Fiche du document numéro 14038

Num
14038
Date
Vendredi 24 juin 1994
Amj
Taille
114871
Titre
Paris se croit toujours roi en Afrique
Sous titre
Depuis l'époque des indépendances, la France mène une politique de soutien aux dictateurs. Elle est intervenue militairement à dix reprises depuis dix ans sur le continent africain.
Cote
no 15508
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
PERIODIQUEMENT, la politique africaine de la France occupe le devant de la scène. Malgré l'accession à l'indépendance des pays colonisés, au début des années soixante, Paris n'a pas abandonné tout projet de domination. Ainsi, le général de Gaulle et son « spécialiste », Jacques Foccart, toujours en service aujourd'hui, ont mené une politique spécifique vis-à-vis de l'Afrique faite de soutien aux potentats locaux, de manoeuvres souterraines pour contrecarrer les mouvements d'opposition jugés indésirables et parfois d'actes dignes de gangsters.

Depuis, les différents présidents de la République, et leurs gouvernements, n'ont pas dérogé à la règle. La politique africaine de la France est d'une opacité quasi absolue. Qui la mène ? Le ministère des Affaires étrangères, celui de la Coopération et la direction du Trésor du ministère de l'Economie s'occupent, selon les sujets, du continent, ou plus exactement des pays francophones. Mais, en fait, c'est une cellule, hors de tout contrôle démocratique et parlementaire, qui mène le bal. Il s'agit de la désormais célèbre « cellule Afrique » de l'Elysée, aiguillée par les grandes entreprises, les « Monsieur Afrique » de tout poil et parfois les réseaux troubles. Beaucoup de choses s'y décident sans consultation des ministères concernés et encore moins des députés.

Pourquoi cet « attachement » à l'Afrique ? L'intérêt est d'abord économique. La France a largement puisé dans les richesses du continent. Aujourd'hui encore, le pétrole gabonais est principalement exploité par des compagnies françaises, comme Elf. L'essentiel est d'exploiter dans les meilleures conditions. Cela nécessite, dans la logique de la politique française menée depuis des décennies, la stabilité politique. Si celle-ci est au prix d'une dictature et d'une répression des opposants, peu importe pourvu qu'on ait l'argent.

Il y a ensuite une question de puissance et de prestige. L'Afrique est le continent qui compte le plus d'anciennes colonies françaises. Paris voit là un champ privilégié d'application de sa domination politique qui vient en appui de l'exploitation économique.

Les exemples de l'attitude de Paris vis-à-vis de l'Afrique et plus particulièrement des pays du « pré carré » ne manquent pas. En 1990, au sommet de La Baule, François Mitterrand surfe sur la vague de la démocratisation. Il lie l'aide économique française à l'acceptation par les dirigeants africains de la démocratie. Les mouvements d'opposition prennent cette promesse pour argent comptant et se lancent dans une lutte politique légale, « à découvert ». Mais les despotes africains ne l'avaient pas entendus de cette oreille et répriment durement leurs opposants. Que fit la France ? Fidèle à son engagement de la Baule, soutint-elle le mouvement démocratique ? Bien au contraire, elle envoya des soldats français suppléer les régimes autoritaires défaillants. En 1990, c'est le Gabon et le Rwanda ; l'année suivante, le Zaïre. Libreville, Kigali ou Kinshasa se sont transformés en des garnisons françaises.

Paris n'a jamais ménagé son soutien à ces roitelets. La France a armé et entraîné les gardes prétoriennes. Et quand cela ne suffit pas, la troupe française est envoyé. La France est intervenue militairement dans des pays africains à dix-huit reprises depuis 1962. C'est encore Paris qui assure les fins de mois difficiles des Etats dont les dirigeants sont de dociles amis, leur permettant de préserver leur pouvoir. C'est ainsi que Mobutu au Zaïre, Bongo au Gabon, Biya au Cameroun ou Eyadema au Togo sont toujours en place après avoir résisté au « processus de démocratisation ».

Par contre, les autorités françaises n'hésitent pas à dévaluer de 50% le franc CFA, pénalisant les populations qui ont vu leur niveau de vie diminuer par deux du jour au lendemain. Comme le notait François-Xavier Verschave, président de l'association Survie, dans une interview récemment accordée à « l'Humanité », « la politique africaine de la France, c'est le lieu de l'irresponsabilité ». Le Rwanda en est un exemple supplémentaire.

C. D.

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