propaganda of the Rwandan interim government which assimilates to infiltrated RPF combatants the Tutsi survivors who are still resisting their killers in Bisesero, in the government zone. François Mitterrand flabbergasted by recalling that "we must not fail to denounce the genocide perpetrated by the Hutus". He attributes it to a fit of madness.
Citation
CONFIDENTIEL DEFENSE
CONSEIL RESTREINT
Mercredi 22 Juin 1994
SITUATION AU RWANDA
Participaient à ce Conseil restreint, présidé par le
Président de la République
M. BALLADUR Premier ministre
M. LEOTARD Ministre d'Etat, ministre de la Défense
M. JUPPE Ministre des affaires étrangères
M. ROUSSIN Ministre de la coopération
PRESIDENCE DE LA REPUBLIQUE
M. VEDRINE Secretaire général
Général QUESNOT _ Chef de l'état-major particulier
M. DELAYE Conseiller
CABINET DU PREMIER MINISTRE
M.BAZIRE Directeur du cabinet
Chef du cabinet militaire
SECRETARIAT GENERAL DE LA DEFENSE NATIONALE
Général LERCHE Secrétaire général
MINISTERE DES AFFAIRES ETRANGERES
M.DUFOURCQ Secrétaire général
MINISTERE DE LA DEFENSE ‘
Amiral LANXADE Chef d'état—Major des armées
Général MERCIER Chef du cabinet militaire
SECRETARIAT GENERAL DU GOUVERNEMENT
M.DENOIX DE SAINT MARC Secrétaire général
SECRETARIAT
Colonel BENTEGEAT Etat-major particulier
R W A N D A
PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE
Le problème rwandais a été longuement évoqué ce matin au
Conseil des ministres. Je voudrais maintenant qu'on parle des
dispositions pratiques.
Le Premier ministre et moi-même ainsi que l'ensemble des
ministres partageons la même analyse ; une intervention, oui mais
brève, de style "coup de poing". Elle doit être à la fois symbolique
et réelle. Notre intervention ne semble désirée par personne, même
par ceux que nous voulons sauver. Sans doute préfèrent-ils qu'il n'y
ait pas de témoins à leur victoire. Aussi, je ne veux pas risquer la
vie de soldats français pour rien. L'intervention sera limitée dans
le temps et l'espace.
MINISTRE DE LA DEFENSE
L'opération a débuté depuis 24 heures. Les éléments
précurseurs sont aujourd'hui à Goma. Nos forces seront réparties sur
trois sites, au Zaire, dont Bukavu et surtout Goma prés de la
frontière rwandaise.
Le volume des forces doit atteindre progressivement 2.500
hommes comme l'a proposé le Chef d'état-major des armées.
Environ 1.500 viendront des forces prépositionnées et 1.000 de métropole.
En ce qui concerne l'opération elle-même si j'en reçois
instruction, nous serons en mesure de protéger dès demain le
site à Cyangugu où 8.000 tutsis sont menacés. Nous attendrons
ensuite des reconnaissances et des renseignements pour aller plus
loin.
Sur le terrain, le F.P.R. tente de s'emparer complètement de
Kigali et fait effort sur Butare et Kibuye. Nous nous limiterons
donc pour l'instant au premier site près de la frontière et ensuite
nous pourrons envisager des opérations de va-et-vient pour sauver
des populations, des enfants menacés.
Je remarque que la MINUAR a réussi hier deux opérations
d'échange entre réfugiés hutus et tutsis à Kigali.
Nous verrons donc après s'il faut aller au-delà du premier
objectif et avec quels moyens. Je souhaite que nous n'occupions pas
durablement une partie du territoire rwandais. Je ne crains pas tant
les risques militaires qu'une nouvelle campagne politique contre
notre intervention.
Si donc, l'instruction en est donnée, nous aurons 600 hommes
au Zaire ce soir, 1.200 demain et 2.300 le 25 au soir avec 500
véhicules et 40 avions.
PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE
Ces dispositions sont sans doute connues du F.P.R. Sont-ils
en mesure de s'y opposer militairement sur le terrain ?
MINISTRE DE LA DEFENSE
Non, pas dans l'immédiat.
PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE
Ces tutsis ont un commandant militaire intelligent et ferme.
Comment se fait-il qu'à trois reprises, il y a un an et deux ans, la
seule présence d'une compagnie française ait pu les dissuader de
continuer ? Elle représentait, certes, une armée forte et
disciplinée mais comment pouvait—elle faire impression à ce point ?
CHEF D'ETAT—MAJOR DES ARMEES
Cette présence française était liée à un dispositif de
coopération militaire. Les F.A.R. étaient rassurées par la présence
française et les conseils de nos coopérants leur donnaient la
capacité et la volonté de contenir le F.P.R.
La question que je me pose aujourd'hui est la suivante : le
front va-t—il s'effondrer ?
Nous avons très peu d'informations sur la partie prise par le
F.P.R.. Le vide a été fait par les Tutsis. Si le front s'effondre,
on va se retrouver en zone F.A.R. avec plusieurs millions de
personnes fuyant vers le Zaire. Nous aurons un
phénomène identique à celui des Kurdes quand les Irakiens sont
entrés dans le nord, avec des millions de réfugiés.
PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE
Les Tutsis vont instaurer une dictature militaire pour
s'imposer durablement.
PREMIER MINISTRE
Ce n'est pas cela qui les arrêtera.
CHEF D'ETAT—MAJOR DES ARMEES
Il y a la même situation au Burundi.
PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE
Une dictature reposant sur dix pour cent de la population
gouvernera avec de nouveaux massacres.
Sur l'opération elle-même, pouvez—vous nous donner quelques
informations complémentaires ?
CHEF D'ETAT-MAJOR DES ARMEES
Nous poursuivons notre déploiement sur les bases au Zaïre et
nous pourrons lancer demain des opérations coup de poing vers
Cyangugu, si la résolution est votée à l'O.N.U.
PREMIER MINISTRE
Nous n’avons aucun espoir de ramener au Zaïre les 8.000
tutsis de la zone ?
CONFIDENTIEL DEFENSE
CHEF D'ETAT—MAJOR DES ARMEES
Il faudra voir sur place. Un des problèmes est
l'établissement d'un contact technique avec les F.A.R. en gardant
une visibilité réduite.
PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE
C'est une mauvaise affaire. Il y a huit jours tout le monde
voulait qu'on intervienne tout de suite. Maintenant, c’est
l'inverse. La propagande du F.P.R. à Bruxelles est très efficace et
la naïveté des diplomates et des journalistes est déconcertante.
MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
Je me pose deux questions. D'abord, que fait-on des tutsis menacés ? Soit nous
les réinstallons au Zaïre, soit nous les maintenons sur place.
Il faut voir cela dans la perspective de notre départ fin juillet.
Ensuite, sur le plan médiatique, si nous réussissons on
saluera notre courage mais si, dans une deuxième phase, cela
s'aggrave après notre retrait, nous serons accusés. Il faut donc que
tout le monde comprenne qu'il s'agit d'une opération de sauvetage.
PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE
Ne pourrait—on pas éventuellement ramener les tutsis menacés
en zone F.P.R. ?
CHEF D'ETAT-MAJOR DES ARMEES
Ce n'est pas impensable si nous avons l'accord du F.P.R.
PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE
Il ne faut pas manquer de dénoncer le génocide perpétré par
les Hutus. La folie s'est emparée d'eux après l'assassinat du
Président Habyarimana.
MINISTRE DE LA COOPERATION
J'ai une question, monsieur le Président. Dois-je continuer à
essayer de convaincre nos partenaires africains de participer à
l'opération ? Je vais au Niger ou je peux demander un contingent
symbolique.
PREMIER MINISTRE
J'y suis très favorable.
PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE
Oui, bien sûr.
Monsieur le ministre de la Défense, Amiral, je veux être tenu
informé en permanence. Je vous remercie.