Citation
De notre envoyé spécial au Rwanda.
TOUS les racismes sécrètent ce que l'on pourrait appeler des meurtres rituels: l'assassinat de personnes ou de familles choisies parce que, pour une raison quelconque, elles apparaissent comme plus particulièrement symboliques de la communauté persécutée. Ainsi à Butare, du meurtre de Mme Rosalie Gicanda.
Il s'agit de l'épouse âgée du défunt roi Mutara RudakingwaMutara Rudahigwa. Se tenant à l'écart de la vie politique, elle n'a, à aucun moment, tenté de jouer d'une quelconque nostalgie monarchiste (d'ailleurs inexistante au Rwanda), mais, dans un pays où la protection sociale se limite aux « oeuvres » privées, avait gagné une énorme popularité par son action en ce domaine. Sa fortune personnelle y était consacrée, m'assure le Rwandais qui témoigne. Mais voilà, elle était tutsie.
« Cette dame était ce que l'on appelle la charité. Elle s'occupait des orphelins, elle se donnait pour les pauvres, pour les gens dans le malheur, sans distinction d'ethnies, tutsis ou hutus. » Mon interlocuteur réfléchit un instant, puis trouve cette expression, reflet de la profonde imprégnation catholique du pays: « C'était une dame sans péché ».
Lorsque commencent les massacres de Butare, les tueurs viennent aussitôt chez elle. « Ils l'ont dénudée et battue. Longtemps. Ensuite, ils l'ont coupée en morceaux. Je ne trouve pas de mots pour vous en parler plus longtemps. C'est trop! Elle était l'exemple des dames de ce pays. Elle ne faisait que le bien. »
JEAN CHATAIN