Fiche du document numéro 13452

Num
13452
Date
Vendredi 6 mai 1994
Amj
Auteur
Taille
141791
Titre
Conférence de presse près de la rivière de la mort
Sous titre
Paul Kagame, responsable militaire du Front patriotique rwandais, répond aux questions de la BBC, de New Vision, de Reuter et de « l'Humanité »
Page
13
Nom cité
Cote
no 15466
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
De notre envoyé spécial au Rwanda.

LE Front patriotique rwandais (FPR) a donné rendez-vous aux rares journalistes présents sur le terrain. La rencontre s'est déroulée près du pont de Rusumo, qui franchit la rivière Akagera, à proximité de la frontière tanzanienne. Un lieu rendu morbide par les centaines de cadavres roulés chaque jour dans les flots jaunâtres de ce fleuve.

Les médias de quatre pays étaient représentés à la conférence de presse du général-major Paul Kagame, dirigeant militaire du FPR: ceux du Rwanda (Radio-Muhabura, la chaîne du FPR), de Grande-Bretagne (agence Reuter, BBC), d'Ouganda (New Vision) et de France (« l'Humanité »).

Evoquant notamment les déclarations de Boutros Boutros-Ghali et du Conseil de sécurité de l'ONU, Paul Kagame a souligné: « La situation est d'autant plus compliquée que ceux qui ont en charge ce problème ne semblent pas comprendre les données de base. Peut-être ne se sont-ils pas entourés de bons conseils, ou peut-être parmi eux se trouve-t-il des gens qui essaient de falsifier la réalité. »

Interrogé sur l'envoi éventuel d'une force d'intervention internationale, le représentant du FPR a déclaré: « Ce serait pour le moins inopportun. Ce dont le Rwanda a besoin, c'est d'une assistance humanitaire au profit des survivants des massacres. Lorsque les tueries ont commencé à Kigali, tout le monde a pu vérifier que les souffrances infligées à notre peuple n'étaient pas la préoccupation première des institutions internationales. Celles-ci ont, par ailleurs, montré beaucoup d'hypocrisie en reprochant au FPR de reprendre les armes. Nous l'avons fait parce que notre priorité était et demeure l'établissement de la paix dans le pays. Ce que nous avons accompli depuis a été mille fois plus efficace que ce qu'une force d'intervention aurait pu ou non apporter au Rwanda. »

La mort de l'opposition



« Nous n'acceptons pas ce gouvernement (le ``gouvernement intérimaire'' dont un représentant a été récemment reçu au Quai d'Orsay et à l'Elysée) mis en place par des tueurs. Vous avez vu les cadavres de la rivière? Les massacres ont été perpétrés à l'incitation de ce gouvernement. Ces assassins sont devenus fous au point de revenir tuer les orphelins dont les parents avaient déjà été massacrés. Uniquement parce que ce sont des enfants tutsis. Dès le début du carnage, ils avaient décidé la mort de ceux qui faisaient partie de l'opposition politique, qu'ils soient hutus ou tutsis. Cela parce qu'ils n'acceptent pas les accords d'Arusha (conclus l'été dernier et préconisant un gouvernement regroupant toutes les forces politiques), la perspective d'un changement politique. »

Interrogé sur les réfugiés ayant franchi le pont vers la Tanzanie, le général a répondu: « Lorsque le FPR est arrivé à Rusumo, ces gens avaient déjà traversé. Nous n'avons empêché personne de partir. Si d'autres se présentent, nous sommes prêts à faciliter leur départ. Nous sommes opposés à une force d'intervention internationale, mais nous sommes en faveur d'une assistance humanitaire. Une assistance aussi pour protéger les organisations non gouvernementale (ONG), qui redoutent l'absence de sécurité. Là, oui, les Nations unies peuvent oeuvrer utilement pour leur assurer cette sécurité. »
Qu'est-ce que le FPR ? a-t-il été demandé.

Une politique de ségrégation



« Face à ceux qui jouent de la haine interethnique, le FPR travaille au rassemblement dans ses rangs de tous ceux qui souhaitent un changement dans notre pays. Il est vrai que, à l'origine, le FPR a été un mouvement tutsi, parce qu'il s'est créé parmi les réfugiés et qu'à l'époque les réfugiés étaient tutsis. Aujourd'hui, nos militants proviennent de toutes les ethnies et de toutes les régions. »

« Jusqu'à maintenant, personne n'a essayé de bâtir une unité et une conscience nationales. Ce que j'appellerai un leadership national », a poursuivi Paul Kagame. « Depuis notre indépendance, c'est toujours une politique de ségrégation qui a été mise en oeuvre, avec une faction monopolisant les pouvoirs, tous les autres n'étant que des spectateurs. Nous refusons les divisions entretenues sur des bases ethniques et régionales et sommes prêts au multipartisme. L'élite politique vient d'être décimée. Nous souffrirons longtemps de cela ».

« Pensez-vous que l'ONU veut vous empêcher de gagner la guerre? » demande alors un journaliste britannique.

« Nous nous posons la question », a répondu le responsable du FPR. « J'ai l'impression que dans ses rangs il y a des puissances - surtout les Français, et ils ont du muscle au Conseil de sécurité! - qui voudraient bien influer sur l'issue du conflit. »

« Le gouvernement français a toujours eu une attitude négative. Même lorsque les atrocités de ce régime étaient évidentes. Récemment encore, le gouvernement français a reçu, comme si de rien n'était, des gens qui commanditent les massacres. Naguère (à partir de 1990), quand le gouvernement français a envoyé des soldats participer aux opérations contre nous, au côté des FAR (forces armées rwandaises), pensez-vous sérieusement que les autorités françaises s'imaginaient lutter pour la démocratisation de notre pays? »

« A quoi attribuez-vous ce comportement de longue date? Il n'y a guère d'intérêts économiques français au Rwanda? », avons-nous demandé.

« Je crois que la France a commencé sur un faux pas et qu'elle ne veut pas admettre qu'elle a eu tort. Ce sont les représentants français qui, au Conseil de sécurité, viennent de s'opposer à l'emploi du terme ``génocide'', et pourtant! Je ne comprends pas cette obstination. C'est vrai, la France n'a pas chez nous d'intérêts spécifiques. Alors peut-être sommes-nous une pièce, un rouage dans sa politique générale en Afrique. Sur ce continent, le gouvernement français a soutenu beaucoup de régimes incroyables. Y compris donc, au Rwanda, avec un gouvernement qui a massacré tant de gens. »

JEAN CHATAIN

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