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Des militaires français appuieraient les troupes gouvernementales et seraient actuellement bloqués dans des sites encerclés par la guérilla, affirmait hier un responsable du FPR. Faut-il voir là une des causes de la précipitation de Paris ?
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LA décision de la France d'intervenir au Rwanda est-elle motivée par le souci de récupérer des militaires français assistant les troupes gouvernementales et des « témoins gênants » pouvant mettre Paris en cause ? Cette accusation vient d'être portée par le docteur Jacques Bihozagara, membre du Bureau politique du FPR. Dans une interview au quotidien belge « le Soir », il assure : « Nous disposons d'informations suivant lesquelles des militaires français seraient traqués dans des camps militaires à Kigali et nous croyons que l'opération actuelle a aussi pour but de les faire sortir. Nous croyons même que c'est cela la raison déterminante de l'opération prévue, c'est pour cela qu'il faut aller si vite. La France veut brouiller les traces, et nous nous y opposons. »
Des rumeurs avaient déjà couru à ce sujet. L'intervention militaire de la France au profit de la dictature, en 1992 comme en 1990, interdit de les écarter d'un revers de main. Il a même été précisé que ces militaires français restés au Rwanda auraient pour tâche d'assurer les transmissions des FAR (Forces armées rwandaises). Une tâche essentielle dans un pays où tous les moyens de communication classiques ont désormais disparu.
« La France est disqualifiée », juge le docteur Bihozagara. Selon lui, « elle a participé à l'attentat contre l'avion du président. Depuis le début, nous avons affirmé que la boîte noire de l'avion se trouvait à Paris et on ne nous a jamais démenti sur ce point. Mais les informations de la boîte noire n'ont jamais été analysées ou communiquées ». Il déclare par ailleurs : « Nous considérons que la France était au courant, sinon complice des plans de génocide : l'entraînement des commandos a été assuré par les Français. Ce sont eux qui leur ont fourni les armes : 80% des armes que nous avons saisies sur les forces gouvernementales sont d'origine française. »
Pourquoi ce soutien réitéré à la dictature ? « Il y a plusieurs raisons, répond Jacques Bihozagara. La première est que la France ressent une dette morale à l'égard du Rwanda, et que le gouvernement se sent pressé de faire quelque chose, y compris se lancer dans l'aventure. Mais nous pensons aussi que, dans les troupes en débandade, il se trouve des témoins gênants qui pourraient mettre la France en cause »… A noter que, si l'on en croit une dépêche récente d'Associated Press, les membres de la MINUAR à Kigali ne cachent pas leur conviction que l'éventuelle arrivée de soldats français ne pourrait que rendre leur travail plus dangereux. « Je serai dans le prochain avion si les Français débarquent », a confié un casque bleu au journaliste d'AP.
Journaliste au « Soir », Colette Braeckman se fait l'écho, dans un autre article, de témoignages recueillis auprès de réfugiés rwandais en Belgique. Ils concernent la période du début des massacres, après l'assassinat du général-président Habyarimana. « Il y avait des centaines de familles accrochées au portail de l'ambassade (de France - NDLR) auxquelles on refusait l'entrée. » Selon cette personne, qui a confirmé ses dires devant la Commission des droits de l'homme de l'ONU, on retrouvait alors à l'intérieur de l'ambassade « tous les dignitaires du régime, ainsi que le directeur de la radio et ses subalternes connus pour leurs appels au massacre ».
Puis elle poursuit : « A tout moment, ces dignitaires du régime sortaient avec leurs escortes de militaires pour circuler dans les quartiers en flammes et, à leur tour, tenaient des réunions à l'ambassade pour parler de l'évolution de la situation, dresser le bilan des victimes ou regretter que telle ou telle personne n'ait pas encore été tuée ou tel ou tel quartier pas encore nettoyé. »
Avant même d'avoir reçu le feu vert de l'ONU, le gouvernement français et l'Elysée ont décidé d'envoyer des troupes sur la frontière zaïroise. « Chaque heure compte », s'est exclamé François Mitterrand. Mais compte pour faire quoi ? Les précédents de 1990 et 1992 incitent au scepticisme quant aux préoccupations « humanitaires » de Paris.
JEAN CHATAIN.